[
Précédemment]
Une fois (funestement) mémorable où Satoshi avait aidé quelqu’un dans une histoire d’entraînement relationnel, il avait fini avec des habits de fille, affublé d’une perruque, poursuivi par les déclarations de Takeshi qui s’était un peu trop pris au jeu (au jeu).
Mais, même à cette occasion, personne n’avait procédé en volant ses vêtements alors qu’il nageait paisiblement dans la rivière, et il n’avait pas, par la suite, été contraint par une Hikari inexplicablement débordante d’énergie à porter une robe rouge qui parvenait à être tout à la fois serrée et bouffante. Pikachu n’osait même plus se percher sur son épaule et se contentait de le regarder du sol, comme s’il attendait craintivement la suite.
« C’est bon ! » s’exclama Hikari en écartant le pinceau de ses lèvres - Satoshi soupira de soulagement lorsqu’elle se recula de lui.
Oh. Et la dernière fois, il n’avait pas été maquillé.
« Toi qui prétends que tu n’as pas besoin de te coiffer tant que tu as une casquette sur la tête, l’inverse est également vrai. Pas besoin de la porter lorsqu’ils sont brossés et lissés ! »
… ni coiffé, et c’était insultant.
Satoshi la regarda fixement, toujours aussi peu convaincu.
« Rappelle-moi pourquoi tu m’infliges ça, déjà ? » demanda-t-il en plissant les yeux.
Hikari ne flancha pas, toujours aussi rayonnante, sans relever la moindre accusation ou réprobation du ton presque blasé mais outré que Satoshi avait tenté de se donner.
« Parce que tu es un mentor et ami notablement dévoué qui ne veut que mon bien !
- Et t’avais pas d’autres gens à qui demander ça ? » soupira-t-il. Dès qu’il fermait les paupières, il avait l’impression que le poids du mascara allait l’empêcher de rouvrir les yeux après. « Pourquoi Takeshi a le droit d’y échapper, lui ?
- Cesse de geindre ; tu vas faire baver ton maquillage, si tu grimaces avant qu’il ne soit sec. Takeshi est occupé et tu bâillais aux corneilles. Aussi simple que ça.
- Ça pouvait pas attendre que tu recroises Nozomi ou Urara ? Ou Mussalina ? » insista-t-il. Même Nando-san. N’importe qui d’autre. Harley aurait sans doute pu la conseiller efficacement, lui aussi - pourquoi ne voyageait-il pas à Sinnoh ?! … heureusement qu’il ne voyageait pas à Sinnoh, se corrigea Satoshi. « Quelqu’un qui fait des Concours t’aurait été plus utile, non ? T’étais pas à quelques jours près ? »
Hikari soupira, plissa douloureusement les sourcils et posa sa joue droite contre la paume de sa main.
« Le Grand Festival approche et il me manque toujours un ruban », murmura-t-elle d’une voix lente. « Je ne sais toujours pas si je l’obtiendrai à temps pour me qualifier… Peut-être… peut-être qu’après tout, je ne suis pas faite pour ça… »
Elle hocha la tête plusieurs petites fois, manifestement pour elle-même, abattue. Le nœud qui serra violemment la gorge de Satoshi ne fut pas la seule chose qui l’empêcha de parler pour la reprendre.
« Alors heureusement que tu es là pour m’aider ! » affirma joyeusement Hikari en tendant d’un seul coup les bras en l’air. « J’avais absolument besoin de m’entraîner sur un cob- sur un volontaire, histoire de parfaire mes présentations !
- Ou… ouais…
- Essayer des coiffures ou de nouvelles combinaisons sur quelqu’un d’autre est bien plus facile que sur soi », lui expliqua-t-elle en agitant l’index. « J’avais vraiment besoin de cet entraînement.
- Mais ce machin, c’est une robe…
- Mm ? Ton costume de soubrette n’avait pourtant pas l’air de te déranger au Café Miltank.
- Okay, okay, finis ce que tu voulais faire, vite, que je me débarrasse de tout ça », capitula-t-il.
Hikari ne sembla même pas rassurée par son accord et retourna accentuer l’ondulation des pointes de ses cheveux, qu’elle avait déjà forcées à boucler un peu plus tôt.
Satoshi essaya de ne pas s’écrouler à défaut de réussir à se détendre. Pikachu donna un petit coup de tête contre la jupe, ratant sa jambe, et Satoshi ne put même pas lui caresser la tête du bout des doigts en réponse - s’il osait se pencher, il était sûr et certain que Hikari allait protester.
