Titre : La chasse est une affaire de femmes
Au
Titre : La chasse est une affaire de femmes
Auteur : Lorelei (Participant.e 18)
Pour : Mimi Croacroa (Participant.e 1)
Fandom : Vox Machina
Persos/Couple : Vex/Keyleth
Rating : T
Disclaimer : The Legend of Vox Machina appartient à toute l'équipe de Critical Role
Prompt : « la chasse est une affaire de femmes », ou comment la rôdeuse et la druide du groupe se rapprochent lorsque le groupe voyage dans des terres sauvages.
Bonus si la relation est explorée/symbolisée par différentes facettes de la nature (parade amoureuse, défense de territoire, chasse, rapports de dominance…)
Notes : J'ai adoré l'idée de ce prompt, j'espère que la réponse conviendra à tes espérances.
De toutes les formes animales qu'elle a appris à prendre au fil du temps, Minxie est la préférée de Keyleth. Il n'y a pas de sensation plus formidable que de courir sous les arbres, de bondir par-dessus les ruisseaux et d'entendre l'écho de son rugissement à travers les montagnes. Devenir un animal a toujours été enivrant pour Keyleth, dès le premier jour. Le poids des responsabilités, les espoirs qui pèsent sur elle, tout ça disparaît, remplacé par le simple plaisir de vivre. Parfois, Keyleth aimerait rester sous la forme d'un tigre à dent de sabre toute la journée et s'endormir lovée contre elle-même sur un tapis de feuilles avant d'être réveillée par les rayons du soleil levant.
Cela fait très longtemps qu'elle n'a pas eu une telle opportunité, à cause de Vox Machina. Il ne faut pas croire, Keyleth adore le groupe. Auprès de ses compagnons, elle se sent plus forte et moins seule. Ils l'aident à sortir de sa coquille, ce dont Keyleth leur est reconnaissante. Elle avait bien besoin d'eux quand elle les a rencontré et, en étant à leurs côtés, elle arrive à croire qu'elle peut réussir son Aramanté là où sa mère a échoué. Ils lui montrent qu'on peut résoudre ses problèmes en utilisant ses poings et sa tête, qu'on est plus fort ensemble, qu'il faut rire face au danger et se réjouir d'être en vie. Keyleth les aime tous, avec leurs qualités et leurs défauts. Pour rien au monde elle ne changerait de compagnie.
Son unique problème c'est qu'un groupe de mercenaires passe beaucoup de temps en ville. Keyleth comprend bien sûr. C'est dans les villes qu'on trouve l'argent et les contrats. Il faut de l'argent pour se nourrir et financer leurs réparations d'équipement et les gadgets de Percy. Malheureusement, un grand prédateur passe difficilement inaperçu et on ne peut courir et rugir que sur les toits, au risque d'attirer la garde et de se faire tirer dessus. Trop souvent, Keyleth est forcée de rester elle-même, même quand elle désirerait cacher ses émotions à tous ces gens qui semblent l'observer de trop prêt.
Alors quand ils se retrouvent en pleine nature, Keyleth fait en sorte de profiter intensément de chaque instant. Hélas, les occasions restent rares, et courtes. Cette fois cependant, ils sont partis pour rester plusieurs jours en pleine nature. Il leur faudra presque dix jours de voyage pour atteindre leur objectif. Keyleth est ravie. Elle compte bien savourer chaque instant de ce voyage et se dégourdir les pattes à la moindre occasion.
-Respirez-moi ce bon air pur !, chantonne-t-elle le premier matin à leur réveil. Comme on est mieux ici qu'en ville, pas vrai ?
Un concert de grognements lui répond. Définitivement, ses compagnons ne sont ni de la campagne, ni du matin.
-Laisse-moi récapituler, baille Scanlan en disparaissant un peu plus profondément sous sa couverture. Pas de vie culturelle, pas d'alcool frelaté, pas de putes,...
-Pas de bagarres de taverne, ajoute Grog d'un air désespéré.
-Pas de bourses à voler, soupire Vax avec un soupir à réveiller les pierres.
Percy et Pike n'ajoutent rien, mais seulement parce qu'ils ne sont pas encore assez réveillés pour le faire. Ils ont la tête de gens qui regrettent de ne pas avoir eu un oreiller et un édredon de plumes. Keyleth est la seule qui semble réaliser la beauté de la toile d'araignée couverte de gouttelettes de rosée qui leur a servi de toit, ou la douceur de la mousse qui leur a servi d'oreiller. Quelle pitié
Vex renifle d'un air amusé tout en grattant le cou de Trinket. Elle seule ne jette pas des regards courroucés à la nature autour. Au contraire, comme Keyleth, elle semble plus elle-même qu'en ville. Vex est toujours sur ses gardes, mais il y a quelque chose de moins méfiant dans son regard, ou de plus sincère.
-Tu pourrais gaspiller ton souffle toute la journée sans jamais les convaincre. Mon frère considère comme un affront personnel le fait de passer une nuit à la belle étoile.
-Parce que tu ne préfère pas un bon matelas, peut-être ?
-Si, mais moi je ne chouine pas quand il s'agit de voyager en pleine nature.
Ravie de son soutien, Keyleth tente de sourire à Vex, mais celle-ci a déjà reporté toute son attention sur Trinket. Keyleth essaie d'ignorer son petit pincement au cœur. Bien sûr que la rôdeuse se soucie avant tout de son ours. Le pauvre Trinket n'est pas le bienvenu dans les villes, ce qui le condamne trop souvent à attendre dans les bois proches qu'on ait besoin de lui. Un ours ne s'ennuie pas facilement, mais Keyleth sait qu'il est toujours triste loin de Vex, et que l'inverse est aussi vrai. Les deux s'accrochent l'un à l'autre depuis leur départ.
Tandis que Vex vérifie l'état des griffes de Trinket, Keyleth décide d'insister un peu auprès des autres. Si elle ne peut essayer de leur faire comprendre sa façon de voir le monde, elle peut peut être leur faire réaliser les avantages de cette existence. Alors elle n'aurait pas besoin de se morfondre aussi longtemps en ville, même si elle reconnaît l'utilité de ces endroits et leurs attraits.
