Titre : Et à la fin…
Auteur : Lilou Black
Genre : Glauque
Fandom : Game of Thrones
Personnages : Cersei Lannister, Septa Unella, un cafard, plus mention de plein d'autres personnages.
Rating : PG-13
Disclaimer : Les personnages et l'univers sont la création de George RR Martin et nous devons l'adaptation pour la télévision à la chaîne HBO.
Notes : J'avertis les lecteurs sensibles sur la présence d'insectes rampants et la mention de cycles féminins. La traduction des deux vers des Pluies de Castamere est de Jean Sola et vient de la troisième intégrale du roman (A storm of swords) ou du je ne sais combien-tième tome de l'édition française intitulé les Noces Pourpres.
Faisait-il jour, faisait-il nuit, elle n’aurait su le dire. Depuis qu’on l’avait enfermée dans cette cellule dans les sous-sols du septuaire, elle avait perdu toute notion du temps. Sa vie n’était plus ponctuée que par les visites de cette horrible bonne femme répugnante qui la torturait et qui disait toujours la même chose.
« Avouez. »
Cersei avait appris à détester ce mot que la septa enrubannait parfois d’une phrase ou deux pour lui faire du mal.
« Vous avez faim, n’est-ce pas ? Alors avouez. »
Et elle repartait avec son assiette de gruau auquel la reine douairière, habituée aux mets les plus fins, n’aurait pas touché de toute façon. Du moins elle tentait de s’en persuader. Au fond d’elle, qui sait si elle ne se serait pas jetée sur la nourriture comme une pauvresse affamée, comme un animal, si tant est qu’on ait laissée à sa portée la gamelle de bois…
Elle se sentait malade. Son corps atteignait ses limites. Les privations la faisaient souffrir. Outre la nourriture et la boisson, le sommeil était devenu un luxe. Elle avait l’impression qu’à chaque fois qu’elle était sur le point de s’endormir, la porte de la cellule s’ouvrait en grinçant pour laisser entrer la septa et ses radotages.
« Avouez. »
Cersei avait mal partout. Ses épaules, son dos, ses jambes étaient perclus de courbatures. Le sol de pierre était dur, la paille rare et infestée de bestioles. En jetant un regard circulaire à sa prison faiblement éclairée par une petite flamme - sans doute destinée à lui rappeler la misère dans laquelle on l’avait jetée - elle vit un gros cancrelat ramper paresseusement sur un mur. Elle se raidit de dégoût et se blottit dans son coin. Les larmes menaçaient de couler mais la reine les refoula.
Non.
Elle était la reine. Elle ne pouvait pas se laisser aller ainsi. Elle avait gouverné les Sept Couronnes dans l’ombre de ses fils, comment pouvait-elle se laisser impressionner par un cafard ?
Elle comprit ce qui lui arrivait en remontant les genoux contre sa poitrine. Une crampe dans l’abdomen et cette sensation familière de souillure qu’elle connaissait depuis ses douze ans. Ce désagrément qui revenait tous les mois et qui n’avait cessé qu’à trois reprises, quand elle avait porté ses enfants.
Cersei Lannister, qui était femme avant d’être reine, avait ses règles.
Elle inspira profondément par le nez. Juste un petit instant, s’exhorta-t-elle. Les solutions pour garder un semblant de dignité étaient rares et aussi déplaisantes les unes que les autres. Laisser le sang couler et tacher l’affreuse chemise dont on l’avait affublée. La relever et s’asseoir fesses nues à même le sol. Ou alors…
Elle se redressa sur les genoux et, à quatre pattes, elle rampa jusqu’au tas de paille en s’efforçant de ne penser à rien. Surtout pas à ce que dirait le peuple s’il la voyait ainsi réduite à l’état d’animal, un filet écarlate dégoulinant entre ses cuisses. Elle saisit entre ses doigts une poignée de foin desséché et le secoua avec précaution. À son grand soulagement, aucun insecte n’en tomba. Elle retourna jusqu’à son coin de cellule et glissa la paille entre la chemise et sa peau. Ça grattait, c’était dégoûtant mais avec un peu de chance, le chaume absorberait son sang et sa déchéance serait un peu moins visible. Elle devait juste rester immobile.
Depuis le début de sa captivité, Cersei n’avait eu qu’une idée en tête, quitter sa geôle. Elle en avait oublié bien des choses que l’arrivée de ses menstrues ramenèrent à la surface de son esprit.
Elle n’avait pas pensé à sa mère depuis bien longtemps. La première fois qu’elle avait fleuri, c’était à la septa chargée de son éducation qu’elle avait du se confier. Si Lady Joanna avait encore été de ce monde, ç’aurait été bien différent, s’était-elle persuadée à l’époque. Sa mère aurait certainement fait preuve de douceur, aurait évoqué le mariage prévu à ce moment-là avec Rhaegar Targaryen, le beau prince d’argent dont Cersei s’était éprise comme une enfant sans l’avoir jamais vu. La septa s’était contentée de parler grossesse et enfantement et avait fait comprendre à la jeune fille qu’elle devait endurer la douleur en serrant les dents. La reine douairière se souvint avoir éprouvé, après se discours froid, une bouffée de haine supplémentaire à l’égard de Tyrion qui avait tué lady Joanna en naissant.