Quelques interminables minutes (heures ?) plus tard, Hikari reposa tous ses instruments de torture, se pencha, lui tourna autour par petits à-coups, furetant désagréablement comme pour vérifier le moindre détail, puis laissa un sourire exploser sur son visage, ouvertement fière.
« Vas-y, vas-y, lève-toi », invita-t-elle en illustrant l’injonction avec ses mains.
Satoshi n’avait pas particulièrement envie de bouger et de prouver qu’il existait - pas dans cette tenue, en tout cas.
« C’est fini ? Je peux enlever tout ça ?
- Hors de question, maintenant que tu es prêt !
- Prêt à… ?
- Eh bien, à te mettre en mouvements. Tu es censé pouvoir te déplacer si tu espères réussir quoi que ce soit.
- Tu veux dire, pendant les démonstrations de tes Concours ?
- … Oui, pendant les Concours. Allez, montre-moi tout ça et lève-toi ! »
Il faillit marcher sur l’ourlet en s’exécutant.
« Moins lourd, moins brutal. Plus souple, Satoshi. Plus souple ! Pense aux ondulations du tissu, tu ne voudrais pas rompre leur fluidité, n’est-ce pas ? »
À nouveau, Hikari lui tourna autour, tira quelques fois sur certains morceaux de la chute de sa jupe, serra un peu plus la collerette en dentelle noire qui lui étranglait déjà la gorge, reforma la manche bouffante de son bras droit, puis recula d’un pas.
« Tadam ! » s’exclama-t-elle. « Est-ce que Satoshi n’est pas magnifique, Pikachu ? »
L’une des oreilles de son partenaire se pencha sur le côté et il scruta Satoshi pendant quelques secondes avant de baisser la tête.
« … Pikapi », commenta juste Pikachu dans un soupir.
Satoshi ignorait s’il s’agissait d’une marque d’esquive, d’un manque de motivation ou d’un signe de reconnaissance.
« C’est fini ? » redemanda-t-il avec espoir en plantant ses mains sur ses hanches.
Mais Hikari secoua naturellement la tête.
« Bien sûr que non. Tu vas rester comme ça le reste de l’après-midi.
- Quoi ?!
- Il faut que je puisse déterminer si tout ça tiendrait. Sans essayer avec quelqu’un, comment le savoir ?
- Mais… mais je suis censé faire quoi pendant ce temps, moi ?
- Les mêmes choses que d’habitude. T’entraîner avec tes Pokémon, passer du temps avec eux. Tu es le meilleur sujet pour déterminer la fiabilité de quelque chose : si ton maquillage, ta coiffure et l’arrangement de tes vêtements tiennent quelques heures, je saurai qu’ils résisteraient à n’importe quoi ! Allez, amuse-toi, amuse-toi ! Va près du lac. »
Satoshi tordit la bouche, pencha la tête sur le côté et la contempla incrédule. Hikari ne fléchit pas, toujours radieuse, même quand elle interrompit le silence pour répéter :
« Va près du lac.
- Qu-
- Près du lac », asséna-t-elle en souriant - un sourire et une inflexion qui tonnaient comme de l’acier. « À moins que tu veuilles rester encore un peu pour que l’on expérimente d’autres coiffures… ? » proposa-t-elle, sirupeuse.
Le cœur de Satoshi manqua un battement.
« Une seconde ! » cria-t-elle alors qu’il s’était à peine éloigné (enfui) d’une dizaine de mètres en courant à toute vitesse.
Satoshi s’interrompit, regardant craintivement par-dessus son épaule pendant que Pikachu finissait de le rejoindre après son départ précipité. Néanmoins (heureusement), Hikari ne l’avait pas suivi.
« Satoshi », observa-t-elle calmement en forçant un peu sa voix pour rester audible malgré la distance, « on ne court pas avec une jupe longue de cette façon. Pince le tissu et soulève-le - délicatement, à peine. Il faut que tu puisses te déplacer, mais tes mollets doivent rester cachés. Une demoiselle ne serait pas disgracieuse comme ça.
- Mais tes mollets sont à l’air !
- Pas du tout. J’ai des bottes et des bas montants. Et même, la taille de ta jupe interdit que tu montres les tiens. Reste élégante, avant tout. »
Satoshi ne répondit pas à son exclamation mielleuse et se contenta de la fixer avec insistance.
« Ne t’en fais pas, reste toi-même et tout ira bien ! » chantonna Hikari.
Satoshi considéra qu’il était peut-être effectivement dans son intérêt d’aller se cacher quelque part pour les prochaines heures.