-Mais en pleine nature, on n'a pas besoin de dépenser son argent pour manger et dormir. Regardez comme ces arbres nous ont protégé de la pluie et du vent !
-De la pluie, peut être, mais pas de la rosée matinale, geint Vax. J'en ai jusque sous ma chemise.
-Et pour ce qui est de manger, si tu me dis qu'on peut manger des baies comme des oiseaux, je t'arrête tout de suite, un gnome a besoin de quelque chose de plus sustentatoire.
-Vraiment ?, se moque Vex alors que Keyleth se tait, rougissante. Même quand il y a un magnifique buisson de groseilles sauvages, juste là ?
L'annonce est accueillie par un nouveau concert de cris, sauf que ceux-là sont des cris de joie. Il y a une énorme bousculade le temps que tout le monde sorte de sous ses couvertures pour s'escalader les uns les autres et atteindre le premier les fruits convoités. Même Percy, d'ordinaire si policé n'hésite pas à faire un croque en jambe à Vax pour augmenter ses chances de se remplir l'estomac.
Vex envoie à Keyleth un clin d’œil qui la fait rougir jusqu'aux oreilles.
-Si tu veux atteindre la cervelle de ceux-là, tu ne dois pas te contenter de parler à leur estomac, tu dois le remplir. Grog n'a pas la cervelle pour réaliser que sans buissons de myrtilles dans la forêt, pas de tarte aux myrtilles.
Le Goliath fronça les sourcils.
-C'est vrai ? Je n'y avais jamais réfléchi.
-La preuve.
-Les groseilles, c'est bien, intervient Scanlan les joues gonflées de fruits. Mais ça ne compense pas les rations de viandes séchées et de pain secs. Est-ce que notre belle chasseresse consentirait à chasser pour nous ?
Vex hoche la tête avec une prestance de reine.
-Je peux faire ça, oui. Si l'envie m'en prend.
-Vex, tu es la reine des hôtes de ce bois. Je te dédierais un couplet dès que j'aurais avalé tout ça. Et que j'aurais vu du civet dans mon assiette.
Un peu vexée, Keyleth fronce les sourcils. Ils ont l'air d'oublier qui d'autre dans ce groupe sait vivre de la nature.
-Je peux chasser aussi, rappelle-t-elle d'une voix qu'elle tente de rendre ferme.
Six paires d'yeux se tournent vers elle. Keyleth se retient de lever les yeux au ciel. Comment croient-ils qu'elle se soit nourrie avant qu'elle ne les rencontre ? Qu'ils réfléchissent un moment ! Elle prend la forme de prédateurs pour se défendre, ils ne croyaient quand même pas qu'elle n'avait jamais utilisé ses griffes et ses crocs sur d'autres animaux ? Certes, il y a des druides qui pensent qu'il faut s'interdire de prendre la vie d'animaux et de s'en nourrir, mais Keyleth trouve que c'est faire beaucoup de chichis. Oui, le devoir des druides préserver l'équilibre de la nature, mais ce n'est pas un lapin de moins sur terre qui risque de causer un déséquilibre dans l'ordre des choses. D'ailleurs, les Ashari jouent un tout autre rôle dans cet équilibre en protégeant le monde d'incursions de plans extérieurs.
-Tu n'es pas végétarienne ?, demande Pike. Je crois que je ne t'ai jamais vu manger de viande.
-Des fois dans les auberges, on nous sert du chien en disant que c'est du bœuf ou du mouton, alors je préfère éviter. Et puis, je préfère manger de la viande que j'ai chassé moi-même. Cela me semble plus juste, vous comprenez ? Pour l'animal.
La notion leur semble étrangère, sauf à Vex qui sourit à pleines dents, avant de chasser son frère pour prendre sa place auprès des groseilles tant convoitées. Keyleth abandonne le combat en voyant qu'elle a perdu leur attention. Elle s'avance à son tour et s’assoit à côté de ses amis pour s'en mettre plein la bouche.
À plusieurs reprises, elle sent le regard et le sourire de Vex se poser sur elle. Keyleth ne peut s'empêcher de rougir, à chaque fois. Depuis le début, la rôdeuse l'intimide et Keyleth ne sait trop comment s'en faire une amie. Vex lui paraît souvent si différente, si sûre d'elle que Keyleth en perd ses moyens quand elle essaie de lui parler. Elles sont toutes deux des demi-Elfes, mais Vex, à ses yeux, est celle qui a le plus hérité du côté éthéré de ce côté de leur arbre généalogique. Il y a une force en elle que Keyleth lui envie parfois. Souvent, si elle doit être honnête. Même ici, dans une forêt où la druidesse est tellement plus à l'aise qu'en ville, elle a l'impression de n'être qu'une visiteuse étrangère à côté de Vex qui a l'air de posséder les lieux.
En silence, Keyleth lui envie cette aisance.
Lorsque Vox Machina est en ville, c'est invariablement Vax qui leur sert d'éclaireur. Il est le plus doué pour ça, et de loin. Mais ici, en pleine nature, les choses sont différentes. Quand quelqu'un mentionne la dangerosité de ces régions sauvages et suggère l'utilisation d'un éclaireur, Vex et Keyleth se lèvent aussitôt pour rendre ce service au groupe. Un peu honteuse, Keyleth commence déjà à se rasseoir pour laisser la priorité à son amie, mais Vax éclate de rire.
-Qu'est-ce que ça fait d'avoir de la concurrence, Vex ? Ça ne t'était pas arrivé depuis l'époque de l'école, non ?
Vex le foudroie du regard et ajuste son carquois sur son épaule.
-Si la région est dangereuse, nous n'aurons pas trop de deux paires d'yeux pour observer les alentours, n'est-ce pas Keyleth ?
