[Fic] Dame Araignée en son logis, Mythologie japonaise, Jorogumo [d'Echolalie, pour The Deep]

Aug 02, 2023 13:28

Titre : Dame Araignée en son logis
Auteur : Écholalie (Participant.e 13)
Pour : The Deep (Participant.e 15)
Fandom : Mythologie japonaise
Persos/Couple : Une Jorogumo, un samouraï
Rating : R
Disclaimer : les Jorogumo appartiennent à l’imaginaire japonais
Prompt : J'aime beaucoup les Jorogumo, ces araignées mythologiques japonaises. J'aimerais une histoire centrée sur l'une d'entre elles, ça peut aussi  bien être de la tranche de vie (sa relations avec ses araignées domestiques, etc) qu'une histoire d'horreur complète.
Notes : Merci pour ce prompt. J’avoue n’avoir que peu de connaissances sur les Jorogumo à la base, mais j’espère leur avoir rendu justice avec ce petit conte horrifique.


Il était quelque part dans le Japon des temps anciens une très vieille, très sombre forêt que les paysans préféraient éviter par peur de ce qui se cachait à l’intérieur. Par intérêt, mais aussi pour protéger les voyageurs peu informés, les paysans se proposaient volontiers pour guider les passants à travers les routes de montagnes qui faisaient certes un grand détour, mais permettait d’arriver de l’autre côté de la forêt en possession de sa vie et de tous ses biens, minus les quelques piécettes réclamées par le guide. De l’avis de tous, c’était la solution la plus sage. Le shogun lui-même, quoi qu’escorté par les samouraïs du pays, était de ceux qui se ralliaient à cette option.
Vint cependant un jour à passer un samouraï à l’air arrogant des guerriers de son espèce. Ses vêtements étaient des plus riches, et ses sabres portés à la ceinture à la manière d’un homme qui sait s’en servir et qui a déjà affronté de nombreuses menaces avant d’en triompher. Le samouraï n’était pas là par hasard. Il avait été chargé par son daimyo d’aller porter quelque message important au shogun. Devant cet honneur, le samouraï s’était rengorgé et s’était engagé à porter ledit message au plus vite, et même de rentrer avant les premières neiges. Hélas, l’hiver approchait à grand pas et promettait déjà d’être particulièrement froid. Le samouraï avait perdu du temps à se dégager d’une rivière en crue à cause des neiges automnales. À présent, il était déterminé à tracer à travers la forêt pour regagner le temps perdu.
En l’entendant ainsi parler, les habitants de l’endroit où il s’arrêta pour manger poussèrent les hauts cris et tâchèrent de lui faire comprendre les terribles dangers qu’il ne pouvait que rencontrer dans la forêt. C’était, disait-on, la demeure de yokai particulièrement féroces, qui n’aimaient rien tant que de se jouer des humains avant de se repaître de leur chair.
Le samouraï ne voulut rien entendre. Il n’y a pas loin entre la fierté et l’orgueil, et il s’était engagé trop avant auprès de son daimyo. Il craignait les rires et la honte qui l’attendaient s’il se retrouvait coincé par les premières neiges avant de pouvoir transmettre la réponse du shogun à son seigneur. De plus, l’idée de passer même une partie de l’hiver loin du confort chaleureux de sa demeure lui répugnait. Traverser la forêt devait, selon lui, lui faire gagner bien six jours de trajet dans chaque sens. Les superstitions des paysans n’étaient qu’une désagréable distraction de son objectif.
Les paysans soupirèrent et supplièrent un temps, mais ils comprirent qu’ils menaient une bataille perdue d’avance. Ils laissèrent partirent le samouraï, et se préparèrent à supplier le daimyo de les pardonner de ne pas avoir réussi à le retenir. Pour éviter un trop lourd châtiment, ils dépêchèrent même un messager pour l’avertir de la perte probable d’un de ses samouraïs et firent mander un bonze pour qu’il récite des prières devant l’entrée de la forêt et les protège de ses maléfices.