***
« Donc, Satoshi a dû tomber comme de par hasard sur Shinji qui s’entraînait au lac, depuis, et ils sont certainement en train de… faire davantage connaissance ? Discuter pacifiquement ? Bref, de passer du temps ensemble, se rapprocher, et c’est le plus important ! »
Malgré l’enthousiasme remarquablement marqué de Hikari, Takeshi était inquiet.
(Ou peut-être à cause de son enthousiasme… ?)
« Ne t’inquiète pas, tout se passe certainement bien ! » continua Hikari. « Satoshi était adorable, je me suis occupée de tout, Shinji ne pourra jamais lui résister ! »
Takeshi ignorait si ce dénouement-là serait le plus heureux. Motivé par l’angoisse que tout se déroulât mal du côté de celui qui était presque comme un petit frère à ses yeux (‘Tu es certain que tu n’es pas jaloux~ ?’, ‘Hikari, ça suffit.’), il avait finalement décidé qu’ils iraient jeter un œil.
(Et probablement pour répondre à sa curiosité, aussi.)
« Je suis certaine que Shinji saura prendre les devants si Satoshi n’est pas assez assertif ! » signala Hikari. « Satoshi est entre de bonnes mains ! C’est toi-même qui disais qu’il ne fallait pas voir Shinji sous un jour totalement négatif, qu’il était intéressant pour lui-même et ses méthodes et qu’on pouvait apprendre de lui, non ? Tu reconnais toi-même que c’est quelqu’un de valeur ! »
Peut-être Takeshi était-il le premier à ne pas être prêt à voir Satoshi convoler sans sa tutelle de par le monde, finalement. Pourtant, il sentait venir un temps où Satoshi continuerait son voyage sans lui, sans pouvoir établir quand ce jour arriverait, et ce futur hypothétique devenait de plus en plus envisageable avec le temps, moins abstrait, presque plus cohérent avec les avancées de Satoshi. Lui et Takeshi avaient certes pris des chemins séparés à l’occasion, mais ils s’étaient inéluctablement retrouvés pour continuer ensemble malgré les autres compagnons qui avaient choisi d’autres voies ; désormais, Takeshi se sentait s’effacer, peu à peu, sans avoir plus grand-chose à pouvoir apprendre à celui qui cessait chaque jour un peu plus d’être son petit protégé. Satoshi n’avait plus besoin de lui, et même si Takeshi savait que tous deux chérissaient les instants passés ensemble et la compagnie du groupe qu’ils formaient, il se demandait aussi ce que lui-même pourrait, voulait faire à présent, sans irrémédiablement lier sa présence à celle de Satoshi.
Toutefois, laisser Satoshi partir seul vers ses propres horizons et progrès se différenciait grandement d’accuser réception d’un éventuel intérêt amoureux pour qui que ce fût. Il avait le droit de s’enquérir de la situation.
(D’autant plus que Hikari avait choisi, probablement sans le réaliser, un lac comme point de réunion. N’importe quel autre endroit qui n’aurait pas eu le potentiel de rappeler la localisation du dernier match de Shinji et Satoshi, ainsi que la défaite implacable de celui-ci qui en avait résulté, aurait certainement été plus adapté.)
Hikari et lui arrivèrent en vue du lac, légèrement surélevés par rapport à celui-ci. En contrebas, ils purent instantanément observer que Shinji était effectivement présent, non loin du rivage. Satoshi aussi. Sur ce plan, ils avaient réussi.
Raisonnable, Takeshi ne s’était pas attendu à déboucher sur d’invraisemblables effusions de complicité et de communication.
Mais pas non plus à se faire assaillir par des grondements lointains et une atmosphère glaciale qui les pétrifia instantanément, Hikari et lui.
« Et qu’est-ce que tu crois que tu fais », crachait Shinji. « C’est la réponse que tu t’es trouvée ? La fuite après une défaite ?
- Je fuis pas ! Je m’entraîne !
- C’est ta façon de t’entraîner ?! C’est ça, tes méthodes soi-disant supérieures ?
- De quoi ? Je m’entraîne sérieusement avec tout le monde et-
- Je suppose que pendant que tu t’amuses et t’auto-congratules de faire absolument n’importe quoi, Moukazaru n’a toujours pas maîtrisé son Brasier ?
- … Non…
- Fais-leur une faveur et relâche tes Pokémon. Ils méritent certainement un meilleur dresseur.
- Eh !
- Recule et change de voie, je n’en ai rien à faire, mais ne prétends pas que tu as la moindre valeur si tu fuis et esquive la moindre difficulté alors que tu proclamais ne jamais abandonner tes objectifs !
