Auteur :
cassidy_bTitre : L’Importance d’être bien entouré
Fandom : Pocket Monsters (anime)
Personnages : Takeshi, Hikari, Satoshi ; Kotone, Shinji, Musashi, Kojirô et Nyarth.
Rating : PG
Disclaimer : l’anime Pocket Monsters n’est pas à moi, mais il appartient à Satoshi Tajiri, Tsunekaz Ishihara, Nintendo et/ou le studio OLM (pas certaine qu’une mention inutile).
Nombre de mots : 10 100~ mots (WHY)
Notes : CRACK crack crack qui craque. Situé durant Diamond&Pearl après le départ de Kotone (
DP147), mais relativement TWT en considérant la présence de Shinji. Mini-avertissement sur quelques positions (absolument non-soutenues par l’auteur) de Hikari - on dira que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Allusions et mentions (non-effectives, mais les faits évoqués restent, tousse tousse, éternellement sujets à interprétations) de PalletShipping (Shigeru/Satoshi), de DaddyShipping (Yukinari/Satoshi, oui, *LE* gamin du film 4, oui, je vais en enfer), de ComaShipping (Shinji/Satoshi) + quelques autres, dont probablement du ship-tease BoulderShipping (Takeshi/Satoshi). Je ne sais. Réponse hors-sujet à un prompt d’
azalee_calypso datant d’il y a deux ans - merci à elle pour la bêta ! Et aux Mocha Blanc du Starbucks.
... *sob* Ce fill n'était pas supposé devoir être séparé sur deux entrées.
« J’ai failli croire que je m’étais trompée depuis le début », avoua Kotone à Takeshi peu avant d’embarquer dans le zeppelin qui les ramènerait elle, Kazunari et son père, à Johto. « Les sentiments de Hikarin sont flagrants, mais Satoshi… pourquoi se comporte-t-il comme s’il n’éprouvait rien pour elle ? En agissant comme ça, sans se permettre d’être démonstratif, il parviendrait presque à persuader n’importe qui qu’il ne l’aime pas d’amour ! »
Elle contempla Hikari et Satoshi dire leurs adieux à Kazunari, quelques mètres plus loin, puis secoua la tête et soupira tristement.
« Pauvre Hikarin ! Quant à lui… à force de ne pas prendre les devants, il finira passif toute sa vie si personne ne fait rien. »
De toute la remarque gorgée d’élucubrations de Kotone, Takeshi ne garda que la conclusion : elle n’avait pas tout à fait tort et, d’une certaine façon, après toutes ces années à veiller sur Satoshi, Takeshi s’en sentait responsable par son inaction.
***
« Si je trouve moi aussi que Satoshi manque de discernement dès qu’il est question d’amour ? »
Hikari, une fois la phrase répétée, le regarda sans ciller.
Soudain appréhensif, Takeshi se demanda s’il avait commis un faux-pas, si Kotone n’avait pas eu, au fond, raison de décider arbitrairement des béguins des unes et des autres, et s’il n’était pas lui-même en train de s’aventurer sur un terrain potentiellement dangereux pour la cohésion de leur groupe à tous les trois.
« Eh », objecta enfin Hikari en plissant les yeux, comme si elle avait été personnellement insultée. « Ça, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Je n’ai pas envie de dire du mal d’un ami, mais pas besoin de voyager des mois en sa compagnie pour remarquer qu’il est complètement aveugle et obtus à ce niveau.
- Poooocha.
- Je suis toujours étonnée qu’il connaisse les effets d’une attaque Attraction - mais c’est sans doute parce qu’il n’a aucune idée de la mécanique ? Il va partir dans de grands discours sur les camarades et les partenaires, parler d’amitié en voyant un couple, proclamer qu’il est ami avec quelqu’un qui en pince manifestement pour lui, et il ne réalisera même pas ce qui se passe réellement. Oh, cette pauvre Aoi…
- S’il n’y avait eu qu’elle », soupira conjointement Takeshi.
Hikari et Pochama, contre son ventre et entre ses bras, écarquillèrent les yeux de concert.
« Il y en a eu d’autres ?
- Il voyage depuis plusieurs années », grimaça Takeshi. « Bien sûr que d’autres personnes avaient jeté leur dévolu sur lui avant qu’il n’arrive à Sinnoh.
- Et il a toujours été… comme ça ? Complètement à côté de la plaque, je veux dire. »
Aussi peu charitable que cela fût, Takeshi acquiesça.
« J’ai juste considéré que Satoshi n’était pas très perspicace de façon générale », concéda Hikari après un moment d’hésitation. « Mais est-ce que quelqu’un qui soit proche de lui a au moins essayé de lui expliquer posément… tu sais ? Comment marche la vie. »
Takeshi douta avoir imaginé le reproche à peine déguisé qu’il crut entendre dans sa voix.
