L'Exception

Oct 03, 2009 21:38

Fanfiction, Queer as Folk US

L'EXCEPTION

1.

Rien à foutre.

Putain rien à foutre.

Dis-toi qu'il n'a jamais compté. Dis-toi que ce n'était rien. Tu ne l'as jamais aimé après tout. Tu ne crois même pas en l'amour. L'amour est un vaste mensonge que se racontent les gens pour se forcer à vivre à deux alors qu'on naît seul et qu'on meurt seul. Personne n'a l'honnêteté d'admettre qu'il faut aussi vivre seul. L'amour, c'est des conneries. Oui il faut vraiment être con pour s'inventer tous ces mensonges, se dire "je t'aime" et se faire souffrir pour rien. C'est tellement plus simple de prendre ce qu'on veut, chez qui on le veut, et puis adios.

C'était juste ton jouet. Sauf que t'as continué à jouer avec, même quand il était cassé. Mais c'était rien de plus. Ca ne pouvait pas être autre chose. Tu ne voulais pas que ce soit autre chose. Il le savait. Tu croyais qu'il le savait ... Tu as dû si bien le réparer ton jouet cassé, qu'il est redevenu comme avant, naïf. Ou plus assez naïf justement.

Rien à foutre.

Putain de violons.

2.

Brian franchit les portes du Babylon avec le soupir désabusé qui lui était propre à chaque fois. C'était son terrain de chasse, c'était chez lui et prétendre qu'il se foutait d'être là était le meilleur moyen de se l'approprier. Tout le monde désire ce qui ne veut être désiré, tout le monde veut ce que tout le monde désire. Un caprice, même puéril, un moteur. Brian était le caprice et le moteur du tout Pittsburgh. Et le fait qu'il n'en avait rien à foutre ne faisait qu'exciter ses proies. D'une certaine façon, il n'était pas vraiment si actif que ça. En fait, il n'avait rien à faire pour obtenir ce qu'il voulait. Encore fallait-il que lui désire quelque chose. Généralement il s'ennuyait trop pour ça.

Déambuler dans les locaux du Babylon dans la journée, c'était comme marcher sur un cadavre. Familier mais sans vie. Sans les dizaines de mecs bien montés et bien baisés se retournant sur son passage, il ne restait que quatre murs, et rien d'autre. C'en était morbide. C'était comme le connaître. C'était voir le type derrière le mythe. Aucun intérêt. Brian Kinney, il faut juste le baiser. Le Babylon, il faut juste y baiser. Quand le show est fini, la réalité dévoile son vrai visage : cruelle, sordide. Autant faire ses affaires sans traîner et continuer le spectacle.

"Sapperstein. Je suis pressé."

Le gérant tressaillit quand Brian s'adressa à lui. D'aucuns aurait pu considérer qu'il était ridicule qu'un type d'un mètre quatre-vingt à la mâchoire carrée rivalisant avec celles des héros de comic books manque de défaillir à la proximité d'un autre homme, mais ça l'était beaucoup moins quand l'autre homme en question était Brian. Il se rappelait qu'autrefois ce pouvoir si spécial qu'il avait sur les autres l'amusait énormément. Depuis que les affaires marchaient et qu'il avait goûté à une autre forme de pouvoir encore plus enivrante, la fierté qu'il retirait à être le pédé le plus chaud du Pitts devenait plus superficielle. Mais elle restait réelle.

Brian buvait et fumait trop, abusait des drogues et baisait à en perdre la tête, mais sa véritable dépendance c'était le pouvoir, l'ascendant qu'il avait sur les autres. Il fascinait, on l'admirait ou le désirait, on le voulait, on crevait pour lui. C'était ce qu'il y avait de meilleur. Ils attendaient tous tellement de lui que c'était beaucoup plus jouissif de ne rien vouloir d'eux en retour. Il était toujours gagnant. Il pouvait avoir qui il voulait, ce qu'il voulait, quand il le voulait. Seuls les autres étaient tributaires de ce que lui désirait. A chaque instant il gardait le contrôle. A aucun moment il ne fléchissait. Aucun instant de faiblesse, toujours tout maîtriser. Presque tout.