- Mais puisque je te dis que je fuis rien du tout ! Je m’entraîne ! Je compte gagner la prochaine fois qu’on s’affrontera !
- Je ne combats pas les pertes de temps. Amuse-toi avec tes Concours, jusqu’à ce que quelqu’un te fasse mordre la poussière et t’en détourne, je m’en fiche », siffla Shinji en tournant le dos.
À côté de Takeshi, Hikari croisa les bras.
« On dirait que la robe ne plaît pas à Shinji », observa-t-elle en faisant la moue. « J’aurais peut-être dû essayer avec une jupe rose ? Mais le rouge lui va tellement bien ! »
Manquant de choir à chaque pas précipité, Satoshi tenta de courir pour rattraper Shinji mais celui-ci se contenta d’accélérer son allure sans se retourner.
« Je t’assure qu’on s’entraîne sérieusement !
- Ma première impression était la bonne, tu ne vaux rien », cingla Shinji.
Satoshi s’arrêta, Pikachu penaud à ses côté, regardant Shinji prendre congé sans qu’il pût l’arrêter.
« Mais… mais… » balbutia Satoshi en tendant vainement une main en avant.
Et ce fut tout.
Sur leur hauteur, Hikari et Takeshi soupirèrent de soulagement en sentant les échardes d’air glacé disparaître.
« Dommage », se lamenta Hikari. « Mauvaise piste, on dirait. Ou bien Satoshi vient de perdre quelques points dans le cœur de Shinji ? Satoshi a pourtant gardé son grelot, il tient à lui, pourquoi est-ce que Shinji n’est même pas capable de reconnaître ça ?
- Tu sais », signala Takeshi, « le grelot n’était peut-être pas très… significatif. Satoshi n’a pas pour habitude de jeter les objets qu’il reçoit en général.
- Oh, j’ai bien vu ! Son sac est rempli de souvenirs. En plus de ça, il a encore sur lui la statuette offerte par Haruka, des couverts en bois-
- Il les a toujours ? Je lui avais offert ça la deuxième fois qu’on s’était séparés, à Kanto.
- Et il les range toujours dans un mouchoir !
- Celui de Kasumi ?
- La fille de l’hameçon, donc ? Ah, et puis l’hameçon qu’il ne voulait pas partager, donc, et la moitié de ruban de Haruka comme ils avaient montré. Une moitié de vieille Monster Ball, également !
- Tu as fouillé dans ses affaires », conclut Takeshi d’un ton réprobateur.
Sans avoir l’air un tant soit peu coupable, Hikari secoua la tête, souriante.
« Pourquoi prendre l’effort de fouiller ? Il suffit de regarder attentivement lorsqu’il défait lui-même son sac et tout~ va~ bien~ »
Le possesseur dudit sac s’était déplacé d’un pas traînant jusqu’au rivage du lac et contemplait piteusement la surface, visiblement fatigué. Hikari regrettait que l’opération se fût soldée par une conclusion négative ; peut-être pouvaient-ils encore partir à la suite de Shinji et compenser les dégâts ? Un nœud dans les cheveux de Satoshi ferait probablement toute la différence !
Hikari s’apprêtait à soumettre quelques propositions d’améliorations esthétiques à Takeshi, mais un sifflement dans le ciel l’incita à lever la tête en même temps que lui à la recherche de sa cause. Ils ne tardèrent pas à distinguer un petit point filant dans le ciel, qui s’écrasa au sol dans un bruit mat, à une cinquantaine de mètres de Satoshi.
L’objet (une bourse marron ?) ne bougea pas davantage.
« Pika ?
- C’est quoi ce truc ? » s’enquit Satoshi.
Takeshi interrogea Hikari du regard mais aucun des deux ne semblait avoir la moindre idée susceptible d’expliquer la chute et la présence de l’objet. Satoshi, de son côté, s’avança prudemment dans sa direction, Pikachu sur les talons. Il n’avait pas fait dix mètres qu’un nouveau sifflement résonna dans les airs - et cette fois, ce sac de lest-là s’abattit avec un peu plus de force et d’éclat, néanmoins couvert par le grognement sourd de Satoshi qui tomba à terre sitôt qu’il le réceptionna.
Sur la tête.
‘Pikapi !’ s’écria Pikachu au moment où Hikari protesta ‘Ses cheveux !’ en ramenant sa main contre sa bouche.
Pikachu bondit jusqu’à la tête de son humain, étalé sur le dos, les bras en étoile et immobile, la jupe emmêlée entre ses jambes, et il secoua son épaule avec inquiétude.
