Orange Blues 2/3

Feb 24, 2009 20:12

Orange Blues

Deuxième Partie

À leur retour à Gotham, Bruce et Dick se faisaient la tête. L’expression de Bruce était fermée lorsqu’il ouvrit la porte pour que Dick descende ; ce dernier, les lèvres pincées, refusa de s’appuyer au bras qu’il lui tendait, préférant ses cannes anglaises.
Tim eut un temps d’hésitation mais le regard de Dick s’adoucit tellement en se posant sur lui qu’il se précipita, le serra avec précaution dans ses bras.
« Crétin, marmonna-t-il.
- Content de te voir aussi, petit frère.
- Jason sait que tu vas bien ? ajouta-t-il dans un murmure prudent.
- Je l’ai eu avant-hier », répondit son aîné sur le même ton.
Alfred arriva sur ces entrefaites pour réclamer à son tour le droit d’insulter et de câliner, puis ils pénétrèrent dans le manoir.
D’un ton ombrageux, Bruce ordonna qu’une chambre soit aménagée au rez-de-chaussée, ce à quoi Dick répliqua qu’il en était hors de question, qu’il dormirait dans la sienne.
« Si tu es ici, c’est en partie pour ne pas avoir à monter d’étage, fit Bruce dans un léger grondement.
- J’oubliais, oui, les fameuses marches de mon immeuble à ascenseur.
- Je me suis permis d’installer un monte-escalier, intervint Alfred d’un ton qui n’admettait pas de dispute à portée de ses oreilles sur un sujet aussi ridicule.
- J’ai testé, ajouta Tim. Ça fonctionne du tonnerre et y’a plusieurs vitesses, tu vas adorer. »
Il soutint stoïquement le regard désapprobateur de Bruce tandis que Dick remerciait Alfred.
« Combien de temps aurons-nous le plaisir de votre compagnie ?
- Le temps nécessaire pour qu’il guérisse sans aggraver son état.
- Arrête de parler comme si j’étais un idiot irresponsable, fit Dick, crispé.
- Il est vrai que tu as largement fait preuve de tes capacités de réflexion. »
Un instant, Tim crut que Dick allait balancer l’une de ses cannes à Bruce. Mais il inspira, serra les dents, répondit presque calmement :
« Si le tir t’avait touché, il aurait détruit le diffuseur, Unik aurait de nouveau été inattaquable et…
- Ose me dire droit dans les yeux que c’est à ça que tu as pensé avant de sauter. »
Tim se figea. Quelques secondes s’écoulèrent dans un silence pesant. Puis Dick prit une petite inspiration. Il parla tout bas, d’une voix vicieuse de douceur.
« Tu veux réellement entendre tout haut que je mourrais pour toi sans une hésitation ? »
Bruce afficha une expression terrible, leur tourna le dos et quitta l’entrée d’un pas rageur.
« Ça aurait pu être pire, commenta Dick d’un ton sans émotion. Il reste du brownie, Alfred ? »