Le gérant fit signe à Brian qu'il le conduisait au bureau de Sapperstein. Pendant tout le chemin il le dévisagea avec une lubricité que Brian jugeait des plus habituelles. On le regardait toujours comme ça. Il ne se souvenait plus de son nom, mais il savait qu'il l'avait déjà eu, plusieurs éternités auparavant. Trois ans, quatre ans, peut-être plus. Il se surprenait à toujours se souvenir de leurs visages tout en ignorant leurs noms et tout en se foutant royalement de qui ils étaient ou de ce qu'ils voulaient. Mais chaque visage, chaque goutte de sueur, chaque jouissance de chaque coup restaient ancrés dans sa mémoire.

Il aimait s'en rappeler. Il aimait se complaire dans le constat de sa réussite sexuelle. Il aimait savoir qui l'avait désiré et qui il avait eu, comment, combien de fois. Chaque vague réminiscence d'un visage s'étirant dans un cri d'extase était le reflet de sa plus belle réussite : lui. Brian ne se vantait pas particulièrement d'être narcissique mais il pensait au fond qu'il était normal pour lui de l'être. Il avait compris très tôt et très facilement qu'il était plus qu'un bel homme. Il était sexuel. Être sexuel c'était bien mieux, c'était plus qu'accrocher les regards, c'était se les approprier, c'était chasser, c'était conquérir. Et chaque conquête était un trophée dont il fallait être fier.

Leur première nuit, il l'avait pris de façon à pouvoir le regarder. De façon à ce qu'il le regarde. Il n'était personne de spécial pour lui à ce moment. Il n'était rien du tout. Mais il souriait, le conquérant, sans le lâcher du regard, sans cligner une seule fois des yeux, et il lui avait murmuré qu'il voulait qu'il s'en souvienne toute sa vie, pour qu'il soit là à chaque moment, peu importe où, peu importe avec qui. C'était ce qu'il faisait avec tous ses coups, s'échiner à être inoubliable. Être un Dieu pour eux. Et il savait qu'il l'était. Peu importe où il se trouvait, ni avec qui. Sunshine pouvait se faire baiser par tous les violonistes du monde, il lui avait promis sa première fois qu'il serait toujours là. Et il le serait. Il en éprouvait d'ailleurs une certaine satisfaction perverse.

Le violoniste n'était pas à la hauteur.

"Tiens, Kinney."

Ce fils de pute de Sapperstein venait de lever les yeux de son livre de comptes pour l'accueillir avec son sourire sarcastique et ses yeux révulsés et rougis par un usage abusif des méthamphétamines. Brian ravala sa furieuse et soudaine envie de lui exploser la tête pour mieux rouler les yeux quand il sentit le gérant lui glisser son numéro dans la main avant de s'éclipser. Il chiffonna le morceau de papier et le jeta dans une poubelle tout en s'approchant du bureau croulant sous la paperasse du propriétaire du Babylon.

"Belle fête hier. Tu viens pour mon pognon ?
- Pas pour le bonheur de ta conversation en tout cas."

Sapperstein renifla avec mépris. Le type ne se prenait pas pour de la merde, et même s'il manquait toujours de la crédibilité à ses actes, il se considérait souvent comme un égal de Brian, ou du moins quelqu'un jouant sur le même terrain. Lui aussi était homme d'affaires et réussissait, mais Brian était persuadé qu'il ferait bien mieux aux commandes du Babylon _ bien mieux que n'importe qui _ et ne le voyait de toute façon que comme un terrain de jeux de luxe. Sapperstein n'avait pas non plus trop de mal à trouver de quoi baiser, mais ce n'était pas vraiment un exploit quand on met trop d'argent et de la mauvaise came sur la table pour attirer les minets. Un amateur qui jouait au gros poisson, aussi dangereux qu'il mettait en danger. Et quelque chose dans son regard fuyant et révulsé faisait penser à Brian qu'il était probablement un adepte du barebacking. Du pédé de seconde classe en bref, du moins comparé à lui.

