[Fic] L'écume et la brise, La petite sirène, Les soeurs [de Lorelei, pour Bibifoc]

Aug 03, 2022 15:24

Titre : L'écume et la brise
Auteur : Lorelei (Participant.e 18)
Pour : Bibifoc (Participant.e 21)
Fandom : La Petite Sirène
Persos/Couple : la petite sirène, ses sœurs
Rating : R
Disclaimer : La Petite Sirène a été écrite par Andersen et appartient désormais au domaine public
Prompt : Quelque chose sur les sœurs de la petite sirène et la scène manquante où elles vont chez la sorcière (que j'aime beaucoup) pour marchander le couteau qui tue le prince ! J'aime comment le conte leur donne différentes personnalités et j'aimerais que ce soit exploité.
Cela peut s'arrêter là, mais c'est possible de compléter avec leur réaction en voyant qu'elle n'a pas acceptée leur proposition. Sont-elles surprises ? Déçues par elle ? Peuvent-elles la voir en tant que fille de l'air ?
Notes : En relisant le conte d'Andersen, j'ai vu que le couteau tombé à la mer à la fin du conte faisait jaillir un peu de sang. Ce détail m'a aussitôt accroché et j'ai brodé là dessus et ton prompt fort sympathique, j'espère que le rendu te plaira.


