Titre : Des surprises du mariage
Auteur : Lorelei (Participant.e 18)
Pour : ArambaHortis (Participant.e 13)
Fandom : Raison et Sentiments
Persos/Couple : Elinor/Edward, Marianne/Brandon
Rating : K
Disclaimer : Raison et Sentiments appartient à Jane Austen
Prompt : Centré sur la relation des sœurs, qui communiquent sur ce que le mariage (peut-être la maternité pas obligatoire) change dans leur vie de tous les jours. Leurs doutes et leurs joies.
- Bonus, si crossover avec d’autres persos de romans de Jane Austen notamment Jane d’Orgueil et préjugés.
Notes : Merci pour cette belle occasion de mettre les pieds dans l'univers de Jane Austen ! J'espère que la tentative n'est pas trop pitoyable.
Le mariage était une chose fort surprenante. Invariablement, il semblait changer ceux qui étaient entrés dans cet état. Elinor en avait fait le constat depuis ses propres noces. Un an plus tard, la chose l'étonnait encore assez pour qu'elle s'interroge parfois sur le changement de caractère que cet état avait produit sur d'autres. Imaginer les Palmer ou les Middleton avant leur mariage était parfois pour elle une source de perplexité et d'amusement à mesures égales.
Lorsqu'elle pénétra dans les salons de Delaford pour la première fois depuis le mariage de Marianne, elle constata qu'il en allait de même pour sa sœur bien aimée. La nouvelle Mrs. Brandon était proprement rayonnante et Elinor ne se priva pas de le remarquer dès qu'elle s'écarta après avoir serré sa sœur dans ses bras.
-Ma foi, ce voyage de noces t'a fait le plus grand bien. L'air est-il si bon que ça à Bath ?
-Point autant que celui du Dorset. Elinor, je ne t'ai jamais vu aussi...
À court de mots, Marianne secoua la tête. Elinor se contenta de lui sourire en réponse et se laissa guider par Marianne jusqu'à deux fauteuils qui se touchaient presque dans un angle de la pièce. L'ouvrage de Marianne était déjà positionné à côté, signe que véritablement installée seulement depuis deux jours, elle prenait déjà ses marques dans sa nouvelle maison.
-Je t'attendais hier, reprocha doucement Marianne à son aînée. Tu as du voir passer la voiture.
-Je l'ai vu passer, et si ce n'était pas le cas, j'en aurait été informée par vingt bouches différentes. Il semblerait impossible que l'épouse du pasteur ignore quoi que ce soit. Toutes les commères de la paroisse se font un plaisir de me raconter ce qu'il me plairait d'ignorer. Il m'a seulement semblé préférable de te laisser le temps de te remettre de la route, et de t'installer véritablement. Le presbytère n'a pas la taille de Delaford, mais il ne m'en a pas moins fallu du temps pour tout agencer à ma convenance, et ce même en ayant pu donner mon avis presque tout du long du chantier !
Marianne fut obligée de convenir que l'ampleur de la tâche la laissait quelque peu abasourdie. Le colonel Brandon avait été très clair sur la question. Delaford était sien désormais, pour qu'elle en fasse ce qui lui plaise. La proposition avait tout à fait l'heur de plaire à Marianne, mais il y avait tant de pièces à remodeler à son goût que la tache semblait insurmontable. Rien n'avait été changé depuis que le colonel était entré en possession des lieux. Meubles et tentures avaient au moins vingt ans de retard sur les goûts de Marianne, lesquels étaient tout à fait à la mode. D'ailleurs, même si elle avait épousé un homme doté de deux mille livres de rentes, Marianne était à dix neuf ans nettement plus raisonnable qu'elle ne l'était à dix sept et ne souhait pas faire preuve de folies excessives qu'elle aurait tôt fait de regretter au premier changement de goût, ni ruiner son mari aussi rapidement. Il s'en chargerait bien assez tôt, ajouta-t-elle, s'il lui offrait à Delaford autant de coûteux présents qu'à Bath. Marianne avait même réclamé qu'il cesse de lui offrir des bijoux tant qu'elle n'aurait pas un peu profité de ceux qu'elle avait déjà reçu.