La druide hoche de la tête en serrant nerveusement son bâton. Comme elle, Vex est sensible aux énergies de la nature et voit les choses différemment du reste du groupe. Les autres ont l'air de s'amuser à l'idée de les voir se mettre en concurrence, mais Keyleth sait que Vex voit les choses différemment. Pour toutes les deux, Vox Machina est leur meute. Dans celle-ci, Keyleth se voit l'égale de tous les autres. Chacun a ses forces et ses faiblesses, ses atouts pour aider la meute à triompher. Vex, elle, se voit comme la dominante de la meute et n'apprécie pas qu'on remette en cause sa capacité à prendre soin du groupe, surtout maintenant qu'ils sont sur son domaine de prédilection.
Pour apaiser les tensions, Keyleth devrait se rasseoir et lui laisser le champ libre, mais elle ne veut pas seulement éviter le conflit. Vex a déjà trop tendance à la regarder de haut, alors que Keyleth l'admire. Si elle se rassoit, elle n'aura jamais son respect. Et Keyleth désire celui-ci plus que tout au monde. Si ça veut dire qu'elle doit s'imposer, alors soit.
-Je prend le ciel, déclare-t-elle donc, et toi tu garde les yeux au sol.
Elle se change en rapace et décolle aussitôt, sans laisser le temps à quiconque de protester ou d'approuver son choix. Derrière elle, Keyleth sent mentalement une flèche la suivre et lui transpercer les ailes. Keyleth n'est pas sûre de ce qui l'attend à l’atterrissage, mais elle se met à voler au-dessus de Vox Machina pour faire son devoir enn priant pour que Vex se calme d'ici quelques heures.
Pendant qu'elle veille au grain, elle surprend parfois Vex entre les branches, une cinquantaine de pas en avant du groupe. À chaque fois, la rôdeuse tend son arc dans sa direction avant de lui faire un salut narquois et de disparaître à nouveau sous le couvert des arbres. Visiblement, Vex cherche à lui rappeler qui d'eux d'eux maîtrise véritablement l'art de la traque et de la surveillance. Heureusement, Keyleth peut bien plus facilement cacher sa nervosité quand elle est un aigle ou une panthère. Elle se demande quand même ce qui l'attend une fois qu'elle aura retrouvé son propre corps.
Mieux vaut ne pas y penser et profiter du plaisir simple de voler. Une fois cette résolution prise, Keyleth tient cinq bonnes minutes avant de se remettre à penser trop fort pour son propre bien. Elle réfléchit à ses amis et aux animaux. Quand on passe une bonne partie de son existence sous la forme d'un animal ou à parler aux bêtes, on finit forcément par voir des points communs entre les hommes et celles-ci. Pike est une abeille, travailleuse et au service des autres, mais mignonne au point qu'on en oublie qu'elle aussi a un dard acéré. Vax est un serpent, pas à cause du poison qu'il utilise parfois, mais parce que lui aussi sait se tapir dans l'ombre des heures pour frapper d'un coup avant d'y disparaître à nouveau.
Quand à Vex... elle a quelque chose de l'ours, bien sûr, ce n'est pas pour rien que Trinket est son compagnon de vie. Comme l'ourse, Vex protège férocement les siens. Ce serait pourtant trop simple de s'arrêter à cette constation. Vex partage des traits communs avec d'autres animaux, mais tous, du chat ronronnant près de l'âtre au crocodile qui hante les environs de Stilben et qui ne lâche jamais sa proie, sont tous des prédateurs.
Sans le vouloir, Keyleth a vexé la rôdeuse. Aucun prédateur n'aime être concurrencé sur son domaine. Si elle ne trouve pas un moyen d’apaiser sa colère, le voyage sera très long.
La fin de sa transformation arrive, trop vite pour que Keyleth ait trouvé une solution, à part de s'excuser maladroitement et d'espérer que cela suffise à Vex. Elle décide de profiter de ces derniers instants seule avec le vent dans les branches. Et quand elle voit un mouvement dans un buisson, Keyleth ne réfléchit pas, elle plonge. Elle a le temps de reprendre son envol et de plonger une deuxième fois avant d'être à nouveau elle même, un lapin mort à ses pieds.
Assez fière d'elle, elle part récupérer sa première victime et revient avec un lapin dans chaque main et un sourire aux lèvres auprès des autres.
-Je me suis dit que cela pourrait améliorer notre ordinaire ce soir, hausse-t-elle les épaules quand ils la félicitent de sa prise.
-Avec ce que mange Grog à lui tout seul, ça ce n'est même pas assez pour des amuse-gueules !, s'amuse Scanlan.
Keyleth rougit et s'en veut de ne pas y avoir pensé.
-Je peux me retransformer et retourner en chercher.
-Non, fait Vax avec un geste amusé de la main. Vex nous ramènera forcément quelque chose de bon. Garde tes transformations en cas de mauvaise rencontre. Ce serait bête d'obtenir un ragoût de lapin mais de perdre le bonheur de te voir déchiqueter tes ennemis avec tes griffes.
Keyleth rit, contente de voir ses talents reconnus à leur juste valeur. Parfois, elle doute d'être utile à Vox Machina. Quand elle se transforme, elle ne peut utiliser ses sorts pour les aider, pas encore, alors elle a toujours l'impression de faire le mauvais choix, qu'elle se transforme ou pas.
Ce n'est qu'au retour de Vex qu'elle se dit que son idée n'était pas si bonne. La rôdeuse revient les mains vides et fronce les sourcils quand Vax, hilare, lui désigne du doigt Keyleth avec ses deux lapins pendus à la ceinture.
-Je te croyais chasseuse, ma sœur, et tu reviens les mains vides ? Et moi qui croyait que que tu avais les yeux fixés sur une proie en partant !
Keyleth fronce les sourcils. Elle ne se rappelle pas avoir vu de mouvement sous les arbres quand elle a décollé. Ses yeux d'aigles auraient du l'avertir de la présence d'un animal.
-Occupe-toi de tes affaires et laisse-moi aux miennes, grince Vex en le frappant sans ménagements à l'épaule.