Le samouraï, lui, pénétra dans la forêt comme il l’avait décidé. Il fut frappé aussitôt par le peu de lumière qui pénétrait sous les arbres et par l’atmosphère qui y régnait, lourde et menaçante, mais il refusa de renoncer. Ne rencontrant pas la moindre âme qui vive pendant la première journée de son voyage, pas même un animal sauvage, le samouraï décréta qu’il avait eu raison et que si des yokai avait un jour vécu dans la forêt, ils l’avaient depuis longtemps désertée. Il fut tout de même suffisamment prudent pour dormir avec ses deux sabres dégainés, et en les tenant des deux mains.
Au matin, il était toujours en vie et nulle trace dans le sol indiquait qu’on se soit approchés de son campement. Pleinement rassuré, alors que l’absence de tout animal aurait du l’alerter, le samouraï reprit sa route. À présent, son hypothèse était que dans les temps anciens un groupe de brigands avait fait son repaire dans la forêt et propagé de fausses rumeurs. Les brigands partis, les rumeurs étaient restées. À son retour, lui et ses compagnons riraient bien haut de la superstition de ces paysans.
Le soir venu, l’optimisme du samouraï diminua cependant quelque peu, non pas à cause d’une quelconque menace toujours invisible, mais car une pluie intense s’était mise à tomber en début d’après-midi, le privant de quasiment toute visibilité. Après des heures à marcher sous des trombes d’eau, il réalisa qu’il lui fallait trouver pour la nuit un meilleur abri que le couvert des arbres.
Il le trouva en la forme d’une minuscule maison coincée entre un ruisseau et des rochers, tout juste assez grande pour héberger un couple de charbonniers. L’endroit semblait abandonné depuis des années, mais le samouraï toqua cependant à la porte avant de se permettre d’entrer. La porte grinça sur ses gonds, mais s’ouvrit pour dévoiler une unique pièce, capable d’accueillir deux lits et de positionner une table entre les deux pour le repas, à moins de tout replier pour disposer d’un espace de travail. Le mobilier était encore là, rongé par les vers et recouvert de toiles d’araignées, mais l’unique information qui intéressait le samouraï se dressait au-dessus de lui : un toit, intact, et tout disposé à le protéger de la pluie.
L’endroit était parfait, décréta-t-il, avant de faire la moue devant les toiles d’araignées qui envahissaient la masure. Les toiles montaient du sol jusqu’au plafond, formaient des vagues entre les poutres, et se croisaient et entrecroisaient si souvent qu’il était impossible de décréter où commençait l’une et où finissait l’autre. Il était clair qu’elles avaient bénéficié d’années entières pour prospérer.
Il n’y a pas de tâche ingrate pour un samouraï au service de son seigneur. En riant devant la menace terrible du jour, celui-ci dégaina son plus long sabre et il trancha, trancha les toiles d’araignées avant de les enrouler autour de son sabre pour les déloger plus à son aise. Terrorisées, les araignées se mirent à filer par dizaines sous la porte et par les interstices de la minuscule fenêtre. Le samouraï s’amusa à en écraser quelques unes, puis déclara que la victoire avait été remportée de dure lutte et s’attela à rendre l’endroit habitable pour la nuit. Quand il fut satisfait, il alluma un feu pour préparer son repas, ignorant les dernières araignées survivantes qui fuyaient l’une derrière l’autre.

Le bois, en fait, n’était pas aussi déserté que le samouraï s’en était convaincu. Il y a avait bien eu des yokai à se disputer ces bois dans les siècles passés, mais il n’existait désormais qu’une seule espèce à clamer ses bois comme siens. Une Jorogumo s’était installée là depuis longtemps, à l’époque où elle n’était qu’une minuscule araignée. Le temps aidant, elle avait grandi, grandi, jusqu’à être capable de se nourrir de petits animaux, puis de grands. Elles ne s’attaquait pas à ses semblables, mais en voyant la vitesse à laquelle elle grandissait et celle à laquelle ses enfants se multipliaient, les autres yokai avaient préféré quitté l’endroit les uns après les autres, laissant la Jorogumo seule maîtresse de la forêt. Si le samouraï avait levé plus souvent les yeux au lieu de chercher la menace au sol, il aurait vu les milliers de toiles qui reliaient les arbres entre eux et gardaient les bois captifs de l’obscurité.
La Jorogumo avait un repaire qu’elle se réservait à elle-même, une vaste grotte dont elle s’était fait un nid, mais elle aussi était tombée un jour sur la cabane abandonnée. L’endroit lui avait paru parfait, non pas pour dormir, mais pour servir de crèche à ses innombrables enfants. Chassées de leur logis chaud et confortables, les petites araignées se dirigèrent tout droit vers leur mère adorée pour lui raconter leurs malheurs.
À cette heure, la Jorogumo était occupée à tisser un cocon pour ses prochains enfants à naître. En voyant arriver la précédente portée les uns derrière les autres, elle arrêta son ouvrage et écouta leurs doléances. Inutile de décrire sa fureur en apprenant ce qu’un étranger avait fait à la chambre de ses petits. Cette douleur, n’importe quelle mère est en capacité de la comprendre. Ses huit pattes s’agitèrent en un terrible cliquetis. Son corps entier fut saisit de soubresauts. Sa bouche s’ouvrit sur un long cri de détresse.
Une fois calmée, elle appela quelques unes de ses fidèles suivantes. De grosses araignées se précipitèrent à son appel pour prendre en charge les toutes petites. Après les avoir enjoint à en prendre le plus grand soin, la Jorogumo demanda s’il y avait des volontaires pour l’aider à prendre sa vengeance sur l’impudent voyageur. Des dizaines d’araignées de tout âges et de toutes tailles se laissèrent glisser le long de leurs toiles pour se joindre à elle.