Elinor secoua la tête en camouflant bien mal son amusement. Que Marianne, jadis si passionnée et romantique, se montre à présent si raisonnable, d'abord dans son choix de mari et maintenant dans son rôle de maîtresse de maison, continuait à la surprendre malgré elle. Deux ans plus tôt, Marianne n'aurait pas attendu le retour de son voyage de noces pour commencer à réfléchir à la manière d'agencer le manoir à sa convenance. Elinor approuvait de tout cœur un tel changement d'opinion, mais quand Mariane se mit à soupeser l'idée d'attendre six mois avant de prendre la moindre décision, elle s'autorisa à lui rire gentiment au nez.
D'après son expérience, quand il s'agissait de travaux il fallait toujours se préparer à des retards. Si Marianne attendait six mois, rien ne se mettrait en route avant un an, ce qui la laisserait forcée d’accueillir cet été leurs relations soit dans une maison en travaux, soit dans une maison qui n'avait pas subi la moindre rénovation. Marianne devait choisir entre plusieurs mots. La sagesse d'Elinor lui fit immédiatement entendre raison à Marianne. Rien ne serait pire pour elle que d'entendre lord Middleton, Mrs Jennings ou Mrs Palmer lui donner des conseils amicaux sur le réagencement qui contreviendraient totalement à ses goûts avant de se lamenter qu'elle ne les ait pas écouté après coup.
-Si les travaux ont lieu cet hiver, nous pourrions en éviter en partie les inconvénients par de fréquents séjours à Bath ou Londres, reconnut-elle.
-L'idée est bonne. Le tout est de choisir quelles pièces rénover en premier. Ta chambre sans doute, et une pièce où tu aimerais recevoir ?
-Celle-ci alors. Il me semble qu'elle prend souvent le soleil et si on y déplaçait le piano depuis la pièce voisine et qu'on changeait les meubles et les papiers au mur, je crois que ce serait aussitôt ma préférée ! Je crois qu'il n'y a pas de vue que je préfère au rez-de-chaussée. Il faudra que j'en parle ce soir avec Christopher. Mais s'il dit oui, tu viendras avec nous, Elinor ? J'aurais un tel plaisir à te montrer Bath ! Ce n'était que le début de la saison, mais en plein hiver...
-Peut être t'accompagnerais-je, répondit Elinor en souriant doucement. J'en déduis que tu as prit plaisir à ton séjour là-bas ? Tout était-il conforme à tes espérances ?
-Tu sais que je n'ai guère goûté à notre séjour à Londres au temps où j'attendais désespéramment des nouvelles de Willoughby. Ce printemps-là m'a laissé en bouche un goût amer et je crois bien que je préfère mille fois une maison à la campagne. La société de Bath n'est guère différente de celle de Londres, toujours trop prompte à juger et se mêler des affaires des autres, mais j'y ait fait quelques rencontres, notamment celle d'une Mrs Bingley et d'une Mrs Darcy, deux sœurs qui te plairont je pense autant qu'à moi. Nous nous sommes promis de nous revoir à Londres cet hiver. Définitivement, il faudra que tu vienne ! Tu ne peux me refuser ça, Elinor.
-Nous verrons, ne put s'empêcher de sourire Elinor. Le mariage semble te rendre heureuse en tout cas.
Elle était impressionnée de voir Marianne assez intime avec son nouvel époux pour l'appeler par son prénom. Ce n'était pas un secret pour sa famille que Marianne avait épousé le colonel Brandon, non par dépit, mais par désir de se poser et d'avoir un semblant de la vie dont elle avait rêvé avec un homme qui l'aimait et la respectait autant que la vie elle-même. Le colonel le savait tout aussi bien qu'eux, mais s'était estimé capable de se contenter d'une sincère amitié. Toutefois, Elinor avait un peu craint que ce déséquilibre d'affection ne crée très vite un gouffre entre les deux nouveaux époux, tout en taisant ses craintes, pour le bien de l'un comme pour celui de l'autre. Elle était bien contente de réaliser qu'elle s'était trompée.
-Je suis plus heureuse que je ne l'aurais cru, confessa Marianne. J'ai cédé au désir général et parce que si je ne devais plus aimer de ma vie, je préférais au moins que ce soit en la passant auprès d'un homme bon et droit comme le colonel Brandon. Mais du jour où je me suis mariée, j'ai eu l'impression qu'un poids se soulevait de ma poitrine !
-Il en va de même pour moi, avoua Elinor en retour. Il est bon de savoir son avenir assuré.