***
Après le déjeuner du lendemain, Hikari voulut entraîner seule Pochama et Mimirol. Pikachu s’occupant d’amuser Hinoarashi en se livrant à une série d’imitations faciales, Takeshi décida que l’occasion était parfaite pour converser au calme, sans interruption ni distraction, avec Satoshi.
Toutefois, dès qu’ils furent en retrait, Satoshi à la fois assis et perché sur son tabouret, les cuisses nonchalamment écartées, les bras tendus entre elles, les paumes sur le socle et les doigts repliés autour de son bord, le regardant curieux mais joyeux, la situation sembla soudainement presque intimidante.
Takeshi se racla la gorge.
« Hikari et moi avons remarqué quelques petites choses te concernant », commença-t-il.
Sans bouger, les yeux grands ouverts, Satoshi cligna les yeux mais le laissa continuer.
« Suffisamment pour être un peu préoccupés, pour être honnête.
- Quelque chose ne va pas ? » s’enquit Satoshi.
Takeshi croisa les bras - toutes les préparations du monde n’auraient jamais pu lui permettre de trouver la formulation idéale pour aborder délicatement et efficacement le sujet. Pas avec Satoshi. Pas avec quelqu’un qu’il considérait à la fois comme son meilleur ami et un membre de sa déjà nombreuse fratrie. Pas dans une situation artificielle, sans la moindre spontanéité, sans que le besoin ne se fît spécialement sentir à cet instant même s’il restait constamment présent en fond. Tout aurait été beaucoup plus simple si Satoshi était, de lui-même, venu lui demander de l’aide ou des conseils, ou juste une oreille attentive ; mais, évidemment, il touchait là le nœud du… problème ? De la complication ?
« Je n’irais pas jusque-là », nuança Takeshi pour le tranquilliser. Autant le mettre le plus à l’aise possible. « Ce qui nous préoccupe, c’est en fait ton comportement avec les autres.
- J’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas ?
- Pas ‘fait’. Ce sont plutôt certaines réflexions et attitudes envers les autres qui nous intriguent et ne nous semblent pas… adaptées. »
Les yeux soudain peinés et hésitants de Satoshi, comme s’il se concevait pris en faute et en culpabilisait déjà sans savoir de quoi, lui pincèrent violemment le cœur.
Tournant lentement la tête, Satoshi coula un instant son regard dans la direction de Pikachu, qui pépiait et continuait ses poses, tordant son visage, se contorsionnant au gré de ses incarnations. Après un petit moment de flottement durant lequel il sembla reprendre des forces grâce à cette observation silencieuse, Satoshi revint se concentrer sur lui.
« Tu trouves que je ne prends pas assez soin de tout le monde ? »
Comprenant instantanément, Takeshi soupira.
« Satoshi, je ne te parle pas de Pokémon.
- De quoi ?
- Je te parle d’humains. »
Satoshi pencha la tête sur le côté, un léger voile d’inquiétude sur le visage.
« Euh… je t’ai fait quelque chose, ou à Hikari ? » hasarda-t-il.
Takeshi secoua la tête.
« Pas à nous. Ni à quelqu’un en particulier.
- Alors qu’est-ce que j’ai fait… ?
- Tu n’as rien fait de mal. On se pose juste des questions sur ce que tu penses et ressens toi.
- Oh. »
Réfléchissant, Satoshi leva une de ses mains jusqu’à son menton, la mâchoire enserrée entre son pouce et son index écartés.
« J’ai fait un truc qui laisse penser que je suis fâché avec vous ? » Puis, un sourire éclairant son visage, passant sa main derrière sa casquette : « Pourquoi tu te montres prudent comme ça ? C’est vrai que j’ai peut-être pas été très facile à vivre ou agréable depuis le match avec Shinji. Je veux dire, si ça vous inquiète, bien sûr que non, je serais jamais capable de vous détester ! Vous me donnez aucune raison d’être en colère contre vous !
- Ça n’est pas une histoire de détester quelqu’un », l’interrompit Takeshi. « Plutôt le contraire. »
Les sourcils de Satoshi se tordirent.
Takeshi inspira profondément et se prépara à plonger dans un abysse sans retour - mais qu’il n’espérait tout de même pas insondable.
« Je te parle du principe d’aimer quelqu’un. »
Même s’il avait l’impression d’atteindre l’objectif à reculons, ils commençaient à y arriver. Quelque part, dans sa tête, la voix de Hikari résonna pour chanter un ‘Victoire !’ tonitruant, et Takeshi ne savait pas s’il devait l’interpréter comme une félicitation ou une malédiction funeste.
De son côté, Satoshi cligna les paupières mais resta silencieux.
