Titre : L’Émissaire (chapitre 4/15), partie 1
Auteur :
soleil_ambrienFandom : Neverwhere
Persos/Couple : Richard, le Marquis de Carabas, Porte, personnages de Shakespeare
Rating : PG
Disclaimer : Tout appartient à Neil Gaiman et à Shakespeare.
Prompt : Richard apprend à vivre et non plus simplement survivre dans London Below... en s'inspirant plus qu'un peu de la technique du Marquis.
Notes : Crossover shakespearien...
4. Globe Theater
Ils dormirent à Charterhouse, en louant des chambres comme s’ils étaient des gentilshommes retraités. Les lieux tenaient plus de l’hospice que du somptueux hôtel particulier, mais au moins, c’était mieux que de dormir dans les égouts, pensa Richard.
Le lendemain, les moines leur servirent un porridge infâme au petit déjeuner. Pour égayer ce triste repas, Carabas sortit de son manteau une tranche de cake, goût thé vert au gingembre et kiwi. Lorsqu’il leur en proposa, Richard déclina soigneusement l’offre. Comment de tels parfums de gâteaux pouvaient-ils exister, d’ailleurs ? Il ne se hasarda pas à poser la question à voix haute, mais elle flotta dans son esprit pendant toute la matinée.
Porte leur souhaita ensuite bonne chance et s’éclipsa, en les laissant seuls. Apparemment, elle ralliait aussi des baronnies de son côté. Leur première initiative fut de quitter ce monastère de malheur, afin de trouver un endroit moins inquiétant. Richard voulait se promener dans un vrai jardin, pas dans le Charterhouse Square d’En Bas qui lui donnait la chair de poule.
Ils descendirent Long Lane et prirent Cloth Fair, ce qui les mena à Finsbury Circus Garden. Cette fois, rien de commun avec un cirque. Le vieux parc était l’un des endroits les plus reposants que Richard connaisse, que ce soit En Haut ou dans l’En Dessous. Ce fut ce qu’il confia à son compagnon.
« J’aime bien Moorfields, moi aussi », commenta le Marquis en s’asseyant gracieusement sur un banc. Richard le rejoignit, en s’étonnant que Carabas appelle ainsi Finsbury Circus. Puis il se dit que c’était encore une anomalie du Londres d’En Bas.
« Bon, on commence ? » demanda-t-il avec impatience.
Il avait hâte que sa mission commence. Au moins, il n’était pas revenu pour rien. Le temps où il avait l’impression d’être un petit enfant empêtré dans les jupons de ses aînés était désormais révolu. Maintenant, on faisait appel à lui pour effectuer des tâches qu’il était le seul à pouvoir réaliser.
Pendant qu’il pensait à tout cela, le Marquis sortait un plan du métro de Londres de l’une de ses innombrables poches. Ce qui n’était pas une bonne idée pour se repérer dans l’espace, Richard l’avait bien compris, mais qui était tout de même bien utile, à sa façon.
« On est là, indiqua-t-il en tapotant la carte d’un doigt sombre. Entre Farringdon et Barbican. »
Par un hasard extraordinaire, les deux stations étaient représentées côte à côte.
« D’accord, acquiesça Richard. Et où on va ?
-D’abord à St Paul, expliqua-t-il. Il faut un peu marcher, mais ce n’est pas très loin.
-Et de là ?
-On commencera par le théâtre du Globe. Ça te fera un bon entraînement.
-Pourquoi ça ? lui demanda-t-il, sans comprendre.
-Bah, disons que les gens de ce théâtre m’aiment bien. Du coup, ils sont pratiquement déjà gagnés à notre cause.
-Cool. »
Ils se relevèrent et se mirent en route. La cathédrale ne fut pas difficile à trouver, effectivement. Ensuite, il fallait traverser la Tamise vers Southwark. Le lieu où ils entrèrent n’avait pas grand-chose de commun avec l’International Shakespeare’s Globe Center des souvenirs de Richard, avec salle d’expositions et médiathèque.
