George Eliot -
Middlemarch (1871)
Destins croisés à Middlemarch, petite bourgade rurale de l'Angleterre prévictorienne.
Il y a les soeurs Brooke, demoiselles de bbonne naissance élevées par leur oncle. Dorothea, dont le puritanisme ardent et généreux rêve d'un noble destin, d'une grande cause à laquelle se dévouer toute entière, imagine un époux comme un guide plus savant vers cet accomplissement de soi. Celia, la cadette, bien plus banale et terre à terre, ne sait voir qu'extravagance dans les aspirations de sa soeur - extravagance dangereuse lorsque le guide et époux se profile en un érudit vieillissant, confit jusqu'à la moelle dans l'étude des langues anciennes.
Il y a la famille Vincy, commerçants enrichis qui rêvent de voir leurs enfants gravir les échelons supérieurs de la société. Aussi dissemblables que le jour et la nuit, les enfants en question. Rosamund, trop parfait produit des écoles de jeunes filles, cache sous des manières exquises, sous une grâce de fleur de serre, un coeur rabougri d'égocentrisme raffiné. Fred, indécis, un peu veule mais de bon fond et trop naturel pour ne pas être sympathique, se rêve en riche héritier pour ne pas devoir devenir ecclésiastique... et pouvoir épouser celle qu'il aime envers et contre tous.
Il y a le vieux Featherstone, aussi riche que cynique, et qui d'un regard acerbe contemple autour de lui la valse empressée des héritiers potentiels. A son chevet, la stoïque Mary, parente pauvre que le commun juge laide mais qui possède bien plus de coeur et d'esprit que beaucoup.
Il y a le très séduisant Will Ladislaw, parfait héros romantique assoiffé d'absolu, incertain encore de ce qu'il fera de sa vie mais persuadé de trouver un jour un but à sa mesure. Lydgate, le jeune médecin ambitieux, éloigné des vanités de la ville pour se consacrer tout entier à sa science qu'il rêve de révolutionner.
Bien d'autres personnages encore, plus ou moins honnêtes et sympathiques, dont les destins s'entrecroisent avec tous les autres dans un jeu incessant d'influences aux conséquences parfois des plus imprévues.
A eux tous, ils tissent un très beau roman sur la confrontation entre les plus hautes aspirations des hommes et la médiocrité usante du réel qui les circonscrit. Comment celle-ci impose peu à peu, insidieusement, son empire. Comment les illusions s'effritent, les idéaux se perdent - mais aussi se remodèlent parfois, visant moins haut mais d'autant plus solides.
Un roman très riche, servi par une vaste culture et des personnages superbes, par un sens très fin des mécanismes sociaux et psychologiques qui influencent les rapports humains comme les destins individuels.
Le style peut paraître un peu pesant parfois, il manque surtout de concision, et les nombreuses allusions à des faits socio-historiques dont j'ignorais à peu près tout et que l'édition Folio éclaircit assez mal, n'aide pas à rendre la lecture plus fluide. Mais on finit par s'y faire, et le tableau de cette Angleterre disparue est bien trop juste, bien trop vivant, les personnages sont bien trop intéressants, pour qu'on songe longtemps à bouder son plaisir !
(Encore une pierre au challenge pavés, avec 1152 pages !)