Une araignée géante, plus grande que la maison vers laquelle elle se dirigeait, quitta la caverne, des centaines d’araignées cliquetant sur son dos en réclamant vengeance, mais c’est une magnifique femme aux longs cheveux noirs fins comme des toiles d’araignées, au kimono d’un bleu profond couvert de grues dorées et portant tout contre elle un enfant dans ses langes qui vint à son tour frapper à la maison abandonnée.
Le samouraï ouvrit, surpris et inquiet, mais une grande partie de sa méfiance s’évapora en voyant la noble dame qui le regardait à travers le rideau de ses cils, ses cheveux et son kimono trempés répandant une flaque d’eau à ses pieds.
-L’orage nous a frappé mon escorte et moi alors que nous entamions la montée dans la montagne. Les chevaux ont paniqué, mon palanquin est tombé dans la rivière et ce n’est que de justesse que j’ai pu m’échapper à ses débris tandis qu’ils roulaient vers l’inconnu. Voilà des heures que je cherche mon escorte et je désespérais de la trouver avant de mourir de faim et de fatigue. Les kamis auraient-ils répondu à mes prières et mis un protecteur sur ma route ?
Le samouraï s’inclina, déjà captivé par les beaux yeux de la créature.
-Ce samouraï est en mission pour son daimyo, s’excusa-t-il, et ne peut perdre de temps à vous ramener à votre escorte. Mais peut être peut-il vous offrir sa compagnie jusque chez le shogun, d’où votre époux sera prévenu ?
-Je suis veuve depuis peu, soupira la femme. Mon enfant que voilà est trop jeune pour prendre possession du fief de son père. N’ayant ni frère, ni père pour nous protéger, je me rendais justement à la cour du shogun pour réclamer sa protection et lui demander de me confier des guerriers pour protéger mon fils jusqu’à l’âge de raison.
La Jorogumo cacha un sourire dans la manche de son kimono en voyant les yeux du samouraï briller sous l’effet de l’ambition. Il n’était pas marié et n’avait guère plus de fortune qu’un rônin. Déjà dans sa tête il s’imaginait marié à cette sublime créature avec le rang de protecteur de son domaine. Une fois un fils né, il serait toujours possible de s’arranger pour qu’un accident arrive à l’enfant endormi et que les biens de la veuve et de l’enfant atterrissent définitivement dans ses mains.
Tout en échafaudant ces plans, il fit part à haute voix de la joie qu’il éprouverait à accomplir cette tâche pour la veuve éplorée. Il s’écarta pour la laisser entrer et s’engagea à raviver le feu et à leur fournir toute la nourriture qui lui faudrait. Un éclair de rage brilla dans les yeux de la Jorogumo quand elle vit les dégâts faits à ses toiles et les cadavres de ses enfants sur le sol, mais le samouraï avait déjà le dos tourné. D’une voix mielleuse, elle remercia celui qu’elle nommait son sauveur, et le regarda raviver le feu.
-Souhaitez-vous manger d’abord, ou vous réchauffer, demanda le samouraï quand la chaleur revint dans la pièce.
La fausse voyageuse frissonna.
-Je suis glacée, murmura-t-elle d’une voix désolée, et mes vêtements sont trempés.
Le samouraï suivit des yeux une goutte d’eau glisser le long de son long cou blanc jusque dans les profondeurs de son kimono.
-Ôtez-les et laissez-les sécher prêts du feu, proposa-t-il. Je tournerais le dos et jure de ne vous importuner en aucune façon, sur mon honneur de samouraï.
Si la Jorogumo avait été femme, elle eut put le croire, si ce n’était la vibration de désir qu’elle entendait dans la voix du samouraï. Ravie de le voir si prompt à lui offrir les armes de sa vengeance et à lui présenter sa gorge, elle s’inclina pour cacher à nouveau son sourire.
-Pour enlever mon kimono, il me faudrait les mains libres, mais je répugne à laisser mon fils ramper dans la poussière après avoir été ainsi trempé par l’orage.