La seule chose qui n’avait absolument pas changé, c’était la devise : « Totus mundus agit historionem ».
Ce théâtre-ci était probablement l’original. Il n’y avait pas d’affiches ou de panneaux routiers sur le muret de pierre qui l’enserrait. Lorsqu’ils franchirent le portail de fer forgé, ce fut comme une remontée dans le temps. De fiers drapeaux aux armoiries de Shakespeare (du moins, c’était ce qu’on pouvait supposer) flottaient au bout de hampes de bois. Les murs blanchis à la chaux du bâtiment circulaire avaient été salis par de la boue et de la fumée de charbon.
À en entendre les exclamations qui portaient très loin, la pièce avait déjà commencé depuis un bon moment.
« On nous laissera entrer ? » se renseigna Richard, un peu anxieux.
Il se souvint avec inquiétude de pièces que Jessica et lui avaient ratées, tout simplement parce qu’ils s’étaient présentés deux minutes après la fermeture des portes. Ce genre de mésaventures était toujours très humiliant. Mais Carabas posa la main sur son épaule pour le rassurer.
« Pas de problème, lui affirma-t-il avec ce sourire flamboyant qui assombrissait la couleur de sa peau, par contraste. On verra la pièce sans encombre, même si elle a commencé. »
Il avait raison.
La grande salle de théâtre circulaire était presque semblable à celle que Richard connaissait, de la petite scène aux planches de bois et aux colonnes de marbre aux deux étages avec rambarde. En revanche, il n’était pas habitué à ce que les gens se tiennent debout au parterre, au lieu d’être paisiblement assis dans des fauteuils. Et que de bruit ! Quelle agitation !
Le public parlait bruyamment, riait aux éclats, mangeait, buvait, applaudissait de manière anarchique, montrait les comédiens du doigt et même, se battait. On comptait en tout un couple de duellistes à l’épée et deux bonnes vieilles bagarres. C’était tout juste si on entendait les acteurs jouer.
C’était le Songe d’Une Nuit d’Été, et on en était au passage où le groupe de comédiens miteux essayait de représenter sa propre pièce, en présence du roi et de la reine. Autant dire que c’était presque la fin. Et on les avait quand même laissé entrer ! C’était incroyable.
« Euh… Y a des hommes en robe », signala Richard au Marquis.
C’était vrai. En dehors de la petite fille qui jouait le Mur, tous les acteurs sur scène étaient des hommes - même ceux qui étaient censés être des femmes, de Thisbé à Hippolyta en passant par Hermia et Helena.
Son interlocuteur sourit encore et lui murmura :
« Londres restera toujours Londres. »
Indifférents aux commentaires des spectateurs, les comédiens continuaient à jouer. C’était au tour de la tirade de sortie du Mur - la seule fille sur scène, donc. Il s’agissait d’une fillette au visage enjoué, au visage et aux bras peints en blanc. Elle portait aussi une barbe postiche. Richard comprit que c’était pour un effet comique que les places étaient ainsi inversées : la petite fille jouait le rôle d’un homme barbu, le jeune homme représentait un vieux roi et l’homme d’âge mûr, une adolescente.
« Ainsi, j’ai rempli mon rôle, moi, le Mur :
Et cela fait, le Mur s’en va. »
Au lieu de sortir par les coulisses, elle traversa le panneau de bois du fond de la scène, applaudie par un public enthousiaste. C’était comme si elle avait emprunté une voie qu’elle était la seule à pouvoir discerner. Le mur se renferma derrière elle, sans aucune marque de porte cachée comme c’est souvent le cas au théâtre, si on est attentif.
Le Marquis eut un choc - et ce n’était pas peu dire, car il en fallait beaucoup pour l’impressionner. L’actrice qui jouait le mur venait de créer une porte à partir de nulle part. Il fut parcouru d’un frisson. Dame Accès, la jeune sœur de dame Porte, se cachait au théâtre du Globe depuis tout ce temps !
Normal qu’il ne l’ait pas su tout de suite. Avec son maquillage et les postiches qu’elle portait, l’enfant était méconnaissable. Mais il n’avait aucun doute sur son identité.
