Titre : L’Émissaire (partie 11/15)
Auteur :
soleil_ambrienFandom : Neverwhere
Persos : Richard, le Marquis de Carabas, une OC (Longplayer)
Rating : PG
Disclaimer : Tout appartient à Neil Gaiman.
Prompt : "Richard apprend à vivre et non plus simplement survivre dans London Below... en s'inspirant plus qu'un peu de la technique du Marquis.", pour
azalee_calypso,
obscur_echange session 2011 (ouch ça date drôlement. Je vais essayer de poster le reste avant la fin de l'année, puisqu'elle est terminée).
Note 1 : Début
ici.
Note 2 : Si j'étais mauvaise langue envers moi-même, je dirais que ce n'est "que maintenant" que je commence à répondre au prompt. En fait, c'est le premier passage que j'ai écrit, et le reste s'est greffé autour ; mais on avait besoin du début pour le character development de Richard - enfin je crois. ^^
11. Greenwich
Et le temps passa. Ils allèrent convaincre des fiefs, d’abord ensemble, puis séparément. Richard prenait de l’assurance, fort de la faveur que Carabas lui devait. Son timbre de voix résonnait mieux, il occupait davantage l’espace, ne se laissait plus marcher sur les pieds.
Un matin, c’était incroyable, mais avec toutes ces missions, le Marquis avait oublié de demander aux gens où se tenait le Marché Flottant.
Ce n’était pas parce qu’on le lui avait dit, et qu’il avait oublié. Sa mémoire n’avait pas son pareil. C’était tout simplement qu’il n’avait pas eu l’occasion de se renseigner. La dernière mission de dame Porte l’avait emmené jusqu’en Morden, et personne ne se souciait du Marché, là-bas (ni du monde extérieur, d’ailleurs). Il avait passé un temps fou dans la forêt, peut-être un mois entier, et il ne s’était pas tenu au courant. Après, il avait dormi dans la rame de métro qui le ramenait, et n’avait pas pensé à demander.
Et évidemment, sur qui fallait-il qu’il tombe en premier, en rentrant ? Un Richard plein d’assurance semi-feinte, habillé exactement comme lui mais pas avec les mêmes coloris - des couleurs complémentaires, ceci dit. En le voyant, il ressentit un mélange d’amusement et de malaise.
Il ne comprenait pas pourquoi à chaque fois qu’il le voyait, Richard lui ressemblait de plus en plus. Ou plutôt, il faisait semblant de ne pas comprendre. En vérité, il savait bien. Le mimétisme était aux yeux de l’humain égaré la meilleure des stratégies de survie.
Au début, il s’attendit à ce que cela ne fonctionne pas et qu’il se retrouve le nez dans l’eau. Mais non. À chacune de leurs rencontres, le jeune homme gagnait en assurance, en confiance en lui. En sens de la répartie, également. Bientôt, il fut lointain, le temps où il pouvait lui clouer le bec d’une seule remarque. Richard apprenait plus vite qu’il ne l’aurait pensé, devait-il admettre.
Pour dissimuler son étonnement mêlé de gêne, il avait recours à une technique qui fonctionnait presque à coup sûr : la raillerie.
Mais là aussi, Richard changeait. Il avait abandonné l’esprit d’escalier, et agrémentait ses conversations de remarques piquantes.
«Bien le bonsoir, Marquis, lui dit-il avec une révérence mi- respect, mi-dérision.
-Bonsoir, répondit-il. Tu sais où se tient le prochain Marché Flottant ? s’enquit-il sans grande conviction. J’en doute fort, mais…
-Oui, je sais, confirma-t-il.
-Quoi ? »
Richard tourna autour de lui avec la prestance d’un grand félin - une démarche qu’il lui avait empruntée. Il y ajoutait une pincée de maladresse, désormais volontaire. Pour le Marquis, ce mélange s’avérait très déconcertant et le mettait un peu mal à l’aise.
« Tu veux dire, se délecta le jeune homme, que moi, je sais où se tient le Marché et que toi, tu l’ignores ?
-Apparemment, oui. Bon, tu me le dis, oui ou non ?
-Hum, je ne sais pas…
-Je crois que je vais demander à Old Bailey, en fait, laissa-t-il entendre.
-Il n’y va presque jamais, et tu le sais.
-Bon, grogna-t-il, mécontent de l’échec de sa ruse. Où et quand, pour le Marché ? »
Richard eut envie de mentir, mais il se rendit compte, avec une certaine surprise, qu’il en était incapable.
« Ce soir. Greenwich », lâcha-t-il, presque à regret.
Puis il s’approcha du Marquis avec la même indolence languissante que celle que Phalène avait adoptée à son égard, quelques semaines plus tôt.