-

Tim attendit la fin de la soirée avant de passer à son tour à l’attaque. Bruce avait fait comprendre qu’il patrouillerait seul et cela valait mieux pour tout le monde.
Dick était allongé sur son lit lorsque Tim passa la tête dans l’entrebâillement de la porte. Il leva les yeux de son livre, sourit et tapota le matelas à côté de lui. Tim ne se fit pas prier et en quelques secondes s’était collé à son aîné.
« Bruce a raison, déclara-t-il tout de suite avant de se dégonfler. Tu peux pas te jet…
- Tu vas pas t’y mettre aussi, soupira Dick.
- Je t’ai vu mourir. Je t’ai vu mourir. Tu es tombé.
- Tim, Timmy, petit frère…
- J’ai perdu mes parents et Steph et Conner pendant un temps et… Bon Dieu, Dick.
- Je suis désolé.
-Parfois, je déteste Bruce parce que j’ai peur pour toi et je te déteste parce que tu penses qu’à lui dans ces moments-là. »
Dick ne démentit pas, il attira Tim contre lui et lui caressa doucement les cheveux.
« Tu es important pour moi aussi.
- C’est pas le problème. Je sais. Et pour rien au monde je voudrais que tu sois aussi… pareil qu’avec Bruce. Je supporterais pas de savoir que tu pourrais mourir à cause de moi et je sais pas comment Bruce fait. Encore qu’il peut s’en prendre qu’à lui-même. Mais j’aimerais… »
Il se mordit la lèvre.
« Si tu meurs, tu l’emportes avec toi. Il restera que Batman. Je sais pas comment je peux me remettre de ta mort. Tu seras pas là pour me relever. Je sais pas comment je survivrai avec Batman seulement. Je tiendrais pas. Et oui, je fais du chantage affectif. »
Inspiration.
« Me laisse pas. »
Un silence, puis Dick l’embrassa impulsivement sur le front.
« Je vais faire attention, promit-il tout bas. Tu seras plus jamais tout seul, Tim. »
Ce dernier sentit quelque chose se défaire dans sa poitrine, une boule de terreur et de souffrance à laquelle il n’avait jamais vraiment fait attention, que Conner avait bien déliée et qui commençait enfin à disparaître complètement.
Ils gardèrent le silence quelques instants, puis Tim prit son courage à deux mains et continua sur sa lancée.
« Tant que je suis en état de grâce…
- Sale bête, fit Dick d’un ton affectueux.
- … il faut que je te parle de quelque chose. »
Dick attendit patiemment qu’il se décide, l’encourageant par des gratouilles sur la tête.
« C’est à propos des Titans.
- Ça s’est mal passé ? Pourtant vous avez…
- Non, ça ne s’est pas mal passé. Mais… moi je ne peux plus. »
La main de Dick s’immobilisa dans ses cheveux.
« Faire partie des Titans ?
- Être à la tête des Titans. Je vais demander à Cassie si elle veut bien reprendre le flambeau.
- Explique-toi…
- Je ne suis pas un leader, Dick. »
Voilà, c’était dit. Son aîné garda le silence alors Tim poursuivit, anxieux de se justifier :
« Je sais que j’ai besoin de tout contrôler mais… j’ai besoin d’indépendance aussi. J’ai besoin de ne pas culpabiliser quand je vous fais passer avant les Titans. De ne pas me faire un ulcère parce qu’on ne s’entend pas tous parfaitement, parce qu’on ne réussit à travailler ensemble que dans des cas de vie ou de mort et que ça ne suffit pas. Ça ne marche pas, on ne fonctionne plus vraiment depuis… depuis la Crise et je n’arrive plus à me convaincre que je vais pouvoir changer les choses. J’en peux plus. J’ai besoin de retourner dans l’ombre. »