« Pika Pikapi !
- Aaarg… »
D’après son long gémissement, Satoshi avait l’air vivant.
« Il a vraiment la tête dure. J’espère que la coiffure n’a pas été totalement massacrée », marmonna tristement Hikari. « Pour une fois que sa masse hirsute était brossée… »
En l’air, les bruits continuaient, un peu plus discernables à chaque seconde. Il n’y avait pas vraiment de nuages aujourd’hui, mais Hikari et Takeshi n’avaient pas pour habitude de marcher en gardant la tête levée vers le ciel. Auquel cas, peut-être auraient-ils remarqué depuis quelques secondes la forme volumineuse qui descendait cahin-caha des sphères plus hautes.
Cela ressemblait à une montgolfière.
Et si l’on faisait abstraction du trou béant qui ornait sa tempe gauche ainsi que du tissu plié contorsionnant le visage, cela ressemblait même à une montgolfière en forme de tête de Nyarth.
Oh, pensa Takeshi, déjà résigné.
Les paroles hurlées étaient à présent audibles.
« À gauche, à gauche ! Non, non à droite j’ai dit !
- Quelle droite-nyaa ?
- L’autre droite, ne restez pas de mon côté, équilibrez la cabine !
- Musashi, j’ai peur ! Aïe !
- Si tu avais regardé où on volait, le ballon n’aurait pas été percé alors arrête de te plaindre !
- C’était ton tour de garde-nyaa, si tu ne t’étais pas endormie, on aurait pu éviter l’essaim de Mukkuru et l’avarie aurait été évitée-nyaa ! Aïe ! Tu vas me payer ça !
- Eh ! Aïe ! Lâche mon visage et utilise tes griffes pour couper les sacs de lest, imbécile !
- Lâche ma queue-nyaa !
- … On est fichus. »
Effectivement, le trou s’élargit distinctement. L’air hurla contre le tissu en s’éparpillant. Le trio hurla en finissant sa chute. Par réflexe, Hikari et Takeshi fermèrent les yeux au moment de la collision avec le sol.
Lorsqu’ils les rouvrirent, le ballon finissait de se froisser et de s’étaler sur l’herbe.
Pendant deux minutes, tout fut silencieux. Puis, de petites bosses se formèrent dans le tissu, de plus en plus proches de son extrémité : rampant au sol, Musashi, Kojirô et Nyarth prirent le temps de s’en extraire précautionneusement, clignèrent quelques secondes des paupières, se regardèrent, puis laissèrent un sourire se fendre sur leurs visages.
« Eh bien… on a survécu ?
- Et ça fait du bien-nyaa !
- Mm ? » s’interrogea Musashi en regardant en avant.
Massant l’arrière de son crâne avec sa main, chancelant légèrement, Satoshi finissait de se remettre debout.
Il y eut un instant de silence hébété lorsque Satoshi redressa la tête et laissa son regard errer sur l’herbe jusqu’à le fixer sur le trio à une vingtaine de mètres de lui.
Leurs yeux se rencontrèrent.
De concert, les quatre tendirent le bras vers l’autre camp dans un signe de reconnaissance mutuelle, presque accusateurs.
« Ah ! »
Sans se laisser désarçonner, le trio reprit vite contenance et s’empressa de se relever, saisissant le tissu de leur ballon crevé pour le lancer en l’air avec grandiloquence.
« HO- HOHOHOÏ ! »
Satoshi tordit la bouche. Pikachu se rapprocha de ses jambes.
« ‘AH !’, entendons-nous crier une voix ?
- Et nous apparaissons comme une étoile filante à chaque fois !
- Oh, le vent !
- Oh, la terre !
- Oh, le… la robe ?! »
Musashi, Kojirô et Nyarth s’arrêtèrent dans leurs poses, incrédules, clignant les paupières plusieurs secondes.
« Et le gang Rocket », soupira Takeshi à voix basse, juste pour la forme. « On ne les avait pas encore vus aujourd’hui, après tout. »
Hikari grimaça en signe d’acquiescement.
« Au moins, ça sera fait ? »
Néanmoins, et juste pour cette fois-là, le trio sembla accepter de bonne grâce de sacrifier son texte d’introduction et de remettre à (quelques minutes) plus tard la capture de Pikachu. Accusant vraisemblablement réception des vêtements du jour de Satoshi, ils laissèrent tomber toute la solennité de leur présentation et éclatèrent de rire.
« Le mouflet aurait-il décidé de laisser sa reine intérieure remonter à la surface ? » questionna Kojirô, hilare.
