Titre : 13 000 cercles de séparation
Auteur :
ylgBase : Yoko Tsuno, La lumière d’Ixo
Personnages/Couple : Sŷhl, Khāny
Genre : drama
Gradation : PG / K+
Disclaimer : propriété de Roger Leloup, je ne cherche pas à me faire de sous avec.
Thèmes : «
Même les yeux fermés... » pour
31_jours (30 octobre '09) pour les 250 premiers mots ;
«
rayon de soleil » pour
Yuri_a_tt_prix pour les 2000 suivants.
Avertissements : flirte peut-être avec le mysticisme religieux, et avec le Syndrome de Stockholm ?
Nombre de mots : 2300
***
Même les yeux fermés, Syhl était capable de ressentir son environnement, savoir quels objets étaient à sa portée et quelles personnes l’entouraient. Clairvoyance accordée à quelques rares élus de Shyra, dit-on.
Simple vantardise, croyance erronnée mais instillée de bonne foi, pure réalité ?
De son temps dans l’équipe de Mŷrka, elle n’avait pas son pareil pour manier la polisseuse sans y perdre la vue. Plus tard, aux commandes d’un Korks, elle maniait les pires charges avec une aisance déconcertante. Las, la seconde vue et la bonne santé ne vont pas forcément de pair, et quand le corps faillit, quand la main perd son efficacité, l’œil seul ne peut plus rien. Sa seule volonté n’a pas su empêcher l’accident - difficile, quand on perd un moment toute volonté.
Même malade et affaiblie, elle pouvait, du fond de sa semi-inconscience, détecter et reconnaître la présence de Taïpy ou d’autres visiteurs plus rares à ses côtés.
En tout cas jusqu’au jour où débarquèrent les étrangers et les Vinéens. Pour une raison qu’elle n’arrive pas à s’expliquer, elle n’a pas su déceler le danger qui la guettait, ni même ne serait-ce que différencier l’aura des nouvelles venues à son chevet. Elle a senti une présence bénéfique, et même curieusement... familière, auprès d’elle, et il a fallu les démentis verbaux de cette étrangère pour qu’elle réalise son erreur.
Si elle avait su plus tôt combien profondément cette erreur était ancrée, et surtout quelle était la source réelle de cette erreur...
**
Sŷhl se réveille à la lumière. Des visages aimables se pressent autour d’elle. Sous la peau bleue normale, se dessinent des visages étrangement lisses, aux traits un peu exotiques. Et au-dessus de cela, des cheveux d’un blond clair brillant, une nuance devenue si rare sur Shŷra. Quand les hasards de la génétique la font ressortir et perdurer au-delà de l’enfance, on loue Shŷra pour le miracle de la personne bénie par la trace du soleil qui fait défaut à leur planète. Est-ce que ça y est, elle a transcendé son existence mortelle pour accéder au monde de lumière ?
« Chut, ne vous inquiétez pas. Tout va bien. L’on vous soigne. Vous serez bientôt rétablie. »
Autour d’elle, elle ne reconnaît rien. Les visages étrangers, les tenues et l’architecture tellement différentes de ce dont elle a l’habitude...
Non ! En un éclair, ses souvenirs lui reviennent : elle se trouve sur Vinéa ! L’étrangère l’a enlevée aux soins de Taïpy et aux glaces familières d’Ixo !
Ils s’en sont même pris directement à elle, constate-t-elle en voulant se redresseer : au lieu de sa familière tenue kork orange et mauve, elle se découvre affublée de blanc et d’un jaune orangé criard. Paniquée, elle porte la main à son front : au moins, le cercle de Shŷra est toujours là... mais que lui ont-ils fait ?
Une des filles aux cheveux de lumière explique, se voulant sympathique :
« Il a fallu vous dévêtir afin de vous soigner et l’on vous a fait porter une tenue standard, mais vous pourrez récupérer votre propre combinaison bientôt si vous le désirez. »
Sŷhl retombe, vaincue. Dans quel enfer est-elle tombée ? Sans s’en rendre compte, elle tiraille nerveusement le tissu dont on l’a vêtue.