-Aurais-tu raté ta cible ?
-Moi ? Jamais. Contrairement à certains, je sais par contre prendre mon temps pour la traque.
Vax lui rit au nez et finit dans la boue du chemin, renversé sans ménagement par Vex. Il ne cesse pas pour autant de rire et Keyleth a la désagréable impression d'avoir raté quelque chose. Tout le reste de la journée, quand elle essaie de croiser le regard de Vex pour discuter avec elle, celle-ci l'ignore ostensiblement.
Les jours suivants, la situation ne s'améliore pas, au contraire. Vex continue de lui lancer des regards noirs chaque fois que Keyleth met un pied sur son terrain de compétence. Malgré elle, Keyleth se met à rentrer dans ce jeu. La colère l'envahit peu à peu. Elle est une druidesse et une Ashari, la prochaine dirigeante de son peuple. Si quelqu'un met le pied sur le territoire de l'autre, c'est Vex qu'il faudrait accuser. Les rôdeurs ont toujours imité les capacités des druides sans jamais les égaler. Pour chaque regard de haut, chaque remarque méprisante, Keyleth se met à montrer les crocs en retour. Vex n'est pas la seule prédatrice de ce bois, et si elle ne veut pas recevoir un mauvais coup de griffe, elle ferait mieux de changer d'attitude au plus vite.
Désormais, la druide et la rôdeuse se défient du regard chaque fois qu'il s'agit de servir d'éclaireuse, de suivre une trace inquiétante au sol ou de choisir leur campement. Aucune ne cède le pas à l'autre. À ce stade, ce n'est plus possible. Keyleth craint que les choses ne puissent plus que dégénérer, sans savoir comment arrêter cette lente glissade vers l'inconnu. Elle commence à avoir peur, car celle qu'elle ne sait pas comment arrêter, ce n'est plus Vex, c'est elle-même.
Le jour où ils s'arrêtent près d'un torrent poissonneux, Trinket rentre avec délice dans l'eau pour pêcher des poissons. Keyleth n'arrive à se retenir que quelques minutes avant de patauger dans l'eau à ses côtés. Le premier saumon est un délice entre ses dents. Les suivants, elle les lance sur la rive pour le repas du soir. Aussitôt, Vex saute sur ses pieds pour demander à Trinket de faire de même. Très vite, deux camps s'organisent, l'un supportant l'ours-Keyleth, l'autre encourageant Trinket. Quand l'ours se lasse finalement du jeu et remonte à pas lourds sur la berge, le plus gros tas est clairement du côté de Keyleth. Celle-ci se retransforme et nage jusqu'à la berge sans essayer de cacher son sourire triomphant. Vax et Grog, les seuls à avoir soutenu Vex et son ours, s'inclinent gracieusement. La chasseuse, elle, console Trinket qui baisse la tête, conscient de ne pas avoir été à la hauteur sans comprendre pourquoi.
Scanlan ne retient pas son cri de joie.
-Ah ! J'ai toujours dit qu'il était inutile de s'encombrer de cet ours, Keyleth se charge parfaitement du travail à elle toute seule, et en plus elle est bien plus agréable à regarder que cette descente de lit.
Les yeux de Vex envoient des dagues dans sa direction. Keyleth se mord les lèvres. Scanlan ne le réalise peut être pas, mais elle n'a gagné que parce que même si elle adopte une forme d'ours, elle garde son esprit tout du long. Le pauvre Trinket n'est qu'un ours, lui. Il n'a pas pu s'empêcher de gober un poisson sur deux.
Le dire suffirait peut être à les réconcilier, Vex et elle, mais chaque fois que Keyleth envisage de s'excuser, elle sent un grognement monter à l'intérieur de ses entrailles. En elle, l'ours, le tigre et l'aigle refusent de s'écraser. Keyleth est dans son droit ici. Si Vex n'aime pas la voir meilleure qu'elle, et bien, qu'elle se concentre uniquement sur son vrai domaine de compétence, le tir à l'arc. Keyleth le lui laisse volontiers, mais elle garde alors la traque, la magie et le lien privilégié avec la nature et les animaux.
Cependant, et même si elle ne veut pas céder, Keyleth aimerait que cela s'arrête. Elle aime Vex, elle aime tous ses compagnons. Se fâcher avec Vex était son dernier objectif en commençant ce voyage, au contraire, elle se réjouissait de pouvoir partager son amour des régions sauvages avec Vex. Elle veut être son amie, pas sa rivale.
Le lendemain matin, après une nuit sans sommeil elle se tourne vers Percy. Celui-ci est en train d'annoter et de rectifier des plans d'amélioration de son arme.
-Percy..., chuchote-t-elle pour attirer son attention.
Elle doit se répéter deux fois pour qu'il l'entende. Dès qu'il voit sa moue désappointée, Percy ôte ses lunettes, soupire et les remet immédiatement sur le bout de son nez.
-Non, déclare-t-il sur un ton péremptoire. Je ne comprends pas ce qu'il se passe entre vous deux et je ne veux pas approcher du problème à moins de trente pieds. Je t'aime bien, Keyleth, mais je suis la dernière personne que tu veux appeler à l'aide pour résoudre un conflit personnel. Réglez ça entre vous.
Toujours un peu plus proche du désespoir, Keyleth hoche la tête et s'éloigne. Les conseils de Percy lui remontent toujours le moral et elle comptait tellement sur eux qu'elle est prise au dépourvu. Keyleth réfléchit à ses autres options. Il est hors de question qu'elle demande de l'aide à Grog ou Scanlan. Le premier lui dirait de régler le problème par un combat à mains nues, le deuxième lui dirait de le régler d'une manière qui faisait rougir Keyleth rien que d'y penser. Non, il est hors de question de demander à ces deux-là.
Cela ne lui laisse comme interlocuteurs que Pike et Vax. Les deux discutaient discutent pendant que Vex brosse le poil de Trinket un peu plus loin, heureusement hors de portée de voix. Keyleth n'aura pas de meilleure occasion de leur parler.