"Au moins on ne pourra pas dire que tu ne fais pas gagner d'argent, marmonna Sapperstein en refermant son livre de comptes. Les recettes d'hier étaient excellentes. Tu as un certain sens du spectacle, Kinney.
- C'était correct, se contenta de répondre Brian en haussant les épaules. L'objectif a été atteint.
- Je préfère ne pas imaginer la façon dont ton petit ami va te remercier pour ça."

Brian retint son exaspération et tendit un chèque au propriétaire du Babylon. La somme pouvait paraître exorbitante, mais ça n'avait pas d'importance, c'était pour Mikey et Sunshine. Officiellement, c'était parce qu'il trouvait leur comic book pas mauvais et avait estimé que ça valait un lancement à leur mesure _ ou à la sienne. Officieusement, c'était simplement pour eux. Et du point de vue professionnel au moins, la fête avait été un putain de succès. Tout ne s'était pas déroulé exactement comme il l'avait envisagé. Quand il l'avait rejoint la nuit précédente, il avait pensé que Justin avait choisi et qu'ils allaient passer à autre chose. Mais Sunshine avait toujours aimé les caprices, et n'en faire qu'à sa tête.

Aucune importance. Pas de verrous aux portes. On entre et on sort comme on veut, sans contraintes, ça évite toutes ces conneries. On entre à ses dépends. Et on sort ... Ne pas le retenir. Pourquoi faire de toute façon ? Ce n'était qu'un gamin après tout, il devait faire ce dont il avait envie avec qui il le voulait. Ils n'avaient pris aucun engagement l'un envers l'autre, ça s'était juste fait comme ça. Même si honnêtement il n'aurait jamais pu imaginer qu'il serait parti pour ça. C'était comme s'il n'avait rien appris pendant ces deux années. Qu'il vive sa romance de bohème avec Paganini Jr. Ca ne pouvait que foirer de toute façon.

Merde. Il s'en foutait.

"Petit ami ? Je connais pas. Je n'ai jamais donné là-dedans ... rétorqua-t-il à Sapperstein.
- Je vois ... Ce blondinet, c'était une vraie petite fiente. Il ne m'a apporté que des emmerdements. Je n'aurais jamais dû l'engager.
- J'imagine qu'il avait des arguments de poids."

Six mois plus tôt. Avec sa fierté toute étincelante et tellement agaçante, Justin avait voulu lui prouver qu'il pouvait se prendre en charge sans son aide. Avoir sollicité un boulot à Sapperstein n'avait pourtant pas été sa plus brillante idée. En y repensant, il aurait tout dû voir venir. Il était trop entêté. Il n'avait jamais su ce qu'il s'était passé exactement entre lui et le propriétaire du Babylon, mais pour qu'il l'ait fermé ça avait dû être assez moche. Une autre envie de lui éclater le visage. Il devait sortir de ce bureau le plus rapidement possible.

"Entre nous Kinney, tu as bien fait de t'en débarrasser. C'était assez déprimant de te voir jouer les sugar daddy avec ce petit con. Ou du moins ça déprimait ma clientèle.
- Je n'ai jamais été un putain de monogame."

Brian tourna les talons et claqua la porte derrière lui. Un moyen comme un autre d'éviter de se payer Sapperstein. Il ne tenait pas à avoir des giclées de sang sur son costume Armani, et encore moins à se coltiner une plainte ou une interdiction de séjour au Babylon. Ca allait devoir lui rester entre la gorge encore un moment, tout comme il s'était violemment retenu à l'époque où Justin bossait pour lui. Il ouvrit grand la porte de service et retrouva la lueur du soleil. Ca n'effaça pas son malaise.

