[Fic] L'amour au temps des loups-garous, Thiercelieux, Voyante/Sorcière [d'Echolalie, pour Garopate]

Aug 02, 2023 13:10

Titre : L’amour au temps des loups-garous
Auteur : Écholalie (Participant.e 13)
Pour : Garopate (Participant.e 1)
Fandom : Les Loups-Garous de Thiercelieux
Persos/Couple : Voyante/Sorcière
Rating : K
Disclaimer : Les Loups-Garous de Thiercelieux appartiennent à Philippe des Pallières et Hervé Marly
Prompt : Voyante/Sorcière. Leurs pouvoirs faisaient déjà l'objet de rumeurs parmi les villageois; leur relation les alimente encore plus. Elles tenaient ferme malgré les épreuves, mais maintenant, avec les loup-garous qui sèment la terreur, les soupçons se glissent jusque dans leur bastion de tendresse... Je sais que ça "brise" la règle du jeu, mais j'aimerais qu'on joue sur la suspicion que l'une ou l'autre soit un loup-garou en plus de son rôle de base. Est-ce le cas? Est-ce juste la paranoïa qui s'installe ? A toi de voir!
Notes : J’ai adoré ce prompt et pris grand plaisir à y répondre. Espérons que ce simili Thelma et Louise sur fond de traque au loup-garou te plaise !


Des coups à la porte réveillèrent brutalement Anaïs alors que minuit était depuis longtemps passée et qu’il faisait encore nuit noire. Cela pouvait être une urgence, la Toinon n’était pas loin d’accoucher et elle lui avait fait jurer de l’envoyer chercher au premier signe de contraction. Mais cela pouvait être aussi les villageois soudain décidés à se débarrasser de la oh si dangereuse sorcière qui vivait à l’orée du village et pouvait à n’importe quel moment leur lancer un sort mortel.
Un peu nerveuse, Anaïs se leva et enfila rapidement une robe au-dessus de sa chemise de nuit. Camembert, son familier, feula quand elle se leva pour lui signifier sa colère de la voir ainsi l’abandonner. Ignorant le chat caractériel, Anaïs s’empara de son sac d’accoucheuse ainsi que d’un pied de biche et déverrouilla sa porte, déterminée à aider le nécessiteux ou frapper la première son agresseur, selon la situation qu’elle découvrirait de l’autre côté.
Un coup d’œil au judas ne la renseigna pas. Il faisait si sombre qu’Anaïs ne parvenait à deviner qu’une vague et frêle silhouette. Il ne s’agissait donc pas des villageois armés de fourches, sauf s’ils utilisaient un appât et se cachaient silencieusement contre le mur. Au cas où ils se révèlent plus intelligents qu’elle ne les soupçonnait d’en être capable, Anaïs leva bien haut son pied de biche et entrebâilla la porte.
La visiteuse s’engouffra aussitôt à l’intérieur, referma la porte et en remis le verrou avant de s’appuyer dessus pour tenter de retrouver son souffle.
-Claire !, s’exclama Anaïs. Tout va bien ?
Dans sa tête, elle voyait déjà les villageois aux trousses de Claire. Elle réfléchit à ce qu’elle avait le temps de jeter dans son sac si elle en enlevait ses instruments d’accoucheuse. Quelques vêtements, des provisions, un long couteau pour se défendre, ses herbes les plus rares, quelques potions qui pouvaient assurer leur fuite.
Claire saisit brutalement son bras pour l’empêcher de s’éloigner. Ses cheveux s’échappaient de sa lourde tresse. Ses yeux écarquillés ne semblaient pas tout à fait voir Anaïs. Ils étaient encore en partie fixés sur l’autre monde auquel elle avait parfois accès.
-Les loups arrivent.
-Quoi ?
-Les loups arrivent. Je les ai vus, comme une vague noire. Ils engloutiront tout sur leur passage. Il n’y aura plus de frères, plus de parents, plus d’amis, plus de voisins. Seulement des torches crachant une fumée noire et des crocs brillant à la lumière de la lune. Ils arrivent et vont tout emporter.
Elle tremblait. Anaïs déglutit et rouvrit doucement la porte pour vérifier que nul n’avait suivi Claire, loup ou prédateur à deux pattes. Rassurée de ce côté là, elle rentra dans la maison, ferma à nouveau le loquet, et ranima le feu dans sa cuisine.
-Tu ne me crois pas.
-Si.
-Tu ne me crois pas, je le sais. Personne ne me crois. Pourquoi le feraient-ils ? Qui croirait une femme qui dit voir des loups dans ses rêves et qui jure que le fils du meunier sera mort noyé avant les prochaines neiges alors que c’est le meilleur nageur du village ? Quand je dis que les moissons seront bonnes, on me dit que cela se voit au soleil radieux. Quand je dis qu’elles sont mauvaises, on m’accuse de vouloir jeter le mauvais œil. Quand je dis quelque chose qu’ils appellent de leurs vœux, tout le monde m’applaudit après coup d’avoir bien vu, mais si ce que je dis n’a pas l’heur de plaire, les portes se ferment devant moi. Je n’ai pas demandé à voir, moi. Je préférerais être normale.
-Claire !
La voyante cligna des yeux et se tut. Anaïs en profita pour placer dans sa main un verre d’hypocras à moitié rempli, et se servit à elle même une bonne rasade. Elle fut soulagée de voir Claire boire sans protester. Au bout d’une minute ou deux, elle cessa même de trembler. Anaïs finit le sien et alla remettre encore un peu de bois dans le foyer. Une chaleur dévorante se répandit très vite dans la masure, mais Anaïs continua quand même à rajouter du bois.
-Pardon, fit la voix de Claire derrière elle. Je sais bien que tu comprends ce que je vis. Ils te craignent comme moi.
-Ils me craignent différemment. Ils ont peur de ce que je pourrais leur faire avec mes potions. Ils n’ont pas peur que je vois leurs secrets.
-As-tu déjà eu peur que je vois les tiens ?