Il leva les yeux, prêt à affronter le regard de Dick. Ce dernier lui souriait. Il lui donna un petit coup de tête, garda le front collé au sien. Tim sentait son souffle sur sa joue.
« Batboy, dit-il d’une voix tendre.
- Je suis désolé, fit Tim impulsivement.
- Pourquoi ?
- Parce que je ne suis pas le Robin que je devrais être.
- Et c’est quel Robin, ça ?
- Capable de diriger. Moins égocentrique. Moins chouineur. J’ai l’impression de passer mon temps à me plaindre à toi. »
Dick secoua la tête, sans perdre son sourire et s’écarta légèrement.
« Tu es le Robin que tu dois être, déclara-t-il. Personne ne te demande d’être autre chose. Robin n’est pas un programme informatique. On est des êtres vivants.
- Mais…
- D’abord, tu as le droit de chouiner. Tu as largement de quoi. Je trouve rassurant que tu chouines, je suis heureux que tu arrives à te plaindre à moi. Bruce n’est pas un modèle à suivre quand il s’agit de gérer ses émotions. Moi non plus. Je n’ai pas assez chouiné à ton âge.
» Ensuite tu n’es pas égocentrique. Tu as un sens de la survie, et c’est très bien. S’il faut parfois qu’on te remette les yeux en face des trous, c’est normal, ça s’appelle l’adolescence et personne n’en est vraiment sorti dans toute notre communauté de masques. Y’a qu’à penser au soap opera qu’est la JLA.
» Enfin, tu te sous-estimes. Tu es capable de diriger. Tu l’as prouvé. Tu as le droit de ne pas aimer ça. Tu as le droit de ne le faire que par défaut. Pas de dire que tu ne peux pas. »
La gorge serrée, Tim croassa :
« J’avais… j’avais peur de te décevoir.
- Tim… tu n’es pas moi. Et ce n’est pas une mauvaise chose. Cela n’a rien d’une mauvaise chose. Si tu n’a pas envie de mener les Titans, ce n’est pas grave. »
De nouveau, un sourire.
« Tu sais, lorsqu’avec les autres on a reformé les Titans, il y a quelques années ? C’est Wally qui m’a forcé la main. Parce qu’il pensait que j’en avais besoin. Et parce que je suis un abruti et que c’est devenu pour moi une obligation de plus, un fardeau, il m’a rappelé quelque chose d’important : le principe des Titans n’est pas de se rendre malade. C’est d’avoir un endroit où retrouver des gens, des amis qui comprennent ce qu’est notre vie de fou. Et crois-moi quand je te dis que je suis le premier à l’oublier. Wally, Roy ou Donna ont souvent dû me remettre les idées en place, il est temps que je prenne le relais pour toi. »
Il hésita, puis reprit :
« J’ai évité de m’en mêler jusque-là parce que je voulais que vous vous sentiez vraiment chez vous, que vous fassiez les chose comme vous l’entendez mais… j’ai l’impression que vous passez votre temps à vous entraîner. Je me trompe ?
- Je… non. »
Dick lui ébouriffa les cheveux.
« Petit frère, il va falloir que tu revoies ta définition du mot “ week-end ”. »

