Titre : le serment nocturne du doux traître
Auteur : Séraphin (Participant 18)
Pour : Cornichon Ninja (Participant 9)
Fandom : Hamlet
Persos/Couple : Horatio/Hamlet (pré-slash)
Rating : T
Disclaimer : Je ne suis pas Shakespeare, donc ce n’est pas à moi (même si c’est domaine public…)
Prompt :Hamlet : Hamlet/Horatio. Fix-it fic où l'on pense Hamlet mort mais où Horatio l'a sauvé et l'a fait passer pour mort. Remise sur pied pleine de tension, de culpabilité et de non-dits. (Par rapport à Ophélie, au fait qu'Horatio ait soustrait Hamlet à ses responsabilités, à leurs sentiments etc).
Notes : c’est un peu court, donc, je n’ai pas pu mettre tout ton prompt. Cependant, j’espère que ce sera une bonne lecture.
La première fois qu’Hamlet se réveille, après ce qui semble s’étirer en des semaines de sommeil, il est parcouru de tremblements et d’effroi, comme si le fantôme de l’ancien monarque menaçait d’emporter son âme dans le lieu infernal. Il se rendort, le beau prince, le prince tourmenté au sommeil agité de soubresauts, avant de retrouver la paix. Les réveils par à-coups s’accumulent comme les malheurs et tragédies l’ont fait pour le royaume du Danemark, en train de pourrir de l’intérieur. Ce n’est qu’autour d’une dizaine de réveils qu’il parvient à articuler clairement :
- Horatio !
Son ami, toujours à son chevet, de jour comme de nuit, le regarde avec ce qui s’approche d’une patience angoissée, une de celles qui couvent une frustration qui confine au désespoir.
- Oui.
- Je suis vivant.
- J’ai pu vous sauver.
- Ou me damner. Hélas.
Il se rendort aussitôt pour ne se réveiller que quelques jours plus tard. Horatio lui éponge le front comme on a lavé les pieds du Christ. Les mots qu’emploie le jeune homme sont doux à l’intonation, durs à l’oreille.
- Votre royaume n’est plus vôtre, conformément à vos anciennes paroles. Un autre dirige selon ses désirs, avec dans son cœur, vos derniers instants. J’ai pu, néanmoins, vous soustraire à un destin funeste.
- Laërte en a-t-il réchappé ?
- Aucun qui devait mourir n’en a réchappé, doux prince.
- Cesse donc, doux traître, triste ami. En me soustrayant à mon destin, tu en as détraqué le cours. Je devais être roi, je ne suis plus que l’ombre de moi-même.
Blême, Horatio le regarde avec une lueur dure dans les yeux. Hamlet y plonge après une visite en lui-même, comme cela lui arrive souvent. Horatio voudrait que ce soit plus simple de le sauver de lui-même. Le pire poison, le plus funeste fiel auquel son prince doit faire face, il vient du fond de son être.
- Vous pourriez être roi. Cependant, si jamais vous ne le devenez pas, vous resterez toujours mon prince, semblable à un ange.
- Les démons étaient autrefois des anges. Ils ont chuté, brisant leurs êtres supérieurs pour devenir moins que la plus perfide créature terrestre. Ils n’ont plus d’ange qu’un passé enfoui, même pas le nom. Qu’y a-t-il dans un nom, Horatio ?
- Ce qu’on veut bien lui donner, mon prince.
- Oh, l’intéressante phrase pleine d’une émotion douloureuse. Que veux-tu me donner, toi, quand tu m’appelles mon prince ?
- La vie. Une nouvelle vie loin des tourments qui vous ont assaillis, assombrissant votre cœur, alourdissant votre main, la plongeant dans le sang. Je voulais vous sauver mon prince.
- T’ai-je dis merci ?
- Pas encore.
- Peut-être jamais, dit Hamlet d’un ton lugubre.
Horatio accuse la réplique aussi bien qu’un coup en plein cœur, quand l’ennemi ne pense qu’à vous mener de vie à trépas.
- Tu me penses cruel, n’est-ce pas ?
C’est à l’ancien futur roi de défier du regard maintenant, alors que son corps encore plus fragile et instable que son esprit s’agite de légers soubresauts. Horatio se tend davantage, craignant que le corps ou l’esprit se rompe définitivement.
- Est-ce là aussi ce que vous pensez de moi, mon prince ?