-Miss Steele dirait qu'il doit être bien triste de ne plus avoir de « beau » pour nous suivre, mais je préfère être qu'une femme mariée qu'une jeune fille dépendante de sa parentèle pour accéder à la bonne société et devant se méfier du moindre faux pas qui pourrait la conduire au déshonneur, ou pire, à une vie de vieille fille, soumise au bon vouloir des parents qui acceptent de l'héberger.
Elinor approuva de la tête. Elle aussi avait vécu comme un supplice ces longs mois où trouver un époux était la seule solution pour éviter l'indigence ou un obscur emploi comme gouvernante. En comparaison, le mariage était un véritable bonheur. Elle ne se couchait plus en craignant pour son futur et, si elle craignait encore un peu l'avenir, elle savait pouvoir compter sur l'aide et l'amour de sa sœur ainsi qu'en son sens d'une gestion raisonnable des dépenses d'une famille.
Cependant, elle se rendait compte maintenant qu'elle recueillait les confidences des dames de la paroisse à quel point leur situation à Marianne et elle était enviable. Les deux sœurs avaient réussi le triple exploit de mettre la main sur des époux aimants, à peu près dépourvus de vices et capables de supporter le poids d'une famille. Bien des femmes ne sauraient en dire autant.
-Je suis bien aise de pouvoir décider de comment organiser ma vie domestique à ma convenance, reconnut-elle, et plus aise encore de ne pas avoir à gérer une maison de cette taille. La vie d'une épouse de pasteur n'est pas toujours facile, mais je suis chaque jour plus heureuse d'avoir épousé Edward. Après un an de mariage, je crois bien pouvoir dire que nous sommes très heureux ensemble.
En l'entendant parler de la sorte, Marianne ne put s'empêcher de mettre ses mains sur sa poitrine en feignant de recevoir un choc.
-Ma chère Elinor ! Se pourrait-il que le mariage t'ait changé à ce point que tu sois capable de proclamer tes sentiments devant moi ?
-Je sais que j'ai toujours été réservée, mais...
-Non, la coupa Marianne en reprenant un ton plus sérieux. Tu as été pire que réservée avec moi, au point que j'ai cru un moment notre longue amitié terminée. Tu me cachais tout et je ne te disais rien, quand que ce n'était pas le contraire. Je n'osais plus rien te dire, tant je craignais la sagesse de ton jugement et jalousais ce que je croyais être ton bonheur. Tu n'osais même déclarer ressentir plus qu'une certaine amitié pour Edward, à moi, ta plus intime confidente ! Mais l'Elinor que j'ai devant moi est une femme nouvelle, qui n'essaie pas de cacher ses sentiments. Je te demanderais bien qui en est la cause, mais...
-C'est toi, la coupa Elinor avant que Marianne n'ait pu prononcer le nom d'Edward. Tu avais raison, je me desservais moi-même en m'empêchant de parler de mes sentiments. Tu m'as aidé à me libérer de ce poids. Je tenais tellement à être raisonnable que je me faisais du mal à moi même. Mais il est vrai que le mariage m'a bien aidé à vocaliser ce que je ressent. Tu verras que le mariage est un partenariat fort différent du lien qui unit deux sœurs. Il n'y a pas entre Edward et moi la compréhension et l'intimité qui est naturellement née entre nous pendant que nous grandissions ensemble.
Marianne lança un long regard par la fenêtre. Pour lui laisser le temps de réunir ses pensées, Elinor se servit une tasse du thé qu'une servante leur avait amené.
-Vous vous aimez tant, Edward et vous, reprit enfin Marianne d'une petite voix. Vous arrive-t-il de vous disputer ?
-C'est inévitable, la rassura Elinor en prenant sa main. Qu'importe les ressemblances de caractère, deux esprits ne peuvent jamais s’accommoder sur tout. Edward est un homme que j'admire profondément pour sa droiture d'esprit, celle là même qui nous a si longtemps séparés. Son caractère le porte également à chercher l'harmonie en toute chose, mais nous nous disputons pour des pécadilles et sur des raisons plus sérieuses. Et à chaque fois, nous nous réconcilions grâce à ce respect et cet amour que nous partageons. Comme tu le vois, il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Ne nous sommes nous pas disputées à l'envie, toi et moi ?
-Mais une heure après, nous étions toujours réconciliées, soupira Marianne. Christopher et moi avons eu notre première dispute, je ne dirais pas sur quoi. C'était il y a huit jours et les choses sont toujours... tendues entre nous.