« Je- Hikari et moi pensons que tu manques de discernement », enchaîna Takeshi. « Que tu confonds certaines choses, et qu’il faudrait corriger ça.
- Je vois toujours pas où tu veux en venir », signala Satoshi, nullement impressionné ou affecté, enfermé dans sa tour d’imperturbabilité.
Il le regardait néanmoins encore, attentif, attendant que Takeshi lui expliquât pourquoi il désirait lui parler et ce qu’il attendait de lui, lui donnant par-là même une nouvelle preuve qu’il devait persévérer. Satoshi lui faisait confiance, comptait sur lui et, rien que pour cette raison, Takeshi avait la responsabilité morale de s’assurer qu’il allât bien et évoluât correctement, même si Satoshi ne croyait pas s’en sentir le besoin.
« Tu ne sembles pas réaliser quand des personnes s’aiment », décrivit patiemment Takeshi. « Presque comme si… tu ne comprenais pas toi-même comment… s’il était possible d’aimer quelqu’un.
- Évidemment que j’aime des gens », s’offusqua Satoshi. « J’aime Pikachu, je t’aime toi, et Hikari, et Moukazaru, et Mukuhawk, et Hayashi-
- Pas sur ce plan-là. »
Ou du moins, il l’espérait, ou le croyait rationnellement. (À ce qu’il savait, il n’était pas membre du harem d’un Satoshi polygame ou libertin ; le nombre d’individus avec qui Satoshi tolérait ne serait-ce que le moindre contact physique autre qu’une poignée de mains occasionnelle ou fonctionnelle était déjà bien faible.)
« Je vous aime tous », objecta Satoshi en gonflant les joues.
« Je ne prétends pas le contraire », tempéra Takeshi. « Je sais que tu nous aimes tous beaucoup. Mais pas de la façon dont je cherche à te parler.
- Tu trouves que je tiens pas assez à vous ?
- Je ne t’accuse de rien, Satoshi. Tu es un excellent et précieux ami, la question n’est pas là. »
L’inquiétude contrite de Satoshi, partiellement rassuré, laissa place à la perplexité.
« Alors quoi ? »
Une nouvelle fois, Takeshi se racla la gorge.
« Tu n’as jamais eu de… sensation particulière en regardant une personne ? Un coup de foudre ? Une impression de paralysie ?
- De l’électricité statique ? Souvent, avec Pika-
- Devant un être humain.
- Juste en voyant quelqu’un ? »
Takeshi hocha la tête.
« Euh… t’es sûr que tu vas bien ? Si des humains pouvaient avoir Statik, ça se saurait ! »
… et laissa ses épaules s’affaisser.
« Il n’y a pas quelqu’un que tu considères… spécial ? Qui te fait perdre la tête dès que vous vous retrouvez en face, juste parce que cette personne est là, qu’elle te plaît énormément ? »
Et parfois, en plus d’être visuellement et littéralement ravissante, cette personne particulière se montrait en plus digne des plus grands éloges en consacrant sa vie aux autres, par affection envers un territoire délimité et pour le bien de tout le monde.
Oh.
« Toi-même, tu n’as jamais voulu te rapprocher de quelqu’un ? » continua-t-il. « Comme moi avec Joy-san ou l’agent Junsar ?
- Je suis ami avec un tas de gens », signala précautionneusement Satoshi. « Et j’adore tout le monde.
- Mais il y a des choses que tu n’as pas eu envie de faire avec tous ceux-là, n’est-ce pas ? » poussa Takeshi. « Tu n’as jamais eu envie, même si c’était égoïste ou pas vraiment rationnel, de faire certaines choses avec une personne, elle seule et pas une autre ?
- ‘Jamais eu envie’ de quoi, concrètement ? » rebondit Satoshi.
Un terrible moment, Takeshi prit la peine de considérer l’éventualité de quelques réponses - et les rejeta aussi sec, sans vraiment hésiter.
Il ne pouvait pas parler de sexe ni même de sexualité à Satoshi, se raisonna-t-il. Il ne pouvait juste… pas, aussi irresponsable que cela fût, et ce même s’il se sentait en charge du garçon. Pas si Satoshi n’en exprimait pas le besoin. Il se serait probablement dévoué pour avoir la Discussion avec sa fratrie biologique s’il n’y avait personne d’autre pour s’en occuper (les laisser entre les mains de son père et de sa mère n’était peut-être pas une idée judicieuse), ou même Hikari si elle en avait besoin, mais Satoshi restait malgré tout un cas particulier, dégageait une telle aura de sacralité que Takeshi ne pouvait pas se résoudre à lui en parler même s’il avait beau avoir conscience d’être le mieux placé pour le faire. Comme si la nature de Satoshi le lui interdisait, sans lui laisser de choix, lui imposant l’idée que Satoshi n’avait pas à se soucier de ces choses-là. Mieux valait prévenir que guérir, disait pourtant l’adage ; soigner un membre du groupe lorsqu’un mal n’avait pas pu être évité était une tâche qu’il acceptait diligemment et sans hésiter ; empêcher les situations périlleuses l’était aussi, habituellement. Néanmoins, expliquer ça à Satoshi… dépasserait toutes ses compétences.