-Un problème ?, demande Vax en se retournant vers elle.
Keyleth rougit aussitôt. Depuis le début, les deux jumeaux réussissent à la faire rougir juste en la regardant, avec leur regard intense. Plus ennuyant, les deux semblent parfaitement s'en rendre compte, et s'en amuser à l'envie. Keyleth juge plus sage et plus sûr de fixer son regard sur Pike.
-Raconte, l'encourage celle-ci avec un sourire compatissant, mais non dépourvu d'amusement.
Dès que Keyleth commence à parler, elle se découvre incapable d'arrêter sa logorrhée. Elle lui dit tout, son malaise à l'idée de déplaire à Vex ou de la vexer, son incapacité à faire le premier pas pour une réconciliation. Pike hoche la tête à tout, y compris à ses explications décousues sur les raisons du problème. Vax a du déjà lui parler et lui transmettre le point de vue de Vex sur la question.
Quand Keyleth arrive enfin à interrompre son flot de parole, les deux échangent un regard entendu. Cette fois, Keyleth en est sûr, Pike est bel et bien amusée. Quand à Vax, il n'a pas l'air surpris et cache très mal son hilarité.
-Est-ce que tu as pensé à lui offrir des fleurs ?, demande Pike en jetant un regard exaspéré à Vax.
Quelle drôle d'idée. Les gens des plaines ont l'air de cueillir à bout de champ des fleurs qui seraient plus belles plus longtemps si on les laissait sur leurs branches. Plus étrange encore, ils font parfois ça pour en arracher chaque pétale et les jeter aux vents. On ne fait jamais ça chez les Ashari de l'air et Keyleth ne voit vraiment pas en quoi ça arrangerait les choses.
-Non ?, demande Pike en voyant sa moue. Et bien, on aura essayé. Un autre présent, peut être ?
Keyleth secoue la tête. Certains animaux, comme les chats, ramènent une proie tuée pour nourrir le plus faible de la portée. Elle ne peut pas donner à Vex l'idée qu'elle la trouve faible à ce point. D'autres animaux offrent leur proie au dominant de la meute. Définitivement, elle ne peut pas offrir quelque chose à Vex.
-Et si tu faisais quelque chose de gentil pour Trinket ? Vex serait touchée.
-J'ai essayé, balbutie Keyleth. Je lui ai donné mon plus gros saumon hier soir, et un peu de miel le jour d'avant. Il a tout refusé en me disant que Vex ne voulait pas qu'il me parle. Il s'est excusé bien sûr, c'est un amour, mais ça n'a pas marché. Je ne peux quand même pas ramper devant elle et lui montrer mon ventre !
Vax s'étouffe soudainement. Pike est obligée de se lever pour lui taper dans le dos et l'aider à respirer, tout en poussant quelque chose comme un hoquet nerveux de son côté.
-Je vois ton problème. On va te trouver une solution, Keyleth, ne t'inquiète pas. Jusque là,... évite Vex ?
C'est le meilleur conseil qu'elle ait reçu pour l'instant. Keyleth passe la majeure partie de la matinée et une bonne partie de l'après-midi à survoler le groupe qui avance lentement. Ils n'ont pas fait de mauvaise rencontre depuis le début du voyage, mais ils ont approchent de l'orée de la forêt, et on leur a parlé de brigands sur la route. Keyleth préfère être prudente.
Le soir, au coin du feu, Pike soupire en plein milieu d'une discussion ridicule dont Keyleth oublie aussitôt le sujet face à la gravité du problème
-Est-ce que quelqu'un a regardé l'état de nos réserves ?
Une question aussi sérieuse lui attire immédiatement l'attention de tous. Vax est le premier qui hoche la tête et émet un petit rire sec.
-Oui j'ai vu ça. On a un peu abusé, pas vrai ? De ce que j'ai vu, il nous reste trois, quatre jours de rations, pas plus. Pas assez pour finir le trajet, en tout cas.
-Et nous serons bientôt hors de la forêt, pas vrai ?, reprend Pike.
-Oui, intervient Keyleth. Nous devrions l'abandonner demain en fin de matinée.
-Ce qui nous fait encore une longue route jusqu'à la prochaine ville, à travers les plaines. De mémoire, il n'y a pas beaucoup de villages, pas vrai ? Et tous dotés d'auberges miteuses.
-Auberge miteuse, maigre pitance, soupire Scanlan.
-Et marché à l'avenant, grimace Vax. Comment vont les finances du groupe ?
-Mal, répond aussitôt Vex sans même ouvrir son livre de compte. Je sens que tu as une idée. Accouche.
-Nous ne sommes pas pressés, pas vrai ? Pas au point de perdre une journée de voyage. Le mieux serait de s'arrêter ici un peu plus longtemps et de se scinder en deux groupes. Une partie pour ratisser les environs et récupérer tout ce qu'on peut en fruits, peut être même poser quelques pièges à lapins. Un autre groupe pour chasser et ramener de quoi faire bombance un jour ou deux, avant que la viande se gâte.
-Du gros gibier changerait agréablement notre ordinaire, approuve Percy.
Un murmure d'assentiment confirme son point de vue. Le lapin et le saumon ont fait plaisir à tout le monde, mais il n'y a pas que Grog qui a faim d'autres viandes. Une fois la décision adoptée à l'unanimité, Keyleth cherche et croise le regard de Vex. La suite est inévitable.
-J'irais, déclarent-elles en même temps.
Percy se mord les lèvres. Son regard va de l'une à l'autre avec un mélange d'inquiétude et de consternation.
-Je pourrais...
-Non, le coupe Pike. La chasse est une affaire de femme, tout le monde sait ça.
Keyleth ne l'a jamais entendu dire, mais quand on considère leur groupe, elle se dit qu'il y a du vrai dans ce proverbe, si c'est un proverbe.
-Je n'irais pas jusqu'à dire ça, fait Scanlan en se lissant une moustache invisible. Je suis moi même un assez bon chasseur, si vous voyez ce que je veux dire.
