The Musketeers fanfiction - Les péchés des hommes vertueux - Chapitre 4

Feb 19, 2019 18:26

Ecrit en grande partie sur mon smartphone de deux heures à cinq heures du mat' (autant rentabiliser les isomnies forcées...)

Titre : Les péchés des hommes vertueux
Auteur : Arakasi
Base : The Musketeers (BBC)
Personnages : Athos, Porthos, Aramis, d’Artagnan, Constance
Résumé : Milady de Winter est morte. Définitivement, cette fois. Elle laisse derrière elle un présent ambigu. Fanfic se déroulant après la fin de la saison 2.

Blabla : Voilà un chapitre qu'il est venu plus vite que prévu ! Je commence à croire que je vais vraiment réussir à finir cette fic. Si c'est le cas, ce sera la première fic à chapitres que je réussirai à terminer (bon, OK, j'en ai pas fait beaucoup d'autres…) Bonne lecture !

Les péchés des hommes vertueux

Lien vers les autres chapitres : Chapitre 1 I Chapitre 2 I Chapitre 3 I Chapitre 5 I Epilogue


Chapitre 4

À l'instant où il le vit à terre, Athos sut que l'enfant était mort.

Une certitude totale, absolue, mais pas une surprise. D'une certaine façon, il l'avait su avant qu'ils ne quittent Paris, avant même que d'Artagnan n'ouvre la bouche en rentrant dans son bureau. Alors que le gascon lui rapportait le récit de son épouse, il avait l'image de l'enfant devant les yeux - un petit cadavre blanc et raide étendu sur un linceul de neige - claire et constante comme l'empreinte rémanente d'un éclair sur sa prunelle entre deux coups de tonnerre. Lorsque la fille était arrivée à la garnison, il la voyait encore. Et toujours à la porte Saint-Antoine, sur la route de Blois, dans la forêt. Mort, il ne savait comment, mort, il ne savait pourquoi, mais mort.

La religion catholique promettait l'absolution des péchés - du moins à qui avait la bourse et la position pour la solliciter. On pouvait considérer cela comme miséricordieux ou scandaleux, selon le degré d'hypocrisie dont on était capable. Athos, lui, avait perdu la foi, il y avait huit ans déjà, et il ne croyait plus à la pitié divine. C'était trop simple, trop facile. Certains péchés ne pouvaient être absous, certains crimes ne pouvaient être rachetés, c'était évident. Sinon quel mérite y aurait-il eu à s'abstenir de les commettre ?

Si elle lui avait pardonné peut-être, si elle avait seulement bien voulu lui dire… Mais elle ne l'avait pas fait.

Et voici que l'enfant était mort et Athos tombait.

Il se tenait debout, son épée dégainée à la main, le corps d'un ennemi à ses pieds, et il se sentait tomber. Pendant presque une année, il s'était fait l'effet d'un homme cramponné à la paroi d'une falaise, le visage fouetté par le vent et le vide immense dans son dos. Et il avait fait de son mieux. Le ciel savait qu'il avait fait de son mieux ! Il s'était agrippé à tout ce qui lui avait paru assez solide pour prémunir sa chute. Son devoir, surtout. À une exception près - deux maintenant - n'avait-il pas toujours agi en homme de devoir ? N'avait-il pas toujours scrupuleusement fait ce que l'on attendait de lui ? Pour se faire, il avait repoussé tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une distraction. L'amitié en avait fait partie. Une erreur, il le reconnaissait maintenant. Trop tard pour réparer, sans doute. Trop tard pour cela et pour tout le reste. Puisque l'enfant était mort et qu'il tombait.