(Parfois, à force de soigner et de veiller au bien être de tout le monde, d’agir en médiateur, de se charger des complications des uns et des autres dès qu’un problème surgissait et de panser les plaies de ceux qui le nécessitaient, Takeshi se demandait s’il ne devrait pas envisager de devenir docteur. Après tout, il avait déjà Pinpuku à ses côtés.)
Peut-être en prenant des exemples moins poussés mais du même registre ? De la même façon, Takeshi s’imagina lui demander s’il avait déjà voulu embrasser quelqu’un, mais il renonça aussitôt à l’idée en anticipant qu’il parlerait d’emblée de Pikachu (“Qu’est-ce qu’il y a de mal à le prendre dans mes bras ou à lui embrasser le front ?”) et en imaginant l’expression incrédule et dégoûtée accompagnant ses cris d’orfraie s’il tentait de lui décrire le fonctionnement d’un baiser plus approfondi (“Faire quoi ?! Beurk, mais c’est pas hygiénique !”).
Il tenait vraiment à Satoshi pour s’entêter à lui faire comprendre, gémit intérieurement Takeshi.
« D’aller voir un film et de prendre la main de la personne qui t’accompagne parce que tu tiens vraiment à elle ? » essaya-t-il finalement, misant sur l’espoir qu’une représentation illustrée (et décente) serait plus parlante.
Satoshi plissa les yeux, tentant de se rappeler la dernière fois durant laquelle il avait effectivement assisté à une projection cinématographique (est-ce que ça n’était pas quelque part à Hoenn, avec Haruka ?), ou quel était l’intérêt de la quest-
« Ah », se rappela-t-il soudainement. « Quand il était encore supportable, on faisait souvent ça, avec Shigeru. Se serrer la main pendant la séance parce qu’on n’avait pas la place de les mettre toutes les deux sur l’accoudoir, ce genre de trucs. Mais c’était y a longtemps, avant qu’on se dispute, et on ne faisait de toute façon pas ça qu’au ciné-
- NON. »
Takeshi était certain que la tentative menaçait d’aller dans la mauvaise direction. (La tentative allait dans la mauvaise direction.)
« Je te parle de vouloir ce genre de gestes avec une personne que tu apprécies vraiment.
- On s’appréciait, à une époque ! Et on s’entend de nouveau bien, maintenant !
- Pas comme ça, n’est-ce pas ?
- Mais je vois pas de quoi tu parles ! »
‘Et c’est agaçant’, lui indiquaient le ton impatient, les sourcils froncés et les bras gesticulants de Satoshi. Il allait perdre son attention, voyait Takeshi.
« Imagine que tu aies le sentiment de ne pas assez connaître une personne - que tu voudrais en savoir plus sur elle immédiatement. Est-ce que tu as déjà ressenti ça ? T’être senti trop éloigné d’une personne lorsqu’elle était pourtant là mais pas assez proche ? Voulu qu’elle te regarde en retour, toi seulement ?
- Qu’est-ce qu’il y a de spécial à trouver quelqu’un intéressant ?
- Tu n’as jamais voulu discuter avec une personne, juste avec cette personne, sans qu’un autre n’intervienne ? »
Mais Satoshi se montra tout aussi peu convaincu.
« On est pas précisément en train de discuter ? »
Aussi difficile que ce fût, Takeshi se résolut à ne pas perdre patience.
« Est-ce que tu n’as jamais eu l’instinct ou l’envie d’être proche d’une personne physiquement ? »
Satoshi ouvrit la bouche, mais Takeshi s’attendait déjà à une objection faisant allusion à ses rapports avec ses Pokémon, ses amis, ses adversaires, et le fait que Satoshi était très heureux de voyager avec Hikari et lui, aussi contra-t-il préventivement en précisant :
« De te retrouver seul avec cette personne. »
- Et on est seuls tous les deux à discuter, et c’est juste normal, non ? Pourquoi tu présentes ça comme si ça devait être exceptionnel ? »
À ce point, Takeshi n’avait plus le droit de capituler.
« Le plus important, ce n’est pas la situation en elle-même : c’est ce que tu cherches à communiquer à travers elle », continua-t-il. « Est-ce qu’il n’y a jamais eu une personne face à laquelle tu as senti que tu étais le seul à pouvoir lui apporter quelque chose ? Que tu as voulu protéger, rassurer dès qu’elle n’allait pas bien ?
Satoshi cligna les yeux, les fit glisser sur le sol et ne répondit rien.