Il glapit et se tait soudain. En penchant la tête sur le côté, Keyleth croit voir une fine lame de couteau le piquant au creux de son dos.
-Vex et Keyleth pour la chasse, donc, et nous autres pour la cueillette !, reprend Vax qui se tient juste derrière le gnome. Ça me semble équilibré. Et qui sait, peut être qu'on aura enfin la réponse à une question qui nous taraude tous : qui est la meilleure chasseresse de vous deux ?
Keyleth et Vex ne se sont pas lâchées des yeux. Leurs regards désormais se chargent d'éclairs. Vex retrousse ses lèvres d'un air supérieur.
-Nous le savons déjà.
-Vraiment ?, lui demande son jumeau en levant un sourcil inquisiteur. Comment le savoir sans critères objectifs pour comparer ?
Vex darde son regard enflammé vers son frère et feule presque en sa direction. Keyleth, elle, n'est pas loin de sauter sur Vex pour lui faire ravaler son orgueil. Peut être qu'elle n'est pas une rôdeuse, mais elle est tout à fait capable de rester à sa hauteur. Ses griffes et ses crocs valent n'importe quel arc du monde et elle n'a pas besoin d'un ours apprivoisé pour pister ses proies à l'odeur.
-Allons, allons, que tout le monde se calme !, intervient Pike. Il n'y a qu'à trancher définitivement la question dès aujourd'hui. Disons que celle qui revient avec la plus grosse prise est la meilleure chasseresse ?
-La meilleure prise, contre Vex.
Après un instant de réflexion, Keyleth approuve d'un hochement de tête. Une grosse prise n'est pas forcément la plus difficile à faire. Un ours est difficile à tuer, mais Vex ne s'attaque pas à ces bêtes, certainement pas avec Trinket à ses côtés. De plus, un sanglier ou un carcajou peut être bien plus difficile à capturer qu'une bête plus grande comme un cerf.
-Soit, reprend Pike après un instant de réflexion. Et qui décide de ce qui constitue la meilleure prise ?
-Nous et nous seules.
Encore une fois, Keyleth approuve sans aucun problème. Les autres ne sont pas des chasseurs, ils n'ont aucune idée de ce qui est facile, ou difficile, à attraper. Qu'ils n'essaient pas de trancher entre elles deux. Le conflit est entre elles seules, à elles de décréter qui en sort gagnante. Keyleth fronce soudain les sourcils. Elle a demandé à Pike et Vax de l'aider. Maintenant qu'elle rejoue la conversation dans sa tête, elle comprend que c'est le moyen qu'ils ont trouvé pour résoudre le problème. Keyleth ne sait pas si c'est la meilleure idée du monde, mais au moins, c'est une idée qui leur permettra à toutes deux de garder la tête haute de cette affaire. Une fois que ce sera fait, elles pourront se réconcilier et mettre ce jeu idiot derrière elles.
Le soulagement l'envahit et Keyleth retrouve sa voix.
-Nous avons de l'aube à midi pour revenir, ajoute-t-elle afin que Vex ne soit pas la seule à décider des termes du défi. J'ai droit à mes formes animales, Keyleth à son ours.
-La magie est-elle accepté ?, demande Pike.
-Oui, répond Keyleth avant que Vex n'ait ouvert la bouche, mais seulement les sorts que nous connaissons toutes les deux.
-Pas d'objets magiques, renchérit Vex. La même quantité de potions de soin pour chacune.
-Adjugé.
-Pas de formes de vol, par contre.
Les autres les écoutent, leur regard allant de l'une à l'autre comme s'ils assistaient à un duel. De fait, c'est ce qui se prépare, un duel visant à déterminer la supériorité de l'une sur l'autre. Le cœur de Keyleth bat à toute vitesse à l'idée de l'affrontement. Elle a hâte d'être au matin.
Juste avant l'aube, Keyleth et Vex sont les seules à se lever. Leurs amis ont bu pour fêter les termes de leur défi, tout en leur refusant la moindre goutte, afin qu'elles soient en pleine possession de leurs capacités au matin. C'est une bonne chose, car Keyleth tiens terriblement mal l'alcool. Elle aurait été capable de se mélanger les pattes sous sa forme animale et de tomber face contre terre. Ou de se transformer en fourmi et de se croire le plus grand des prédateurs.
-Que la meilleure gagne, salut-elle Vex en lui souriant.
Keyleth joue tout sur ce défi, son respect d'elle même et celui de Vex, mais elle se sent l'esprit plus léger maintenant qu'elles sont sur la ligne de départ. Vex lui rend son sourire, avec une petite lueur ironique dans le regard. Par contre, elle ne dit pas un mot, se contentant de caresser le dessus de la tête de Trinket. Keyleth se demande quel genre de proie elle compte traquer, mais ne lui demande pas.
En silence, elles attendent l'une à côté de l'autre que les premiers rayons du soleil transpercent la canopée. Il ne leur faut pas attendre longtemps, mais le cœur de Keyleth bat quand même à toute vitesse. Elle sait qu'il en va de même pour Vex. Deux prédatrices ne peuvent anticiper la chasse qu'en se pourléchant d'avance les babines. C'est le moment que Keyleth avait rêvé de partager avec Vex depuis le début du voyage, et elles y sont. Keyleth ne s'était juste pas attendue à ce qu'il soit précédé par tant de tension et qu'elles courent séparément durant leur chasse.
Enfin, une lueur dorée atteint la ligne que l'archère a tracé au sol avec une flèche. Keyleth saute en avant, les bras tendus. Quatre pattes atterrissent en silence sur le sol, deux par deux, et elle se met à courir, sans perdre de temps à regarder en arrière dans quelle direction Vex est partie. En temps que Minxie, elle est rapide, mais Trinket l'est plus qu'on ne le pense. Elle et l'ours partagent un excellent odorat, tout est loin d'être joué.