Les combats continuaient mais Athos en était à peine conscient. Il laissa tomber ses armes et s'agenouilla auprès du petit. Il aurait voulu le toucher mais ne l'osait pas. En avait-il seulement le droit ? Il avait eu sa chance de le revendiquer comme sien et l'avait laissée passer. Pire, par crainte de souffrir, par crainte d'être blessé plus cruellement encore qu'il ne l'avait été, il l'avait repoussée. Plus rien, alors. Il ne lui restait plus rien, pas même la joie amère de l'avoir eu un instant à lui, tout à lui. Et il n'osait même pas le toucher…

Il lui fallut un temps ridiculement long pour réaliser que l'enfant respirait encore.

L'afflux d'espoir et de panique fut tel qu'il s'extirpa instantanément de son désespoir catatonique. Sans réfléchir, Athos cria le nom d'Aramis. Puis saisit le corps du petit, le serra contre sa poitrine. Il arracha ses gants humides, écrasa les mains glacées de l'enfant entre les siennes, frotta ses jambes, son torse, son visage. La peau du garçonnet restait froide, ses traits inanimés. Il s'y prenait mal surement, trop violemment. Mais il avait tellement peur. La terreur l'aveuglait. Il ne se contrôlait plus. C'était si terrible d'avoir cru avoir tout perdu et de comprendre soudain que rien n'était joué, que l'on pouvait tout perdre à nouveau.

Aramis accourut et s'accroupit en face de lui, le visage crispé par l'appréhension. Athos lui tendit le petit garçon. Les mots se bousculaient dans sa gorge, mais il ne parvenait pas à parler. Sauve-le moi. Je t'en prie, sauve-le moi. Le mousquetaire basané prit dans ses bras le corps insensible de l'enfant et l'étendit en travers de ses genoux. Il ôta un de ses gants et glissa son index au creux du cou du garçonnet pour y chercher son pouls. Athos les dévorait tous les deux des yeux. Bien que celui-ci se reconnaisse un talent bien moindre que celui d'un chirurgien de guerre, ils nourrissaient tous une foi quasi-superstitieuse en les compétences médicales d'Aramis. Jamais ils n'auraient confié leurs vies à quelqu'un d'autre sur le champ de bataille. À cet instant précis, celle d'Athos atteignait des sommets. Il l'aurait volontiers cru capable de ressusciter les morts.

Porthos et d'Artagnan les avaient rejoint. Ils se penchaient anxieusement au dessus des deux hommes agenouillés dans la neige. Le gascon parla à Athos qui ne le comprit pas. Il était suspendu aux lèvres d'Aramis. Son esprit tournait à vide comme une montre déréglée. Je t'en prie. Je t'en prie. Je t'en prie. Aramis qui maniait l'enfant de ses mains habiles, lui soulevait les paupières, tâtait son cuir chevelu…

Et se mit à rire.

Athos le regarda avec ébahissement. Son ami leva les yeux vers lui et avec une hilarité qui masquait mal son propre soulagement :

"Eh, papa, reprends toi ! Il n'a rien du tout, ton petit. Rien qu'une méchante bosse sur la tête."

Il rendit l'enfant à Athos qui le prit entre ses mains tremblantes et le ramena en frémissant contre lui. Il ne pouvait y croire. Aramis devait se tromper. Impensable. Il était impensable que cette nuit épouvantable ait un tel dénouement.

Il crut perdre tout à fait l'esprit quand le petit renifla.

Le garçonnet s'agita, toussa puis ouvrit les paupières. Il parut surpris en découvrant les visages inquiets des quatre hommes penchés sur lui, mais pas particulièrement apeuré. Son regard s'arrêta sur Athos. Celui-ci lui adressa un sourire un peu fou. Il lui dit quelque chose - quoi exactement ? Il serait incapable de se le rappeler a posteriori, une fadaise probablement, une folie dictée par l'ivresse du soulagement. Le petit fit alors une chose inattendue. Une chose extraordinaire. Inouïe. Il se redressa et, avec une vivacité stupéfiante, il noua ses bras derrière la nuque d'Athos et enfouit son visage au creux de son cou.