Six mois. Il lui avait cédé. Il lui avait toujours tout cédé. Sauf une chose en fait, qu'il dédaignait, qu'il moquait, mais dont il avait sous-estimé l'importance qu'elle avait à ses yeux. Justin aurait dû comprendre qu'il ne le dirait jamais. Ca ne se disait pas. Ca n'était même pas censé se penser. Du moins pas quand on est Brian Kinney. Il ne pensait pas que ça le ferait partir. Typique de Sunshine : quand il n'a pas ce qu'il veut, il s'en va. Il l'avait sans doute rencontré trop jeune.

Ca n'avait pas d'importance. Il ne l'aimait pas, de toute façon.

Ca allait foirer avec le violoniste. Les pédés ne sont pas faits pour la romance.

Il ne l'aimait pas.

3.

"Tu dois vraiment l'aimer."

Michael lui avait dit ça dans un soupir, probablement déçu, après tout. Malgré tout le reste, il n'avait sans doute jamais cessé d'espérer au fond de lui. Il n'y avait jamais eu la moindre chance pour que ça se fasse entre eux, mais Michael débordait de toutes ces notions qui demeuraient étrangères à Brian : espoir, bienveillance, sensibilité. Toutes ces merdes. Ce n'était pas inutile à un mec comme Mikey, mais du point de vue de Brian c'était du vent. On se bat avec les armes qu'on peut dans la vie.

"Je lui ai dit dès le premier jour que je ne crois pas en l'amour. Je crois en ...
- La baise, on sait.
- Sauf pour toi, bien sûr.
- Très touché."

Ca résumait bien les choses. Michael avait toujours été là, et il pouvait leur arriver n'importe quoi, un professeur ou un blondinet, ça ne changerait jamais. Il avait ressenti le besoin de le lui dire. Juste comme ça. C'était toujours facile avec Michael, et sans risque. Et puis il le lui devait bien. Putain. Pour en arriver à le frapper, il devait vraiment être sur les nerfs finalement. D'ordinaire, l'alcool et la drogue effaçaient toutes les merdes traînant dans son esprit. Il ne pouvait pas aller plus loin. Il ne dépassait jamais ses propres limites.

Mais il détestait se sentir comme une merde.

Une autre bouffée de cigarette. Les volutes de fumée dansaient au-dessus de sa tête, le plafond était sombre et bleuté par les néons de son lit. Il regarda l'heure, avec impatience. Ca faisait vingt minutes. On ne pouvait pas dire qu'il se pressait. Plus vite il serait arrivé, plus vite il passerait à autre chose. C'était ce qu'il lui fallait, il allait reprendre sa vie exactement là où il l'avait laissée. Tout ça n'avait été qu'un malencontreux détour. Ca n'aurait même jamais dû être.

"Tu dois vraiment l'aimer."

Il remua nerveusement dans son lit. Michael avait arboré sa moue d'enfant attardé à qui on apprend que le Père Noël n'existe pas. Ca aurait pu être rassurant, si ce n'était pas en même temps extrêmement pénible. Ils s'étaient tous donnés le mot, les enfoirés. Comme si la présence de Justin avait changé quelque chose dans sa vie. Comme s'il était un autre.

"Je ne l'ai jamais aimé."

Et tous ces putain de regards sceptiques ou désolés. Les sarcasmes de Ted en avaient presque été reposants. Qu'ils aillent tous se faire foutre. Depuis quand le regardait-on avec condescendance ? Depuis quand le confondait-on avec un putain d'hétéro ? Justin avait été là. Il aurait pu ne pas l'être. Ca n'avait rien changé. On ne le domestiquait pas.

Qu'il aille se faire foutre.

Il avait tout le temps envie de vomir, depuis cette soirée, comme s'il avait quelque chose sur l'estomac. Il n'avait plus rien envie d'autre. C'était pas différent avec lui. Ils pouvaient penser ce qu'ils voulaient, et il pouvait vomir ses tripes, c'était sûrement pas différent. Il pouvait le remplacer par n'importe quel autre blondinet, même âge, même taille, même couleur de cheveux, même regard insolent, même petit cul. Lui, ou un autre. Il n'était pas différent, il pouvait le prouver. Se le prouver.