Autour du campement, aucune chance de trouver une proie digne de ce nom. Le bruit qu'ils ont fait la veille les aura fait fuir. Il faut aller plus loin, plus haut. Keyleth a un gros avantage sur Vex. La veille, elle a survolé la forêt. Au passage, elle a remarqué une élévation qui sort des arbres, avec de grands rochers. Keyleth est sûre d'y trouver un prédateur, ou peut être une meute, installé là haut pour profiter du soleil. Le plus probable serait d'y trouver un lynx ou des loups. Elle et Vex ont convenu de ne pas utiliser de sort pour communiquer avec les animaux ou les rendre amicaux. C'est leurs propres talents qui doivent les mener sur la piste de leur proie, pas leurs capacités à convaincre des bêtes à peu près dénuées de cervelle. Keyleth compte bien respecter la règle, mais au pied de ce promontoire, les traces des prédateurs lui indiqueront dans quelles directions ils se dirigent pour trouver des coins giboyeux. Des traces parlent souvent aussi bien que les bêtes elles-mêmes.
Au final, Keyleth n'a même pas besoin d'aller aussi loin. À mi-chemin, elle tombe sur les traces de sabots d'un cerf. Il semble de grande taille, mais ce n'est pas tout à fait la proie que Keyleth espérait. Malgré tout, elle suit un petit moment les traces de pas, au cas où, et finit par remarquer de nouvelles traces, sur les arbres. Le cerf y a frotté sa ramure, assez fort pour laisser des sillons dans l'écorce.
Keyleth pousse un ronronnement de satisfaction. Vu la taille des marques laissées par son frayage, c'est un individu fort et en bonne santé. Ses bois ont l'air massif et doivent le rendre dangereux. La voilà finalement, la meilleure proie qu'elle puisse ramener.
Pendant plus d'une heure, Keyleth suit sa piste en prenant garde à éviter de causer le moindre bruit. Elle ne tarde pas à saisir au vol l'odeur du cerf. À partir de ce moment là, il devient encore plus facile de le traquer. Le cerf est un animal solitaire, ce qui est tout à son avantage. Keyleth n'aura pas à l'isoler de sa harde. Le vent aussi est de son côté, soufflant droit vers elle. Sa proie ne la sentira pas avant qu'il soit trop tard.
Elle finit par le rejoindre alors que sa proie est occupée à boire dans un ruisseau, au contrebas d'une étroite combe. Tapie sur la crête, Keyleth prend le temps de l'admirer. C'est une bête magnifique, avec les plus beaux bois qu'elle ait jamais vu. Les reflets du soleil dansent dessus. Elle pourrait presque regretter de le prendre comme cible, mais l'heure tourne et Grog adore la viande de cerf. Elle même salive à l'idée d'enfoncer ses crocs dans la gorge du cerf, justement parce qu'il est si beau et si fort.
La bête redresse la tête et se met à renifler l'air, inquiète. Le vent n'a pas tourné, elle n'a pas remarqué Keyleth. Celle-ci attend que le cerf baisse à nouveau la tête vers l'eau, et quand celle-ci se désintéresse à nouveau de son environnement, Keyleth bande ses muscles et bondit.
Le cerf n'a qu'une demi-seconde pour réagir. Il essaie de fuir, mais Keyleth est la plus rapide. Elle atterrit sur son dos, toutes griffes dehors et lui déchire la chair. Le cerf tombe au sol, à moitié assommé par le coup et la douleur. Il se redresse sur ses deux pattes arrières et Keyleth frappe à nouveau. Ses deux crocs proéminents se plantent dans la gorge du cerf. La bête gémit de peur, soubresaute, et meurt en quelques secondes. Elle a à peine eut le temps de souffrir.
Très satisfaite, Keyleth se rassoit sur ses pattes arrières pour contempler sa proie définitivement immobile. Elle prend le temps de remercier le cerf pour la chair qui va les nourrir, puis celui de l'admirer une dernière fois. Ne reste qu'un problème, de taille, auquel Keyleth n'a pas prit le temps de réfléchir jusque là. Comment ramener le cerf auprès des autres ?
Tout d'un coup, un sifflement fend l'air. D'instinct, Keyleth saute sur le côté et cherche d'où vient la flèche qui l'a frôlé. Il y a un autre chasseur caché dans ces bois, quelqu'un qui utilise le vent pour lui cacher son odeur comme Keyleth vient de le faire avec le cerf. Keyleth darde son regard dans chaque recoin d'ombre, avant de se retourner vers le cerf.
Un détail accroche son regard. La flèche est venue d'assez haut dans les arbres et s'est plantée en plein dans un des deux trous que les crocs de Keyleth ont fait dans le cou du cerf. Le temps qu'elle comprenne qui a pu réaliser cet exploit, Vex lui tombe dessus sans préavis, lancée depuis un des arbres qui surplombent la combe.
Keyleth roule à terre pour renverser Vex, mais celle-ci s'accroche. Une ruade ne suffit pas à la renverser et la rôdeuse est assez douée pour rester hors de portée de ses crocs et des griffes, sans compter que Keyleth aurait trop peur de lui faire vraiment mal si elle commençait à prendre le combat sérieusement.
Sans trop comprendre comment, elle se retrouve clouée au sol, incapable de bouger. Vex n'a même pas utilisé de magie, mais elle bande ses muscles et appuie sur Keyleth d'une manière trop douloureuse pour qu'elle arrive à penser ou se battre.
-Change-toi, ordonne Vex.
Keyleth rugit et essaye de l'égratigner de ses crocs. En réponse, Vex accentue la pression sur son épaule.
-Change-toi.
Elle a beau se débattre, Keyleth n'arrive toujours pas à se dégager. Elle continue un peu, pour la forme, puis pour donner l'illusion qu'elle refuse de céder. Quand elle se sent prête, Keyleth change et roule sur elle même, espérant déstabiliser Vex.