« Quelque chose vous chagrine ? »
Un élan de colère la ranime - évidemment ! enfin, non, tout dans cette situation lui cause non du chagrin mais de la révolte ! - sans qu’elle arrive à trouver que rétorquer exactement pour clouer le bec à cette maudite fille qui ne se rend même pas compte, dans son ignorance, à quel point elle la blesse. Son poing se crispe dans la tunique, lui faisant reporter le regard dessus, et dissoudre alors la colère dans une étrange tristesse, rendant brusquement vrais les mots de son innocente tourmenteuse : la nostalgie la submerge.
« La couleur orange... si longtemps que je n’en ai plus porté. Plus claire que ma tenue réservée dans l’équipe Miroir. »
Indifférentes à sa mauvaise humeur, les soignantes continuent à traiter Sŷhl avec patience et respect. Comme elles ont soignés avec brio son corps brûlé par les rayons du combustible nucléaire, elles soignent de leur mieux son âme tourmentée.
Parties un peu par hasard sur le thème des vêtements, l’une commente légèrement :
« Je dois avouer que la forme de votre transmetteur de pensées m’intrigue. Une telle recherche esthétique, plus que fonctionnelle... sont-ils tous construits sur ce modèle, dans votre Cité ? »
Sŷhl hésite une demi-seconde avant de répondre fermement,
« Je ne divulguerai pas les secrets de mon peuple. »
Mais bizarrement, aucune des filles qui l’entourent ne relève sa défense.
« Sans entrer dans les détails du transmetteur moi c’est votre coiffure que je trouve mignonne. Personne ne se fait de mèches pareilles par chez nous.
- Oh. Vous devriez voir Mŷrka, alors... »
Cette fois, cela lui a échappé et elle ravale la suite de ses pensées, confuse. Que fait-elle donc, à sympathiser avec l’ennemi !
Elle n’a cependant pas le temps de s’en vouloir ; mise au courant de son réveil, l’étrangère -"Je m’appelle Khāny, je viens de Vinéa" - responsable de sa présence ici, est venue la rejoindre, et ne prétend pas la quitter.
Elle lui addresse un sourire forcé et des paroles convenues ; comme quoi elle est bien aise de la voir en pleine possession de ses moyens, etc.
Les soignantes la font passer sous son autorité :
« Vous êtes maintenant hors de danger et pourrez rentrer chez vous prochainement. Vous avez juste encore un peu besoin de repos, de reprendre des forces. En attendant, quand vous le voudrez, vous pourrez librement circuler dans la Cité ; Khāny vous guidera. »
Et ne la quittera pas d’une semelle, s’assurant qu’elle ne mettra pas les pieds dans un endroit interdit ou dangereux, qu’il ne lui arrive strictement rien.
Prisonnière sur Vinéa... Miraculeusement rétablie, n’accusant qu’une fatigue résiduelle, et la sensation désagréable de voir toute sa vie passée lui échapper :
À sa grande surprise, elle découvre finalement ici un cadre agréable à vivre. Trop, peut-être. Tout y est si facile ! Les gens ici ne s’en laissent-ils pas amollir ?
Et quelle injustice aussi : pourquoi ceux qui courbaient l’échine devant ce diable de Guide Suprème ont-ils une planète pareille, quand son peuple peine tant entre Ixo et Shŷra, dans la sueur, les larmes et le sang ?
Et pourquoi l’ont-ils soignée ? Par mépris envers les exilés, par culpabilité envers leurs privilèges ?
« Simple bienveillance. » Ça la dépasse !
C’est la première chose qu’elle demande à Khāny, plus comme une accusation :
« Pourquoi m’avoir arrachée à Ixo ?