-Confiez-le moi. Je saurais en prendre soin le temps qu’il faudra pour vous réchauffer. J’en prendrais aussi grand soin que la lettre de mon daimyo.
-Soyez prudent alors, et laissez-le dormir. Le pauvre enfant a tout juste cessé de pleurer.
Comme à contrecœur, elle tendit alors le lange au samouraï qui l’accepta en s’inclinant et se tourna pour laisser à la noble voyageuse l’intimité dont elle avait besoin pour ôter ses habits. Sa gorge s’assécha aussitôt quand il entendit la soie glisser doucement sur le sol. Ce bruissement imaginait-il, c’était le lourd kimono brodé, celui-là l’obi qui se cachait en dessous, et celui-là… Combien de couches pouvait-elle porter, se demanda-t-il ? Combien garderait-elle sur elle quand il se retournerait, comme par mégarde ? Il semblait y en avoir tant. Le samouraï espérait qu’elle en garderait une ou deux, qu’il puisse finir de l’effeuiller. Le shogun ne manquerait pas de les marier, une fois qu’il aurait appris avec quel héroïsme le samouraï s’était démené pour ramener la veuve fortunée à la cour. D’ailleurs, il y avait moyen de forcer de telles alliances. L’honneur du samouraï devait parfois céder face à des considérations plus politiques.
-Comment va mon bébé ? Je le trouve très silencieux.
Le samouraï réalisa qu’une mort précoce de l’enfant briserait tous les plans qu’il était en train de se faire. L’enfant était effectivement trop silencieux pour un bébé ayant passé les dernières heures sous une pluie battante. Inquiet de le découvrir mort de froid, le samouraï releva le linge qui couvrait ses traits.
Il laissa tomber le lange à terre avec un cri d’effroi. À la place d’un bébé bleu de froid, c’est des dizaines, des centaines d’araignées qui surgirent de l’amas du tissus, certaines grosses comme le poing, d’autres à peine plus grosses qu’une fourmi. Dans une cavalcade effrénée, elles se mirent à filer dans toutes les directions, tissant toile sur toile et grimpant le long de ses jambes.
Le samouraï fit volte face pour fuir, plus blanc que la craie et se retrouva face au froid sourire de la Jorumogo. Son visage était toujours aussi gracieux, mais de sous son kimono qui représentait désormais non plus des grues, mais des araignées dorées, surgissaient un énorme abdomen d’araignée. Des toiles fines comme des cheveux mais tranchantes comme des sabres et brillantes comme de l’or en fusion occupaient désormais la pièce. C’est à ça que s’occupait la Joromugo pendant que le samouraï la croyait occupée à se dévêtir.
-Il ne fallait pas toucher à mes enfants, lui expliqua la Joromugo sans cesser de sourire. Elles sont si petites encore, si vite effrayées. Mes filles m’ont dit que tu as ri en tuant leurs sœurs. Maintenant, elles ont besoin de se nourrir pour conjurer leur peur.
Le samouraï voulut lever le sabre pour trancher net le torse et le cou de la yokai, mais son sabre était couvert de toiles solides comme des troncs d’arbres. Il voulu bouger, mais son torse et ses poignets étaient déjà pris dans la toile. Sur un geste de la Joromugo, son corps s’éleva au niveau du plafond tandis que les araignées continuaient à tricoter, tricoter leur cocon.
Conduites par leurs gardiennes, les toutes jeunes araignées repassèrent aussitôt le seuil de la porte pour contempler le spectacle et poussèrent des petits cris de joie. Avec un sourire indulgent, leur mère les invita d’un geste gracieux à venir profiter du festin.
Du samouraï, on ne voyait déjà plus que les yeux. Qui sait, peut être y est-il encore.

pour:the deep, mythologie japonaise, auteur:écholalie, fic

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