-Non. Je sais bien que tu ne peux pas voir tout ce que tu voudrais et que tu ne choisis pas toujours ce que tu vois. Et puis, mon seul secret, nous le partageons à deux.
Claire se leva pour la prendre dans ses bras. Anaïs répondit à son étreinte et l’embrassa doucement.
-Pardon, répéta Claire.
-Encore ?
-Pardon de t’avoir réveillée. Tu ne dors déjà pas beaucoup.
C’était clairement un reproche. Anaïs ravala la réplique qui lui venait à l’esprit. Elle n’avait pas le luxe de se reposer sur des visions pour savoir quand les villageois exigeraient qu’on la brûle et quand elle devrait fuir en abandonnant tout derrière elle. Ne pas voir était une bénédiction et une malédiction tour à tour, tout comme le fait de voir, et Claire le savait tout aussi bien qu’elle.
-Je crois que nous ne dormirons pas beaucoup les prochaines nuits.
-J’ai peur.
-Je sais. Ces loups que tu as vu, sont-ils loin ?
-Je ne suis pas sûre. Ils seront là la nuit prochaine, je crois. Celle d’après, tout au plus. Je dois avertir le village.
-Fais-le.
Claire s’écarta légèrement d’elle pour la regarder tristement en secouant la tête.
-Tu ne crois pas que cela sera utile.
-Je connais les villageois. Toi aussi. Tu va leur dire de se méfier des bois, mais ils iront quand même, pour chasser, pour pêcher ou couper du bois. Si tu es convaincante, s’ils t’écoutent un peu, ils iront à deux au lieu d’y aller seuls, mais deux hommes ne feront pas grande différence face à une meute. Et même s’ils t’écoutaient, les loups viendront les prendre dans leurs lits. Mais oui, dit leur. C’est ton devoir et si cela sauve une seule vie, tu dois le faire. Seulement, dès que ce sera fait, il faut fuir.
Claire s’éloigna tout à fait d’elle.
-Fuir ?, répéta-t-elle avec indignation.
Anaïs leva les yeux au ciel.
-Oui, fuir. Les loups arrivent. Ils tueront tout le monde s’ils le peuvent. Les villageois sont des idiots qui refuseront de le fuir, mais nous sommes des femmes intelligentes et nous avons bien été averties. Cherchons un autre village, hors de portée des loups. Nous pouvons nous installer n’importe où. Mes compétences de sage-femme et tes talents de tisseuse nous feront accepter partout, du moins jusqu’à ce qu’on m’accuse à nouveau d’être une sorcière qui cherche à ensorceler les jeunes filles innocentes et de les entraîner à vénérer Satan. Nous nous ferons passer pour deux sœurs, ou pour deux veuves. Nous serons plus prudentes cette fois à ne pas montrer notre affection. Nous serions en sécurité, autant qu’on peut l’être.
-Nous, peut être. Mais je ne peut pas partir quand tous ces gens ont besoin d’aide. Si avec mes pouvoirs je peux trouver les loups-garous, peut être que le village pourra survivre.
-Tout le monde sait que tu as des pouvoirs de voyance. Tu seras leur première victime.
-Je serais prudente, mais je dois essayer.
-Tu ne leur doit rien.
-Peut être, mais c’est mon village et je ne l’abandonnerais pas. Et avant que tu m’accuses de ne pas réfléchir, fais-le toi. Les loup-garous arrivent. Ils sont dans les bois. Tu veux vraiment fuir et courir le risque de tomber dans leurs griffes ?
Elle n’avait pas pensé à ça, en effet. Anaïs secoua la tête. Elles étaient effectivement coincées, avec une population qui s’affolerait très vite et trouverait facilement des coupables, même si ce ne seraient pas forcément les bons.
-Tu as raison. Il faut rester.
-Merci. Je n’y arriverais pas sans toi.
À nouveau, Claire se lova dans ses bras. Elles s’étreignirent un long moment, cherchant la force dont elles avaient besoin pour tenir le choc face à la menace qui s’apprêtait à déferler sur elles. Elles avaient déjà connu bien des épreuves, mais celle là serait probablement la pire. Anaïs avait envie de pleurer. Cela faisait des années qu’elle fuyait de village en village, poursuivie par de terribles accusations de sorcellerie. Anaïs était effectivement une sorcière, mais pas de celles qui tuaient les enfants dans le ventre de leur mère ou appelaient les insectes sur les récoltes pour les dévorer. Elle n’aspirait qu’à une vie calme et à utiliser ses potions pour faciliter la vie des femmes autour d’elle. Les gens ne lui en laissaient jamais l’occasion bien longtemps. Ils n’aimaient pas les femmes capables de réfléchir et craignaient qu’elle ne maudisse leur virilité.
En arrivant à Thircelieux, Anaïs avait voulu croire qu’elle avait trouvé un endroit où s’implanter. Non pas qu’elle fasse plus confiance à ces gens là qu’à ceux du village d’un côté, mais elle avait croisé le regard de Claire et était immédiatement tombée amoureuse de ce qu’elle avait lu dans ses yeux, et sa curiosité avait été renforcée lorsqu’elle avait découvert les pouvoirs de Claire. Leur amour naissant lui avait donné la force de supporter les rumeurs sur leurs pouvoirs, puis ceux encore plus outragés sur leur relation. Une rage soudaine la saisit au coeur. Pour la première fois de sa vie elle avait découvert le bonheur. Les loup-garous paieraient pour le chagrin qu’ils allaient infliger à Thiercelieux, c’était un serment.
-Je devrais partir, souffla Claire. Je dois prévenir le maire.
-Reste. Si tu le réveilles à cette heure-là, ce vieux bouc sera encore moins enclin à t’écouter et à te croire.
-Tu as sans doute raison. Mais…
Anaïs déposa un baiser dans le creux de son coup et déplaça sa main vers son corsage pour le dénouer.
-Reste. Il y a des nuits que je ne t’ai pas vu, et il va être dangereux de s’aventurer dans le village la nuit. Qui sait quand nous pourrons nous revoir ?