- Pour vous sauver la vie. Quelle autre raison ? D’après votre ami, les vôtres étaient indifférents à votre sort, et lui-même impuissant à traiter votre mal. Disposant des moyens pour cela, aurions-nous dû vous laisser mourir ? »
La réponse convenue fuse :
« Plutôt donner ma vie pour Shŷra que vivre grâce à des Vinéens. »
Khāny est la première, depuis son réveil, à se montrer peinée par sa juste colère envers tout ce qui est vinéen :
« Le croyez-vous vraiment ? Et si vivre grâce à nous vous donne l’occasion de servir Shŷra plus longtemps et dans de meilleures conditions ? »
Sŷhl ne sait plus que penser. Dans l’absolu, c’est sûr qu’elle préfère ne pas être morte, et c’est peut-être un moindre mal de devoir la vie à cette fille-là qu’à Mŷrka ? ou peut-être pas... Mais quand même... On dit que c’est un honneur de donner sa vie pour Shŷra, mais agoniser des suites d’une irradiation, c’était atroce, et finir coulée dans un bloc de glace, ç’eut été triste.
Enfin, elle n’est pas morte, et la soignante affectée à sa garde l’entretient avec bienveillance, et cette Khāny veille de bien près sur elle.
« Alors maintenant, vous me gardez comme un otage ?
- Mais non ! Comme un être humain sur un autre, voilà tout. Enfin... »
Cependant Khāny se trouble :
« Il est vrai que j’ai laissé sur Ixo ma petite sœur et une amie très chère et que je tiens à les revoir saines et sauves rapidement, mais ça n’est pas juste pour cela. »
Elle raconte comment l’étrangère à la peau jaune a su jadis faire fondre sa carapace de glace et la convaincre de donner leur chance à tous ceux et celles qu’elle rencontrait, et comment maintenant, elle sent naître un lien nouveau qui veut la relier à elle.
« Avez-vous déjà eu envie de faire inconditionnellement confiance à quelqu’un ?
- Je ne crois pas. Plus depuis longtemps. Plus depuis que mon père a accédé à la fonction suprème. Taïpy... Taïpy a pris soin de moi depuis qu’on m’a transférée dans l’équipe des Korks, parce que je suis la fille du Grand Initié, et parce que je lui plaisais, aussi. D’ailleurs, il s’est plus occupé de moi que ne l’a jamais fait mon père. Je lui suis reconnaissante pour son tutorat, et je le considère comme un ami, le seul que j’avais sur Ixo, peut-être même le seul que j’ai vraiment eu de toute façon, mais... c’est tout. Il est comme un grand frère pour moi. »
*
Pour lui prouver sa bonne volonté, Khāny répond à toutes les questions qu’elle peut poser et ne s’offusque pas quand elle refuse de répondre aux siennes.
On ne lui cache rien, on lui explique tout ce qu’elle peut désirer savoir.
Par exemple, le soleil artificiel qui capte la lumière du soleil le plus proche ainsi que d’étoiles plus lointaine et la concentre en un seul faisceau ciblé, guère différent du rayon d’alimentation d’Ixo vers Shŷra, les différentes sources d’énergie artificielles que les uns et les autres emploient...
Comme elle s’est montrée fascinée par les coupoles de verre et le ciel bleu au-delà, la première fois qu’on l’a autorisée à quitter la section médicale et à se promener un peu !
On lui parle du maintenant ex-Guide Suprème, de sa tyrannie, de la manière dont il a fini et des efforts qu’ils fournissent pour le remplacer pour le mieux par un nouveau système. Cette femme ne lui cache pas que rien n’est gagné d’avance, que leur planète ne s’est toujours pas entièrement remise du cataclysme, que leur société renaît à peine et que beaucoup reste à faire pour s’y adapter - mais comme ses ancêtres, les premiers colons de Shŷra, ils font de leur mieux pour bâtir quelque chose qui marchera.
