Titre de l’épisode : « Le Chant du cygne »
Disclaimer : HP & C° sont la propriété de Rowling (et de la WB).
Spoiler : toute la saga HP.
Avertissement : PG
Note 1 : La série d’Alexandre Astier, Kaamelott, m’a inspiré ce projet.
Note 2 :
Les cent premiers mots de cet épisode ont été écrits pour le défi « rideau » de la communauté
hp_100_mots.
Note 3 : Season et surtout serie finale. Dernier épisode (officiel) donc de cette fanfiction.
Personnages présents : Sirius Black, Regulus Black, Mrs Black + le portrait de Phineas.
Personnage vaguement présent : Mr Black.
Grimmauld Place
Episode 13 : « Le Chant du cygne »
*
Il dévale les escaliers, dégringole les marches. Entre le deuxième et le premier étage, il perd l’équilibre, glisse, manque de se fendre le crâne et se relève. Pas le temps de se rassurer, de respirer : la porte a claqué.
L’urgence est violente.
Plus que trois marches...
... il s’arrête.
Arrêt total. Arrêt brusque et nauséeux.
Le cache-serrure tourne encore sur sa vis. Les portraits quittent leurs cadres, les serpents sifflent, les candélabres oscillent, les rideaux volent...
... et retombent.
La porte a claqué et le silence est assourdissant.
Regulus inspire profondément : Sirius est parti.
**
- Alors, tu t’es décidé, gamin ?
Sirius a le dos appuyé contre le mur, juste à côté du cadre de Phineas. Il regarde la porte aux deux diables, mains dans les poches et jambes croisées.
- La baraque est peut-être magique, mais pour ouvrir cette porte, il faudra faire un peu plus que la regarder.
- T’as toujours été certain que je pourrais l’ouvrir.
- Comment ne pourrais-tu pas ?
Sirius se redresse et s’approche de la porte.
- Comment ne pourrais-je pas ?
Il observe la poignée en fer forgé. Elégante et compliquée.
- Mes parents m’ont abjuré, rappelle-t-il. Il y a un trou dans la tapisserie à la place de mon nom.
- Avait, gamin ! Avait.
Sirius hausse les épaules.
- Oh ! Ne fais pas comme si c’était rien d’autre qu’une chiure de doxy sur la pointe de tes pompes ! T’es un Black en bonnet d’uniforme ! Des orteils jusqu’aux oreilles.
- Hourra !
- Le cynisme te va mal au teint !
- Je m’appelle Sirius et je me transforme en chien : je suis né pour être cynique.
- Tu abois, gamin, tu abois, mais la porte ne s’ouvre pas.
Sirius grogne, Phineas n’est pas impressionné, alors Sirius sort la main droite de sa poche et saisit la poignée. Les diables ne tressaillent pas, le chien de fer ne le mord pas. Sirius appuie sur la poignée. Il sent la magie lui picoter l’intérieur de la paume, lui parcourir les doigts.
« Comme autrefois », songe-t-il.
Il y a un clic et le panneau de bois tourne sur ses gonds. Sans tambour, ni trompette ; sans grincement, sans couinement. Phineas hoche la tête, Sirius entre dans la pièce.
**
Ce fut au petit-déjeuner, entre la tarte à la rhubarbe et les toasts grillés, que Sirius fit sa grande annonce. On était le trois juillet 1974, cela ne faisait donc pas trois jours que le jeune sorcier avait quitté Hogwart et était en vacances auprès des siens, au 12, Grimmauld Place.
- Je voudrais avoir ma chambre, dit-il le nez dans son bol de porridge.
Regulus cessa de mâchonner sa part de tarte. Mr Black ne baissa pas son journal.
- Quand on veut quelque chose, dit Mrs Black, on l’énonce clairement. Sans chichi et sans porridge.
Sirius posa sa cuiller sur la table puis les deux mains, il se redressa et regarda sa mère, droit dans les yeux.
- Je veux une chambre.
- Tu as déjà ta chambre, dit Mrs Black.
- Je veux une chambre rien qu’à moi, précisa Sirius.
- Et que fais-tu de ton frère ? demanda Mrs Black.
Sirius haussa les épaules. Regulus avala. Mr Black tourna la page de son journal.