Dire que ce monstre est encore vivant quelque part, songea Cersei en serrant les poings. Il a tué ma mère, il a tué mon fils bien-aimé et il est toujours là…
Penser à Tyrion lui rappela Sansa Stark, cette stupide gamine qui avait essayé de mettre le feu à son matelas la première fois qu’elle avait saigné pour empêcher son futur mariage avec Joff. Peut-être, songea-t-elle, aurait-elle dû mieux traiter la jeune idiote mais sur le moment, elle n’avait guère eu le choix. Il s’agissait que Sansa marche au pas et lui faire comprendre que sa vie et son statut ne tenaient pas à grand-chose avait été la meilleure solution. Seulement, les humiliations et l’attitude de Joffrey à son endroit avaient éveillé en elle une fourberie latente, typique selon Cersei des gens du Nord. Le mariage avec Tyrion avait fait fleurir les graines que la reine avait elle-même semées et finalement, le nain infâme et la petite garce de Winterfell avaient tué son aîné, un garçon difficile certes mais qui restait avant tout son fils, le bébé qu’elle avait porté et mis au monde.
Elle aurait dû mieux surveiller la gamine ou empêcher son mariage. Finalement, réalisa-t-elle, les épousailles fomentées par son père avaient toutes été désastreuses. Joffrey et Margeary Tyrell. Puis Tommen et Margeary Tyrell. Tyrion et Sansa Stark. Elle-même et Robert…
Une crampe dans le bas-ventre lui coupa le souffle un instant.
Que Robert pourrisse en enfer.
Au début de sa captivité, elle avait parfois pensé à Jaime, mais en pure perte. Il aurait tout fait pour qu’on la libère et elle se plaisait à penser qu’il aurait tué le Grand Moineau en personne. Mais Jaime était à Dorne, elle l’y avait envoyé elle-même pour tirer leur fille des griffes des Martell. Qu’aurait-elle fait si elle avait su ? Aurait-elle choisi de sauver sa fille ou sa propre peau ? Elle l’ignorait et c’était aussi bien ainsi.
Qu’était-il advenu de ses pauvres enfants, finalement ? On avait assassiné Joffrey. Myrcella était en danger de mort, menacée par le frère et les filles bâtardes et ce serpent d’Oberyn. Quant à Tommen… il était cerné par des rapaces, des rapaces qui se faisaient appeler « moineaux ». Quelle plaisanterie. Les moineaux étaient inoffensifs. Depuis son arrivée à Port-Réal, Cersei avait perdu le compte de ces petits oiseaux devenus jouets entre les pattes des chats du Donjon Rouge. Elle en avait tant vu…
La clé tourna dans la serrure et la porte de la geôle s’ouvrit pour laisser entrer Septa Unella. Cersei serra entre ses jambes la poignée de paille déjà imbibé de sang. La soi-disant sainte femme avait à la main une cruche en bois et la reine savait déjà ce qui allait se passer.
« Avouez. »
Cersei ne dit rien.
Au début, elle avait menacé. Puis elle avait tenté la corruption. Elle avait même supplié, réclamé son roi de fils. Enfin, elle s’était tue. Elle se contentait de regarder la septa avec des yeux vides, les dents obstinément serrées. Cette fois-ci, elle alla jusqu’à ignorer sa visiteuse. Elle observa le cafard qui était toujours là, trottant sur le mur en agitant ses longues antennes. Elle entendit l’eau qu’on renversait sur le sol, puis la porte qui se refermait et le bruit de pas qui s’éloignaient. Quand le silence revint, Cersei observa la flaque d’eau. Elle en préleva un peu pour étancher sa soif, ayant appris tant bien que mal à s’y prendre pour ne plus avoir à laper comme un chien. Puis elle prit une autre poignée de paille dont tomba une punaise qui fila se clapir dans un trou de la cloison. Elle trempa le chaume dans l’eau et s’efforça d’essuyer le sang qui lui maculait l’entrejambe. La sensation, très désagréable, lui arracha une grimance mais elle se sentit un peu moins sale à défaut d’être plus propre.
Elle reprit sa position initiale dans le coin de sa cellule, les genoux remontés au menton.
Elle ne cèderait pas.
Le destin s’acharnait contre elle, ainsi que l’avait prédit la sorcière de Castral-Roc si longtemps auparavant, mais tant qu’il lui resterait des forces, elle empêcherait la prophétie de cette vieille folle de se réaliser complètement. Elle avait perdu un fils, ses deux autres enfants étaient en sursis mais ils ne mourraient pas. Jaime ramènerait Myrcella, elle sortirait de sa prison et reprendrait sa place auprès de Tommen qu’elle protégerait de tout son amour de mère.
Contre toute attente, la visite de Septa Unella avait réveillé sa combativité.
Après des jours de silence, sa voix était devenue rauque mais elle n’en fredonna pas moins les Pluies de Castamere, comme pour se souvenir de son identité et de ce qui faisait sa force.
Fourré d’or ou fourré de rouge,
Un lion, messire, a toujours des griffes.
Tout en chantant tout bas, elle suivit des yeux le cafard, ce compagnon d’infortune, et une pensée lui traversa l’esprit.
Toi et moi, nous survivrons. Les Autres peuvent survenir, le monde peut disparaître mais à la fin, il restera toujours Cersei de la maison Lannister et les cafards.