- Je ne te hais point, Horatio. Ne dis rien, je peux lire l’amertume dans ton regard, comme tu peux entendre la mienne. Les deux sentiments, frères d’une même mère, sont semblables aux cris funestes et au sombre plumage des corbeaux, annonciateurs de mauvaises nouvelles. Je ne te hais point, mais en empêchant le destin, tu m’as soustrait à une certaine paix dont seul le sommeil peut offrir une pâle copie. Sais-tu Horatio que les fantômes vont et viennent dans les rêves, guidés par la fée Mab, troublant aussi mon bref répit ? Ils vont et viennent, portant dans leurs maigres bras des remontrances, leurs bouches s’ouvrent sur des pourquoi ou répètent d’anciennes paroles. Parfois, ils demandent à ce que je les rejoigne afin que nous puissions ensemble pleurer sur un futur qui n’existe pas.
Horatio pâlit et se tend pour ne pas saisir le prince, pour ne pas le secouer afin qu’une juste colère chasse l’humeur mélancolique, pour résister aux sentiments tendres qui brûlent, doux, forts et douloureux.
- Votre père, l’ancien roi, vous tourmente-t-il ?
- Oh, il s’en est retourné maintenant que son heure est passée et son meurtre vengé.
- Il est vrai, mon prince, qu’en tuant son meurtrier, vous avez restauré la justice.
- Au détriment d’autres, qui va les venger, eux ? renchérit Hamlet. À quoi sert la justice, sinon défendre et protéger les plus faibles et qu’ai-je fait, sinon accentuer les douleurs de ce monde ?
Horatio se tait, Horatio frissonne. Il pense à un beau corps qui plonge dans l’eau, des fleurs la couvrant comme un linceul, piquant sa peau pâle de beautés éphémères aux couleurs chatoyantes. Ophélia perdue dans sa folie, perdue son âme damnée.
- Avez-vous vu Ophélia ?
- Comme je te vois à présent, comme je la vois dans mes souvenirs. Figure chérie que j’ai aimée, sans mesure et sagesse, perle que j’ai essayé de rejeter, trésor à jamais perdu, que ce soit sur la terre mortelle ou aux cieux immortels.
- Vous fait-elle des reproches ?
Hamlet se tait, Hamlet baisse la tête. Un profond dégoût de soi, une sombre mélancolie aussi lourde qu’une épée s’est abattue sur les épaules de ce prince déchu et meurtri. Horatio y pose la main, essayant en vain de l’en décharger. Il faut plus que des mots pour sauver des âmes, tout comme il en suffit de peu pour les meurtrir. Plus Hamlet parle, plus Horatio s’aperçoit de l’immensité de sa tâche.
- Laisse-moi dormir, Horatio.
- Oui, mais je reste à vos côtés.
- Oh doux traître, triste ami, je n’en attendais pas moins de toi.
Ainsi s’endort l’ancien prince danois pendant que son ami veille, le cœur lourd et les yeux attentifs, comme si cela suffit à chasser les fantômes et les âmes perdues. Lorsqu’il se réveille, Hamlet mange à peine, mais Horatio n’insiste pas plus, taisant l’inquiétude qui broie sa poitrine. Il faut quelques jours pour qu’Hamlet aborde enfin le sujet, après qu’Horatio l’ait laissé récupérer.
- Les fantômes se taisent Horatio. C’est différent de mon père qui, figure demandant vengeance, excitait mes sentiments vengeurs en me rappelant mon amour pour lui. Ils ne parlent pas et c’est un bien pire châtiment de voir ceux qu’on a perdu et tué vous regarder tristement, parfois avec regret. Ils se taisent tous et je ne sais quoi dire.
Horatio tait que le sentiment est réciproque pour sa part. Il essaie toujours de parler, d’au moins esquisser une main sur l’épaule. Il est l’ami du prince et maintenant son seul serviteur, puisque tous le croient mort. Horatio a peur que, d’une certaine manière, ce soit vrai, que le poison reste toujours en Hamlet, comme une pourriture impossible à enlever.
- Ma grand-mère qui était sage disait que les morts se taisent pour mieux laisser parler les vivants, sinon, le monde entier serait rempli de fantômes.
- Oh, il l’est. Les vivants sont toujours enchainés au passé, hantés par le regret, tourmentés dans les rêves. Mon intense expérience n’est que le prolongement de ce qui se passe partout ailleurs. Je n’ai jamais cessé de penser à mon père après sa mort, aurais-je appris son meurtre d’une autre façon, j’aurais connu la même chose. Réfléchis, Horatio, fantôme ou non, cela ne change rien au meurtre, à l’adultère et à l’inceste. De même, ne sommes-nous pas en ce moment à invoquer de vieux fantômes ? Mon maître Faust dit que chacun a ses démons, lui qui est si instruit et recherche le savoir du monde.
- C’est vrai que le passé est tel une ancre retenant un navire, cependant, bien qu’elle en fasse toujours partie, il n’en demeure pas moins que les bateaux flottent sur la mer.