**
Des raies de lumière et de poussières percent à travers les rideaux tirés et entaillent l’obscurité. Tout est calme, silencieux, oublié. L’air sent l’humidité, l’ozone et... Sirius hésite, cherche, secoue sa mémoire sensorielle. Mais ne trouve pas.
**
Bien évidemment, on refusa d’accéder à la requête de Sirius. Et par « on », il fallait comprendre « Mrs Black ». Alors le lendemain, il redemanda. Et le surlendemain. Et le lendemain du surlendemain. Le ton de la demande n’était jamais le même : suppliant, exigeant, insolent, indolent. Tous les matins, on lui répondait : « Tu as déjà une chambre. » Et par « on », il fallait comprendre « Mrs Black ».
Puis, Sirius commença à dormir un peu partout. Là où il pouvait. Dans les chambres vides. On les ferma toutes les unes après les autres. Sur les banquettes. On leur jeta un sort d’hérissonnage. Sur les fauteuils. On fit de même. Ainsi qu’avec les bancs, les chaises et même les tabourets. Qu’importait, il restait les tapis !
Quand un matin, Mrs Black trouva son fils aîné, héritier du nom, recroquevillé sur le pas de la porte du 12, Grimmauld Place, elle sut deux choses. Premièrement, son fils ne cèderait jamais. Elle aurait beau crier, menacer, punir, ensorceler, la volonté de Sirius ne ploierait pas. Deuxièmement…
- Sirius, tu es l’héritier des Black. C’est dans ta chambre que tu es le plus à l’abri.
- A l’abri de quoi ?
- Des sorciers qui te voudraient du mal.
- Aucun sorcier ne me veut du mal.
- Tu n’en sais rien.
- Je le sais !
- Tu es trop confiant, Sirius. Cela te jouera des tours !
Sirius haussa les épaules, l’expression butée.
- Est-ce que la chambre des Rhododendrons te conviendrait ?
- Si je peux la redécorer.
Mrs Black agita la main pour signifier qu’elle s’en moquait bien. Un grand sourire chassa l’air renfrogné que Sirius arborait depuis plusieurs jours.
- Cela est donc décidé.
Regulus, que jusque-là Sirius n’avait pas remarqué, quitta la pièce sans dire un mot. Mrs Black toqua deux fois contre le mur le plus proche.
- Je réclame l’attention de la très vénérable demeure de la famille Black. Il a été décidé qu’à partir de ce soir, Sirius Orion Black, dormira dans la chambre des Rhododendrons. Que la demeure entière prenne connaissance de cette information et agisse en conséquence.
La maison frémit et la nouvelle se répercuta de lames en plinthes, de photographies en peintures, d’elfes en fantômes. Sirius Orion Black ne dormira plus dans la chambre des Héritiers, bruissait-on des fondations jusque dans les combles.
**
Un feu s’embrase dans la cheminée, les bougies des chandeliers s’allument et, tout là-haut, le plafond - une coupole bleu-nuit -, se pique de points lumineux. Constellation après constellation, le planisphère céleste s’illumine. Les masses obscures qui occupaient l’espace deviennent des meubles.
Ici, tout fonctionne par deux : deux lits simples, deux pupitres élégants, deux armoires imposantes, deux coffres aux armatures solides, deux bibliothèques poussiéreuses et deux crochets auxquels suspendre deux capes. Aux pieds des lits, il y a même deux paires de petits chaussons élimés.
Sur les murs, il y a de vieilles cartes du royaume de Logre, des papillons chamarrés épinglés et des spécimens de fleurs séchées et aplaties. Rien qui ne bouge, rien qui n’ait d’yeux ou de lèvres. Pas de portraits. Aucune photo. Pas même un miroir.
Sirius tourne sur lui-même. Son regard vadrouille d’objets en meubles, de détails en ornements. Il se pose un instant sur une collection de figurines, s’arrête à peine sur un carnet resté ouvert, s’éternise sur une petite voiture et s’ancre finalement sur des lettres d’or. Au-dessus de chacun des deux lits, gravés avec élégance, il y a un nom. Sirius Orion Black, pour le lit de gauche ; Regulus Arcturus Black, pour celui de droite.
**
- T’as pas pu t’en empêcher !
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Je parle du fait que t’as demandé à avoir ta chambre.
- Et ?
- Il faut toujours que tu fasses ce que je fais.
- Vraiment ?
- Vraiment !
- Alors pourquoi mon blason est vert et argent ?