En vain. Les mains qui appuyaient sur l'épaule de Minxie saisissent aussitôt ses poignets, avec la rapidité du serpent. Vex glisse avec elle le long de la pente, mais refuse de la lâcher. Elle finit par coincer ses jambes sous les siennes et par s'asseoir à califourchon sur ses hanches. Keyleth rue, se débat, tente de griffer et de mordre, mais finit par retomber à terre, pantelante. Tous ses efforts pour se libérer sont restés veint.
Elle réalise que c'est elle, la proie que Vex a choisi de suivre. Enfin, Keyleth comprend. Depuis le début du voyage, Vex la traque. Elle ne souhaitait pas l'écraser ou lui faire accepter que Vex était la meilleure, elle la défiait de se dresser pour se mettre à sa hauteur. Keyleth devait justifier sa place dans la meute qu'est Vox Machina. Et Keyleth ne s'est rendue compte de rien. Elle n'a même pas senti Vex dans son dos, parce qu'elle ne s'attendait tout simplement pas à ce que la rôdeuse soit là tout du long, à moins de vingt pas.
Le cœur de Keyleth bat à toute allure, mais pas de peur. Vex est toute proche d'elle, échevelée comme elle, couverte de terre et de marques de griffures. Elle est si belle et féroce que Keyleth en a mal au cœur.
Au-dessus d'elle, le sourire de Vex est triomphant. Il peut l'être, Keyleth est totalement à sa merci. Celle-ci ouvre la bouche, sans savoir ce qu'elle va dire, et Vex se penche vers elle. Keyleth s'empourpre encore un peu plus quand la rôdeuse s'empare de ses lèvres.
Keyleth a l'impression de sentir son visage, puis son corps prendre feu. D'un coup, ses mains sont libres. D'elles mêmes, elles bougent pour toucher le moindre centimètre de peau accessible, puis pour se faufiler sous la tunique de Vex et sentir sa peau chaude sous ses mains. D'un coup de hanche, elle renverse la rôdeuse, et c'est elle qui se retrouve à genoux au-dessus de Vex et qui l'embrasse voracement. Puis, à nouveau, elle est mise à terre. Ses deux mains se retrouvent captives d'une même serre, tandis que l'autre main remonte le long de ses hanches. C'est un combat qui se joue en cet instant pour dominer l'autre, mais il ne s'agit pas de prendre sans rien donner en retour.
L'une des deux émet un son qui ressemble à un feulement de désir. Keyleth serait incapable de dire si c'est elle. Il devient impossible de réfléchir, de penser. Elle n'est plus qu'instinct. Tout ce que Keyleth peut faire, c'est de bouger au rythme de la plus vieille chanson du monde, celle que tous les animaux connaissent par cœur.
Elle laisse la vague de flammes la soulever et l'emporter.
Quand elles reviennent au campement, ensemble, Trinket porte sur son dos le cerf que Keyleth a mis à mort et un énorme lynx qu'elles ont traqué ensemble, une fois que Keyleth a été capable de tenir debout sur ses jambes. Cette fois, c'est sur deux jambes qu'elles ont couru et chassé. Keyleth a montré à Vex comment elle fait pour prendre le pouls du monde autour d'elle et trouver ce qu'elle cherche. En retour, Vex l'a laissé tiré à son arc en lui montrant comment inspirer au moment de tirer, en ne faisant qu'un avec son arme et sa cible. Jamais le cœur de Keyleth n'a battu aussi vite que pendant cette course effrénée, sauf pendant les instants qui l'ont précédé.
En les voyant arriver dans l'état où elle sont, échevelées, rouges encore du plaisir de la course et de plaisir tout court, Vax leur jette le regard hilare de celui qui sait exactement ce qui s'est passé. Keyleth doute d'être jamais capable de le regarder à nouveau dans les yeux. Par contre, en observant les autres, elle ne croit pas déceler d'autres regards entendus, sauf peut être chez Pike qui prend aussitôt la mine de celle qui ne sait rien. Elle ne dira rien et Vax ne parlera pas. Il a trop peur des représailles de sa sœur s'il osait. Les détails de ce qui s'est passé entre elles resteront un secret connu d'elles seules.
-Qui a gagné ?, demande Grog en se frottant les mains, ravi du festin qui l'attend.
-Moi, annonce calmement Vex avant de se retourner vers Trinket, un couteau à la main pour couper les cordes qui maintiennent leur butin en place.
Nulle revendication ou récrimination ne quitte la bouche de Keyleth. Elle ne rougit même pas de ce qui s'est passé. Tout au plus ronronne-t-elle intérieurement au souvenir de la résolution de leur conflit. À la place, un sourire fier s'affiche sur ses lèvres tandis qu'elle leur tourne le dos pour aider Vex. Elle a perdu, mais elle n'a pas démérité. Les rivales sont revenues en égales.
En la voyant arriver, Vex sort un deuxième couteau, acceptant sans problème une aide qui lui aurait fait montrer les crocs la veille.
-Je n'en reviens pas que Scanlan ait eu raison !, murmure Keyleth suffisamment bas pour que personne ne l'entende.
-Tu lui as demandé des conseils ?, s'offusque Vex.
-Non, bien sûr que non ! Je ne lui ai rien dit, parce que je savais exactement ce qu'il dirait.
-Bien vu, il aurait été imbuvable. Et il aurait eu raison.
-Heureusement qu'il n'en sait rien alors.
Les deux femmes échangent un regard et éclatent de rire. Toute tension a disparu entre elles. Un instant, le regard de Vex frôle la gorge de Keyleth. Puis, quand elles soulagent Trinket de son fardeau, la main de Keyleth s'attarde une seconde de trop sur celle de la rôdeuse.
C'était une bonne chasse, décide-t-elle en admirant du regard le lynx et le cerf maintenant étendus côte à côte. Et elle est contente de voir la tension envolée, maintenant qu'elles ont toutes deux défendu leur territoire et accepté de le partager.
Il y aura d'autres chasses pour les nourrir dans ces régions sauvages. Keyleth a hâte de courir à nouveau à côté de Vex, sous cette forme ou sous une autre.
Et peut être que cette fois, c'est Keyleth qui traquera la chasseresse.