Cela fit mal. Vraiment mal. Une douleur réelle, presque physique, assez semblable à celle d'un os que l'on remet brusquement en place. Ce ne fut pas la douleur qui le brisa cependant, qui fracassa ses défenses si sévèrement édifiées et consolidées. Ce fut l'apaisement immédiat qui suivit. Huit ans de souffrance, huit ans à savourer son malheur, huit ans à se complaire dans le souvenir navrant d'un bonheur perdu… Et, soudain, plus rien. Du vide là où il avait jalousement choyé toute cette douleur purulente. Mais un vide qui se remplissait déjà, un flot de vie et d'adoration fiévreuse qui venait irriguer des terres desséchées depuis si longtemps.

Sa dernière pensée cohérente, avant que ses nerfs surmenés ne le lâchent brutalement, fut que tous les péchés étaient pardonnés.

Les siens. Ceux des autres. Tous.


La porte du logis des d'Artagnan avait été arrachée de ses gonds, son loquet fendu à la verticale. Il fallut à Constance plusieurs heures et l'aide prévenante d'un voisin boulanger pour la remettre en place. À l'issue de leurs efforts conjoints, elle n'avait pas fière allure mais garantissait à nouveau leur salon des frimas extérieurs. Ce qui ne contribua nullement à apaiser l'inquiétude brûlante qui la rongeait.

Son angoisse était comme un serpent lové au creux de son estomac. À chaque mouvement, elle le sentait bouger, siffler et se contracter. Tous ses efforts pour l'apaiser furent inutiles, les tâches ménagères s'étant révélées aussi futiles que les allers-retours frénétiques entre sa maison et la garnison. À sa troisième visite, peu après minuit, l'officier temporaire lui avait fait gentiment remarquer que, si sa présence était évidemment bienvenue, elle n'en était pas moins inutile. Un soldat lui serait immédiatement dépêché dès qu'ils auraient la moindre nouvelle - ce qui n'était pas le cas pour le moment, navré, madame.

Constance était rentrée chez elle, avait dîné mais n'avait pu se résoudre à se coucher. Malgré la neige qui s'accumulait contre la vitre, elle avait laissé la fenêtre de la pièce à vivre entrouverte et prêtait avidement l'oreille aux bruits de la rue. À deux reprises, elle avait entendu sonner les pavés et s'était précipitée dehors. Le premier cavalier était un mercenaire suisse éméché. Trompé peut-être par son empressement, il lui avait fait des propositions indécentes, puis s'était empressé de fuir sous la pluie d'insultes dont elle l'avait abreuvé. Le second était un petit cureton de campagne juché sur une mule. Pas de propositions, ni d'insultes, cette fois. Elle en avait presque été désappointée. Plus personne ensuite, rien que le tintement régulier de la cloche de l'église Sainte-Sophie à quelques centaines de mètres de là.

Enfin, deux heures avant l'aube, des claquements de sabots résonnèrent sur la chaussée, accompagnés de voix d'hommes. Constance crut reconnaître celle de d'Artagnan. Elle courut à la porte et sortit dans la rue. Le coeur lui bondit dans la gorge quand elle distingua les silhouettes de quatre cavaliers émergeant d'une ruelle. Le serpent se tordit et tenta frénétiquement de se frayer un chemin vers l'air libre. Puis Constance vit l'expression d'autosatisfaction goguenarde sur le visage d'Aramis, le large sourire de Porthos et, surtout, la petite silhouette avachie sur le devant de la selle d'Athos.

Elle en aurait pleuré de gratitude.

Elle en pleura bien. Quelques larmes vite essuyées avant qu'elle n'accourt auprès de la monture d'Athos. Olivier dormait, enveloppé jusqu'au nez dans un manteau d'adulte et le dos calé contre le ventre du mousquetaire. Un petit nuage vaporeux s'élevait à chacune de ses respirations. Athos baissa un regard las mais apaisé sur la jeune femme.

"Bonsoir madame d'Artagnan, dit-il. Nous sommes désolés de vous avoir fait veiller si tard."

Constance pouffa.