¤¤¤

Dick et Tim avaient longuement discuté et ce dernier avait eu beaucoup à réfléchir. Lorsqu’il revint à la tour des Titans la semaine suivante, il rassura tout le monde sur l’état de Nightwing, échangea un regard embarrassé avec Conner, enfin il demanda à Cassie s’ils pouvaient discuter. Elle eut d’abord l’air résigné, puis perturbé lorsqu’il lui expliqua son problème.
« Je m’attendais pas à ça…
-… à quoi alors… ? »
Cassie fit la moue, semblant mal à l’aise.
« À ce que tu me demandes pourquoi j’ai été dégueulasse avec toi ces derniers temps.
- … je croyais que c’était réglé… ?
- Tu ne veux pas savoir, quoi. Parce que tu me connais, et que tu as l’habitude que je sois désagréable sans prévenir et sans justification. Raison pour laquelle je ne serai pas la leader des Titans. »
Tim fut pris de court.
« Tu as du talent pour mener…
- Non, Tim, soupira Cassie avant de se laisser tomber sur un fauteuil, les bras croisés. J’ai du talent pour donner des ordres et je sais à peu près faire la guerre.
- Il doit y avoir une différence subtile que je ne saisis pas.
- Conner, Kara et Bart, ça irait, mais je peux donner autant d’ordres que je veux à Rose, elle n’obéira qu’à ceux qui lui plaisent, et pourrait désobéir aux autres pour me contrarier. Speedy attendra ta confirmation et toi… c’est pas facile de te dire quoi faire, Tim. Tu as tendance à savoir mieux que quiconque où est ta place et où devraient se trouver les autres. »
Il referma sa cape autour de lui, désarçonné.
« Ce n’est pas toi qui doit changer de place, continua-t-elle. C’est nous tous qui devrions parler de ce qu’on attend de toi et de l’équipe.
- Hum, à ce propos… J’ai discuté avec Nightwing, reprit Tim, soulagé de la transition. Je voulais voir avec vous tous mais… tu pourras me donner ton avis.
- Je t’écoute.
- Depuis la dernière Crise, commença Tim, sachant que tout comme lui Cassie entendait “depuis la mort de Conner”, on a… perdu de vue ce que voulait dire être un Titan. D’autant qu’il n’y a plus les anciens pour nous aider. On vient à la tour pour s’entraîner et c’est tout. Parce qu’on a peur de ne pas être prêts si ça recommence. »
Cassie hocha la tête. Ils pensaient tous les deux à Superboy Prime, enfermé, mais jamais personne ne restait enfermé pour toujours et il fallait que Conner soit prêt, cette fois, il fallait que Conner le batte sans subir une égratignure. Prime ne devait même pas pouvoir l’effleurer, tellement Conner serait fort.
« Nightwing m’a dit qu’il faudrait qu’on réapprenne à voir la tour comme un endroit où l’on part en week-end. Pour voir des amis. Qu’il faudrait qu’on cesse de s’entraîner systématiquement.
- J’aurais jamais cru entendre ça de ta bouche…
- Je sais, moi non plus. Ni même de celle de Nightwing, crois-moi. Enfin… ce qu’il y a, c’est que l’on stagne aussi dans notre entraînement. On n’évolue plus depuis longtemps. Alors, si ça va à tout le monde, on pourrait avoir des journées spéciales. Inviter un ancien Titan ou un autre super-héros qui passerait 24h avec nous pour partager son expérience, nous faire travailler en équipe… le samedi par exemple. Et le dimanche, la journée serait à nous entièrement. Et on… ne ferait rien. Pas forcément d’entraînement en tout cas. On passerait juste du temps ensemble. »
Tim attendit la réaction de Cassie. Cette dernière le dévisageait.
« Woh, finit-elle par dire. Combien de temps avant qu’on s’entretue sur le programme télé, tu crois ? »
Elle n’attendit pas qu’il réponde.
« C’est… une bonne idée, Tim. On a… on a besoin de ça. Et puis ça allégera ta charge.
- Je ne pense vraiment pas que je peux continuer à être leader, Cassie. Je ne plaisante pas.
- Attendons de voir comment ça se passe avant de prendre une décision, emo boy.
- À l’époque de Young Justice, c’est toi qui disais qu’on devait pouvoir compter sur le leader. Je me trompe ?
- Et on peut compter sur toi.
- Je vous ai abandonnés pour Nightwing.
- Je vous aurais abandonnés pour Donna ou Diana. Et vous auriez compris, tout comme on a compris pour toi. »
Elle pinça les lèvres, grimaça et continua :