Ce dernier argument finit de moucher les protestations de Claire. Anaïs l’entraîna vers son lit tout en l’aidant à dénouer son propre corsage. Elles étaient toutes deux avides de sentir la peau de l’autre sous leurs doigts, avide de se prouver qu’elles étaient encore en vie et que demain, peut être, elles survivraient à la menace

Les lueurs de l’aube réveillèrent Anaïs alors que Claire dormait encore profondément. Les rides d’inquiétude avaient disparu de son beau visage, aussi la sorcière n’eut-elle pas le cœur de réveiller sa compagne. Par contre, elle devait se libérer des bras de Claire et se lever. C’était difficile. Elle aurait voulu rester toujours dans ces bras. C’était le seul endroit au monde où elle se sentait en sécurité, ce qui, bien sûr, était ridicule, bien sûr. Il n’existait aucun endroit sûr pour les femmes comme elles. Anaïs l’avait appris à ses dépends le jour où elle avait vu sa mère brûler vive après avoir été dénoncée par son propre mari. Jamais elle n’oublierait cette leçon, même si elle souhaitait que Claire n’ait jamais à le faire.
Sa compagne dormait si bien que Anaïs n’eut pas de mal à se glisser hors des draps. Elle retourna attiser le feu et ôta le chaudron de ragoût qui y mijotait depuis des jours. Le temps n’était plus à ce genre de cuisine. Avec des mouvements précis et mesurés pour ne pas réveiller Claire, Anaïs accrocha deux chaudrons de plus petite taille au-dessus de l’âtre. Camembert se rapprocha pour la conseiller dans le choix des ingrédients à utiliser, mais Anaïs n’avait pas besoin de cette aide aujourd’hui. Elle savait parfaitement ce qu’elle faisait, mais elle écouta quand même les conseils de Camembert avant de sortir le livre de recettes de sa mère pour vérifier certains détails.
Quand Claire émergea enfin, Anaïs venait de finir de lancer la préparation. Tout en retournant un sablier pour savoir quand démarrer la prochaine étape, elle s’approcha de l’unique table pour s’essuyer les mains.
-Je n’ai plus de place sur le feu pour préparer du gruau, mais j’ai du pain encore bon et quelques confitures.
-Non merci. Je n’ai pas faim ce matin, et il faut vraiment que j’aille voir le maire. Que prépare-tu ?
Elle jeta un coup d’œil curieux au feu, comme chaque fois qu’elle venait chez Anaïs quand celle-ci concoctait quelque potion. La plupart du temps, elle était déçue. Il était rare qu’Anaïs prépare autre chose que des tisanes pour les maux du quotidien des villageois. Quand elle avait besoin de préparer quelque chose de plus puissant, c’était généralement qu’il était temps de fuir carrément la ville plutôt que de perdre du temps à se mettre à la cuisine.
-Aux grands maux les grands remèdes, déclara-t-elle à Claire. Si je ne me trompe pas, ces potions nous serons d’une grande utilité avant que tout cela ne soit fini. Et ne t’inquiète pas pour moi, je sais ce que je fais. J’ai déjà préparé ces potions dans le passé.
-Il faudra que tu m’expliques, mais une autre fois. Le soleil est déjà haut et j’aimerais parler au maire avant que tout le monde ne vaque à ses activités dans les champs et à la forêt. Tu aurais du me réveiller.
-Quand un homme arrive en criant à la menace en vêtements de nuits, échevelé et non rasé, on l’applaudit d’avoir prit la menace au sérieux. Quand une femme fait la même chose, on lui dit qu’elle est folle. Je t’ai préparé une robe propre. Recoiffe-toi et marche à un rythme normal en allant le voir. Ne lui dit pas que tu as eu une vision. La moitié du village ne te croit pas quand tu le dis et on ne veut pas qu’un loup-garou comprenne que les rumeurs des villageois sur nous deux sont vraies.
-Si tu me prêtes tes robes, ils sauront que c’est vrai.
-Je préfère qu’ils hurlent à la corruption des mœurs en nous voyant plutôt qu’ils aillent chercher leurs fourches ou qu’ils aiguisent leurs crocs. Ment. Dis que tu as croisé dans les bois un voyageur qui fuyait son village détruit par les loup-garous et que tu n’as réussit à tirer de lui que la certitude qu’ils arrivent. Dis que tu n’es pas sûre d’y croire, mais que le bon sens invite à être prudent. Ment sur tout ce qui pourrait nous menacer.
-Je n’aime pas ça.
-Si cela nous permet de survivre, je suis sûre que tu y arriveras. Il va nous falloir être plus futée que tous, villageois et loups-garous, si nous voulons survivre. Fais-le pour moi, Claire. Je ne veux pas qu’il t’arrive du mal.
-Si c’est toi qui me le demande, alors oui.
-File maintenant. Je te verrais bientôt.
Claire finit rapidement de s’habiller, l’embrassa rapidement au coin de la bouche alors qu’Anaïs recommençait à couper ses ingrédients, et partit. Anaïs la suivit par la fenêtre, avec la désagréable impression que c’était la dernière fois qu’elles s’embrassaient. Elle ne priait pas souvent, mais pour une fois, elle supplia celui qui était là haut et celui qui était en bas de protéger Claire du mal. À l’un, elle promis qu’elle retrouverait la foi. À l’autre, elle jura qu’elle lui offrirait ce qu’il exigerait, fut-ce une autre âme.
Une fois cette précaution prise, elle reporta son attention sur ses deux potions. C’était un travail délicat qu’elle ne pouvait se permettre de rater. La première devait être surveillée en continu pendant trente heures et l’autre pendant quarante-six heures. Même avec Camembert pour la relayer quand elle tomberait de fatigue, Anaïs ne pouvait se laisser distraire.

Rien ne se passa le lendemain, à son grand soulagement, mais cela signifiait seulement que les loups-garous étaient encore loin ou qu’ils prenaient leur temps pour choisir qui infecter avant de commencer le carnage. Anaïs restait prudente, et concentrée sur ses potions. Claire semblait être elle aussi bien occupée à essayer de convaincre les villageois, car Anaïs ne la revit pas.