Islington n’avait-il pas laissé entendre qu’il avait gardé la sœur de dame Porte en vie, par précaution ? Alors, de deux choses l’une. Soit la fillette s’était enfuie et avait trouvé refuge ici, soit elle était prisonnière de la troupe de comédiens.
La seconde hypothèse n’était vraiment pas plaisante.
Il écouta distraitement la suite de la scène, car il élaborait en même temps un plan pour la sortir de là. À la fin de la tirade du Lion et du Clair de Lune, il savait exactement ce qu’il devait faire. Il planta là Richard, qui paraissait beaucoup s’amuser et qui ne remarqua son absence que beaucoup plus tard, et se dirigea discrètement vers les loges des acteurs.
Il n’eut pas à chercher longtemps. Tout au bout du couloir, une pièce était réservée à la comédienne du nom de Groin. Il toqua patiemment et après quelques instants, la fillette vint lui ouvrir, toujours en tenue de scène mais sans barbe postiche. Elle en était d’autant plus reconnaissable. L’enfant avait les yeux de son père, d’une couleur impossible. Un peu ému, il mit un genou à terre.
« Carabas, à votre service, dame Accès. »
La petite porta la main à sa bouche, surprise. Quelques instants s’écoulèrent en silence. Finalement, elle lui demanda de se relever. Il s’exécuta. Puis la fillette l’entraîna à l’intérieur, le visage bouleversé.
« Porte, murmura-t-elle en premier. Elle est en vie ? »
Le Marquis acquiesça, et le visage enfantin s’éclaira d’une joie sincère. Ses yeux étaient brillants.
« J’ai eu tellement peur, confia-t-elle. J’étais dans la serre avec Maman, en train d’arroser les plantes, quand ils ont… Ils l’ont… »
Elle n’eut pas besoin d’achever cette douloureuse phrase. Il lui fit signe qu’il savait, qu’il comprenait.
« Et ensuite, ils… »
La petite fille se mit à pleurer pour de bon.
« Ils se sont servis de moi pour entrer dans les autres pièces, comme ils l’avaient fait avec Arch. J’ai dû les guider à travers toute la maison. Je les ai aidés ! »
Elle était secouée de longs sanglots déchirants, qu’elle retenait visiblement depuis très longtemps. Les pleurs traçaient un sillon clair dans son maquillage de scène. Comme avec sa sœur, Carabas tenta de la consoler, mais il n’était pas très doué.
« Allons, allons », répéta-t-il maladroitement en lui tapotant l’épaule. Décidément, il ne savait jamais que dire dans ce genre de situation.
« Euh… Allons. »
L’espace d’un instant, il eut vaguement peur que l’enfant ne se jette dans ses bras pour pleurer tout son content, mais elle n’en fit rien - même si elle en avait manifestement envie. Il attendit qu’elle soit calmée et qu’elle ait effacé les larmes de ses joues pour lui poser la question fatidique :
« Mais comment vous êtes-vous échappée ? »
La fillette se lança alors dans un récit embrouillé de portes qu’elle avait ouvertes à l’insu de ses geôliers, de courses effrénées dans les souterrains et de traversée de plusieurs baronnies. Elle avait quitté le domaine d’Islington pour s’aventurer à Finsbury, passa par le puits des Clercs et finit par s’arrêter à Southwark. Là, dame Titania l’avait prise sous son aile, en souvenir de sa mère, Portia.
Carabas réfléchit. C’était en effet assez logique. La maison de l’Arche entretenait des liens d’amitié avec le Théâtre du Globe, et ce n’était pas surprenant que la reine des fées et la mère de famille se soient bien connues. Cela expliquait aussi que même Croup et Vandemar n’aient pas réussi à retrouver l’enfant. Après tout, les méthodes de camouflage des fées étaient inégalables.
« Il y a encore un problème, avoua la fillette.
-Ah oui ? l’écouta-t-il. Lequel ?
-Titania et Obéron se disputent ma garde. »
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