« C’est toi qui ne peut pas compter sur nous. Ces derniers temps… on t’a laissé faire tout le travail, Tim. Tu as été le seul à te préoccuper de l’équipe ou presque. Si l’on excepte Bart, peut-être… Mia a un potentiel fabuleux mais continue de se comporter comme si on pouvait la virer d’un instant à l’autre. Kara joue la fille de l’air dès que ça lui chante, sans mauvais jeu de mots. Rose, et j’essaie d’être objective, là, Rose donne toujours l’impression de s’ennuyer avec nous. Conner… Hadès, je veux même pas en parler. Quant à moi, on en a déjà discuté.
» Je comprends qu’avec tout ça tu veuilles laisser tomber. Mais Tim… personne ne va arrêter de te considérer comme le leader même si tu le veux. C’est ta place attitrée.
- Parce que je suis Robin.
- Non ! Parce que tu as été là, parce que tu nous as pas lâchés même quand on l’aurait mérité ! »
Cassie s’était levée, écartait les bras avec véhémence. Son fouet luisait doucement. Elle avait les larmes aux yeux. Tim détourna le regard.
« Parce que tu as l’expérience aussi, que tu nous connais parfaitement avec nos capacités, parce que… Écoute, laisse-nous te prouver qu’on est une équipe sur laquelle tu peux compter. Une équipe qui n’a pas besoin d’être baby-sittée. Qu’on est une équipe tout court, ce serait déjà pas mal. Voilà ma part du contrat : je te promets d’être là lorsque tu ne pourras pas, de te seconder de façon exemplaire et de ne pas tuer Rose en tes absences. »
La touche d’humour à la fin atteignit à peine Tim. La voix de Cassie s’était brisée par endroits.
« Ah, merde, souffla-t-elle, les joues trempées. Je sais même pas pourquoi je pleure ! »
Elle lâcha un petit rire qui sonnait faux.
« C’est juste… j’ai l’impression que si tu renonces, ce sera comme si… Et on a survécu tous ensemble et je…
- Je sais, l’interrompit Tim d’une voix plus rauque qu’il ne l’aurait voulue. Je sais. »
Cassie se jeta contre lui d’un coup, passa les bras autour de son cou et le serra contre elle. Il ne put que lui rendre son étreinte, un soulagement de plus, encore un poids en moins.
C’était la période des actes manqués que l’on rattrapait, des réconciliations, de tout ce qu’ils auraient dû se dire des mois plus tôt et qui d’un coup remontait à la surface. Ils allaient s’en remettre, de cette fichue Crise, finalement.
Tim espérait juste que le prochain cœur-à-cœur n’arriverait pas trop vite, émotionnellement il n’était pas sûr de tenir.
« On va s’en sortir, hein ? souffla Cassie. Ça va aller ? »
Il n’était pas certain qu’elle parlait de l’équipe entière, de leur amitié à tous les deux ou d’autre chose encore, mais il acquiesça.
« Oui, ça va aller. »
Il la sentit hocher la tête. Elle lui avait manqué. Cassie, leur Cassie, volontaire et courageuse, généreuse, déterminée à faire les choses bien.
« Tim, reprit-elle tout bas, je sais que pour toi c’est presque impossible, mais ne te prends pas la tête. Sois toi-même. Tu verras, tu ne te rendras même pas compte que tu es notre leader.
- Hé ! » marmonna-t-il.
Elle lâcha de nouveau un petit rire, plus vrai cette fois, mais qu’elle interrompit brutalement.
« Aussi… Tu peux y aller, avec Conner. Je t’en voudrais pas. »
Tim se figea. Complètement.
« Quoi ? Non, mais, je…
- CALIIIIIIIIIIIIIN ! » hurla Bart et dans la seconde il était collé à eux comme une ventouse. Immédiatement, Cassie détacha un bras de Tim pour le passer autour de lui.
« Hé ! s’exclama la voix de Conner derrière.
- C’est l’heure du câlin, tout le monde ! beugla de nouveau Bart. Allez, Kon ! »
Il y eut un moment de flottement, puis Tim sentit sa présence derrière lui, le vit passer sur le côté et les envelopper à son tour. Il garda les yeux baissés, conscient que son masque les dissimulait de toute façon, pour autant incapable de se raisonner.
Kara arriva juste après sans une hésitation, puis Cassie encouragea Mia à les rejoindre.
« Oh, je rêve ! s’exclama enfin Rose. Non, non, hors de question.
- Trouillarde, lança Cassie.
- Excusez-moi d’avoir un minimum de dignité.
- Rooose, viens ! » insista Bart.
Ils tournèrent tous la tête vers elle. Elle les regarda, incrédule, puis leva les bras en l’air.
« Oh, très bien ! »
Elle se colla contre eux ; Conner poussa un couinement indigné, que Tim imita lorsqu’elle lui pinça à son tour les fesses. Bart, lui, lui décocha un sourire radieux.
« Pour les dommages psychologiques qui me sont faits », déclara-t-elle.