Des coups répétés à sa porte. Enfin, il arrivait. Il était "lui". Il l'examina brièvement et se sentit aussitôt pétrifié d'ennui, peut-être encore plus que pendant son attente. Peut-être plus que cette nuit-là avant d'apercevoir un adolescent bandant adossé à un lampadaire. Il était à présent certain que s'il devait mourir un jour, ce serait d'ennui. Le prostitué lui jeta un regard, tentant d'afficher un air blasé, même si personne ne l'était devant Brian. Son insolence ne lui rappela pas celle de Justin. Il était fade. Il lui manquait quelque chose. C'était peut-être le sourire.

"Là j'ai compris pourquoi Debbie t'appelle Sunshine."

Il cilla. Pourquoi penser à ça à ce moment-là ? Sans doute l'ennui.

"C'est ce que tu recherches ? demanda le prostitué après un moment.
- On fera avec."

Il lui fila le fric. Les affaires d'abord, la baise après. Il n'avait pas pour habitude de payer pour baiser, mais il n'était pas d'humeur à écumer les boîtes, préférait éviter le Babylon et les autres. Toujours cette envie de vomir. De toute façon, la chasse était beaucoup moins attrayante quand on avait une demande spécifique. Des ados blondinets qu'on pouvait défoncer sans s'attirer d'emmerdements, ça courait pas les rues. Le type prit le fric et se dirigea vers le lit. En le voyant à poil, il pensa vaguement que ça ne serait pas si ennuyeux finalement, ni trop cher payé. Et ce n'était pas comme s'il n'avait jamais rien déboursé pour Sunshine.

Tout en désapant, il regarda le petit cul de blond qu'il allait se payer et ne sentit rien. Il s'allongea sans mot dire dans le lit avec lui et le fixa un moment encore, espérant quelque chose, il ne savait quoi. Peut-être la même chose qu'avec Justin, peut-être pour se dire que ça ne s'était pas envolé. Pour réaliser qu'il avait toujours eu raison, et pour que son envie de vomir disparaisse. Mais rien ne vint. Le prostitué fit un geste d'impatience et voulut l'embrasser. Blasé, tu parles. C'était la même chose avec tous les mecs, d'où qu'ils viennent. Sans réfléchir, il se déroba. L'habitude sans doute.

"J'embrasse pas."

La maxime des derniers mois. Difficile à tenir au début, mais quand Brian concluait un marché, il restait toujours fidèle à sa parole. Et honnêtement, ça ne lui avait pas manqué tant qu'il était là. Des conneries. Le marché ne tenait plus à présent, mais c'était devenu un réflexe. J'embrasse pas. Toujours détourner la tête quand ce n'était pas ses lèvres. Prendre du plaisir devant leur déception. Les goûter pleinement quand il revenait. Il ne reviendra plus.

"Tourne-toi."

Ne plus voir ce visage, juste un corps, qui n'était pas le sien. Des cheveux blonds, un peu plus sombres. Ils étaient moins doux, ce n'était pas la même sensation. Ce n'était pas lui. Il passa les doigts dans ses cheveux doucement, le regard flou, imaginant l'odeur et la chaleur de Justin. Il comprit alors clairement pour la première fois ce qu'il faisait vraiment. Il n'essayait pas de tirer un trait, ni de prouver qu'il ne l'aimait pas. Il savait. Il voulait juste le retrouver. Il voulait un substitut, l'illusion que rien n'avait changé. Il caressa le dos du prostitué, testant sa peau. Elle n'avait rien de commun avec la sienne. Il n'y avait rien de Justin en lui, à part ses fantasmes morbides. Il s'aveuglait. C'était comme de la bonne came. Mais c'était plus dangereux.
Il soupira et pénétra le prostitué, sans brutalité, sans plaisir, sans rien. Il allait et venait, le corps étranger réagissait, mais pas comme le sien. C'était pathétique mais il pensait à lui. Tous ces efforts, toutes ces années pour n'en avoir rien à foutre et au final, il s'était fait piégé. Il n'était pas censé l'aimer.
Alors pourquoi voulait-il tellement qu'il soit là ?