Sŷhl a du mal à y croire, mais où qu’elle porte les yeux, elle est bien forcée de constater que les gens autour d’elle vivent avec espoir et courage, dans l’harmonie. Cela ne ressemble en rien aux descriptions de l’enfer qu’on lui a serinées étant petites...
Tout ce en quoi elle a cru jusqu’ici, alors, était-ce faux ? Était-elle finalement aveugle, s’est-elle aveuglée elle-même, lui a-t-on mentin ? Les belles paroles sur la vertu du sacrifice, sur le miracle de Shŷra, ne rimaient-elles à rien ? Les qualités exceptionnelles qu’on lui prêtait, à cette pauvre Sŷhl heureuse de voir son papa élu et intronisé Grand Initié, pure invention ? Après tout, elles ne l’ont pas si bien aidée : elles lui ont attiré la haine de Mŷrka, et ne l’ont pas protégée d’un accident...
En pleine crise, Sŷhl rejette en bloc tout l’ancien système. Elle déteste son père, elle déteste encore plus Mŷrka. Elle en oublie même Taïpy si gentil avec elle - parce qu’elle était la fille du Grand Initié, dans les bonnes grâces de qui tout le monde espère entrer ! aurait-il fait attention à elle sans cela ; ne l’aurait-il pas lui aussi abandonnée à son sort ?
**
Un message de Yoko depuis Ixo vient tout bouleverser.
Pendant que Sŷhl coule une convalescence honteusement heureuse auprès de Khāny, découvrant, avec un émerveillement croissant, la surprise passée, la société vinéenne, un drame se préparerait sur Ixo, que Khāny peine à lui apprendre :
« He bien, Sŷhl. Que nos routes se soient croisées a peut-être un sens plus profond : vous souvenez-vous de cette conversation ?
» Si le fait que nous vous ayons sauvée sauve également Shŷra... »
(Tant que personne ne relève le fait que sans la présence des étrangers sur Ixo pour y causer par inadvertance une catastrophe, Shŷra n’aurait sans doute pas eu besoin d’être sauvée...)
Sŷhl s’effondre :
« Je suis une mauvaise fille... J’ai oublié les miens qui peinent tant sur Ixo, j’ai oublié ceux de Shŷra qui dépendent de leur labeur, et maintenant... »
Khāny l’entoure du mieux qu’elle peut, cherchant maladroitement à la consoler :
« Allons, vous n’y êtes pour rien. Et s’il est trop tard pour empêcher la catastrophe, nous pouvons en éviter les conséquences et réparer. Ayez confiance.
- Le ferez-vous vraiment ?
- Évidemment.
- Même s’ils refusent ? Les aiderez-vous de force ?
- Nous trouverons une solution. Vous nous aiderez à les convaincre, n’est-ce pas ? »
Sŷhl veut y entendre,
Je le ferai pour vous. Elle n’a peut-être pas tort.
*
Le moment du départ, précipité, rappelle à Sŷhl qu’il va falloir quitter Khāny. Même si cela veut également dire retrouver Shŷra, cette idée la déchire :
Shŷra, dans quel état... et sa vie sans Khāny, dont elle apprécie tant la compagnie finalement...
Une idée illumine alors Sŷhl : leur porter la vérité ! Khāny a raison : à elle de raconter Vinéa aux siens, leur dire combien ils se trompent et combien ils pourraient mieux faire, et comme il serait facile d’écouter les ambassadeurs des Vinéens venus les aider !
Le rayon de lumière nécessaire à la vie de Shŷra ne partira plus que d’Ixo à de si longs intervalles, il pourra venir de Vinéa et beaucoup plus souvent, et ça sera grâce à elle ! Et, elles ne se quitteront pas pour toujours, dans ce cas, elles se reverront aussi souvent qu’il le faudra pour la livraison de l’énergie solaire ?
Tout s’arrange donc pour le mieux !
Khāny sourit curieusement :
« Espérons-le. »
Sŷhl, emportée par son exaltation, n’en déchiffre pas la nuance.