-

Le reste du week-end se déroula comme dans un rêve. Ils mirent l’entraînement en stand-by, discutèrent sérieusement de l’avenir de l’équipe et pour la première fois depuis longtemps, Tim se sentit bien avec les Titans.
Le dimanche soir, alors qu’il terminait de faire son sac, Conner vint frapper à sa porte ouverte. Tim referma soigneusement la fermeture-éclair et se tourna vers lui. Il y eut un silence pesant. Ils n’avaient pas vraiment parlé depuis que Tim s’était endormi dans les bras de Conner deux semaines plus tôt. Il s’était réveillé seul. Il y avait un mot sur son bureau : Conner avait dû rentrer à Metropolis, n’avait pas voulu le déranger, lui ferait bientôt signe.
Ils avaient échangé quelques mails, surtout concernant la santé de Dick.
Tim ne comprenait pas bien ce qu’il se passait. N’était pas sûr de vouloir comprendre, de peur de se faire des illusions.
Les mots de Cassie, qu’il avait si bien enfouis, lui revinrent. Il se tendit.
« Tu sais, tu pourrais retirer ton masque, quand t’es à la tour, fit Conner.
- Je suis Robin, ici.
- Ça ne t’empêche pas d’être Tim. »
Tim se tourna vers son sac pour le mettre à l’épaule.
« Tu voulais quelque chose, sinon ? »
Son ton était trop sec. Peut-être. Ou pas assez ? Comment parlait-il à Conner, d’habitude ?
« Tu rentres à Gotham, là, non ? demanda ce dernier d’un ton dégagé.
- Oui…
- Tu veux que je te ramène ? »
Tim se figea.
« Quoi ?
- Tu veux que je te ramène ? répéta Conner sans vraiment le regarder dans les yeux. Ça te ferait gagner du temps, non ? »
Tim le dévisagea, le cerveau fonctionnant à cent à l’heure. Conner volait à une vitesse de mach 10. Pour que le bouclier télékinésique qui protégerait Tim résiste à la pression, il faudrait qu’il réduise sa vitesse d’au moins 52%. Ce qui signifierait un voyage d’une petite demi-heure. Dans les bras de Conner.
« Hum, le jet vient me chercher, dit-il d’une voix étranglée. D’ici deux minutes.
- Oh. La prochaine fois, si tu veux ?
- Mais ça te rallonge », fit Tim stupidement.
Bien sûr que ça le rallongeait ! Il pouvait être à Metropolis en cinq minutes ! Et ils le savaient tous les deux et…
« C’est pas grave. Clark m’attend pas le dimanche soir… »
Tim ouvrit la bouche pour sortir un nouvel argument. Il en avait un. Il le savait. Il était là, pas loin. Une demi-heure dans les bras de Conner. Il ne pouvait pas faire ça. C’était du masochisme.
« D’accord, s’entendit-il répondre. Merci… »
Conner, qui jusque-là fixait un point vague derrière l’épaule de Tim, redressa la tête, lui lança un sourire à la fois surpris et ravi. Tim se sentit une curieuse faiblesse dans les jambes.
« Cool, fit Conner, cool…. »
Il mit les mains dans les poches. Tim se demanda s’il était trop tard pour se dissimuler entièrement dans sa cape sans avoir l’air louche. Puis un petit bip retentit à sa ceinture.
« Le jet, je, il faut que j’y aille.
- Ok… »
Conner s’écarta de l’ouverture.
« On se voit samedi ?
- On se voit samedi. »
Tim ferma la porte, sourit brièvement à Conner et le dépassa. Il sentit son regard peser sur nuque jusqu’à disparaître au détour du couloir.

¤¤¤