Elle ne put s'en empêcher. La déclaration était si incongrue et son soulagement si grand… La jeune femme se sentait à la fois euphorique et les nerfs à fleur de peau. Une combinaison fragile qui pouvait aisément dégénérer si elle n'y prenait garde. Les cavaliers mirent pied à terre dans un cliquetis d'éperons. Le garçonnet s'agita quand Athos glissa au bas de sa monture, puis le souleva de la selle pour l'attirer contre sa poitrine. Olivier se cramponna aussitôt à son cou avec un empressement possessif. Puis il ouvrit les yeux, vit Constance et lui sourit. Elle tendit les bras vers lui, mais le petit la considéra avec gravité et resserra ostensiblement sa prise autour de la nuque du mousquetaire. L'espace d'une seconde, elle eut mal au coeur - une pointe de douleur vive et aiguë comme la piqûre d'une épingle… Puis elle vit le visage radieux de d'Artagnan derrière l'épaule d'Athos et la douleur s'atténua.

Elle inspira profondément pour chasser une nouvelle montée de larmes intempestive et sourit en retour à l'enfant.

"Je crois qu'il préférerait que vous le couchiez, dit-elle à Athos.

- Ah ?"

Le mousquetaire parut un peu alarmé, ce qui lui arracha un nouveau gloussement de fillette. Elle le taquina gentiment :

"Rien de plus simple. Vous y arriverez très bien."

Olivier lui adressa un regard reconnaissant. À la vérité, un bain n'aurait pas été inutile - le visage du garçonnet était brun de crasse et il avait de la boue séchée dans les cheveux - mais c'était probablement trop demandé à Athos pour le moment. Inutile de brûler les étapes, le petit tombait de fatigue et le bain pouvait attendre le lendemain. Elle en serait quitte pour laver les draps au matin. Constance se pencha pour déposer un baiser sur la joue de l'enfant.

"Son lit est à l'étage, informa-t-elle Athos. Dans le cagibi près de notre chambre. Vous y trouverez sa chemise de nuit. Montez puis amenez moi ses habits quand vous aurez fini."

L'intéressé s'exécuta avec une docilité qu'elle jugea gratifiante. Machinalement, il frappa les talons de ses bottes sur les pavés pour en secouer la neige et la terre avant d'entrer. Alors qu'il franchissait le seuil, le petit garçon confortablement blotti contre son épaule, d'Artagnan se tourna vers elle et plaintivement :

"Et les plus de sept ans n'ont pas le droit à un baiser, eux ?"

La jeune femme éclata de rire et se pendit à son cou.

À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles, elle en fit autant pour Porthos et Aramis.


Cela avait été si facile.

Ahurissant. On s'épouvantait de quelque chose au point que cette terreur prenait un tour obsessionnel, oblitérant toute autre pensée, tout autre sentiment... On voyait des montagnes à escalader, des océans à traverser, des murs de feu à franchir, là où il n'y avait que plaines éparses. Et, finalement, c'était facile. Facile de prendre le petit dans ses bras. Facile de le jucher sur son cheval, de monter derrière lui et de rentrer ainsi à Paris. Tellement facile.

Pendant les heures de chevauchée qui les séparaient de la capitale, Athos avait flotté dans un état de stupeur. Rien de semblable à l'hébétude apathique de l'aller, mais si les symptômes extérieurs pouvaient en paraître similaires. Malgré son estomac vide et ses muscles douloureux, il se sentait la tête légère. Le vent coupant lui gelait le visage, mais le corps du petit garçon pressé contre le sien irradiait la chaleur comme un bon feu de bois après une journée de bise glaciale. Athos le sentait bouger doucement dans son sommeil, se balancer au gré du pas de sa monture. Il écoutait sa respiration régulière, un souffle si léger qu'il fallait tendre l'oreille pour l'entendre. Et il s'émerveillait de chaque mouvement, de chaque soupir, de chaque reniflement. C'était simple. C'était évident. C'était - et la comparaison était cruelle et délicieuse à la fois - comme tomber amoureux une seconde fois.