-Communiquez, c'est mon meilleur conseil. La première fois que je me suis disputée avec Edward, j'en ai pleuré une partie de la nuit. Lui et moi nous sommes sentis mal pendant des jours, jusqu'à ce que nous prenions le temps de nous poser pour parler longuement et régler le problème. Le mariage, je le crains, demande souvent plus d'efforts que ce à quoi nous pensions. Chacun vient avec ses habitudes et ses idées qui peuvent insupporter l'autre sans qu'on le réalise. Il nous a fallu apprendre l'un et l'autre l'art de la négociation et de la compromission. Toi et le colonel Brandon allez devoir apprendre cela aussi, et être patients l'un avec l'autre en attendant.
-Merci pour le conseil. Je te promet que j'en ferais bon usage.
Les deux sœurs burent en silence leur thé, toutes deux secrètement impressionnées par les changements qu'elles voyaient en l'autre. Elinor n'hésitait pas à afficher son bonheur par un sourire qui ne quittait pas ses lèvres. Elle communiquait ses sentiments au lieu de donner simplement de sages conseils basés sur son opinion qu'elle nommait raison, pas sur une expérience réelle. Quand à Marianne, elle avait appris à se montrer raisonnable dans ses rêves et ses choix de vie, sans perdre la passion qui l'avait jusque là guidé en toutes choses.
Elles réalisaient également que le mariage d'Elinor les avait éloigné, sans même qu'elles s'en rendent compte. Certes, Marianne avait passé beaucoup de temps auprès d'elle, ce qui avait permis son rapprochement et, au bout du compte, son mariage avec le maître de Delaford, mais leurs préoccupations n'étaient plus les mêmes. Elinor ne pouvait plus se consacrer pleinement à Marianne, elle avait son époux à soutenir. Maintenant que Marianne était mariée à son tour, elles étaient à nouveau sur un pied d'égalité, malgré la différence de leurs fortunes. Les confidences d'antan pouvaient reprendre, maintenant que Marianne était au fait de certains secrets du mariage qu'on cachait aux jeunes filles impressionnables.
Toutes deux en éprouvaient un soulagement sans nom à l'idée de pouvoir à nouveau parler de leurs vies sans devoir se retenir et en sachant qu'elles partageaient la même expérience.
-Il me semble, reprit Marianne, que j'ai abandonné d'anciennes peur pour de nouvelles. Mon avenir est assuré, mais ce n'est que le début, n'est-ce pas ? Les romans et les poèmes semblent dire que le mariage est le pinacle de la vie d'une femme et qu'il ne se passe rien ensuite, à part peut être la maternité, mais ils se trompent. Je vois qu'un bon mariage demande beaucoup de travail et je crois que cela me terrifie. Je ne sais pas, je pensais que nos relations qui ne s'entendent pas avec leur conjoint sont dans cette situation par un désaccord de caractère qui aurait du les prévenir contre l'idée du mariage. Il me semble aujourd'hui qu'ils n'ont plutôt pas su s'entendre après leur sortie de l'église. Je ne veux pas que Christopher et moi devenions comme eux.
L'idée de devenir de nouveaux Mr. et Mrs. Palmer n'était effectivement pas des plus attractive. Un silence s'installa pour permettre aux deux sœurs de prendre la résolution de ne jamais en arriver à cette situation. Elles auraient pu se satisfaire d'un mariage sans amour ou passion, comme bien des couples formés par les convenances s'en satisfaisaient. Cependant, l'une comme l'autre préférait encore être condamnées à ne plus jamais paraître en bonne société et être cantonnées à la compagnie l'une de l'autre que d'épouser un homme envers qui elles ne pouvaient ressentir même de l'amitié et de se comporter en public de manière aussi peu convenable que certains couples de leur connaissance.
-Le colonel Brandon a de toi une excellente opinion, reprit Elinor d'une voix rassurante. Il ne souhaite que ton bonheur. Je suis certaine que vous trouverez à vous entendre.
Pour une fois, Marianne garda son opinion pour elle. Maintenant qu'elle était mariée, elle souhaitait plus que simplement s'entendre avec son nouvel époux. Il y avait trop de passion en elle pour se satisfaire d'un simple respect mutuel et elle était trop consciente de la force des sentiments de son époux pour ne pas souhaiter être capable de les lui rendre. Cependant, elle répugnait à formuler cette pensée à voix haute, par peur de se porter malchance dans ses projets. Une longue familiarité permit cependant à Elinor de comprendre ses désirs les plus profonds. Comme ils s'accordaient avec les siens, elle se mit à espérer que leurs désirs portent leurs fruits.