« Si j’avais su qu’un jour, je t’apprendrais quelque chose…
-Ça va, amoindrit le Marquis, vexé. Ce n’est que le lieu du Marché. Ce n’est même pas une information que tu as le droit de marchander.
-Mais ça veut aussi dire que je n’ai plus besoin d’être pendu à tes basques pour survivre. Pour moi, c’est un pas de plus vers l’indépendance.
-Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour le chevalier ? le railla-t-il.
-Oui, et le chevalier a faim, conclut ce dernier. Tu viens ? »
*
Les étals se pressaient le long du tunnel piétonnier de Greenwich, placés de part et d’autre de la longue voie. Les murs carrelés se faisaient l’écho du brouhaha confus qui régnait sur le Marché. Le pénible éclairage au néon avait été renforcé par une quantité impressionnante de chandelles, de lampes à pétrole, de lampions de toutes sortes.
Après avoir exploré l’une de ses poches, Richard posa un troll aux cheveux ébouriffés sur le comptoir de la marchande ambulante. La chevelure verte de la figurine était presque de la même couleur que la pâte dont la femme assaisonnait le poisson cru.
En échange du jouet, la vendeuse lui donna une poignée de makis, dans une petite boîte de bois laqué. Affamé, il en piocha un. C’était si épicé que l’arrière du crâne se mit à le piquer. Inexplicablement, lorsqu’il se gratta à cet endroit, la sensation de brûlure sur sa langue s’apaisa soudainement. Encore une bizarrerie alimentaire du Londres d’En Bas.
Richard ne se lassait pas de la nourriture du Marché Flottant. Il y avait longtemps de cela, dans une autre vie, sans doute, il avait appris qu’il ne fallait jamais faire les courses quand on avait faim, car on achetait tout et n’importe quoi. Cette règle ne s’appliquait pas au Marché.
Certes, il y prenait régulièrement de la nourriture, mais cela en valait toujours la peine. Bon, il évitait quand même les plats à base de viande. Il n’était pas un grand adepte de chat grillé.
Maintenant, la langue lui piquait encore un peu, et il avait envie de manger du sucré. Il demanda conseil au Marquis, qui arpentait Greenwich Foot Tunnel à ses côtés. Étant donné la précision toute relative des descriptions de ce dernier, ce n’était peut-être pas une bonne idée.
« Tu peux m’expliquer à quoi est le gâteau, là ? » s’enquit-il à un moment donné.
Le pâtissier qui le vendait, un homme aux allures d’Indien Pueblo, ne semblait pas parler anglais.
« Le pagnon amarante ? C’est une tarte au goût rouge vif, un peu chantant.
-Sans synesthésie, s’il te plaît, répondit Richard d’un ton amusé. Je suis peut-être ignorant, mais ce n’est pas une raison pour que toi, tu délires en douce. »
Pas si ignorant que ça, songea le Marquis, pensif. Richard se transformait à vue d’œil. Ce n’était pas que de simples changements physiques. Sa personnalité aussi s’adaptait de plus en plus au Londres d’En Bas.
Avec une bouffée de nostalgie, il se mit à regretter le Richard des temps anciens. Celui qui ne comprenait jamais rien à rien et qu’il pouvait faire marcher d’une manière spectaculaire.
« Comment faites-vous pour vous y retrouver ?
-Je ne m’y retrouve pas. Nous sommes irrémédiablement perdus. Nul ne nous retrouvera plus jamais. Dans deux ou trois jours, nous allons commencer à nous entretuer pour nous nourrir.
-C’est vrai ?
-Non. »
« Oh, des bananes ! » s’écria son compagnon, en le tirant de ses réflexions.
Ravi, il se retourna vers le Marquis.
« Les bananes, c’est bon. »
Ce dernier répliqua :
« Je suis certain que le Baron aurait fait une blague douteuse à partir de cette phrase, mais il n’est pas là.
-Tant mieux, nota-t-il. Il me fait un peu peur, quand même. »
Maintenant qu’il avait pris de l’assurance, il n’hésitait plus à dire quand quelqu’un ou quelque chose l’effrayait. Il ne prenait plus ces tours et détours dont il s’était auparavant servi pour avouer sa claustrophobie, ou le fait qu’il avait le vertige. D’autant plus qu’il souffrait de moins en moins de ces deux phobies. Le fait de dormir toutes les nuits dans une pièce sans portes ni fenêtres y était pour quelque chose. Sans parler du chemin long et périlleux, de l’oppression constante des souterrains ou encore de leurs maintes visites à Old Bailey pour le convaincre.
La liste des dangers qu’il craignait encore raccourcissait de jours en jours. Après tout, il avait vaincu la Bête de Londres, qui avait hanté ses cauchemars. Il s’était confronté aux bergers de Shepherd’s Bush, au prix d’une blessure, qui ne l’avait pourtant pas empêché de tous les dominer de l’autre main. Il patati, il patata…
Le peuple de l’En Dessous chantait ses louanges - de manière un peu excessive, d’ailleurs. Il dut refuser de manière très vive le surnom de « Richard sans Peur », qui sonnait vraiment de manière trop ridicule.
