La vague - chapitre 2

Jun 18, 2007 23:59

Titre : La vague [2/?]
Auteur : AnnaOz
Personnages : Aster, Fahd, Chokri
Rating : PG-13 (pour violence encore)
Nombre de mots : 1000 et une cacahouète


San Paio de Antealtares s’habille d’airs de fin du monde.

Eveillé par le vacarme, comme sorti à peine d’un cauchemar affreux pour y replonger tout conscient, il semble à Aster qu’il a été sourd depuis sa naissance : jamais auparavant ses oreilles n’avaient été préparées à de tels sons, cris et stridences de fers mélangés. Il se croit un instant sombré en pleine Apocalypse, là où Satan s’ébat parmi les hommes, forçant l’adoration de nouvelles icônes marquées du sceau de la Bête, qui doit être incarnée ce jour par cet homme terrifiant, cet Almanzor qu’on dit invaincu, inatteignable, et Aster préférerait périr par le glaive, troué de part en part, plutôt que de se voir écrasé par le Démon, rampant vif sous sa terrible emprise.

Il faut qu’un de ses frères lui hurle à sa figure épouvantée de penser aux reliques pour qu’il se secoue de son immense effroi, se mette à courir avec les autres, cherchant issue hors du Monastère assiégé, vers le tombeau, vers les œuvres sacrées, s’égarant un temps dans les jardins baignés d’un soleil cruellement matinal, reprenant pied et chemin vers la crypte, la trouvant barrée de rangs sarrasins ; il a si terriblement peur qu’il trébuche, tombe sur le sol à deux doigts d’un corps sans tête vêtu de la même robe que lui.

Là, couché à terre, avec son teint plus crayeux que la mort, il reste immobile, donne l’illusion d’être certainement aussi vidé de vie que son frère à côté. Il tremble pourtant, comme une feuille, mais les hommes passent devant lui sans le voir et il ravale le geignement nauséeux qui lui monte à la gorge quand il entend bourdonner les premières mouches sur le cadavre tout proche.

Il ne sait pas quel diable le pousse ensuite à se précipiter à toutes jambes vers la sacristie, à y constater de ses yeux effarés l’ampleur du pillage : les vases sacrés ont été emportés, les linges souillés, mis en charpie, les essences s’égouttent sur les dalles. Il ne reste debout, solitaire et faiblarde, qu’une seule chandelle, fichée dans son chandelier… il la cache sous son scapulaire sans en connaître tout à fait la raison.

Hébété, la tête alourdie par l’huile pour les onctions, Aster marche en longeant les murs, une main ouverte devant lui pour se guider dans le fracas des faîtages qui s’effondrent.

Il ignore où se trouvent les portes de la ville, désorienté par les lieux en saccage qui ne ressemblent plus au souvenir qu’il avait de Santiago : il y a si longtemps qu’il n’a plus mis les pieds hors du Monastère.

C’est presque avec soulagement qu’il se sent buter contre les jambes d’un cheval ; sa route, sans doute, prend fin ici.

&&&

« Un cadeau ? »

Fahd pour le coup a plus du chien fou, flairant tout droit un fumet alléchant et pistant ventre à terre pour planter griffes et dents dans ce qui a eu l’heur fâcheux de faire se soulever ses babines ; il fait claquer sa langue contre son palais, cajole le flanc de son animal et fond devant lui. Chokri ne perd pas de temps à le regarder filer, il le suit, fouettant sa monture pour être le premier à atteindre la proie que son ami s’est arrogée ; il le connaît assez pour savoir quelle fureur peut échauffer les sangs de la panthère !

Il est vain de sa part de se croire plus rapide, il s’en aperçoit aussitôt que son ami saute bas devant lui, empoignant à pleine main la chevelure de l’homme - le garçon, vu ainsi de plus près - dégageant en arrière le cou pâle où bat follement un souffle.

« Fahd ! » s’écrie-t-il, arrêtant dans l’instant le geste ébauché. « …Quelle que soit l’intention de ton bras, retiens-le ! »

A quelques pas de lui, grondant de dépit, le jeune homme laisse monter la querelle jusqu’à sa bouche assassine, découvrant ses mâchoires serrées dans une mine de dégoût.

« Pas toi, frère ! Pas toi... ne prétends pas aussi te soucier de la vie de ce chien ! » aboie-t-il en affermissant sa prise sur le roumi prostré de frousse à ses pieds.

Puis, constatant que Chokri le contemple toujours sans faire plus que de laisser son regard le dévorer de haut, il entame la peau fragile du fil de son cimeterre, susurre : « Laisse ça aux vieillards et aux femmes... »

Le garçon blond gémit, ferme les yeux en murmurant une suite inintelligible de mots barbares que Fahd s’attarde à souligner d’un fin trait rougeoyant s’écoulant lentement de sa gorge, appuyant à chaque passage de sa lame un peu plus fort que la fois précédente, sans jamais aller assez loin pour trancher vraiment, échancrant de sa main libre l’habit de bure à la capuche baissée.

Il y a la cité en cendres et en flammèches tout autour, eux au milieu, et tout paraît se figer.

…jusqu’à ce que Chokri se coule bas de son cheval, fasse trois pas, les yeux dans ceux allumés de cuivre de son compagnon, et qu’il le gifle, battant l’air, d’un retour sec de la main.

« Laisse ça aux hommes qui savent ce que tuer veut dire. » siffle-t-il, recueillant hors du poing lâche le sabre aiguisé. Avec douceur, ensuite, il détache les doigts noués dans les cheveux du chrétien, referme les mains dans les siennes et lève enfin la tête vers la joue rougie et le visage penché de Fahd, silencieux comme une prière.

« Crois-moi, le sage Amjad n’aurait pas goûté le présent séparé à la hauteur du col, il faut pardonner aux anciens, mon ami, ils inclinent tous à se lasser de la mort des autres quand c’est à leur propre porte qu’elle s’annonce bientôt… »

Fahd n’empêche pas à ses bras de retomber le long de ses hanches quand Chokri a fini de le débarrasser, il ne dit rien, ne fulmine même pas alors qu’il était feu et flamme l’instant auparavant. Il pose son crâne lourd contre les pierres du mur derrière lui, hache sa respiration à petits coups, crache enfin : « Aucun autre que toi, mon frère… »

Et Chokri de répondre très calmement, avec un sourire un peu forcé : « Je sais. »

pg-13, fic originale

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