Les choses commencèrent à bouger au matin du deuxième jour. La masure d’Anaïs était à l’écart du village, mais alors qu’elle finissait de mettre en potion sa première bouteille, elle entendit clairement le cri strident venant de Thiercelieux. Anaïs finit calmement son travail pour ne pas laisser échapper une goutte, puis referma la fiole d’un bouchon et la glissa dans son panier, cachée parmi des tisanes plus traditionnelles.
-Veille sur le feu, ordonna-t-elle à Camembert. Retourne deux fois le sablier sur le mur avec ta patte quand il est vide, et glisse toi par la fenêtre pour venir me chercher quand il sera presque vide pour la dernière fois.
Camembert miaula son assentiment. Épuisée par sa longue veille, Anaïs se dirigea quand même vers le village. Elle ne fut pas surprise d’y découvrir une foule réunie sur la place du village, occupée à appeler au meurtre. Le maire avait du mal à se faire entendre par rapport à cette foule en furie. Anaïs chercha des yeux Claire et se glissa à côté d’elle.
-Qui est mort ?
-Thomas le jeune, le fils du pêcheur. Ils l’ont retrouvé sur le bord de la route, à moitié dévoré, seulement ceux qui ont fait ça sont arrivés sur quatre pattes et sont repartis sur deux pieds, les traces dans la boue sont formelles.
-Alors tout le monde sait que les loups-garous sont déjà là. Cela nous fait gagner du temps. Si tout le monde est là, nous pourrions juste regarder qui porte des traces de morsures et identifier les coupables.
Claire secoua la tête.
-Ça ne servirait à rien. À l’aube, tous les chiens du village sont devenus comme fous. Ils ont mordu presque la moitié des habitants du village pendant qu’on essayait de les calmer, moi y comprise.
Les loups-garous savaient parfaitement ce qu’ils faisaient alors. Anaïs frissonna. Claire elle-même pouvait faire partie des infectés et elle n’avait aucun moyen de le savoir. Il était vain d’essayer de contenir la menace avant qu’il ne soit trop tard. Tout ce qu’ils pouvaient faire, c’était de l’affronter avec des armes tout aussi implacables, et espérer survivre.
Anaïs regarda longuement Claire qui regardait avec tristesse les villageois s’écharper entre eux pour savoir qui était coupable. Elle semblait elle-même. Si elle était une louve-garou, n’y aurait-il pas une lueur mauvaise dans ses yeux, quelque chose qui la désigne pour ce qu’elle était ? Anaïs ne voyait rien de tel. Les yeux de Claire n’avaient jamais été capables de lui mentir, mais en irait-il de même si la malédiction des loups l’avait touché ? Anaïs pouvait-elle prendre le risque ?
Les cris de colère des villageois montèrent encore d’un cran. Ils désignaient quelqu’un maintenant, Marie la Rousse, la fille du forgeron. Tout le monde savait que Thomas le Jeune allait souvent lui conter fleurette à sa fenêtre la nuit, et un voisin avait entendu un bruit de tissu, comme si quelqu’un s’était glissé dehors en robe et était rentré de la même manière un peu plus tard. Et si Thomas le Jeune n’avait jamais atteint la fenêtre de Marie parce qu’elle s’était rendue d’elle même au rendez-vous, et qu’il n’y avait rencontré que la mort ?
Quelqu’un saisit brutalement le bras de la jeune fille, réclamant sa mort. Elle était livide, mais ce n’était pas plus un signe d’innocence que de culpabilité. Les loups-garous aussi craignaient la mort. Par contre, ce qui avait assurément guidé les soupçons vers la jeune fille, c’était sa beauté, la jalousie des galants qu’elle n’avait pas choisi, et surtout sa magnifique chevelure rousse. Les vieilles femmes et les sorcières seraient les prochaines accusées.
-Arrêtez !, hurla Claire.
Sans attendre de voir si ils l’écoutaient, Claire fendit la foule. Anaïs retint un cri de frustration. Des fois, elle se demandait si elle était la seule dotée d’un instinct de survie.
-Ce n’est pas une louve-garou, reprit Claire quand elle fut au centre de la place et tous les yeux tournés vers elle. J’ai rêvé cette nuit. Mon esprit est sortit de mon corps et j’ai vu le corps de Thomas le Jeune. Bien sûr, j’ai pensé la même chose que vous, mais mon esprit est allé chez Marie, et je l’ai vue, en train de dormir dans son lit. J’ai vu son aura autour d’elle, blanche et pure. Elle est innocente. Ce n’est pas une louve-garou.
-Ah oui ?, ricana un homme dans la foule. Et on doit te faire confiance parce que tu l’as rêvé ?
-Oui ! Je sais que c’est dur à croire, mais je dit la vérité.
-Et tu as regardé les auras du reste du village tant que t’y étais ? T’es rincée l’œil en nous regardant faire la bête à deux dos dans nos lits ?
Claire rougit.
-Non. Je me suis réveillé juste après. Observer les auras demande de l’énergie. La mienne était épuisée.
D’autres ricanements retentirent dans la foule, mais Marie la Rousse saisit la main de Claire et la baisa.
-Merci, sanglota-t-elle. Merci de m’avoir cru.
-Je ne crois pas, souffla Claire. Je sais.
Anaïs détourna le regard et s’éclipsa. Elle savait déjà comment la scène allait finir. Ces gens avaient trop peur pour écouter la voix de la raison, surtout quand celle-ci prenait la voix hésitante de Claire. La discussion reprit presque comme si Claire ne l’avait jamais interrompue. Un tel soutenait Marie en déclarant que les traces de bottes autour du cadavre étaient celles d’un homme, une telle répliquait en rappelant qu’une femme pouvait rentrer dans des bottes d’hommes, en les remplissant un peu.
Il était clair de quel côté penchait la foule. Marie la Rousse était condamnée.