Hamlet reste encore une fois silencieux, se renfermant sur lui-même. Horatio croit la discussion close, s’attend à voir les paupières se fermer. Il n’en est rien, pas encore.
- Ils s’échouent, coulent dans les abysses tumultueuses, connaissent les tempêtes, se font capturer par les pirates comme je l’ai été, se fracassent contre les rochers du destin…
- Mais certains, même si parfois endommagés, rentrent à bon port.
- Oh bien, et où irait notre navire Horatio, maintenant que tous me croient mort ? Ne me parle pas de regagner mon royaume. Un prince assez fou pour réclamer vengeance en commettant autant d’injustices ne mérite pas le noble titre de roi. J’y ai réfléchi, je ne puis porter une couronne quand tant d’esprits me regardent si fixement chaque nuit.
- Vous avez parlé de votre maître Faust, vous avez vu l’Allemagne, peut-être y séjourner un temps, pour voir si c’est un port où s’amarrer ?
- Hélas, je crains le jugement de mon ancien professeur, trop pour me résoudre à fouler la même terre que foulent ses pieds.
- Dans ce cas, pourquoi ne pas choisir l’Angleterre. Le lieu de votre exil programmé sera peut-être celui de votre salut.
-Hélas, je crains pour mon salut ne soit qu’un cas désespéré.
Horatio se mord la lèvre, réfléchit assez vite.
- Je ne puis rien contre les fantômes qui vous assaillent. Cependant, à l’injustice commise autrefois, ne pensez-vous pas compenser en semant la justice en guise de pénitence ?
- Hélas, vois où cela m’a mené la première fois ! Justice pour qui ? À quoi bon la justice si on sème en même temps la mort chez les innocents ?
- Ô comme je comprends votre chagrin, mais certains, manipulés, voulaient votre mort.
- Tout comme je l’étais. Comment répandre la justice quand le cruel destin existe ? Oh Polonius, Laërte et surtout toi, Ophélia, je vous demande pardon, trio misérable, aussi maudits que les Atrides. Par trois fois, j’ai apporté le malheur, par trois fois, des morts…
- N’avez-vous pas dit que j’avais détraqué le cours du destin, beau prince ? Si vous avez dit vrai, peut-être est-ce le signe d’un nouveau départ ? Vous voulez abandonner le titre de roi par chagrin, par culpabilité, par amour de la justice, bien. Cependant, si votre âme tourmentée est hantée par les fantômes et les remords amers, peut-être faut-il mieux réfléchir non pas à ce qui aurait dû être fait, mais à ce qui pourrait l’être.
- Ô doux Horatio, comme parfois le philosophe trop pensif envie l’esprit d’initiative du soldat.
- Beau prince, l’esprit d’initiative n’est rien si les gestes n’atteignent que le vent, s’ils ne sont qu’un cri dans l’immense désert. Entendez ma prière et réfléchissez-y. Vous êtes mort aux yeux de tous et, pendant que le poison s’en est allé, vous vous êtes rétabli chez moi, comme un précieux secret. Tel notre Seigneur qui est né dans une étable, vous avez retrouvé le souffle de vie loin des fastes dignes d’un prince.
- Hélas, pour réfléchir, nous avons eu l’occasion de voir que j’y suis trop incliné, d’une manière malsaine et tragique.
- Alors, parlez-moi ou taisez-vous sans le faire. Ainsi, vous ne vous perdez pas en conjoncture et, privé de votre épée, vous ne risquerez pas de me tuer.
- J’espère en être incapable, Horatio car, privé de mon unique soutien, je serais réduit à n’être plus que l’ombre d’une ombre, que larmes amères et désespoir.
- Bon seigneur, croyez-moi, c’est réciproque. Privé de votre présence, je n’aurais été plus qu’un fantôme. La nourriture aurait perdu son goût et aucune beauté n’aurait pu toucher mon âme meurtrie.
- En voilà de belles paroles, mon doux ami. Cependant, je sens la fatigue reprendre sa loi, je m’en vais au pays des songes.
- Faites donc, je serai toujours là.
Le prince s’endort et son ami veille, comme il en a l’habitude depuis maintenant des semaines. C’est la nuit à l’extérieur, un temps de secrets, de fantômes, de rêves et de serments. Autrefois, il n’y a pas si longtemps en fait, Hamlet lui a fait jurer de ne pas parler d’une apparition maudite qui s’en est allée depuis, un fantôme qui est venu pour obtenir justice, un pauvre être, autrefois grand roi. Horatio fait un autre serment en ce moment, en cette nuit. Où Hamlet ira, il ira. Il n’aura de cesse de chercher un moyen de lui apporter la paix à ce beau prince tourmenté.