« La ferme !
- Qu’elle est mignonne-nyaa !
- Ooooh, ma petite Sato-chan~ Il fallait nous le dire, si tu voulais que Papa et Maman t’achètent une nouvelle tenue ! »
Sans bouger davantage ni donner l’impression qu’il serait pertinent d’intervenir, Hikari donna un coup de coude à Takeshi.
« Eux ont le bon goût de noter les efforts qu’on a fournis.
- Je ne suis pas certain que leur avis et leurs commentaires comptent réellement », tempéra Takeshi.
En contrebas, les envolées d’invectives continuaient.
« Plus à l’aise en jupon, mouflet ?
- Tu peux parler ! C’est toi qui passais ton temps à être en robe, avant !
- Eheh, ravi de constater que j’ai su inspirer des vocations !
- Est-ce qu’on doit l’appeler mouflette-nyaa à partir d’aujourd’hui ? »
Ce fut à ce moment que Satoshi tapa du pied et se résolut à mordre.
« Ça suffit ! » gronda-t-il en bondissant en avant. « Pikachu ! Voltec- »
Son réflexe d’avancer avec des gestes brusques s’avéra malheureux.
Même de loin, Hikari et Takeshi purent distinctement voir son pied marcher sur le tissu de sa jupe et incidemment le tirer. Ils devinèrent que son pied droit avait déjà dû décoller du sol, observèrent le manque d’équilibre se lire sur le visage et le corps de Satoshi durant la seconde fatidique où il chancela, battant vivement les bras en l’air comme si le geste pouvait lui permettre de s’envoler ou, au moins, de compenser la force de gravité qui l’entraînait vers une chute inéluctable sur le côté gauche.
Peine perdue, Satoshi chavira et tomba de tout son long dans l’eau, dans un claquement sec et pour le moins bruyant.
« Je lui avais dit de soulever sa jupe s’il voulait marcher », soupira Hikari en secouant la tête.
Musashi, Kojirô et Nyarth, de leur côté, s’empressèrent de sortir leurs grandes épuisettes.
« Un mouflet à la mer ! » s’écrièrent-ils de concert. « Un mouflet à la mer et un Pikachu sans défense à cueillir, ça fait du b- »
La fin de la phrase se transforma en hurlement lorsque Pikachu, ayant décidé d’exécuter l’attaque même sans la fin de l’ordre, déjà entouré de l’aura de Volteccer, bondit du sol et percuta le groupe de plein fouet en les envoyant valser contre la nacelle de leur montgolfière.
L’explosion ne couvrit pas totalement leurs voix.
« -MAAAAAAL ! »
Après avoir vérifié d’un coup d’œil que Pikachu s’était correctement réceptionné au sol et à une distance sécurisante, Hikari posa la main en visière et regarda le trio s’envoler puis peu à peu disparaître dans le ciel, pensive.
« Zut », gémit-elle. « Ils ont été envoyés vers l’est, on devrait les recroiser d’ici à ce qu’on arrive à Nagisa City.
- On risquerait de se sentir un peu seuls sans une intervention quotidienne, hein ? » remarqua Takeshi.
La surface du lac, redevenue à peu près lisse malgré les remous qui continuaient de l’agiter, fut brusquement déchirée lorsqu’une main en jaillit et s’accrocha au rivage, confirmant que Satoshi ne s’était donc pas noyé.
En amis charitables, Takeshi et Hikari le laissèrent s’extraire seul de l’eau. Le tissu, alourdi et froncé par l’humidité, lui collait à la peau et semblait vouloir l’entraîner en arrière, le ramener à l’eau ; Satoshi persévéra, avança les bras sur la terre ferme, s’appuya sur ses coudes et rampa sur la terre ferme - ou un peu moins ferme dans quelques secondes, son corps mouillé allait la transformer en boue. Boue qui allait tacher sa robe déjà malmenée, regretta Hikari, espérant que Satoshi ne l’avait pas déchirée ou fait courir un accroc en plus du reste.
Satoshi, rejoint par Pikachu, crachota à quatre pattes quelques secondes puis s’autorisa à s’écrouler sur le sol. Considérant qu’il avait l’air de respirer, Takeshi et Hikari le laissèrent récupérer.
« Pourquoi est-ce qu’on a fait tout ça, déjà ? » se résolut à demander Takeshi sans donner l’air de s’en préoccuper réellement.
La courte pause qui lui répondit fut parfaitement explicite.
« Parce que c’était fun ? » proposa enfin Hikari d’une voix distraite.