« Est-ce que tu n’as pas voulu passer du temps seul avec cette personne », enchaîna Takeshi en souhaitant croire qu’il tenait effectivement la bonne piste, « voulu t’imprégner de sa présence, voulu partager des choses ensemble, voulu créer… un moment rien qu’à vous deux ? »
Cette fois encore, Satoshi ne rebondit pas sur les propositions pour exprimer ses objections dubitatives. Peut-être les descriptions avaient-elles eu un écho en lui, peut-être se rappelait-il d’émotions passées et encore persistantes, espéra Takeshi.
Après une minute de réflexions silencieuses, Satoshi releva son regard jusqu’à lui et pencha la tête sur le côté.
« Du genre s’isoler sur les branches d’un arbre, s’asseoir côte-à-côte, regarder un lever de soleil et se prendre par les épaules ? » proposa-t-il lentement, un peu détaché.
Ignorant s’il devait se sentir abasourdi, intrigué, fier ou victorieux, Takeshi acquiesça vigoureusement. En réponse, un sourire vif éclaira le visage de Satoshi et il claqua des doigts.
« Tu te souviens du Yukinari de Johto ? Je l’avais consolé comme ça lorsqu’il se sentait mal parce que son époque lui manquait ! C’est ce que font les amis, non ? »
***
« Je crois qu’il n’a pas besoin de moi. Il… il le fait naturellement. »
En rapportant la discussion à Hikari, Takeshi avait fondu en larmes. Sans réelle surprise, Satoshi s’avérait inhumainement frustrant, et même pas pour les bonnes raisons.
Hikari tapota un doigt sur ses lèvres, songeuse.
« L’essentiel, dans ce cas, c’est que la personne en présence comprenne à sa place, là où il n’y a pourtant pas d’intention du côté de Satoshi ? »
Takeshi releva la tête. Hikari lui sourit et continua.
« Ça n’est pas grave, si Satoshi ne réalise pas lui-même ce qu’il est en train de faire au début, n’est-ce pas ? »
Hikari, la mignonne, dynamique et adorable petite Hikari, avait parfois, sur le fond, des idées effrayantes.
Cela valait la peine d’essayer.
***
« Un entraînement ? »
Satoshi répéta la proposition en le regardant d’un air de mais-qu’est-ce-qu’on-aurait-pu-faire-d’autre-aujourd’hui-de-toute-façon, puis sembla comprendre quelque chose.
« Oh ! » commenta-t-il en frappant l’arête de son poing fermé dans son autre paume. « C’est vrai qu’avec toi, ça faisait longtemps.
- Non-
- Pikachu ! » cria Satoshi par-dessus son épaule, l’arête de sa main contre la joue, au moment où Takeshi précisait :
« Pas ce genre d’entraînement. »
Le bras de Satoshi retomba mollement contre son flanc alors qu’il se retournait vers lui, clignant les paupières, un peu perdu.
« On va pas faire un match ?
- Ça n’est pas au programme », signala calmement Takeshi. Sans surprise, Satoshi ne cacha pas sa déception, aussi reformula-t-il : « Pas maintenant, mais on pourra en faire un plus tard, si tu as envie.
- Bien sûr, que j’en ai envie ! Hikari m’aide beaucoup lorsqu’on s’affronte, c’est vrai, mais… »
Satoshi passa sa main derrière la tête, grimaçant doucement.
« Il faudrait que je me diversifie un peu plus en entraînements. J’ai toujours à… enfin, je suppose que je peux encore progresser avec tout le monde avant le prochain match contre Shinji, hein… ? »
Cela n’était pas la première fois que Takeshi avait l'occasion de le voir se relever après un coup dur ; après tout, leur tout premier voyage à Kanto avait été parsemé d’échecs et de défaites, et Satoshi avait continué à buter contre des obstacles et à devoir se retrouver avant de partir à l’assaut pour les surmonter. Les occurrences avaient été nombreuses, continuaient de l’être aujourd’hui encore, mais Takeshi ne s’habituerait probablement jamais à la volonté brûlante de Satoshi s’embrasant à nouveau après avoir été malmenée, peut-être moins diffuse, peut-être plus focalisée, mais toujours aussi incandescente au fur et à mesure que Satoshi grandissait et s’améliorait. Takeshi doutait pouvoir cesser un jour d’être admiratif, et même fier, d’une certaine façon, en l’observant aller de l’avant. La dernière défaite avait été aussi rude qu’indéniable et flagrante, Satoshi le savait probablement mieux que quiconque malgré les succès arrachés et ce qu’il avait malgré tout réussi à accomplir (l’évolution de Moukazaru n’en était ni la fin, ni un début), mais il démontrait encore qu’il savait rassembler ses expériences passées, bonnes ou mauvaises, pour continuer quoiqu'il arrivât.