Il accéléra le va et vient. La chaleur se diffusait dans son corps. C'était bon. C'était très bon. Les gestes précis, les gémissements étouffés, la mécanique bien huilée dont il s'était rendu expert, tout était comme d'habitude. Ca, au moins, n'avait pas changé. Ses sensations lui revenaient, même si elles étaient endormies. C'était bon.

Mais il ne ressentait rien.

4.

Vingt minutes qu'il ne le regardait pas. Ca devenait épuisant. Et que foutait-il là, au juste ? N'était-il pas sensé échanger des regards doux avec ... Ewan ? Ian ? Peu importait le nom ... Pourquoi était-il là chaque fois qu'il tournait la tête ? Pourquoi ne pouvait-il pas emballer le grand brun qui l'allumait depuis dix minutes près du billard ? Pourquoi ne pensait-il qu'à aller lui parler depuis qu'il avait franchi la porte du Woody's ? Il ne cessait de penser à sa voix ces derniers jours. Ca et autre chose.

Le grand brun commençait à s'impatienter. Justin buvait tranquillement son verre, prétendant ne pas avoir envie de le regarder. Il reconnaissait sa moue haute et ce léger froncement de sourcils qu'il arborait quand il était ennuyé par quelque chose sans vouloir le montrer. Ca lui donnait un petit air pincé et snobinard, un truc de son éducation chez les WASP. Ce genre de scènes risquaient de se reproduire, et rien qu'à cette idée, Brian se sentait agacé. Les regards gênés et les tentatives maladroites de s'éviter, c'était bon pour les gentils petits couples hétéros à la con de divorcés. Il n'allait quand même pas se compromettre dans ce genre de conneries, non ? Autant régler ça. Tant pis pour le grand brun.

"Ne me dis pas que tu as eu une scène de ménage avec ton nouveau grand amour ? Ce serait une terrible déception.
- Brian."

Justin se raidit sur son tabouret de bar tout en l'accrochant d'un bref regard fuyant. Il fit tourner son verre entre ses doigts. Brian le rendait nerveux et ça le fit à demi-sourire. Il ne pouvait plus sourire franchement. Il s'installa à ses côtés sans attendre d'invitation et fit un bref signe au barman pour avoir un verre.

"Il y a d'autres places dans ce bar, marmonna Justin, le visage fermé.
- Et il y a d'autres bars.
- Je suis habitué à celui-ci. J'ai une heure à tuer avant de rejoindre Ethan.
- Comme c'est excitant.
- J'imagine que tu es à la recherche d'un bon coup ?
- Malheureusement il n'y a pas grand-chose d'intéressant ... Je pourrai toujours me rattraper au Babylon ce soir.
- Tu ne changeras jamais.
- C'est un fait établi depuis longtemps.
- Et tu es très fier d'être ce que tu es.
- Pourquoi je ne le serais pas ?"

Justin détourna les yeux, et Brian sut dans ses tripes qu'il se forçait à ne pas sourire. C'était agaçant de le connaître si bien.

"Que vois-je ici, Mr Taylor, pas de regard incendiaire ni d'insulte amère ?
- Je ne suis pas amer. Je ne suis jamais amer. J'ai compris que tu ne me donnerais pas ce que je voulais, je suis parti. Fin de l'histoire. Le reste, ce n'est rien. Pas d'excuse, pas de regret, pas vrai ?
- Finalement mes leçons ont porté leurs fruits. Pas toutes, cela étant. Tu es encore assez loin d'être un pédé décent.
- Ce que tu considères comme l'étant.
- Y a-t-il une meilleure façon de voir les choses que la mienne ?
- Certains seraient tentés de répondre que oui.
- Certains auraient tort. Ou seraient des putain d'hypocrites."