Parce que t’es rien qu’un fils à maman.
Parce que tu n’as pas de personnalité.
Parce que tu as toujours voulu ma place.
Parce que t’es qu’un sale traître.
Parce que.
- Parce que t’es qu’un gros naze !
Sirius renversa d’un coup de main rageur la carafe de lait sur les tartines de Regulus et quitta la salle à manger.
**
Sirius lève les yeux vers le plafond. Au-dessus de lui, Polaris brille intensément.
« Ça commence ! »
Les autres étoiles de la coupole s’illuminent. De petites lueurs rassurantes, elles deviennent phares intenses. Cela gagne les murs, descend jusqu’au sol, court sur le parquet. Des tracés compliqués, jusque-là invisibles, apparaissent, marbrent les cloisons, délimitent le sol. Des runes, des symboles, des sigles, des cryptogrammes. Des sorts, des invocations, des charmes, des prières. Toute une artillerie magique s’éveille et s’embrase.
Sirius ne bouge pas, respire à peine. Il attend. Il observe. Et retient l’émotion qui monte, qui grimpe, qui s’agrippe, qui enserre.
Les lattes du parquet tremblent, se désolidarisent, se dressent, s’étirent et s’assemblent. Un coffre est construit, juste sous les yeux de Sirius. Puis, des armoires, des bibliothèques, de tous les meubles enfin, des affaires s’échappent. Vêtements, livres, bibelots, jouets, tout vole pêle-mêle à travers la pièce et vient finalement s’entreposer dans le coffre. Dix-neuf ans et un peu poussière d’une vie. Le processus n'est pas terminé : les meubles s'agitent, les fenêtres s’ouvrent, les rideaux s’envolent. Les deux lits se rapprochent l’un de l’autre et se fondent en un seul. Et de même les bibliothèques, les armoires, les coffres. Tout ce qui était double se réunit et ne fait plus qu’un.
**
Regulus expire.
Il expire tout ce qu’il peut. Le cri qui monte et la rage qui comprime. Il serre les poings, les mâchoires, les yeux. Parce que la porte a claqué. Elle a produit une turbulence et Regulus se raidit pour affronter l’onde.
Il ne ploiera pas. Il ne s’effondrera pas. Il est résolu.
Regulus inspire.
**
Le feu des étoiles s’adoucit. Les cryptogrammes s’effacent. La chambre s’apaise.
Le couvercle du coffre retombe lourdement et tandis que la magie creuse et grave le bois, Sirius voit le nom de son défunt petit frère se déplacer sur le mur. Il disparaît derrière une armoire, reparaît, grimpe le long du montant de la porte qui mène à la salle d’eau, redescend. Peu à peu, les lettres perdent de leur éclat, de leur couleur. Et lorsque le nom de Regulus vient s’ajouter à une liste qui s’étale sur trois colonnes à l’entrée de la chambre, l’or est devenu bronze.
La liste, c’est celle de tous les enfants qui ont un jour dormi dans la chambre des héritiers. Pour la plupart, personne ne se souvient d’eux, mais la chambre continue de les célébrer. Sirius et Regulus ont passé de longues heures à inventer des vies à tous ces ancêtres, à fouiller leurs coffres à la recherche d’indices. Ils apprenaient la liste par cœur pour impressionner l’autre, ils récitaient les noms pour s’endormir.
Sirius ferme les yeux et dans un souffle, il récite. Il a oublié son Futhark, ne se souvient plus de tous ses camarades de promo, ne connaît plus les titres des romans de Verne qu’il a pu lire en cachette. Il n’est même plus sûr de la liste des jeunes filles qui l’ont laissé leur prendre un baiser. Mais la liste de bronze, elle est écrite en lettres de feu dans sa mémoire. Et maintenant, elle comporte un nom de plus
Regulus Arcturus Black.
Sirius songe que le nom prochain qui viendra s’ajouter à cette liste morbide sera le sien. Le dernier Black.
**
- Lestrange ?! Rosier ?! Bordel, Reg’, tu n’as donc pas deux mornilles de jugeote ?!
- C’est Regulus.
- Navré, votre petite majesté !
Regulus haussa les épaules et retourna à l’écriture de son parchemin.
- Et Snape ? Tu peux m’expliquer celui-là ?
- Et au nom de quoi je t’expliquerai quoi que ce soit ?