Au moins, la parodie de procès ne dura pas longtemps. La foule cria son approbation, le boucher fut désigné pour accomplir le rôle du bourreau, on alla chercher quelque chose qui puisse servir d’arme pour exécuter la sentence, Marie supplia encore un petit peu et jura une dernière fois de son innocence, puis ce fut le silence.
Le corps aux pieds du bourreau était celui d’une jeune femme d’à peine vingt ans, alors que tout le monde savait qu’un loup garou décapité reprenait dans la mort son apparence bestiale. Les villageois avaient condamné une innocente. Anaïs était prête à parier que Marie n’était que la première victime de leur peur panique.
Elle s’éclipsa dans une ruelle voisine pour attendre Claire, en prenant garde de bien croiser son regard pour lui indiquer de la suivre.Quelqu’un cracha dans sa direction au passage. Elle entendit murmurer les mots de « traînée » et de « sorcière ». Nul doute n’était permis à présent. Si quelqu’un mourrait cette nuit, elle serait la prochaine à subir la vindicte populaire. À moins de se tromper fort, Anaïs connaissait donc la prochaine victime des loups-garous et celle des villageois. Triste perceptive que celle de la nuit à venir.
Rester seule avec ses pensées dans la ruelle n’était pas très agréable. Anaïs n’arrivait pas à envisager un avenir qui ne soit pas sanglant. Claire finit par la rejoindre au bout d’un moment, les yeux rouges. Après un instant d’hésitation, Anaïs la prit dans ses bras et la laissa sangloter tout à son aise.
-Peut être que la prochaine fois ils m’écouteront, finit par dire Claire après s’être mouchée.
-Peut être. Ou bien ils te soupçonneront d’avoir voulu sauver ta propre vie et d’être toi-même une louve garou.
Peut être en était-elle déjà une. Elle disait avoir été mordue par un chien. Un mensonge pour cacher une vérité inavouable ? Anaïs aurait du lui dire de rester auprès d’elle. Claire l’avait dit pourtant, que l’arrivée des loups-garous détruirait tous les liens existants dans le village. Anaïs avait été bien bête de croire que leur amour pouvait résister mieux que les autres. Rien ne survivrait au passage des loups. Sans doute qu’elle aurait mieux fait de garder sa potion pour elle même mais Anaïs était incapable d’envisager que Claire disparaisse avant le lendemain, coupable ou innocente. Elle fouilla dans son panier et en tira la fiole qu’elle avait fini de préparer le matin même.
-Prends ça.
-Qu’est-ce que c’est ?
-Une potion de protection. Si tu la bois, aucun mal ne pourra t’arriver dans la nuit qui suit. Les crocs rebondiront sur ta peau, les poignards ne perceront pas ton cœur. Bois-la, au crépuscule. Ils savent que tu les pistes. Ils viendront pour toi.
Claire ouvrit la bouche pour protester. Sans l’écouter, Anaïs referma ses mains sur la potion. Sur la place, le choc d’avoir tué l’une des leurs laissait à nouveau place à la suspicion. Claire et elle ne pouvaient vraiment pas prendre le risque d’être vues ensembles à présent. Anaïs s’éclipsa, rappelée par la nécessité de s’occuper de la préparation de sa deuxième potion, celle capable de tuer.
Et cette nuit, elle reviendrait à Thiercelieux.

Pour un village dévoré par la peur des loups-garous, Anaïs trouvait le village singulièrement actif. Derrière chaque fenêtre, on devinait la lueur d’une chandelle. Qui aurait osé dormir quand les loups-garous rôdaient ? Anaïs n’y parvenant pas, elle avait du mal à faire le reproche aux autres. Quelques habitants de Thiercelieux avaient formé une espèce de milice qui errait en tremblant dans les rues du village, les yeux fixés sur leur lanterne plutôt que sur les toits où des monstres pouvaient rôder sans bruit. Contrairement à eux, Anaïs n’était pas assez bête pour s’équiper d’une lumière qui l’aurait désignée aux mangeurs d’hommes.
Elle connaissait par cœur le chemin qui menait chez Claire. Même dans le noir, Anaïs n’hésita pas à un seul instant et ne dérangea pas une seule pierre qui aurait pu la trahir à des oreilles lupines. En chemin, elle croisa la petite Pierrette, collée contre un mur.
-Ne m’approche pas, souffla la petite. J’ai un couteau.
-Probablement volé à ta mère. Que fais-tu dehors ?
-Je cherche le loup-garou. Tu n’as pas écouté les contes que te disait ta maman ? C’est toujours les enfants qui gagnent face aux monstres.
-Le petit chaperon rouge a aussi été mangé par le grand méchant loup, je te rappelle. Rentre chez toi, petite. Je te ramène.
-Ils ne peuvent rien me faire, protesta Pierrette. Claire m’a donné une potion qui protège contre le mal.
-Elle a quoi ? Peu importe. Je te ramène chez toi.
Pierrette protesta bien un peu, mais elle finit par se laisser faire, au grand soulagement d’Anaïs, furieuse de devoir faire ce détour. Il y avait des loups-garous à Thiercelieux. Comment des parents pouvaient-il être assez stupides pour laisser des enfants sans surveillance, même s’ils étaient censés êtres bien sagement endormis dans leurs lits ? Au moins les parents de Pierrette avaient l’air déterminés à ne pas répéter cette erreur, mais ils lui lancèrent quand même des regards soupçonneux.
Furieuse d’avoir été ainsi détournée de son but par la bêtise d’une enfant, et surtout furieuse contre Claire d’avoir ainsi gaspillé son cadeau, Anaïs repartit vers la maison de son amante. À l’angle de la rue, elle se figea, terrifiée. Quelqu’un se tenait à l’ombre d’un arbre, en embuscade, les yeux rivés sur la fenêtre de Claire. Aucune lumière ne brillait à celle-ci. Soit Claire dormait et rêvait, cherchant à identifier les cœurs corrompus de Thiercelieux, soit elle était elle même en vadrouille à la recherche d’hommes à tuer.