Takeshi posa les mains sur ses épaules en retenant une larme.
« Euh…
- C’est parce que tu es devenu de toi-même une personne respectable qu’on souhaite qu’il t’arrive le meilleur.
- … Okay… ? »
De son côté, Hikari devait être en train de finir sa part du travail - jouer les intermédiaires et introduire Satoshi auprès de la coordinatrice avec qui elle avait sympathisé la veille. Takeshi chaperonnerait juste le tout, au moins au début, pour surveiller que tout se passât bien.
« On va juste se balader en ville.
- D’accord », accepta Satoshi, souriant.
En le voyant si volontaire et apparemment convaincu, Takeshi avait l’espoir de parvenir à tirer un résultat positif de l’expérience.
« Quand même… t’es bizarre, aujourd’hui », lâcha Satoshi. « T’es sûr que t’as pas de la fièvre ou quelque chose ? Gureguru t’a empoisonné la dernière fois qu’il t’a frappé ?
- Je vais bien, merci. »
***
« Donc, aucun numéro de téléphone ? »
Vague mouvement de tête négatif en provenance du corps recroquevillé et entouré par les miasmes violacés que même Gureguru n’osait pas approcher.
« Mais il a discuté avec elle, au moins ? »
Acquiescement (Hikari était certaine que l’atmosphère s’était encore assombrie, secouée par le geste).
« Et tout s'est bien passé ? »
Immobilité.
« Ils se sont plu ? Elle a… apprécié sa compagnie ? Il a compris ?
- Il était passionné, oui.
- Alors, alors, tu veux dire que-
- …et ils doivent se revoir ‘un jour’ pour ‘faire un match’. »
Ce qui était la façon universelle qu’avait trouvée Satoshi pour signifier aux gens qu’il les aimait bien (sans arrière-pensée), et laissait deviner autour de quoi avait tourné la conversation.
Hikari, en tapotant l’épaule de Takeshi dans un geste de consolation, se demanda vaguement si c’était cela qui le rendait déprimé, ou bien le fait que lui non plus n’était pas revenu accompagné.
***
« Je ne pense pas qu’il faille s’inquiéter au niveau de ce qu’il ressent », raisonna Hikari un peu plus tard. « Ça n’est pas parce qu’il est aveugle à tout qu’il est insensible.
- Satoshi est même plutôt émotif », concéda Takeshi.
Et il n’avait jamais été particulièrement discret dans sa propension à laisser ses émotions, son instinct ou ses sauts d’humeur le diriger au gré de leurs rebondissements - tout, tant que ce fût chaotique et imprévisible plutôt que de la raison froide et cohérente.
Hikari fléchit les jambes afin de se recroqueviller à hauteur de Pochama et lui tapota le crâne, les lèvres étirées par un sourire sournois.
« Pocha ?
- Un teigneux dur à cuir, aussi prompt à s’emporter qu’à verser une larme… ça me rappelle un petit garçon, tout ça.
- Chama ! »
Pochama croisa les bras et tourna la tête avec un mépris grandiloquent, manifestement offusqué de la comparaison. Hikari rit, doucement et brièvement, avant de se redresser, soudain sérieuse.
« Mais on n’a pas avancé, au final. Satoshi a esquivé le sujet à chaque fois, et il continue de gagner de cette façon.
- On dirait que tu décris un match, Hikari.
- Mais c’en est devenu un ! Un affrontement d’obstinations, pour faire comprendre à Satoshi de notre côté, et pour résister à toute illumination du sien ! Dans ce cas, à nous de défaire son Counter Shield en nous montrant plus précis et agressifs, n’est-ce pas ?
- … Si tu trouves une bonne idée.
- Ou alors… peut-être qu’il a déjà quelqu’un et refuse de l’avouer ? » proposa-t-elle.
Son intonation et son regard insistant ne prenaient même pas la peine de cacher qu’elle attendait des suggestions de celui qui avait voyagé auprès de lui presque en permanence, presque depuis le tout début.
Takeshi tenta d’y réfléchir.
« Mm. Difficile à dire. Il a beau être ou avoir été très proche de plusieurs personnes… il ne parle jamais vraiment de celles qu’il connaît lorsqu’elles ne sont pas en face de lui, sans exception.
- À part pour Pikachu lorsqu’il se fait enlever », renchérit Hikari, laconique. « Mais tout de même, voyons voir… est-ce qu’il n’y a pas quelqu’un qui obsèderait Satoshi en ce moment ? Une personne dont il parlerait sans arrêt, ou qu’il aurait sans cesse en tête ? »
Sans sembler les remarquer, Satoshi déboula brusquement devant eux, courant en trombe pour filer plus loin sur le chemin, Pikachu sur son épaule.