Cela avait été facile, mais ce qui s'en suivrait le serait moins, Athos le savait.

Dans la pénombre, il avait voulu se pencher pour embrasser les cheveux ébouriffés de l'enfant mais une fausse honte l'avait retenu. À la lumière du jour, les choses se compliqueraient encore davantage. Il faudrait faire des choix, s'organiser et prendre des décisions qu'il répugnait à prendre depuis des années. Cette chevauchée paisible dans la nuit, cette félicité béate qui enflait dans sa poitrine, ce n'était qu'un début et les débuts présagent rarement de la suite.

Et la suite…

La suite consistait apparemment à mettre au lit un petit garçon de sept ans. Rien de plus simple, avait affirmé Constance. C'était aisé à dire. Que savait-il des jeunes enfants ? Des enfants en général ? Lui-même se rappelait à peine avoir eu cet âge et doutait fortement que le vieux comte l'ait jamais porté à son lit. Il y avait des serviteurs et une nourrice pour cela - une vieille femme aux mains rêches et au sourire chaleureux dont il avait presque entièrement oublié les traits. Dieu merci, le petit semblait savoir exactement que faire. Dès qu'ils eurent passé la porte du cagibi, il gigota pour exprimer son désir d'être déposé à terre et Athos le relâcha à contrecoeur. Le garçonnet se déshabilla tout seul, tendant au mousquetaire chacun de ses vêtements. Puis il enfila une chemise de nuit trop large et se glissa sous les draps. Ceci fait, il fixa Athos de ses troublants yeux verts et attendit.

On y était. Athos déglutit. Un tabouret était posé près de la porte. Il le souleva, s'assit au chevet du petit garçon et chercha ses mots. L'opération aurait été plus facile si l'enfant s'était montré un peu plus loquace - il ne l'avait pas entendu prononcer un mot de toute la nuit. Une réflexion à ne pas confier aux autres. Ils en feraient surement des gorges chaudes des mois durants.

"Olivier…"

Le prénom sonnait de curieuse façon à ses oreilles. Il s'était gardé de le prononcer jusque là. Avait même évité d'y penser. Un jour, il devrait pourtant s'y arrêter, tenter de comprendre pourquoi ce nom et pas un autre, et cette question en entraînerait bien d'autres tout aussi difficiles à résoudre. Pas tout de suite, cependant.

"Olivier, acceptes-tu de rester encore quelques jours chez madame d'Artagnan ?" demanda-t-il.

Le garçonnet resta silencieux, mais ce qui était visible de son visage au dessus du rebord de l'épaisse couverture de laine se renfrogna.

"Je ne peux pas te prendre avec moi pour le moment, plaida Athos. Bientôt. Très bientôt. Mais je dois d'abord… Il y a des choses que je dois faire. Des choses désagréables mais importantes auxquelles je ne peux pas échapper. Je pense… Je pense que madame d'Artagnan t'aime beaucoup. Je pense qu'elle sera heureuse de te garder chez elle. Pour quelques jours. Quelques jours et je viendrai te chercher."

Le petit demanda :

"Quelques jours, c'est combien ?"

Athos serra ses mains l'une contre l'autre. Ses doigts tremblaient à nouveau. Du sang-froid, grand Dieu ! L'enfant avait assisté à suffisamment d'explosions d'émotivité adultes pour la nuit.

"Deux semaines, pas plus.

- Tu promets ?"

La question était posée très sérieusement et exigeait un serment tout aussi sincère. Peut-être le plus considérable qu'Athos ait donné de toute sa vie.

"Je te le promets."