Le plus silencieusement possible, Anaïs se glissa dans son dos. Le guetteur se retourna au dernier moment, mais Anaïs était prête. Elle déboucha sa fiole et plaqua la tête du guetteur contre le mur pour le forcer à avaler la potion en entièreté. Ce n’est qu’en le relâchant qu’elle réalisa à quel point elle avait eu de la chance. Le guetteur était nul autre que Petit Joseph, le fils du boucher, bien connu pour sa lenteur d’esprit et ses mauvais réflexes. Devenir loup-garou ne lui avait pas donné plus de facilités dans ces domaines. S’il était bien un loup-garou. Le cœur tremblant, Anaïs le regarda tomber à terre et s’agiter dans tous les sens, torturé par le poison. Enfin, le corps fut saisi d’un dernier soubresaut et cessa de bouger. Anaïs, elle, resta là les bras ballants, saisie d’effroi et de regrets. Le corps ne s’était pas transformé à la mort. Elle avait tué un innocent. Mais que faisait-il alors à regarder dans la direction de la chambre de Claire ?
Anaïs recula et retourna à son précédent poste d’observation, le cœur battant et les mains tremblantes. L’envie de vomir la saisit. Jamais elle n’avait été aussi peu sûre d’elle même et de ses décisions. Elle n’y comprenait plus rien. Elle aurait juré que Petit Joseph était un loup-garou et qu’il guettait une occasion d’entrer chez Claire, mais s’il n’était qu’un homme, elle ne comprenait pas ce qu’il faisait là. Était-ce qu’il soupçonnait Claire elle-même d’être une louve-garou ? Et il y avait aussi la question de la potion de protection que Claire avait donné à Pierrette au lieu de l’utiliser pour elle-même. Était-ce parce que Claire était une louve-garou et qu’elle avait savait ne rien risquer la nuit ? Avait-elle donné la potion pour protéger une enfant innocente que les autres loups-garous pouvaient être tentés de dévorer ? Anaïs hésita à monter à la fenêtre de Claire pour s’assurer qu’elle dormait bien dans son lit, mais elle ne voulait pas la réveiller si elle cherchait bel et bien les loups-garous dans le village et si elle n’y était pas… Anaïs préférait ne rien savoir, et tant pis si c’était lâche.
Aux premières lueurs de l’aube, en partie rassurée par le silence alentour, elle s’éclipsa pour aller s’écrouler dans son lit. Entre la préparation de ses potions et sa nuit de veille, elle manquait clairement de sommeil. Cela expliquait peut être bien au passage pourquoi elle était aussi anxieuse, voire paranoïaque à propos de Claire.

Les miaulements d’alerte de Camembert réveillèrent Anaïs en plein sommeil, alors que le soleil rentrait à flot par les fenêtres. Elle n’eut que le temps de bondir de son lit et de mettre un châle sur ses épaules avant que les villageois ne défoncent sa porte et ne l’assomment en l’agonisant d’insultes. Anaïs n’eut pas le temps de se défendre. À moitié inconsciente et ligotée, elle vit les villageois renverser ses fioles et mettre le feu à sa maisonnette en se félicitant d’en avoir ainsi chassé le démon. Son seul soulagement en voyant son dernier foyer réduit en cendre fut de voir Camembert sauter par la fenêtre et s’enfuir vers la forêt.
Une fois dans le village, leur avancée fut ralentie par les passants qui demandaient ce qui se passaient. Anaïs tendit l’oreille pour savoir ce qu’on lui reprochait exactement, outre la très vague accusation de sorcellerie et la ridicule accusation de dévergondage et de perversion sexuelle.
-Elle a tué Petit Joseph, cracha un des hommes qui la tenait pour répondre à la question d’une vieille femme. Séduit et empoisonné.
-C’est une louve-garou ?
-Peut être ou peut être pas. Mais elle travaille avec eux et avec le diable, pour sûr !
Quelqu’un cracha sur le front d’Anaïs. Une femme fit le signe de croix et détourna le regard. « Putain », cria quelqu’un dans la foule. « Elle baise le cul de Satan la nuit », hurla quelqu’un d’autre. Anaïs faillit leur rire au nez. Ils ne pouvaient pas l’accuser à la fois de coucher avec le diable et d’aimer les femmes. Qu’ils choisissent un crime !
Un regard croisé dans la foule lui ôta cependant l’envie de rire, celui de Pierrette qui la regarda passer en souriant. L’espace d’un instant, ses dents lui semblèrent trop aiguisées et il y avait un reflet jaune dans ses yeux. Anaïs déglutit avec difficulté. Les loups-garous se cachaient parmi les enfants. Et si elle accusait maintenant le petit monstre, personne ne la croirait. Anaïs avait gaspillé pour rien sa potion de mort.
Les villageois la traînèrent jusqu’à la petite geôle attenante à la maison communale et la laissèrent là dans le noir. Seule une ouverture au raz de la rue lui donnait un peu de lumière et amenait avec elle la rumeur gonflante des villageois arrivant sur la place pour exiger sa mort. Anaïs ferma les yeux et se laissa tomber le long du mur.
Sa mère avait été tuée comme ça. Et maintenant, c’était son tour.
-Anaïs ?
La voix de Claire la fit bondir sur ses jambes.
-Claire ? File-d’ici, je t’en supplie ! Ne te fais pas voir ici avec moi, ou tu seras la prochaine !
-Nous avons quelques minutes, répondit Claire en s’accroupissant pour passer ses mains à travers les barreaux et les lui tendre. Ils sont en train de se compter pour vérifier que tout le monde est là. Je me suis arrangée pour être comptée parmi les premiers.
Anaïs renifla avec mépris, mais s’empara avec soulagement des mains de Claire, si chaudes comparées au froid de la cave.
-Ils veulent être sûrs que la responsabilité sera pleinement partagée cette fois, déclara-t-elle avec cynisme. Nul n’est coupable de la mort d’un innocent si tous ont voté pareillement.
-Ils disent que tu as tué un innocent. Pierrette t’aurait vu le maudire et l’empoisonner.