Sirius ouvrit la bouche, mais Regulus le devança.
- Et si jamais tu me dis que c’est parce que tu es mon grand-frère, je t’envoie l’Uranometria de Bayer dans la tronche. Tu m’as très bien fait comprendre qu’à Hogwart, toi et moi, c’était chacun pour soi et Merlin pour tous.
- Tu es un Slytherin.
- Et tu es un crétin.
- Regulus, je te préviens, si tu continues à fréquenter ces gens ton nom finira plus tôt que prévu en bas de la liste de bronze.
- C’est une menace ?
- Un pronostic.
- Occupe-toi plutôt de tes fréquentations, très cher grand frère. Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, il ne fait pas bon ces derniers temps de traîner avec des Sang-de-Bourbe. Maintenant, si tu me l’autorises, j’aimerais terminer mon essai d’astronomie. A moins que cela ne contrevienne trop à ton autorité d’aîné ?
**
Sur le couvercle du coffre, la chambre a gravé un oiseau aux ailes déployées. L’ouvrage manque un peu de finesse, la découpe est plutôt grossière. Les nervures et les nœuds du bois donnent du relief à l’oiseau, de la force à sa forme fragile et délicate. Bec, pattes, calotte et extrémités des ailes sont recouverts de bronze. Des clous figurent les prunelles et une couronne d’or coiffe l’oiseau.
Un roitelet, reconnaît Sirius.
**
- Putain, Reg’ ! T’as fini toute la confiture de prunes !
- Fallait te lever plus tôt !
- T’es vraiment qu’un enfoiré de Slyth qui ne pense qu’à toi !
- N’y aurait-il pas pléonasme ?
Sirius cligna des yeux.
- Si je m’en tiens à tes dires, un "Slyth’" est par définition un enfoiré et un égotiste.
Sirius terminait encore sa nuit, il avait le ventre grondant, il n’était pas apte à jouter verbalement avec son frère, alors il se contenta d’un flegmatique : « Ta gueule ! »
- C’est toi le chien, Sirius, souligna complaisamment Regulus.
- Ton bec, mon petit roitelet !
- Encore une fois, pléonasme ! soupira Regulus.
De querelles écorchantes, en mesquineries blessantes, les jours de vacances s’égrainaient. On était au milieu du mois juillet de l’année 1976. Dans quelques jours, Sirius se disputerait avec ses parents et quitterait le 12, Grimmauld Place. Il briserait sa baguette et claquerait la porte, sans hésiter, sans se retourner. Sans regretter.
**
Sans regretter ?
Sirius observe le coffre qui pétille encore de magie. Il effleure le bois du plat de la main, dessine du bout de l’index les sillons, tourne autour des rivets.
Sans regretter, vraiment ?
Sirius se redresse et se dirige vers la cheminée. Le coffre n’est pas complet.
D’un mouvement circulaire de la main, Sirius éteint le feu et s’accroupit dans l’âtre encore fumant. Il pose un genou dans la cendre, le pied dans les buches brûlantes, mais il s’en moque. Il compte les briques. La douzième en partant du sol, puis la troisième en partant du fond. Du bout de la baguette, il en dessine le contour. La brique se descelle et Sirius la retire à mains nues. Immédiatement, il sent l’appel d’air contre la peau de son visage. L’air, les couleurs, les sons, le rectangle obscur semble tout absorber, tout attirer dans son antre. Sirius y plonge le poing, puis le bras jusqu’à l’épaule. Il fouille cette poche taillée dans l’arrière-monde et finit par y trouver ce qu’il cherche. Lorsqu’il retire son bras, il a dans la main une petite cassette. Pléonasme.
Sirius replace la brique dans le mur et sort de la cheminée. Il époussette vaguement ses vêtements, se soucie assez peu de la suie qu’il a sur les mains et le côté gauche du visage. Il s’assied à même le sol, en tailleur, à une trentaine de centimètres du coffre dont il relève le couvercle. Devant lui, il pose la cassette à qui il rend sa taille originelle d’un coup de baguette.
Il a les mains qui tremblent un peu tandis qu’il soulève le couvercle du coffret et se sent un peu con pour ça. Et puis se dit qu’il ouvre le coffre aux merveilles de son petit frère avec qui il ne s’entendait plus et qui s’est fait tuer à dix-neuf ans par des salopards, alors il a bien le droit d’avoir les mains qui tremblent un peu. Et le cœur qui fait mal. Et la gorge qui serre.