De façon effrayante, cette réponse semblait résumer le plus précisément et honnêtement la journée.
Takeshi soupira.
« Satoshi ne va jamais nous pardonner ça. »
Mais Hikari secoua lentement la tête.
« Normal de s’inquiéter pour lui », nuança-t-elle en posant les mains sur la hanche. « On a raison de s’insurger qu’il ne comprenne rien à rien et de se soucier de son futur.
- Pour être honnête, il arrive parfaitement à vivre comme ça.
- Eh ? Mais est-ce que ça veut dire pour autant qu’on devrait le laisser rester ignorant toute sa vie ?
- … Non.
- Sans un coup de pouce, il n’évoluera jamais ! Il suffirait d’essayer de procéder d’une autre façon.
- Satoshi ne vient-il pas de ruiner tout espoir de possibilité de s’entendre un jour avec Shinji ?
- Oh ! Je ne pensais pas spécifiquement à Shinji.
- Et tu penses à… ?
- Il reste un paquet de gens pour qui Satoshi pourrait avoir des sentiments - pas qu’amicaux, je veux dire.
- Le reste des souvenirs de son sac ?
- Bien sûr. On a presque trop de pistes, maintenant. Que l’élu de son cœur soit une fille ou un garçon, on doit absolument apprendre à Satoshi à cesser de donner l’impression qu’il n’a jamais été amoureux de quelqu’un ! »
Hikari s’interrompit, tapota son index sur ses lèvres et lui jeta un regard en coin.
« Ou peut-être qu’il est simplement… tu sais ? Asexuel, aromantique, un truc en a-quelque chose de ce genre. Pas intéressé, quoi. »
Takeshi cligna les yeux.
« Oh. »
Et se demanda pourquoi il n’avait pas pensé au plus évident plus tôt.
Une seconde, depuis quand était-il passé de ‘discuter avec Satoshi des relations romantiques d’autrui’ à ‘s’immiscer dans la peu probable vie romantique de Satoshi’ ?!
« Ou alors, il est juste secrètement timide et il serait alors de notre devoir de l’aider à faire le premier pas ! » s’écria Hikari en tendant le poing en avant, guillerette, dynamique et déterminée.
Comme en réponse, l’air autour d’eux sembla brusquement se glacer.
« Vous deux », tonna une voix d’outre-tombe dans leur dos, grave, rugueuse, dangereuse.
Hikari et Takeshi se raidirent immédiatement et sentirent chacun une goutte de sueur descendre le long de leur colonne vertébrale avant de se retourner.
Malgré les ruisselets d’eau qui continuaient de goutter de ses mèches et de ses vêtements trempés, Satoshi et Pikachu les avaient rejoints sans qu’ils ne les entendissent. Pikachu agitait la queue dans un mouvement répétitif empreint de réprobation nerveuse. Satoshi, lui, avait les épaules voûtées, les cheveux surnaturellement plaqués contre son crâne, son front et sa nuque, et ses joues dégoulinaient de noir sous ses yeux - le mascara avait manifestement coulé, Hikari et Takeshi le savaient rationnellement, mais cela ne fit pas disparaître la terreur qu’ils ressentirent en contemplant son visage presque démoniaque, sa grimace hargneuse et ses yeux furibonds, prêts à foudroyer.
Ils n’étaient pas certains que le grincement de ses dents n’était que le fruit de leur imagination.
« Le maquillage n’était pas totalement waterproof », commenta Hikari d’une voix faible et terrifiée, comme par auto-défense.
Satoshi tapa du pied par terre dans un bruit de succion et leva les coudes en l’air avant d’exploser.
« Mais qu’est-ce qui vous a pris, enfin ?!
- Piiiiika », renchérit Pikachu.
Hikari et Takeshi eurent chacun la certitude que l’autre entendait parfaitement le ton plus menaçant qu’ennuyé du Pokémon, et ses promesses d’électrocution sous-jacentes s’ils osaient recommencer.
« On agissait pour ton bien ? » proposa timidement Hikari.
Elle ne put cependant pas retenir un frémissement en observant un petit éclair crépiter brièvement sur le rouge de la joue droite de Pikachu, comme si la réponse avait été jugée mauvaise.
« Qu’est-ce que vous fichez ? » cracha Satoshi en plissant les yeux. « Vous étiez juste bizarres et, d’un coup, on dirait que vous avez juste cherché à être le plus abominables possible !
- Non ! » s’offusqua Hikari en mettant les mains devant elle. « On se souciait juste de ton bien-être. On se posait juste quelques questions sur toi.
- Du genre ?!