Le manoir n’avait jamais vu autant de super-héros dans son enceinte. Peut-être par crainte de le voir repartir en béquilles à New York, Bruce avait autorisé les amis de Dick à venir lui rendre visite. Tim devinait qu’il le regrettait amèrement. Wally, Roy et Donna campaient quasiment dans la chambre de leur ami. Kory était de l’autre côté de l’univers et ne savait donc pas ce qu’il s’était passé mais elle était bien la seule qu’ils n’avaient pas aperçu et Tim n’excluait pas de la voir surgir avant la fin de la convalescence de son ex.
Alfred passait son temps à faire des pâtisseries et Dick se plaignait qu’il voulait l’empêcher de se relever à force de sucreries. Ce qui ne l’empêchait pas de les dévorer. Et pas que le clouer au sol soit possible.
Dick n’avait pas tenu longtemps, ses promesses et bonnes résolutions s’étaient rapidement envolées. Tim et Bruce l’avaient vite surpris dans la salle d’entraînement à se hisser sur le trapèze.
Bruce l’avait attrapé par la taille, pour le soutenir ou le faire descendre, Tim ne l’aurait pas juré. Dick s’était figé, puis s’était appuyé contre lui. Bruce l’avait ramené dans sa chambre sans un mot.
Ils ne se parlaient pas énormément. La tension des premiers jours avait fini par se dissiper, peut-être grâce aux visites des amis de Dick. Il y avait une étrange distance entre eux qui mettait Tim mal à l’aise, comme si chacun évoluait dans une bulle et qu’ils faisaient de leur mieux pour qu’elles ne se touchent pas.
Tim et Alfred attendaient avec une certaine appréhension l’instant où elles éclateraient.
Le vendredi qui suivit le retour de Tim chez les Titans, Dick annonça d’un ton calme au dîner qu’il rentrait à New York.
« Non. »
Tim se raidit, jeta un coup d’œil à Bruce qui n’avait même pas levé les yeux, à Alfred qui se dépêchait de retirer la soupière, enfin à Dick qui continuait à mâcher comme s’il n’avait rien entendu.
Le dîner s’acheva dans un silence de plomb. À la fin, Bruce plia soigneusement sa serviette, se leva et disparut en direction de son bureau. Dick redressa seulement la tête, le regard noir, repoussa sa chaise et le suivit en boitillant.
« Je vous conseillerais de vous mettre en sécurité, maître Timothy. Peut-être devriez-vous partir plus tôt en patrouille, je suis certain que les rues de Gotham sauraient vous offrir un meilleur abri que le manoir dans quelques instants. »
Tim grimaça puis partit à la suite de ses aînés, avec l’intention de bifurquer avant le bureau de Bruce. Mais ils criaient déjà lorsqu’il atteignit le couloir, ou plutôt, Dick criait déjà, Bruce ne s’y abaisserait certainement pas. Malgré la porte épaisse qui étouffait leurs paroles, quelques mots s’échappaient, des bouts de phrase. « Hypocrite » résonna particulièrement bien.
Tim s’enfuit dans la batcave, enfila son costume et partit directement sur Gotham.
Lorsqu’il revint aux alentours de deux heures du matin (Cassandra s’occupait de la seconde partie de la nuit vu qu’apparemment, Batman ne sortait pas cette nuit-là), tout était calme au manoir.
Il fit un détour pour éviter les quartiers de Bruce et se glissa dans son lit. Il eut du mal à s’endormir, en partie parce qu’il s’inquiétait pour Dick et Bruce, en partie parce que… Conner lui avait envoyé un e.mail.
« Oublie pas que je te ramène ! » avait-il écrit.
Comme si Tim avait pu penser à autre chose de toute la semaine.