« EH ! SHINJI ! »
Hikari et Takeshi tournèrent lentement la tête pour se regarder avant de contempler la direction dans laquelle était parti Satoshi - sans le voir, bloqués par le bosquet derrière lequel il s’était engouffré.
Un ange passa.
« Non~ », chantonna finalement Hikari (avec une voix que Takeshi jugea, néanmoins, anormalement aiguë).
Puis le silence.
Takeshi fronça les sourcils, se reprochant à lui-même son propre manque de clairvoyance - pourquoi n’y avait-il pas songé avant ?
« Je n’avais pas pris en compte cette possibilité-là mais… »
Satoshi avait bien évoqué des souvenirs différemment interprétables de Shigeru et de Yukinari. En insistant fortement dessus. Et ramenait sans cesse Shinji sur le tapis depuis qu’ils étaient arrivés à Sinnoh.
L’air avait soudain la texture d’une douche froide.
« Ça, ça serait un fichu problème », lâcha finalement Hikari.
Les paroles étaient une nouvelle salve d’eau glacée.
Takeshi l’observa du coin de l’œil, mais Hikari restait à fixer le paysage devant elle, immobile, les sourcils froncés, manifestement désapprobatrice, presque affligée, sans s’en cacher.
Hikari était jeune, se raisonna-t-il. Ses jugements de valeur n’étaient peut-être pas entièrement établis. Elle pouvait toujours apprendre et s’ouvrir, Takeshi connaissait son caractère. Dans ce cas, il lui incombait de la guider vers une conduite moins hostile.
« Qui que soit la personne qu’aurait choisie Satoshi, cette décision lui appartiendrait à lui et à lui seul », tenta-t-il prudemment. « On ne pourrait pas le forcer à aimer quelqu’un, seulement le soutenir dans ce qu’il considère le mieux pour lui. Que la personne qu’il ait choisie soit une fille… ou non. »
Pendant quelques secondes, Hikari cligna les yeux comme pour tenter d’ingérer ce qu’il lui disait. Elle finit par secouer la tête avec virulence.
« Oh ! Le problème, ça n’est pas que Shinji soit… un garçon, je suppose, même s’il n’a pas l’air très humain pour commencer. Non, non, ça n’a pas vraiment d’importance. Le truc, c’est juste que… c’est Shinji. »
… En fait, elle avait tout à fait raison, assimila à son tour Takeshi : il y avait un énorme problème.
« Shinji n’est absolument pas assez mignon du tout », expliqua-t-elle avec une grimace ostensible. « Trop lugubre. Satoshi mériterait quelqu’un de plus lumineux, qui accepte de prendre soin de lui, tu comprends ? Qui soit prêt à l’épauler en cas de besoin, qui lui fasse confiance, qui l’entoure d’attentions, qui le fasse réagir, oui, mais surtout sourire. Un peu comme le petit-fils du poète ! »
Le portrait flatteur trahissait bien que Hikari n’avait pas connu Shigeru dans ses mauvais jours. Il avait certes mûri depuis le premier voyage à Kanto, avait appris à se montrer plus mesuré et avait peu à peu cessé d’intentionnellement chercher à écraser Satoshi par ses actes ou paroles, même s’il continuait parfois à s’amuser un peu de lui. Takeshi décida qu’il ne parlerait jamais à Hikari de son comportement passé dans le dos de celui-ci ; Shigeru n’avait pas à traîner ses erreurs comme un boulet devant ceux qui le rencontraient. Nul besoin de décrire à Hikari les insomnies périodiques, la colère et le dégoût qui rongeaient Satoshi à cette époque chaque fois que Shigeru le repoussait un peu plus ou le prenait de haut. Nul besoin de raconter les provocations, les disputes et les moqueries qui pleuvaient. Nul besoin d’évoquer la fois où, à l’Île Guren, Shigeru avait tenté de forcer Satoshi à danser pour lui en pleine nuit - Takeshi ne se souvenait plus de la contrepartie, mais il avait encore à l’esprit le regard brillant et victorieux de Shigeru lorsque Satoshi avait failli céder.
(Et tout compte fait, puisqu’ils parlaient de romantisme, Takeshi allait également s’empresser d’oublier ce souvenir.)
« Shinji est trop sélectif dès qu’il est question de politesse », continua Hikari sans se préoccuper de son silence. « Pas assez bienveillant avec tout le monde. S’il devait comme… faire partie de la famille, disons, avoir l’amabilité de retenir les prénoms des uns et des autres aurait été un plus », soupira-t-elle, fataliste.
Quelque part, Takeshi avait l’impression qu’elle n’oublierait jamais la fois où elle s’était vue réduite à un témoin anonyme en plus d’être ignorée, même si elle avait appris à dépasser ces insultes comportementales involontaires.