Encore un sourire. Justin était probablement certain d'avoir eu raison en partant. Mais tout portait à croire qu'il aurait aimé rester. Tout, de sa voix peu assurée à sa tête qu'il penchait légèrement pour masquer son regard ou le fait qu'il s'échinait à ne pas sourire. Il essayait très fort. Brian sentait en lui brûler une envie violente de faire quelque chose, mais il s'en empêchait. Ce n'était pas ce qu'il était censé faire. Il n'était plus censé le vouloir.

"Brian, soupira-t-il finalement en se frottant le visage. Tu n'es pas forcé de me tenir compagnie.
- Me suis-je déjà forcé à faire quelque chose que je n'avais pas envie de faire ? Je déteste les contraintes.
- Pourquoi tu es là ?
- On n'est pas en instance de divorce que je sache. Alors pourquoi se faire la guerre ?
- Tu veux dire ... Que toi, tu pourrais agir en personne civilisée ?
- Je dis juste qu'il est inutile de donner trop d'importance à tout ça.
- Par tout ça, tu entends "notre relation ayant duré deux ans" ?
- La première année ne compte pas.
- Va te faire foutre Brian. ... Ok, elle ne compte pas." rajouta-t-il après un silence.

Brian avala cul sec le verre de Chivas que venait de lui apporter le barman. C'était tout compte fait bizarre d'être assis à côté de lui, plus bizarre qu'il ne l'aurait cru. C'était la première fois depuis qu'il le connaissait qu'il buvait un verre avec lui, sachant pertinemment que cette fois il ne finirait pas par le baiser en fin de soirée. Il se rendit compte soudain au prix d'une déferlante nauséeuse de tous les mots et tous les gestes qu'il s'était autorisé avec facilité à ses côtés ces deux dernières années.

Tout ce qu'il n'avait jamais fait avec d'autres. Tout ce qu'il s'était promis de ne jamais faire, parce que merde, il n'était pas comme ça. Tout lui revint en mémoire avec brutalité, parce que pour la première fois Justin le lui interdisait. Ce gamin avait eu un effet incontrôlable sur lui. Il s'était trop laissé aller. Il allait redemander un autre verre pour y noyer ses pensées dérangeantes quand un minet de taille moyenne et de type méditerranéen portant un T-shirt de geek "No Power in the 'verse can stop me" tenta une approche.

"Hey ! Je ...
- Je ne suis pas intéressé."

Et un autre Chivas. Le geek canon n'insista pas _ personne n'insistait devant un type comme Brian qui donnait l'impression de pouvoir disjoncter à n'importe quel moment _ et tourna les talons. Justin étouffa un ricanement.

"Pas intéressé ? C'est ton genre.
- Je sais. Je l'ai déjà baisé.
- Pas assez bien pour une seconde fois ? Tu sais, on n'est plus ensemble, tu peux reprendre tes anciennes habitudes.
- Ca n'a jamais été dans mes habitudes de baiser deux fois le même type."

Brian se mordit la langue mais un peu trop tard. Même avant leur arrangement, il n'avait jamais été du genre à pratiquer la baise régulière. Deux, trois, quatre fois maximum, après ça, il se lassait toujours. Seul Justin ne l'avait jamais lassé. Il finit son deuxième verre et le dévisagea un instant. Il paraissait légèrement surpris, mais pas tant que ça. Il n'avait probablement pas relevé. C'était d'ailleurs tout le problème de Justin, et jusqu'alors ça avait plutôt arrangé Brian : il n'avait jamais compris qu'il était son exception à tout. Il paya son verre, le salua et s'en alla. Après tout, c'était mieux comme ça.

Part 2

fanfiction : queer as folk, one shot, romance, lgbt, fanfiction

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