¤¤¤

« Hé, fit Conner avec un petit sourire au coin des lèvres. T’es prêt ? »
Tim hocha la tête.
« Quand tu veux…
- Hum, on monte sur le toit, alors. »
Ils traversèrent le couloir en silence et prirent l’ascenseur pour rejoindre la base de décollage. Conner, appuyé contre l’une des cloisons, lui souriait.
« C’était sympa, dit-il, de passer du temps tous ensemble. Ça fait plaisir d’entendre de nouveau Mia nous chambrer.
- Oui. On avait besoin de se détendre.
- Je suis pas certain que tu en sois physiquement capable », le taquina Conner.
Tim lui donna un coup de coude qui lui valut un petit cri de protestation.
« On ne s’en prend pas à son moyen de transport comme ça !
- Tu as intérêt à être confortable », rétorqua Tim sans réfléchir et les portes de l’ascenseur qui s’ouvraient le sauvèrent d’une réponse sans doute embarrassante de la part de Conner.
Ils arrivèrent au bord de la piste, puis Tim se tourna vers son ami, de nouveau nerveux.
« Comment tu veux qu’on fasse ça ?
- Comme ça ! »
Et avant d’avoir eu le temps de réagir, Tim était dans ses bras, l’un des siens passé autour de son cou par réflexe, l’autre agrippé à son sac.
« Tiens-toi bien, lança Conner. Tu vas voir, j’ai une surprise pour toi ! »
Tim s’attendait, honnêtement, au pire, mais il avait les bras autour de Conner, il était plaqué contre lui, respirait son odeur. Il serait stoïque.
Décollage.
Rapidement, Tim remarqua une différence avec les rares fois où il avait volé avec Conner en super-vitesse.
« Ton bouclier tremble moins, dit-il. Tu l’as renforcé ? »
Conner lui lança un regard de satisfaction pure, sourit d’un air canaille qui disait que ce n’était pas tout.
« Tu vas voir ! lança-t-il. C’est dommage qu’on puisse pas contempler le paysage, hein ? C’est sympa d’aller vite, mais faudrait qu’on prenne le temps de regarder, un de ces jours. Si tu préviens que t’auras un peu de retard… »
Tim répondit par un bruit vague.
Conner avait donc l’intention de le ramener toutes les semaines. Il avala sa salive. C’était ridicule. Il savait contrôler ses battements de cœur mieux que ça ! D’autant que Conner devait les entendre.
« Tu veux que je te dépose où ? demanda-t-il.
- Derrière le manoir, dans le bois, répondit Tim.
- Je vais pas me faire descendre par un tir de kryptonite, hein ?
- Contrairement à ce que t’as l’air de croire, le manoir n’est pas armé contre une attaque de Kryptoniens…
- J’ai mes doutes… On arrive !
- Quoi ? Où ?
- Au manoir ! »
Incrédule, Tim regarda en bas. Conner avait ralenti, le paysage devenait plus visible. Il distinguait Gotham ; au loin, la silhouette de la tour de Wayne Enterprises, et point de plus en plus gros, le manoir. Il vérifia sa montre.
« On est partis depuis même pas un quart d’heure, c’est impossible, souffla-t-il.
- Impossible n’est pas Superboy ! »
Ils se posèrent en douceur. Tim lâcha son sac, Conner le laissa descendre. Il garda les mains sur les hanches de Tim. Ce dernier le remarqua à peine.
« Comment tu as fait ? Conner ! »
Il prit l’air à la fois fier et embarrassé.
« Je me suis entraîné, répondit-il d’un ton étrangement sérieux. Avec Clark. J’atteins… enfin, j’arrive à monter à mach 11 par beau temps, maintenant. Le vent dans le dos, je vais au-delà », ajouta-t-il, avec un petit sourire.
Tim écarquilla les yeux.
« Et on a beaucoup travaillé ma télékinésie tactile. Beaucoup. Je l’ai stabilisée, développée. Je suis plus fort aussi, mais je dois grandir encore avant que le changement devienne vraiment exceptionnel. Clark dit que mes gênes kryptoniens ressortent de plus en plus, et que d’ici quelques années, il espère pouvoir prendre sa retraite. » Un rire. « Comme s’il était capable de s’arrêter ! »
Tim avala sa salive.
« Tu… pourquoi ? Pourquoi tu n’as rien dit ?
- Je voulais… je voulais que ce soit une surprise. Un cadeau. Quelque chose de spécial. »
Des doigts, Conner lui frôla la joue.
« Je sais… je sais que je vous ai fait peur. Je sais que quand tu me regardes, tu ne penses qu’à ça, qu’au jour où Prime trouvera le moyen de s’échapper. Je serai prêt, Tim. Je serai invincible. »
Tim l’embrassa. Il se jeta à son cou, trouva ses lèvres, resserra son étreinte. Un instant surpris seulement, Conner referma les bras autour de lui, entrouvrit la bouche, répondit et approfondit le baiser d’un geste.
Lorsque Tim voulut reprendre son souffle, Conner l’embrassa dans le cou puis redressa la tête.
« Retire ton masque ? »
Tim s’exécuta sans une hésitation et Conner lui sourit d’un air profondément heureux.
« Tes yeux me manquent horriblement quand je les vois pas.
- Idiot », marmonna Tim, embarrassé.
Ils s’embrassèrent de nouveau, petits baisers aux coins des lèvres, sur les joues, sous les oreilles. Tim n’aurait jamais voulu partir.

¤¤¤

Lorsqu’il rentra dans le manoir, au moins trois quart d’heure plus tard, Alfred lui ouvrit la porte avec une expression de mauvais augure.
« Maître Richard est rentré à New York hier matin après votre départ, déclara-t-il. Je crains que maître Bruce n’en éprouve une certaine déception. »
Autant dire qu’il était d’une humeur de chien, et Tim ne lésinait pas sur la métaphore : Bruce ne parlait pas, il aboyait.
Sagement, Tim décida de dîner dans sa chambre, plaida les cours le lendemain histoire d’échapper à une patrouille qui s’annonçait mal. Il envoya un message à Cassandra pour la prévenir des dispositions agréables de leur « chef », un autre à Barbara dont la réponse fut : « Profite de ta soirée ♥ Je veux des détails ! ».
Il ne s’étonna même pas qu’elle sache déjà. Avec un peu de chance, Bruce était trop occupé à ruminer à propos de Dick pour jouer les devins et Conner et lui seraient tranquilles quelques temps.
Conner.
Tim sourit d’un air bête.

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