Titre: Bon retour
Auteur: drakys
Fandom: peacemaker kurogane
Personnage: tatsunosuke et tetsunosuke
Rating: G
Thème: set C - thème 7. mort
Disclaimer: kurono nanae, gonzo pour l'anime
Il revient avec la pitance quotidienne au petit logis miteux qu'il arrive de justesse à payer pour son frère et lui. Quand il entre, il retire ses sandales et marche sur les tatamis en évitant les endroits où la paille est la plus abîmée. Les marques d'usure ne font que lui rappeler trop cruellement qu'il n'a pas les moyens de les remplacer par des nouveaux.
"Je suis de retour, Tetsu!", annonce-t-il pour que son arrivée ne terrifie pas son cadet.
Personne ne lui répond, il n'y a que le silence lourd qui suit la porte de l'armoire qui claque, refermée vivement. Les yeux pleins de regrets, Tatsunosuke bouge les lèvres silencieusement: Bon retour, Tatsu! et elles s'immobilisent ensuite en un sourire triste. Il se rappelle d'autres Je suis de retour! auxquels son père ne manquait jamais de lui répondre sur un ton rieur.
Sa contenance manque de se fissurer et il serre les poings, enfonçant ses ongles dans les paumes. Il rallume le feu qui s'est éteint pendant son absence, y place deux chaudrons à demi-rempli d'eau et commence à préparer le maigre repas.
Il jette dans un les quelques légumes racines et un peu de poisson pris au marché sur le chemin du retour, mesure soigneusement le riz avant de le mettre à bouillir dans l'autre. S'il en reste après que son frère ait mangé, il préparera pour le lendemain des onigiris qu'il lui laissera pour son repas de midi.
"Tu peux sortir de là, tu sais", dit Tatsunosuke à son frère en sachant très bien qu'il demande l'impossible.
L'armoire reste obstinément close et l'aîné de deux frères baisse la tête, vaincu encore une fois. Pendant que l'eau pour le thé bout doucement, il ressort pour en puiser une nouvelle chaudière. Il revient et en place la moitié dans une autre et s'y lave sommairement, pour enlever la sueur du travail et redonner à son corps fatigué un peu de vigueur. Son regard croise celui abattu et amer de son reflet et il détourne les yeux.
Le ressentiment lui brûle le ventre et il jette un peu d'eau froide sur son visage pour se calmer.
La culpabilité lui serre aussitôt les tripes et ses jointures deviennent blanches quand il referme ses mains sur le rebord de la chaudière. La fatigue lui donne un vertige, mais il sait maintenant que c'est une faiblesse qui passe vite.
Il ferme les yeux.
"Pardon père, pardon mère", murmure-t-il avant de se relever pour retourner s'occuper du repas.
Il voudrait qu'ils soient encore vivants, parce qu'il n'est pas certain d'avoir la force nécessaire pour s'occuper à la fois de lui-même et de Tetsunosuke. Il replace un sourire sur ses traits fatigués et appelle son frère doucement.
"Tu viens manger, Tetsu?"
La porte de l'armoire reste fermée et Tatsunosuke passe une main sur son visage. Il s'agenouille près de l'âtre et prend le seul bol fêlé qu'il leur reste et le remplit de riz qu'il recouvre des légumes et du poisson bouilli. Il va le porter devant l'armoire et dépose les baguettes au bord du bol.
"S'il te plaît, Tetsu…", sa voix se brise.
***
Les jours passent tous pareils, tous gris malgré le soleil et le ciel bleu. Les semaines passent, toutes pareilles, toutes semblables malgré le temps qui se refroidit et les respirations qui viennent à être relâchées en fumée blanche dans l'air. Les mois passent, tous pareils, tous sans progrès, malgré tous les efforts de Tatsunosuke.
Il ne se rappelle de rien, lui.
Que sait-il au fond de l'horreur et du sang? Des cadavres et des flammes? Il n'a jamais pris le temps d'y penser, ni pris celui de faire son deuil. Il faut qu'il vive pour deux, qu'il travaille pour deux. Tout le reste en devient superflu.