-Mais toi même Elinor, avant que je te raconte Bath et notre voyage, tu dois me dire ce qui a changé ici depuis notre départ. Je suis la patronnesse de votre paroisse, je dois être informée de tout ce qui ne t'a pas été dit en confidence. Je compte bien accomplir mes devoirs auprès des pauvres de la paroisse et redistribuer autour de moi un peu de ce que j'ai reçu, et tu m'y aidera ! Edward est toujours heureux de sa place ?
-Plus heureux que jamais. Il a célébré trois baptême ce mois-ci et aucun enterrement, ce qui est pour lui le meilleur don que Dieu puisse lui faire, et il commence à avoir suffisamment d'expérience pour réduire la durée de ses homélies sans en perdre le sens. Il ne manque rien à son bonheur. C'est la vie de calme que nous avons tout deux toujours souhaité.
Aux oreilles de Marianne, ce discours sonnait comme un aveu que tout n'allait pas si bien au presbytère. Elle savait qu'Elinor appréciait effectivement le calme et avait encore moins qu'elle-même le goût de la vie en société. Une vie d'épouse de pasteur était probablement ce qui lui convenait le plus, mais c'était une vie morne et répétitive qui devait parfois lui occasionner un peu de regrets. La foi d'Edward s'était visiblement renforcée depuis qu'il avait reçu l'ordination. Mais Elinor ne semblait ni plus, ni moins s'intéresser à la religion qu'avant leur mariage. Peut être s'ennuyait-elle un peu, sans même s'en rendre compte. Marianne se promit de faire de son mieux pour entraîner une fois de temps en temps sa soeur hors du presbytère pour un séjour à Londres ou Bath. D'expérience, elle savait qu'on ne profitait jamais tant du calme que quand on avait du le sacrifier un temps aux exigences de la frénésie de la bonne société. D'ailleurs, une épouse de pasteur avait selon elle le droit de s'amuser un peu. Partager la vie d'un pasteur n'obligeait pas à respecter des vœux qu'on n'avait pas prononcé soi même.
-Je voudrais juste qu'il se réconcilie avec sa mère, pour son bien et le nôtre, reprit enfin Elinor. Je sais que la situation le mine plus qu'il n'ose me le dire. En dehors de cela, tout va bien, et tu nous retrouves tels que tu nous à quitté.
-Tu dois bien avoir quelque chose de nouveau à me raconter après six semaines de séparation !
Elinor sourit et reposa sa tasse.
-À dire vrai, nous envisageons quelques travaux au presbytère.
-Des travaux ? Je croyais que tu ne voulais plus voir un marteau dans ta maison avant plusieurs années, maintenant que celle-ci est enfin terminée.
-Il va bien falloir, pour être sûr que tout soit prêt à temps pour ce printemps. J'apprécie ton invitation à t'accompagner à Londres ou Bath, Marianne, mais je crains de ne trop pouvoir bouger cet hiver, et il faudra que je sois là ce printemps, pour mon confinement.
En entendant ces mots, Marianne poussa une exclamation de joie et saisit sa sœur dans ses bras. Elle comprenait mieux les réticences d'Elinor à accepter son invitation loin de Delaford et l'absence d'Edward aujourd'hui. Elinor avait du vouloir transmettre seule cette nouvelle à sa sœur, avant qu'ils ne la partagent tous ensemble avec le colonel Brandon.
Marianne sentait des dizaines de questions monter dans son esprit, du nombre de mois avant qu'elle rencontre son neveu ou sa nièce aux détails sur la façon dont sa sœur vivait cette grossesse. Elle était si heureuse pour sa sœur, enfin récompensée après un an d'attente.
Cependant, après le premier moment de joie pure, le doute la saisit pour la première fois. Quand elle voyait la joie dans les yeux de sa sœur, elle se demandait si elle serait aussi heureuse en mariage, et si elle le jour venu, elle serait une bonne mère. Elle comprit également que si Elinor ne lui avait pas annoncé cet heureux événement dès son arrivée, c'était qu'elle aussi devait être saisie de doutes et d'inquiétudes. Leur mère leur avait annoncé à toutes les deux, à leur mariage respectif, les joies et les déceptions de la vie d'une mère et d'une épouse. Marianne se mit à prier avec plus de ferveur qu'elle ne l'avait jamais fait pour que tout aille bien.