« Et puis c’était aussi mes trésors ! »
Trésors. Le mot n’est pas exagéré. Des vinyles et des romans moldus. Une longue vue qui voit double. Des cailloux. Une corne d’abondance chargée en caramels mous. Des parchemins et des lettres. Un bouton de manchette et un mouchoir de dentelles qui sentait autrefois…
« La violette ! »
La violette, l’odeur qui flotte encore dans la chambre, qui lutte depuis vingt ans contre l’humidité, la poussière et l’oubli. Sirius sourit : non, ils n’ont vraiment pas usurpé leur titre de trésors. Il y a aussi quelques figurines et des cartes autrefois rares maintenant introuvables. Un livre sur la magie vaudou chipé dans la bibliothèque paternelle.
Et un ceinturon.
Sirius effleure les motifs, les reliefs, gorge nouée, cœur affolé.
Et il y a une lettre.
Pour Sirius.
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Regulus expire l’amour qu’il a un jour éprouvé pour son frère. L’admiration qu’il lui a un jour vouée. Tout s’envole et retombe en éclats saillants sur le sol dallé devant la porte qui vient de claquer.
Et il tourne les talons, remonte les marches quatre-à-quatre. Plus vite encore. Il se cramponne à la rambarde. C’est une course précipitée.
**
Sirius considère la lettre, indécis. Il la pose finalement à côté de lui. Pas tout de suite, pas maintenant. Pas encore. Il n’est pas prêt. Alors, il parcourt les disques, ses doigts voltigent de pochette en pochette. Et les souvenirs défilent. The Rolling Stones, the Beatles, the Who et surtout the Clash. Et d’autres. Sirius arrête son choix sur un album. Il sort avec précaution le disque de sa pochette et le dépose sur le tourne-disque portatif qui se trouve au fond du coffret.
La pointe du diamant tressaute, le son craque, soupire et brusquement la musique éclate.
**
Regulus entre dans la chambre et claque avec fureur sa porte. Oui, lui aussi peut claquer les portes. Sans un mot, sans un avertissement, sans un au revoir.
La rage le fait trembler de tous ses membres. La fureur. Il ne comprend pas bien pourquoi tout cela remonte, d’où cela vient, pourquoi tout est si violent. Mais c’est là, qui l’étouffe, qui le sature, qui lui exsude par tous les pores de sa peau. Il ne sait pas comment l’expurger. Il aimerait connaître le sort d’apaisement qui change en une boule spongieuse tous les sentiments qui nous accablent un peu trop, prennent trop de place.
Mais il ne connaît pas la formule, il n’est qu’un petit sorcier de quinze ans que son grand frère vient d’abandonner. Soudain, il comprend bien mieux Romulus, Caïn. Au diable les Dioscures !
Au diable tout !
Regulus, d’un geste large, balaye tout ce qui se trouve sur son bureau. Les parchemins, les livres, les plumes et les réservoirs d’encre, tout valdingue. Le bruit, le tintamarre des objets qui tombent, se brisent, un instant calme ses nerfs. Un instant seulement, il en faut plus. Il s’essouffle alors à vider ses bibliothèques, ses étagères, ses commodes.
Il est forcé de s’arrêter parce que ses bras lui font mal, parce qu’il est en nage, que la tête lui tourne et qu’il titube. Parce qu’il n’y a plus rien à vider aussi. Il pourrait encore faire tomber les meubles, saccager la chambre de Sirius. Qui n’est plus sa chambre. Mais non. A quoi bon ? Sirius est parti, Regulus ne peut donc plus rappeler à son grand frère qu’il existe en le mettant en colère.
**
Sirius range tous les objets dans la cassette qu’il pose dans le coffre. Les vinyles importés à grands périls dans la demeure des Black. Le bouton de manchette d’un joueur de Quidditch adoré et vénéré. Le mouchoir de dentelle négligemment abandonné par la ravissante Constance Cinq-Cygnes. Une corne d’abondance achetée à force d’épargne. Des cailloux soigneusement choisis et ramassés à Stonehenge. Une longue vue qui servait à espionner Amelia Baker, la jolie voisine de vingt ans. Et le ceinturon de Mr Black.
Sirius s’appuie contre le montant du lit, étend les jambes, pousse le volume du tourne-disque et décachète l’enveloppe.