Le doute était clairement audible dans la voix de son amante. Anaïs ferma les yeux et laissa la culpabilité l’envahir.
-C’est vrai. Je l’ai tué.
-Pourquoi ?, cria Claire dans un mélange de peur et de désespoir.
-Il regardait vers ta fenêtre. J’ai cru…
-Petit Joseph ? Il fait… faisait ça oui. Je croyais avoir réussi à le convaincre d’arrêter. Mais ce n’était pas une raison pour le tuer.
Si, ravala Anaïs, furieuse soudain. Ce genre d’homme ne se contentait pas longtemps d’observer. Elle ne regrettait plus de l’avoir tué.
-J’ai cru que c’était lui, le loup-garou, poursuivit-elle. Je me suis trompée. C’est Pierrette. Ses parents aussi, peut être.
-Pierrette ? Mais…
-Je sais, tu lui as donné ma potion. Elle cachait bien son jeu. Qui soupçonnerait une petite fille ? J’ai cru à l’inconscience de l’enfance. Ceux qui l’ont écoutée aussi. Personne ne croirait mes accusations. Je t’ai même soupçonnée, toi.
Le silence de Claire fut plus révélateur qu’un long discours. Elle aussi avait soupçonné Anaïs. Difficile de le lui reprocher.
-Pourquoi n’avoir pas utilisé la potion pour toi-même ?, demanda quand même Anaïs.
-Je… n’en avais pas besoin, confessa Claire.
Pas besoin. Anaïs arracha ses mains des siennes. Soudain, elle se sentait glacée.
-Je ne suis pas une d’entre eux !, protesta Claire. Mais ma mère… J’ai menti quand j’ai dis avoir vu l’aura de Marie la Rousse. J’essayais juste de la sauver. C’est ma mère dont j’ai vu l’aura noire en rêve. C’est une louve-garou. Elle a compris que je savais dès mon réveil et m’a menacé. Si je la dénonçais, c’est toi qu’ils déchiquetteraient la nuit suivante. J’ai juré de me taire si je découvrais l’identité des autres.
-Mais tu m’as quand même soupçonnée.
-Oui. Tu sais mieux que ma mère elle même en quoi consistent mes pouvoirs. Je me suis demandée… Tous les villageois pensent que nous sommes dangereuses. C’était tellement logique de mordre l’une d’entre nous pour assurer leur victoire… Peut être était-tu déjà des leurs et profitaient-ils juste de la faiblesse que j’ai pour toi. Pardon.
Anaïs s’empara à nouveau de ses mains et les serra en tremblant.
-J’ai pensé la même chose. Ne t’en veut pas.
-J’aurais du t’écouter quand tu as dit qu’il fallait fuir. Je ne peux pas condamner ma propre mère et ils ne me croiraient pas même si je pouvais leur apporter les preuves de ce que je dis, n’est-ce-pas ?
-Non, ils ne te croiraient pas.
-Et maintenant, ils vont te tuer.
-Oui.
-Si je pouvais aider, te permettre de fuir…
-Si tu le pouvais, tu devrais fuir aussi. Ils ne te laisseraient pas vivre après que tu m’ai donné ton aide.
-Je… je sais. Ils vont tous se massacrer les uns les autres avec leur faim et leurs soupçons. Je ne veux pas voir ça, et s’ils te tuent, je n’aurais plus aucune raison de vouloir les aider. Tu as un plan, n’est-ce pas ? Tu as toujours un plan.
-Oui. En es-tu ?
L’hésitation de Claire était encore une fois manifeste.
-L’autre jour, tu as dit que tu préparais deux potions. L’une était pour moi et tu as utilisé l’autre sur Petit Joseph, n’est-ce pas ? C’était du poison et tu as dit que tu avais déjà réalisé ses deux potions dans le passé. Cela veut dire que tu as déjà tué avant la nuit dernière ?
Anaïs ferma les yeux. Elle savait qu’elles en arriveraient là. Combien de fois avait-elle priée pour que ce jour n’arrive jamais ? Mais elle devait à Claire l’honnêteté, après toutes ces années de mensonge.
-Oui, j’ai déjà tué.
-Mais tu disais n’avoir aucun secret pour moi !
-J’ai menti. Pas de gaîté de cœur, mais j’avais peur de ce que tu penserais. J’ai tué par vengeance. Ma mère a été brûlée vive pour sorcellerie. Comme moi, elle créait des potions, la plupart utiles pour les villageois, mais certaines dangereuses. Celles-là, elle ne les utilisait jamais, ou presque, comme moi. Il n’empêche. Elle était crainte, mais tout le monde la trouvait trop utile pour s’en passer, du moins jusqu’au jour où les rumeurs ont commencé à courir. Elle sacrifiait des nouveaux nés, dansait nue avec le diable… et un homme a finalement apporté la « preuve » de ses méfaits. Cet homme, c’était mon père. Il voulait prendre une nouvelle épouse, plus jeune et plus belle, bien sûr, et il a prétendu que ma mère l’avait ensorcelé et qu’il venait de se libérer de son maléfice, par la Grâce de Dieu. Il s’est remarié dès que les cendres de ma mère ont refroidi. Alors oui, j’ai empoisonné son vin le jour de son remariage. Nul autre que lui n’a souffert et sa deuxième épouse peut me remercier. Elle est veuve et riche à présent. Un destin plus enviable que le mien ou celui de ma mère. J’avais peur que tu ne me comprennes pas, que tu me rejettes. Mais maintenant…
-Oui, souffla Claire. Je crois que je comprends.
-M’aidera-tu à fuir alors ?
-Compte-tu refaire un jour cette potion ?
-Je te répéterai ce que je me suis juré à moi même ce jour là. Seulement en cas d’extrême nécessité. Dans le cas de mon père, je ne comptais pas le laisser s’engraisser en attendant le jugement divin.
-Tu ne le feras plus. Pas sans m’en parler d’abord.
-Je te le jure.
-Quel est ton plan ?