-Je comprends mieux ton désir qu'Edward se réconcilie avec sa mère, ajouta-t-elle quand elles s'éloignèrent à nouveau.
Elinor hocha la tête et grimaça.
-Edward souhaite que sa mère connaisse son premier petit enfant. Quand à moi, je ne suis pas mercenaire, mais avec un enfant en approche et peut être d'autres dans l'avenir, je serais plus rassurée si nos enfants peuvent bénéficier une fois de temps en temps de ses générosités et s'il peut espérer recevoir une donation de sa part. Je ne veux pas que nos enfants grandissent avec les mêmes incertitudes que toi et moi face à l'avenir.
-Tu sais que je n'abandonnerai jamais mes neveux et nièces. Christopher et moi nous occuperions d'eux et assurerions leur avenir, si les choses venaient à mal tourner.
-Merci, mais je ne veux pas que des questions d'argent viennent à tout ternir entre nous, et vous aurez aussi vos propres enfants à établir, le jour venu. Edward ne réclamera rien à sa mère de ce qu'il aurait du recevoir, et Robert héritera de tout, mais une donation de Mrs Ferrars à ses petits enfants serait un don du ciel. Je n'en attend pas plus, et Edward et moi avons ce qu'il faut pour assurer un avenir à nos enfants, mais je m'en veut de ne pouvoir leur offrir davantage.
Marianne s'inclina devant la demande d'Elinor, tout en prenant la résolution de parler de la situation à son époux. Il devait être possible d'augmenter le revenu de la paroisse, ou de faire un don aux enfants à venir d'Elinor, en tant que parrain et marraine, ce qu'ils seraient inévitablement.
-Comment Edward prend-il la nouvelle ?
-Bien, depuis qu'il a retrouvé la parole, car la nouvelle lui a littéralement coupé les jambes et le souffle pendant quelques heures. Le crains cependant qu'il ne soit plus inquiet que moi même au sujet de ma santé. Il a failli m'interdire de te visiter en craignant que je fasse une mauvaise chute, mais je ne suis pas encore impotente !
-Certes, mais je comprend ce désir de prudence, et ma voiture sera la tienne chaque fois que tu voudras me visiter. Compte bien me voir souvent au presbytère, car je ne saurais rester éloignée ! Et maintenant, tu dois tout me dire.
Elinor devait avoir bien hâte de la voir rentrer, car elle s'empressa de raconter avec un luxe de détails comment elle avait découvert la chose et comment elle vivait ses symptômes. Elle n'hésita pas non plus à décrire ses peurs pour le reste de la grossesse et son soulagement qu'Elinor soit si proche pour les partager. En retour, Marianne lui confia que son cœur qu'elle croyait éteint battait soudain plus vite lorsqu'elle croisait le regard de son époux et son étonnement sans cesse renouvelé de se réveiller maîtresse de sa propre maison après avoir toute sa vie été indésirable ou invitée là où elle avait résidé. Delaford lui était déjà bien plus cher que ce cher vieux Norland où elles avaient grandi. Elle interrogea un peu Elinor sur sa manière de conduire son logis. Elinor s'était mieux préparée qu'elle à ce rôle en aidant depuis des années leur mère à gérer la maison et calculer les dépenses. Marianne ne s'y étais mise que plus récemment, et peinait encore à se trouver légitime pour donner des ordres à des serviteurs qui semblaient fort bien se débrouiller avant son arrivée. Elinor entreprit de la rassurer et l'encouragea à se reposer sur leur expérience et de prendre ses marques et ses responsabilités petit à petit. Finalement, toutes deux convinrent sans peine qu'il était agréable d'être seule maîtresse chez soi pour gérer les dépenses et organiser les repas.
Le mariage était peut être une chose étrange, conclurent Elinor et Marianne, mais elles préféraient infiniment cet état à tout autre, même s'il était amer de découvrir qu'une épouse n'était pas toujours plus libre qu'une jeune fille à marier. S'il fallait vraiment se résoudre au mariage, il était bon d'avoir des maris comme les leurs.
Lorsque leurs deux époux vinrent les rejoindre, Elinor et Marianne leur offrirent toutes deux un sourire rayonnant. Si elles n'étaient pas toujours pleinement satisfaites et que parfois le doute les submergeait, elles n'en étaient pas moins heureuses et impatientes de découvrir ce que le mariage leur révélerait d'autre comme surprises.