Sa déclaration fut acceptée avec solennité. Mais ce n'était pas suffisant. Le petit patientait toujours, le visage à moitié enfoui sous les draps, l'oeil aux aguets. Après un temps d'hésitation, Athos se pencha en avant et - parce que c'était la chose à faire et, surtout, parce qu'il en brûlait d'envie depuis des heures - il embrassa le front lisse du garçonnet. Celui-ci avait déjà fait preuve d'une singulière rapidité quand il voulait vraiment quelque chose. Ce fut encore le cas cette fois-ci. Avant que le mousquetaire ait pu se retirer, il s'accrocha derechef à son col et pressa ses lèvres contre sa joue barbue. Il le tint fermement et ne consentit à relâcher son étreinte qu'au bout de plusieurs secondes.

Autant pour le sang-froid.

Athos recula, bredouilla quelques mots sans suite et prit précipitamment la fuite.


Sitôt Athos monté à l'étage avec le loupiot, les mousquetaires secouèrent la neige de leurs manteaux et ôtèrent leurs bottes avant de s'effondrer dans les fauteuils de la pièce à vivre. Ils entreprirent un récit à trois voix des événements de la nuit, entrecoupé de vantardises et de plaisanteries plus ou moins spirituelles, auquel Constance prêta l'oreille avec une indulgence inaccoutumée. Ils racontèrent la ruée jusqu'à la porte Saint-Antoine, la poursuite sur la route de Blois, l'assaut contre le camp des ravisseurs…

Ils passèrent diplomatiquement quelques épisodes sous silence, notamment la suggestion de d'Artagnan d'abandonner l'unique survivant du camp sur le bord de la route, sans monture, ni manteau, ni bottes. Aramis, qui tenait le gascon pour une excellente nature, avait été surpris par la férocité de sa vindicte. Non que l'idée eut été dépourvue d'un certain attrait - après tout, le bourg le plus proche n'était qu'à dix kilomètres, soit quatre ou cinq orteils en moins - et, si Athos avait insisté pour l'adopter, ils l'auraient sans doute mise en pratique. Mais, si quelque chose laissait visiblement Athos tout à fait indifférent, c'était bien le sort du dernier spadassin. Après un interrogatoire peut-être un peu plus brutal que nécessaire, il s'était avéré que les motivations des ravisseurs étaient tout aussi dépourvues d'intérêt. Rapt, menaces, rançon… Les maraudeurs, ces temps-ci, manquaient cruellement d'imagination. Finalement, ils avaient privé l'homme de son cheval, de ses armes et de ses provisions mais lui avaient généreusement laissé ses bottes. On était entre gens civilisés, pardieu !

Ils turent également les cinq bonnes minutes où Athos, agenouillé dans la neige, avait sangloté convulsivement en écrasant le petit garçon contre son torse.

Le loupiot, quoique étonné, n'avait pas semblé mécontent de la situation, aussi avaient-ils sagement laissé faire. Ils avaient attendu en silence que la crise - intense mais brève - prenne fin. Puis, d'un commun accord, ils avaient ramassé les armes éparpillées sur le champ de bataille, rassemblé les chevaux encore présents et s'étaient conduits comme si absolument rien ne s'était passé. Le sujet ne serait jamais évoqué, ni en public, ni en privé, et c'était très bien ainsi. Certaines choses ne gagnaient rien à être dites.

Quand Athos les rejoignit dans le salon, il souriait.

Aramis ne l'avait jamais vu sourire ainsi. C'en était presque perturbant. Il avait les yeux trop brillants et le geste mal assuré, pareil à un homme légèrement ivre - à ceci près qu'Athos n'avait jamais paru tirer le moindre plaisir de l'ivresse auparavant. Douze heures d'angoisses effroyables suivie de quinze minutes dans le petit cagibi des d'Artagnan l'avaient rajeuni de dix ans. Une fois entré dans la pièce, il parut dégriser légérement. Il fit quelques pas hésitants en direction de Constance qui s'appuyait contre l'épaule du gascon, lui-même vautré paresseusement devant l'âtre fumant de la cheminée. Et avec embarras :

"Madame d'Artagnan…"

La jeune femme s'écarta de son époux. Elle était pâle de fatigue et avait les yeux bouffis, mais son visage rayonnait comme un soleil printanier. Aramis la lorgna avec une admiration non équivoque. Elle était sacrément ravissante comme cela. D'Artagnan avait de la chance d'avoir tiré un si beau lot. Plus qu'il n'en méritait, le petit paysan inculte !