Son corps est si épuisé par le dur travail physique de la journée que de retour chez eux, il ne pense plus qu'à dormir. Mais il s'occupe d'abord de Tetsunosuke avec toute la patience qu'il est encore capable d'avoir et il prépare les repas, celui du soir, celui pour le lendemain. Il nettoie la petite pièce scrupuleusement pour ne pas humilier sa fierté, le cœur lourd en voyant chacun des signes de la pauvreté. Il lave leurs vêtements avec application, les raccommode soigneusement pour qu'ils durent plus longtemps.
Quand il s'installe pour dormir contre la porte de l'armoire où Tetsunosuke est encore cloîtré, il n'a pas de temps pour un soupir et encore moins pour les regrets. Il a l'impression que son corps a oublié comment pleurer et dans ses souvenirs, le visage de leur père et celui de leur mère sont déjà flous.
Il ferme les yeux.
La fatigue est plus forte que tout le reste et sa conscience glisse dans le sommeil sans qu'il ait le temps pour supplier ses ancêtres de ne pas laisser Tetsunosuke errer entre la vie et la mort pour toute l'éternité. Il veut le voir sourire comme avant, l'entendre rire à nouveau.
"S'il vous plaît…", endormi sur ses lèvres comme toute prière.
***
Il fait rouler les boules du boulier sous ses doigts et un mince sourire illumine son visage. Un vrai sourire comme ses doigts au contact du bois lisse lui rappellent ce qu'il aime. Il ne sait pas où il trouve la force, mais il continue à étudier. S'il dort un peu moins, Tatsunosuke sait qu'il y arrivera. S'il devient comptable, il y aura sûrement enfin assez d'argent pour deux.
Il regarde le feuillet qu'il a récupéré depuis presque une semaine déjà et une résolution commence à prendre forme dans son esprit.
"Tu sais Tetsu", dit-il à la porte fermée. "Je crois que je vais me joindre au Shinsengumi."
Le silence lui répond et il baisse la tête, sachant très bien que c'est une idée qui a toutes les chances d'échouer. Ses yeux fixent le thé froid qu'il n'a pas encore bu entièrement et regardent son écriture serrée sur le papier devant lui, effleurent le boulier pour s'y immobiliser.
Il n'a pas le courage de rechercher autrement la vengeance.
Il n'a pas la force d'espérer vivre sa vie d'une autre manière.
Il veut retrouver un peu de cette paix qu'il connaissait avant que ses parents se fassent tuer. Il veut que Tetsunosuke redevienne un petit frère détestable, comme le sont tous les petits frères dont les parents ne se sont pas fait tuer.
"Si- si j'entre au Shinsengumi, on pourra peut-être retrouver ceux-", il hésite en remarquant l'œil qui l'épie depuis une fissure dans le panneau coulissant de l'armoire. "Ceux qui ont assassiné nos parents."
Il lui sourit, mais n'obtient aucune réponse.
Il ferme les yeux.
Juste un simple signe, c'est tout ce qu'il demande. Il ne sait pas ce qui est le plus dur du silence ou de ne jamais savoir si les efforts qu'il fait sont en vain ou non.
Le lendemain, quand il revient, son Je suis de retour, Tetsu! trouve un Bon retour, Tatsu-nii!
Il reste immobile, figé par le choc en voyant le visage de son frère encore rougi par les larmes, mais brillant d'un sourire pâle et courageux. Comme si dans ses paroles de la veille, Tetsunosuke avait enfin trouvé assez de réconfort pour arrêter d'être seulement un fantôme de lui-même.
Et il ne sait pas pourquoi il se met à pleurer ni pourquoi il tombe si lourdement à genoux devant Tetsunosuke et l'écrase dans ses bras. Il ne sait pas pourquoi il est si reconnaissant aux mains qui se mêlent à ses cheveux et à cette voix teintée de moquerie qui répète les paroles qu'il a déjà dites mille fois à son frère pour chasser les cauchemars:
"Ça va aller maintenant!"
(02 février 2007)