La vague - chapitre 4

Jul 04, 2007 09:57

Titre : La vague [4/?]
Auteur : AnnaOz
Personnages : Aster, Fahd, Chokri, Ouadid
Rating : PG-13
Nombre de mots : 1100 et quelques grains de sable

Pour les termes et noms obscurs, vous pouvez consulter le glossaire (et me poser là-bas les questions pour ce qu'il reste de mots incompréhensibles). Et si ceci est en retard, ça signifie qu'il faudra attendre moins de jours pour le chapitre 5...


L’air est âcre du feu et de la mort autour.

Toujours agenouillé, Aster entame sa dernière prière ; il y a dans la façon qu’ont les hommes à se regarder quelque chose d’inéluctible qu’il voit venir avec appréhension, fasse le Ciel qu’il ne souffre pas trop.

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« Tu as donc un tel goût pour le sang, Fahd ? »

La voix de Chokri se fêle un peu, happée par le souffle qu’il regagne, cadencée par les battements lourds de son cœur : les jeux de son ami sont plaies vives, rouvrant des cicatrices, fouillant la chair intime pour en faire ressortir ce qu’il y a de plus noir, de plus funeste en lui, réveillant l’assassin.

« J’ai promis à Allah, mon ami, de ne lui donner qu’un sicle d’âmes impures… » marmonne-t-il, les mains refermées sur les deux sabres rangés à sa ceinture, « …j’ai déjà donné plus que cela, bien plus… » Les mots se font murmures pâles contre la peau brune de Fahd, chatouillements tièdes contre la nuque que Chokri abandonne, marchant jusqu’au roumi à terre, choisissant le cimeterre attaché du côté du cœur, celui de Fahd, pour le loger dans son poing et le planter tout droit dans la poitrine du garçon blond, qui s’effondre sur le sable avec un unique gargouillis rauque.

Aussitôt, la panthère est dans son dos, frappe et le bouscule pour se jeter sur le corps qui se prépare à son dernier sommeil.

« Tu n’avais pas le droit, il était à moi ! » rugit-il en serrant convulsivement la bure qui se tache de rouge, s’agrandissant rapidement jusqu’à déteindre sur ses paumes, ses ongles.

Chokri vient s’accroupir auprès du roumi soulevé par une respiration sifflante, écarte les mains de Fahd et déchire le vêtement pour y voir en dessous, le fait que la mort ne soit pas instantanée le déconcerte un peu, il a appris à viser mieux que ça…

En haut du torse, il y a une coupure en forme de lune, pas nette et profonde comme il s’attendait à la découvrir, mais en oblique, s’enfonçant sous la peau d’à peine un demi pouce.

« Mais qu’est-ce que… »

C’est incompréhensible, il a pointé pour tuer d’un seul coup, pourtant !

Il éventre un peu plus le tissu, cherche sous la tunique, s’étonne de trouver encore une couche d’habits, chemise et braies modestement nouées, puis enfin, la peau à nouveau. A chaque mouvement de ses doigts qui le découvrent, le chrétien a un gémissement de bête blessée, les yeux ouverts en plein ciel, bleus et pâles qui ne le regardent pas, ne paraissent rien reprocher à l’homme qui a pourtant voulu écourter sa vie, il halète faiblement, attendant sans doute qu’il ait achevé son examen, ou que la mort l’emporte.

« Va me chercher de l’eau ! » ordonne Chokri, énervé de sentir sur ses épaules le regard avide de Fahd, pressé certainement de prélever sur le cadavre son présent pour son père. Il devine un début de protestation qu’il coupe immédiatement d’un grondement - la panthère n’est pas le seul à pouvoir se montrer féroce.

« Tout de suite ! Il y a une outre attachée à ma selle, apporte-la moi. »

Il espère que l’injonction suffira, même s’il lui prend une envie de le gifler encore, la chaleur du baiser estompée, ses sens recouvrés, sa fureur latente…

Le grommellement sourd derrière lui lui apprend qu’il a eu raison, et aussi qu’il s’abuse à chaque fois qu’il oublie que, sur bien des points, Fahd est un toujours un gamin, dangereux, cruel et séducteur, mais rien de plus qu’un enfant terrible dans une enveloppe d’homme fait.

« Allah m’est témoin que je ne te souhaitais pas de douleurs inutiles. » souffle-t-il au garçon allongé, la gorge et la poitrine entaillées. « Il est parfois utile d’abréger une existence, mais tuer peut se faire proprement… » poursuit-il, entendant son compagnon un peu plus loin qui peste contre son cheval. « Et à présent, voyons si c’est ton dieu qui a retenu mon bras… »

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Ouadid déteste ce pays et ces gens. Il y est né, pourtant, et sa mère servait la très matoise Subh avant que le Victorieux ne l’attache aux bons soins de son très sage maître, mais il sait lire - son maître y a tenu dès qu’il l’a fait tout tendre encore son serviteur personnel - et il connaît les histoires de l’autre terre, d’au-delà la mer bleue, où les sables sont d’or, les arbres chargés de fruits divins, et où les gorges des femmes laissent s’échapper des cascades de chants plus purs que ceux des passereaux et sont douces et sucrées comme le miel le plus ensoleillé.

On dit aussi qu’elles sont fines et rapides comme les gazelles, qu’elles emmêlent leurs cheveux de nuit de gemmes très précieux pour briller à la lune d’un éclat fabuleux qui attire sur elles les regards des hommes. On dit que quand elles aiment, c’est le désert qui s’ouvre pour loger dans sa sécheresse une fertile moiteur d’où naissent des oasis. On dit beaucoup de choses sur le bled, on ne parle jamais plus des morts. Ca doit être parce que le puissant Al Mançour s’est attribué tous les cadavres de ce monde qu’il n’en reste plus pour l’autre, pense-t-il, en frôlant de trop près une nuée de mouches.

Il a vraiment très soif !

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Sous l’épaisseur des toiles diverses, Chokri a trouvé un cierge fendu en deux, la cire, peut-être, a glissé sur sa lame, déviant le chemin du cœur. Peut-être… Ou alors, c’est le cimeterre lui-même qui a choisi de causer une blessure quand il aurait dû frapper au plus profond, peut-être également…

Pour Chokri, ça peut vouloir dire que le roumi ne devait pas mourir aujourd’hui, ou encore qu’il ne devait mourir de sa main… ou du sabre de Fahd… Il y a bien trop de fils qu’il ne peut démêler, si c’est ainsi, ainsi ça devait être.

« Voilà ton eau ! Mais je te préviens, si c’est pour ce chien… » s’écrie Fahd en jetant l’outre à ses pieds.

« Hola, hola… du calme, mon ami ! C’est pour lui, oui, et c’est ton mort, donc c’est à toi à t’en occuper. » dit-il en se relevant, le sourire qu’il essaye de vouloir apaisant étirant doucement ses lèvres.

Il s’appuie un très court instant contre son front ébouriffé, respire la sueur fumée de ses cheveux, puis s’éloigne pour grimper à dos de cheval.

« Mais il vit toujours ! » s’exclame son compagnon au moment où il fait claquer ses rênes.

« Raison de plus pour lui donner à boire. » répond-il, achevant sa phrase par un « A ce soir, sur la route ! », avant de lancer sa monture au galop.

pg-13, fic originale

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