- Tu n’as jamais eu envie d’embrasser quelqu’un ? » demanda Hikari d’une voix neutre, sans hésiter une seconde.
Les bras pliés, le cou encore tendu, un genou fléchi, Satoshi se pétrifia instantanément. Il ne réagit même pas lorsqu’une goutte d’eau coula d’une mèche jusqu’à l’arête de son nez.
Il rouvrit la bouche, la referma, réessaya encore, jusqu’à crier :
« Et qu’est-ce que ça a à voir avec tout le reste ?! »
Les rougeurs qui avaient envahi ses joues sous les traînées de mascara rivalisaient avec la couleur de sa robe, observa Hikari en se sentant sourire comme un félin repu.
« Donc il y a bien quelqu’un », chantonna-t-elle. Elle tourna légèrement la tête vers Takeshi, les paupières à demi baissées. « Il suffisait de prendre son courage à deux mains et de demander, mm~, monsieur je-vais-en-parler-avec-Satoshi précédemment rentré bredouille ?
Takeshi préféra rester silencieux.
« De quoi tu parles, enfin ?!
- De toi, Satoshi. De toi et de la personne que tu as envie d’embrasser.
- J’ai pas dit que… » commença Satoshi sans parvenir à continuer, comme si les mots se bloquaient dans sa gorge.
Il était encore un peu plus rouge, savoura Hikari.
« Oh ? Tiens donc, il n’y a plus personne, maintenant ? » s’amusa-t-elle.
Satoshi se renfrogna un peu, comme en cherchant à disparaître sur lui-même, puis s’accroupit et ramena contre lui ses genoux recouverts de la jupe en provoquant un bruit spongieux. Pikachu lui tapota la tête.
« Mais comment est-ce que tu fais lorsque la personne en question avait tendance à te hurler dessus sans raison, et continue de te reprocher quelque chose presque à chaque fois que tu lui parles ? » marmonna-t-il.
Takeshi se demanda avec une vague panique si Satoshi parlait toujours de Shinji (si c’était le cas, il espérait que Satoshi réalisait l'aspect catastrophique de la situation).
« J’étais supposé utiliser son machin, non ? » s’agaçait Satoshi sans faire attention à eux. « Mais ‘J’aurais dû me douter que tu manquerais de le perdre à la moindre occasion.’, qu’elle a dit, comme si j’avais fait exprès de me le faire voler ! Pareil qu’avec le mouchoir, ‘Qu’est-ce que tu veux dire par une odeur qui ne part pas ?!’, comme si je m’étais débrouillé pour que le trio Rocket me tombe dessus dès que j’étais rentré au village ! Et puis si je n’avais pas couvert le nez de Pikachu avec, il aurait avalé les fumées toxiques et…
- Satoshi, tu gloses.
- Je mets pas de gloss !! Et y’en a jamais sur ses lèvres non plus !
- … Je vais totalement t’acheter un dictionnaire en plus d’un cahier de maths pour ton prochain Noël. Mais ravie d’apprendre que tu es capable de faire attention à ses lèvres.
- Elle sait que je tiens autant à elle qu’aux autres », continua Satoshi sans l’écouter, « et je prenais soin d’elle autant que les autres, mais-
- C’est le contraire ! » s’exclama Hikari. « L’amour entre deux personnes, ça n’est pas ça ! C’est un traitement de faveur, même si tu dois blesser et violenter l’autre personne pour lui faire comprendre la force de ton amour !
- Hein ?
- … Hikari, Kotone t’a fait lire quel genre de romans, exactement ?
- Tu dois être plus agressif ! Ça n’est pas grave si l’autre personne objecte un peu au début, fais-lui comprendre que ce que tu lui fais en vaut la peine !
- De quoi… ?
- Est-ce que je suis censé censurer tes lectures jusqu’à ce que tu sois en âge de comprendre à quel point ce que tu es en train de dire est mal à tous les niveaux ?
- Le Casanova harceleur d’infirmières et de policières en jupettes devrait plutôt me soutenir dès qu’il est question d’exprimer la force de son attirance.
- …
- Bien. Satoshi, il faut que tu la malmènes un peu pour mieux l’attirer !
- … Non, vraiment, Hikari, je ne crois pas que tu devrais continuer à-
- Tu es dans ton droit, tout est bon pour lui faire comprendre qu’elle est différente, que ça n’est pas qu’une amie parmi d’autres ! »
***
« Comment ça, tu tiens à ce que je sache que tu me détestes en toute amitié ?! » s’insurgea Kasumi à l’autre bout du combiné.