Sirius,
Quand tu liras ces lignes…
**
Regulus contemple un peu abasourdi le chaos qu’il a provoqué. Il se sent particulièrement fautif d’avoir saccagé la bibliothèque. Mais surtout honteux de s’être ainsi laissé déborder par ses émotions. Pour son traître de frère, qui plus est. Et pourquoi est-il surpris ? Ce n’est pas comme si c’était la première fois que Sirius l’abandonnait, le trahissait pour d’autres.
Regulus soulève un coin du tapis, retire deux lattes du parquet et sort de sa cachette un tourne-disque et quelques vinyles.
Le vinyle tourne sur la platine, le diamant tressaille, le son craque, il y a un soupir et une levée de batterie. Regulus pousse le volume. Encore. Jusqu’à en faire vibrer les enceintes.
Il est assis aux pieds de son lit, le corps exténué, les yeux grands ouverts. Il a soudain l’idée que pour compléter le tableau, il faudrait qu’il allume une cigarette. Avec sa main meurtrie et sa gueule défaite, cela serait du plus bel effet. Mais évidemment, il ne fume pas. Parce que Sirius lui a toujours promis qu’il lui démolirait la tronche s’il commençait.
Il s’y mettra demain.
**
Il y a des Regulus enfant plein la mémoire de Sirius. Riant. Criant. Pleurant. Boudant. Ironisant. Pontifiant. Tapant du pied, serrant les poings et les dents. Mentant effrontément. Consolant aussi.
Regulus est dans tous les souvenirs que Sirius garde de sa propre enfance. Parce qu’ils n’avaient que l’un et l’autre pour affronter les monstres de la vie. Faire front contre leur mère, contre leur grand-père, contre leurs cousines. Eux deux contre le monde. Leur monde.
Deux à hurler pour attirer l’attention de leur père. Deux à faire des bêtises : un qui fait le guet, l’autre qui se salit les mains. Deux à s’évader : un qui fait la courte-échelle et l’autre qui escalade. Deux pour rire et se battre et se détester et se réconcilier. Juste deux contre le monde entier.
Et puis ils ont cessé d’être deux et le monde est devenu soudainement plus vaste. Le front s’est fissuré, le monde en a profité pour s’engouffrer.
Sirius a des souvenirs de Regulus enfant plein la tête mais de Regulus adolescent, bien peu. Des silences hostiles. Un dédain ennuyé. Des piles de livres qui montent, montent…, des rouleaux de parchemin semés un peu partout et la porte de la bibliothèque fermée.
Vingt-deux ans qu’il n’avait pas mis les pieds dans leur chambre d’enfant. Il s’attendait à éprouver quelque chose d’aigu et de précis. Il s’attendait à se prendre dans la tronche et dans le ventre un tsunami d’émotions, un raz-de-marée de souvenirs. Rien de tout cela. C’est…
Sirius considère la chambre qui lui semble bien plus petite maintenant. Mais n’est-ce pas toujours ainsi ?
Ça n’a pas de nom, c’est multiple, protéiforme…
Sirius regarde les deux petites capes que des enfants bien habillés, bien peignés, accrochaient consciencieusement dès qu’ils entraient dans leur chambre. Bien sages. Bien dressés. Sirius était peut-être un peu moins consciencieux mais Regulus l’était pour deux.
Ça s’insinue, s’étend, ça tire, ça se déploie, ça monte et ça dégringole…
Alors Sirius augmente le son. Les enceintes protestent mais il n’en a que faire.
« Le roitelet est mort ; vive Regulus Arcturus Black ! »
**
The Clash - "London calling" FIN
Note 4 : Regulus veut dire "roitelet" en latin. Un roitelet est un roi de moindre importance. C'est également
une famille d'oiseaux de petite taille.
Note 5 : A Dean et Sam Winchester, surtout. Mais aussi à Lincoln Burrows et Michael Scofield, à Dereck et Kyle Reese, aux Donnellys, à Nathan et Lucas Scott, à Kim et Théo, à Gohan et Goten, à Aiolos et Aiola, à Castor et Pollux. A Remus et Romulus. A tous ces frères qui avaient un connard de père, qui n’ont pas toujours su se dire combien ils s’aimaient. Et puis, bien évidemment, à leurs auteurs qui m’ont tellement de fois brisé le cœur et tant fait rêver.