Les villageois avaient laissé Anaïs s’enrouler dans son châle et elle s’y était fermement accrochée pendant qu’ils la traînaient jusqu’à Thiercelieux. Elle allait leur faire regretter de ne pas l’avoir fouillée. La mort de sa mère lui avait appris la prudence. Anaïs gardait en permanence cette potion à portée. Les villageois avaient eu de la chance qu’elle ait eu le temps d’enfiler son châle, ou ils auraient tous eu une grosse surprise quand ils avaient mis le feu à sa cabane. Anaïs passa la précieuse fiole à Claire, ainsi qu’une flasque d’huile.
-Attends qu’ils m’aient sortie d’ici, souffla-t-elle rapidement à Claire, consciente qu’elles n’avaient plus beaucoup de temps. Verse l’huile sur quelque chose d’inflammable, puis met toi à une distance d’au moins trente pas, débouche la fiole, lance-la dessus et fuit dans la direction opposée. Choisis quelque chose qui attirera l’attention de tout le monde et me donnera une chance de fuir. Je te retrouve à l’orée des bois.
Les mains de Claire s’emparèrent des deux fioles, puis elle lui sera une dernière fois le bout des doigts en une promesse silencieuse. Il n’était plus temps de parler à présent, mais d’agir.

Moins d’une minute après le départ de Claire, les villageois arrivèrent pour traîner Anaïs jusqu’à son supplice. Au moins, ils eurent l’honnêteté de ne pas lui mentir, en déclarant immédiatement que son bûcher était prêt. Anaïs ne sourcilla pas. Elle recevait de ces gens exactement ce qu’elle attendait d’eux et ne parvenait même pas à leur en vouloir de leur ignorance et de leur bêtise.
La place du village était tout près. Anaïs s’efforça de ne pas jeter trop de regards de côté en quête de la diversion de Claire, pour ne pas donner de soupçons à ses gardiens. Heureusement, son anxiété semblait leur faire plaisir et nourrissait leur envie d’une victime pour calmer leur peur. Anaïs n’eut donc pas vraiment à jouer la comédie.
Alors qu’elle commençait à désespérer, un grondement de tonnerre les fit tous vaciller et une gerbe de flammes s’éleva non loin, assez intense pour leur chauffer à tous les joues, même si un pâté de maison tout entier les séparait du bâtiment en feu, la grange, si Anaïs e se trompait pas. Elle sourit, satisfaite, et un peu impressionnée. Elle avait dit à Claire de créer une diversion, mais elle n’aurait pas cri son amante capable d’une férocité. Elle avait visé le pire bâtiment à détruire, donc le meilleur pour leurs plans.
-Le feu !, hurla Claire non loin d’une voix faussement angoissée pour renforcer l’impression qu’elle avait crée. Tout notre blé pour cet hiver !
La panique s’empara des villageois. La sorcière et ses poisons n’existaient plus soudain. La faim était un bien plus terrible cauchemar pour ces gens. La foule assemblée sur la place se mit à courir en cherchant des seaux. Le mouvement crée par la peur sépara Anaïs de ses gardiens. Elle n’attendit pas qu’ils retrouvent leurs esprits. Elle bénit la clairvoyance de Claire qui l’avait fait viser le bien le plus précieux des villageois et fuit dans la direction opposée à tout le monde, les bras toujours attachés, en chemise de nuit et pieds nus. Que les villageois ne se plaignent pas s’ils mouraient de faim cet hiver. Si Claire ne lui avait pas proposé son aide, Anaïs emportait la moitié du village avec elle en enfer dans une gerbe de flammes. C’était pour cela, après tout, qu’elle conservait en permanence cette potion sur elle, dans l’optique de fuir ou de se venger, selon les circonstances.

À l’orée du bois, Anaïs retrouva Claire, les joues rouges aussi d’avoir tant couru. Son amante se dépêcha de la libérer de ses liens et l’embrassa désespéramment. Anaïs y répondit avec la même ferveur, ne la relâchant que quand le besoin d’air se fit sentir. Elle avait vraiment cru perdre Claire et la vie. Les conserver toutes deux n’avaient pas de prix.
-Vite, supplia Claire. Partons avant qu’ils ne retrouvent leurs esprits.
-Suis-moi.
Sans lâcher la main de Claire, Anaïs la guida jusqu’à l’arrière de sa cabane dont il ne restait plus déjà plus que des ruines, le bois finissant de se consumer doucement, puis plus profondément dans la forêt, jusqu’ à un arbre mort. Camembert attendait là, sagement roulé en boule sur le sol. Soulagée, Anaïs fournit les caresses et remerciements exigées par l’animal, puis expliqua à sa compagne ce qu’elles faisaient là. À mains nues, Anaïs et Claire fouillèrent le sol, jusqu’à tomber sur une boîte en métal. Caché à l’intérieur se trouvait le double du grimoire d’Anaïs. Elle avait toujours pris garde d’en conserver un deuxième exemplaire, au cas où les choses sentent un peu trop le roussis. L’expérience témoignait qu’elle avait eu raison.
-Avec ça, tu va pouvoir retrouver ta vie d’avant, souffla Claire d’un ton soulagé, ta carrière de sage-femme.
-Oui. Nous pouvons nous installer dans un village et reprendre une vie normale, jusqu’à ce que les soupçons nous chassent. Ou bien…
-Ou bien ?
-Il y a des potions terribles écrites là-dedans, et d’autres qui rapportent beaucoup d’argent, parfois les deux. Nous pourrions en réaliser quelques unes, les vendre, et nous procurer des objets en argent pour plus être surpris par des loups-garous. Et une fois cela de prêt, nous pourrions partir à leur recherche et empêcher ceux qui survivront ici de faire plus de mal ailleurs.
Le visage de Claire se fit glacial. Elle hocha la tête et s’empara à nouveau des lèvres d’Anaïs presque avec violence, sellant par un baiser leur nouvel objectif. Plus jamais elles ne vivraient dans la peur des loups. À présent, c’est elles qui allaient leur apprendre à trembler.

pour:garopate, auteur:écholalie, fic, les loups-garous de thiercelieux

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