"Oh, je vous en prie... dit-elle. Depuis combien de temps nous connaissons-nous ? Ne pouvez-vous m'appeler Constance ?

- Constance…

- C'est mieux !

- Vous ne pouvez savoir à quel point je vous suis reconnaissant. Hélas, je crains de devoir continuer à abuser de votre générosité. Pourriez-vous me le garder encore quelques jours ? Deux semaines, peut-être. Le temps de préparer son arrivée ?"

Constance lui tendit la main.

"Je vous le garderais volontiers jusqu'à l'été, mais ce n'est pas ce que vous souhaitez, n'est-ce-pas ?"

Athos saisit la main offerte et la porta avec ferveur à ses lèvres. Constance s'empourpra joliment. Porthos ricana tandis qu'Aramis lâchait un commentaire mi-moqueur, mi-égrillard à l'intention du gascon qui n'en avait cure. Celui-ci émit un reniflement dédaigneux et enfonça plus profondément ses pieds dans l'âtre.

"Quoique mon opinion soit visiblement encore considérée comme superflue, persifla-t-il, je suis toujours d'accord. Non que cela me dérange. J'aime être ignoré."

Athos se tourna vers lui, plus emprunté encore qu'il ne l'avait été devant la jeune femme, si la chose était humainement possible. Il resta le buste raide et les bras ballants, luttant pour formuler sa pensée. Sans succès apparent. Heureusement, le gascon était réellement une excellente nature. Il n'avait pas de rancune et ce n'était pas la moindre de ses qualités. Au bout de quelques secondes de silence contraint, le jeune homme se leva de son fauteuil.

"Ce n'est rien, dit-il.

- Non, je ne…

- Rien. Vraiment."

Il ouvrit les bras, fit deux pas en avant et enlaça son aîné.

Athos n'était pas d'un naturel très tactile. Il ne s'attendait pas non plus à un pardon aussi aisément obtenu et ne pensait sans doute pas le mériter. Aramis le vit se roidir sous l'accolade, esquisser un mouvement de recul. Un instant seulement. L'instant suivant, il laissa échapper un soupir tremblant et agrippa les épaules du jeune homme en retour. Porthos gronda gaiement et, se hissant sur ses pieds à son tour, engloutit les deux hommes dans une étreinte enthousiaste de grizzli, sans se soucier outre mesure de la fragilité de leurs côtes. Tout cela menaçait dangereusement de virer au débordement d'effusions pathétiques. Aramis adorait. Il rejoignit le cercle et parvint à se glisser en jouant des coudes sous l'aisselle du grand mulâtre. Il étendit les bras pour saisir l'épaule d'Athos et le biceps de d'Artagnan.

Et parce qu'il était important de respecter les traditions :

"Un pour tous…

- Tous pour le loupiot !" rugit Porthos.

Il partit d'un gros rire sonore, manifestement ravi de sa répartie.

Les quatre hommes restèrent agrippés les uns aux autres juste assez longtemps pour que la chose ne devienne pas franchement embarrassante pour des hommes faits exerçant la profession très virile de mousquetaire. Difficile en outre de se dégager sans l'assentiment de Porthos dont la vigueur des bras était proverbiale à la caserne. Quand il se séparèrent, ils commençaient à transpirer et avaient tous le visage rougi par le manque d'oxygène. Athos réajusta maladroitement sa tenue et s'éclaircit la gorge.

"Je vais avoir besoin d'aide." convint-il piteusement.


Post-Blabla : Voilà, Athos a reçu un câlin d'à peu près tout le monde. Allez dire ensuite que je malmène mes personnages !

theme : cape et d'épée, fanfic : the musketeers

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