« Bon, mettons. Satoshi avait gardé le grelot que Shinji lui avait offert au tournoi, après tout », se raisonna Hikari, un peu guindée. Elle grimaça, comme dubitative et atterrée par un simple souvenir. « Enfin, je ne sais pas si ‘quasiment balancé à la figure’ compte comme ‘offert’, mais on va dire que oui. Ça leur fait quelque chose à tous les deux : Shinji a donné ce grelot, Satoshi l’a conservé ! »
Elle secoua la tête, à nouveau gênée, et sembla se rappeler de l’existence de Takeshi à ses côtés en lui lançant un petit regard de compassion distante.
« De façon générale, on ne peut pas dire que Satoshi part sur de bonnes bases, hein ? Autant grappiller ce qu’on peut trouver.
- Est-ce que tu es certaine qu’il y a quelque chose à prendre en compte, en premier lieu ?
- Bien sûr. Si on tient une piste, pas question de la lâcher, il faut aller jusqu’au bout ! »
Takeshi croisa les bras et essaya de se concentrer.
« Mm. Je ne sais pas vraiment pas si intervenir serait dans l’intérêt de Satoshi. Il a déjà eu du mal à se faire reconnaître comme un dresseur compétent et digne d’attention aux yeux de Shinji, alors-
- -alors il faudrait que nous aidions Satoshi à se faire encore plus remarquer par Shinji », s’exclama Hikari. « Ensuite, Satoshi saura certainement quoi faire, d’après ce que tu m’as raconté. »
Takeshi partageait moins cette conviction concernant la conclusion.
« Maintenant que j’y pense… j’ai déjà lu des romans comme ça », se rappela Hikari en levant les yeux au ciel. « Des histoires où l’héroïne cherche à attirer l’attention d’une personne qui lui plaît. Bon, dans certaines histoires, l’héroïne était un héros, mais ça ne changeait pas grand-chose au déroulement.
- Uh.
- Les histoires d’amour n’ont aucun secret pour Kotone.
- Qu’est-ce qu’elle a… ?
- On avait du temps pour discuter, le soir », expliqua-t-elle succinctement en accompagnant ses mots d’un petit mouvement de poignet. « Elle m’a parlé de ce qui faisait fureur à Johto, m’a demandé ce qui plaisait à Sinnoh, un petit échange culturel de rien du tout. Elle m’a offert quelques livres, d’ailleurs ! Tant mieux, ça pourrait nous donner des exemples sur lesquels réfléchir.
- Je ne sais pas si je dois être rassuré ou horrifié de me dire que le contenu de mon sac est totalement respectable par rapport au tien… ?
- Que pourrait-on faire pour que Satoshi détonne un peu - par rapport à d’habitude ? » continua Hikari sans faire attention à lui. « Qu’est-ce qui pourrait être susceptible de plaire à Shinji ? »
La question n’appelait malheureusement pas de réponse instinctive. Tout ce qui avait trait aux Pokémon de près ou de loin plairait à Satoshi et attirerait instinctivement son attention ; Shinji paraissait partager cet attrait dans son principe, mais pas de la même façon, pas dans les mêmes déclinaisons, pas pour les mêmes raisons. Ils partageaient beaucoup sans se ressembler, chaque nouvel exemple le rappelait sans cesse, et c’était bien là le cœur de ce qui les liait.
« Ah ! » s’exclama Hikari en claquant les doigts.
Elle resta figée, les yeux grands ouverts, comme sidérée par les résultats de sa propre réflexion silencieuse.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » l’interrogea Takeshi avec circonspection.
Il ne pouvait pas s’empêcher d’être appréhensif.
Mécaniquement, Hikari se tourna vers lui, cligna plusieurs fois les paupières, toujours incrédule.
« Tu te souviens de ce que Shinji avait dit il y a quelques semaines ? S’il savait que Satoshi avait participé à la Mikuri Cup… c’est qu’il l’avait donc regardée !
- …
- Shinji est en fait intéressé par les Concours !
- …
- Et c’est mon domaine !
- …
- Satoshi va avoir besoin de mon aide ! »
Shinji avait effectivement reconnu avoir aperçu Satoshi participer à la Mikuri Cup, se rappela Takeshi. Il n’avait pas semblé avoir apprécié le spectacle, ou en avait en tout cas critiqué quelques points, mais il l’avait vu et ne s’en était pas justifié. Takeshi n’était pas certain de ce qu’il devait en déduire - ou s’il devait penser comme Hikari.
« … Je sais exactement comment le rendre, disons, remarquable », s’écria Hikari.
Elle sautilla brièvement sur place et, paumes jointes, claqua du bout des mains.
« Tout ira bien, tout ira bien ! Je m’occupe de tout ! » promit-elle en souriant.
Takeshi préféra ignorer ses canines ainsi dévoilées.
***
[
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