Et inexacte. À chaque fois qu’il pensait au seigneur des Gédés, rien à faire, un frisson lui parcourait l’échine. Il avait beau savoir que c’était un allié et qu’il avait même porté l’un de ses symboles autour du cou, il n’y pouvait rien. L’idée d’avoir rencontré le loa de la mort restait dérangeante.
Pour se changer les idées, il éplucha tranquillement sa banane.
« Tu en veux une ?
-Non merci.
-Dommage. Bonne source de potassium. »
Il mordit dedans en continuant à marcher. Le Marquis ne savait pas comment il s’était débrouillé pour à la fois reprendre sa gestuelle et l’adapter à son caractère, mais c’était réussi. Comme lui, Richard se mouvait de manière féline, mais avec un je-ne-sais quoi de dansant, d’étourdi. Soudain, il s’accroupit pour regarder une boîte à outils posée par terre. Son trench-coat balaya le sol, comme une cape.
« Anesthésie adorait ça, les bananes, fit Richard en tournant la tête vers lui. Je sais pas pourquoi j’y repense, tout à coup. »
Il se redressa et considéra d’en haut la caisse remplie de lève-soupapes, de clous du spectacle, de becs-de-corbeaux, de tournevis soniques et de tournent-à-gauche. En parlant au vendeur (un homme qui ressemblait beaucoup à un mélange entre un routier et un savant fou), il acquit une vieille lampe-torche électrique en échange du mouchoir brodé qui lui avait été donné avec son costume.
« D’ailleurs, c’est étrange, cette banane a le goût de citron. », nota-t-il, en revenant au sujet de conversation précédent.
Il avait lu un manuel sur les tours de magie et savait comment les prestidigitateurs s’y prenaient. Pourtant, ce fut en vain qu’il chercha la trace de l’aiguille qu’on aurait plantée dans la chair du fruit pour y injecter du jus citronné.
« Rien du tout, s’étonna-t-il. C’est dingue. Il est super, ce tour de magie.
-Ce n’est pas un tour, murmura une voix mélodieuse à ses côtés. Ces bananes ont naturellement une saveur d’agrume. »
L’intervenante avait les yeux bridés et des cheveux noirs, aux reflets bleutés. Elle portait un kimono de soie, aux motifs d’hirondelles. Indolente, elle tenait une ombrelle repliée de sa main gantée de blanc. C’était le genre d’apparition décrite dans des haïkus.
« Elles poussent à Notting Hill, l’informa-t-elle. C’est un fruit de carnaval.
-Comment vous le savez, Longplayer ? lui demanda le Marquis, qui semblait la connaître.
-J’e m’y connais en carnaval », admit-elle, dans un clin d’œil.
Ils marchèrent tous trois, à la file indienne car le tunnel où le Marché avait lieu ce soir-là était assez étroit. Plus précisément, Richard ouvrait la marche, suivi de Longplayer, puis du Marquis. Lorsqu’il finit son fruit, le jeune homme déclara, nonchalant :
« Bon, avec tout ça, je ne sais toujours pas si je vais à Royal Opera House tout de suite ou pas.
-L’opéra, la nuit, ça peut donner, souligna le Marquis.
-Oui mais de Greenwich, je ne sais pas trop où c’est, grimaça Richard. En métro, c’est une galère pas possible.
-Je croyais que le sang de la Bête te permettait de te repérer, remarqua-t-il.
-Pas toujours, nuança le jeune homme. Pas sur d’aussi longues distances, loin du tracé des voies.
-Vous allez à l’opéra ? intervint Longplayer. Je pourrais être votre guide ! Je dois y retourner pour le spectacle de minuit. »
Richard la considéra avec méfiance. La dernière fois qu’il avait pris une guide au Marché Flottant, cela ne s’était pas très bien passé. Il se demanda si elle aussi, elle tenterait de boire sa vie. Mais quelques mots du Marquis, qui avait remarqué sa défiance et qui en connaissait les raisons, le rassurèrent.
« Tu peux lui faire confiance, affirma-t-il tranquillement. C’est un rossignol de la cour du Corbeau.
-Tu branches le décodeur ? Avec les sous-titres, ça veut dire ?
-Que c’est une chanteuse. On la voit parfois chez le Duc. Normalement, elle travaille à l’opéra, je crois. »
Elle hocha la tête pour confirmer.
« Tu peux la suivre sans problèmes », conclut-il.
D’un signe de main, il prit donc congé de Carabas, et suivit l’artiste.
Le Marquis le suivit longuement du regard, avant qu’il ne disparaisse totalement de son champ de vision.
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