Elles étaient six, les filles du roi de la mer, et désormais plus que cinq. Il y avait l’aînée, qui aimait la lune, la musique et le bruit d'une vie tourbillonnante. Il y avait la seconde qui n'aimait rien tant que les couleurs du ciel et de la mer. La troisième aimait les forêts et la fraîcheur et le rire des enfants. La quatrième aimait les immensités désertiques et les animaux marins. La cinquième était tombée amoureuse de l'hiver et de l'orage.
Et la sixième ? La sixième n'était plus parmi elles. Elle était tombée amoureuse, tout court. Les sirènes sont filles des vagues. Elles en ont l'inconséquence. Que la petite sirène abandonne le peu de sagesse de sa race pour tomber folle amoureuse d'un humain n'aurait du surprendre personne. D'autres avaient passé un marché avec la sorcière pour des raisons bien moins importantes.
La petite sirène manquait terriblement à ses sœurs. Le chagrin ne leur était d'un coup plus étranger. Elles la voyaient encore, se promener sur la plage avec le prince, et leur cœur saignait comme les pieds de leur sœur. La petite sirène était si enamourée qu'elle ne voyait pas la vérité que le regard attentif de ses sœurs percevait. Le prince ne l'aimait pas comme elle le voudrait, et cela ne changerait jamais.
-Il perçoit sa nature, soupirait l’aînée en s'accrochant à un rocher à distance prudente. Jamais un humain ne s'abaissera à aimer une femme poisson.
-Les hommes sont aussi inconstants que les vagues, ajouta la troisième qui plus que les autres osait s'aventurer près des côtes. S'il l'aime demain, qu'en sera-t-il l'an prochain ? Une minute d'amour ne suffira pas à la sauver.
Les trois autres hochaient la tête, désolées pour leur sœur.
Inconsciente de leurs tourments, la petite sirène leur souriait de la plage et secouait sa main dans leur direction. À ses côtés, le prince plissait les yeux mais ne voyait que des vagues capricieuses lécher un rocher affleurant.
Les sœurs firent venir leur père et leur grand-mère pour tâcher de convaincre la petite sirène de les rejoindre dans les profondeurs, tout en sachant qu'il était déjà trop tard pour elle.
-Nous ne pouvons l'abandonner, pleura la quatrième, la moins hardie. Mais que pouvons nous faire pour elle ?
La troisième, la plus hardie, s'aventura au plus près des côtes et attira par ses chants les enfants. Elle leur chanta cette enfant si amoureuse du monde qu'elle risquait sa vie pour le regard d'un prince. Elle chanta l'urgence de la situation, en espérant que son chant parvienne aux oreilles du prince et change son cœur. Ce qu'elle ignorait, la pauvrette, c'était que les chansons des enfants de pêcheurs jamais ne parvenaient à la cour. Il faudrait longtemps avant que l'histoire de la petite sirène ne soit racontée par une bouche humaine. À ce moment là, toutes ne seraient qu'écume.
La deuxième sœur, elle, nota au bout de quelques jours des mouvements dans le port. Sur les navires, on accrochait des fanions de toutes les couleurs, on dansait et on chantait. Le mariage du prince approchait. Le cœur de la deuxième se réjouit un instant, jusqu'à ce qu'elle entende dire que le prince irait lui-même la chercher dans un pays étranger.
En gémissant, elle plongea avertir ses sœurs qui veillaient de loin sur la plus jeune. La nouvelle déclencha un concert de gémissements.
-Nous ne pouvons le laissez faire ! Notre sœur mourra s'il en épouse une autre !
-Faut-il faire sombrer son navire ?, demanda la quatrième.
Toutes se tournèrent vers elle. Jamais encore elle n'avait été si belliqueuse, mais la peur pour sa sœur avait fait naître en elle une colère qui lui était étrangère.
-S'il meurt, elle mourra assurément, finit par répondre la troisième, et j'ai entendu dire qu'il compte l'emmener avec lui.
-Peut-on l'échouer sur une île ou un glacier alors, et lui parler pour le convaincre ?, demanda la cinquième.
-Ou notre père parler au prince ?, demanda la deuxième. Qu'il exige du prince qu'il aime notre sœur et en retour, nos vagues n'entraîneront pas tous ses navires au fond !
-Un faux amour ne la sauverait pas non plus, soupira l'aînée. Il doit l'aimer, absolument et profondément. Assez pour la conduire devant un prêtre et jamais un de ceux-là n'accepterait de bénir une fille de la mer. Quand à parlementer avec le roi, cela ne ferait qu'attirer leur attention sur notre présence en ces eaux. Ils nous craindraient davantage et leurs filets chercheraient à nous capturer. Non, tout roi qu'il est, notre père ne peut rien faire.
Les autres hochèrent la tête. Leur aînée devait le savoir, elle que leur père formait à prendre sa suite. Hélas, cela les laissait à cours d'options. Soudain, la troisième fronça les sourcils.
-Comment le savons nous ?
-La sorcière l'a dit à notre grand-mère qui l'a répété au roi notre père.
-Ce que la sorcière a fait, elle ne peut le défaire, soupira la deuxième sœur. Chacun le sait.
-Mais elle peut nous apporter une solution de son côté !, expliqua la troisième. Je suis prête à donner tout ce que j'ai pour que notre sœur vive. Et vous ?
Un mouvement sur la plage attira leur attention. Leur sœur marchait à côté du prince. Il lui parlait en fendant l'air de ses bras. Elle avait la tête baissée. Le soleil fit un instant briller une larme perlant à sa paupière, invisible au prince, mais pas à ses sœurs.
-Soit, décréta l'aînée. Mais que ne viennent que celles qui acceptent de payer le prix. Que notre pauvre sœur nous soit un exemple de ce qui peut arriver ! Celles qui souhaitent passer ce marché peuvent me suivre. Pour les autres, qu'elles ne craignent pas notre colère ou notre mépris. Je ne veux pas passer ce marché. Je ne reprocherais à personne de renoncer.
Elle plongea d'un puissant coup de queue et ne se retourna pas pour voir qui la suivait, à part la troisième. Se laissant porter par les courants, elle traversa les tourbillons et rejoignit la demeure de la sorcière. Vingt fois en route elle failli renoncer, mais la larme de sa jeune sœur, cette larme si humaine qu'elle ne pouvait comprendre la poussa à continuer. Sur le pas de la porte, elle réalisa que toutes ses sœurs l'avaient suivi.
La porte s'ouvrit d'elle-même.
-Entrez, cria la sorcière. Entrez ! Mon humble demeure est bien petite pour accueillir cinq princesses, mais on se serrera !
Saisies de peur, les cinq sœurs entrèrent les unes après les autres. Elles s'efforcèrent d'ignorer les fioles et les ingrédients cloués au mur.
-Que désirez-vous, nobles princesses ?, demanda la sorcière. Ne me le demandez pas, je sais déjà, bien sûr, ou je ferais une bien mauvaise sorcière ! Je crains hélas de vous décevoir. Ce qui a été fait ne peut être défait. D'ailleurs, pourquoi le ferais-je ?
-Vous avez bien aidé notre sœur.
-J'ai un défaut. Je me complais dans le malheur des autres.
-Mais pas dans le vôtre, supposa l'aînée. Vous n'avez aucun intérêt à ce que notre père le roi vous chasse plus loin encore ou ne décide de vous arrêter.
La sorcière sourit froidement.
-Pour cela, il faudrait qu'il en ait le pouvoir, ma petite.
L'aînée se recula, la gorge soudain sèche. La troisième se précipita à son secours.
-Aider notre sœur vous remettrais néanmoins dans ses bonnes grâces. N'est-ce pas suffisant pour trouver une solution ?
Le rire de la sorcière les fit toutes reculer.
-Bien vu, reconnut finalement celui-ci. Tu es brave, même si tu manque visiblement de jugeote. En voudrait-tu, ma belle ?
-Je veux ma sœur.
-Et qu'es tu prête à donner contre elle ? Ta voix, comme elle ? Ton courage ?
La deuxième sœur se mit en avant. Elle aimait tant les couleurs et leurs nuances qu'elle avait appris à voir celles-ci dans les mots. C'était un talent utile pour une princesse, mais jamais tant qu'en cet instant.
-Nous voulons notre sœur, nous la voulons vivante, nous voulons qu'elle nage avec une queue comme nous et qu'elle respire l'eau comme nous. Nous voulons qu'elle vive la vie qu'elle aurait mené si elle n'était jamais montée à la surface, dépourvue de chagrin. Nous voulons qu'elle retrouve sa voix.
-Cela non, il est trop tard pour sa voix. Je puis par contre vous donner ce qu'il faut pour qu'elle redevienne sirène. Elle vivra sa longue vie de sirène, sans cette surcharge d'humanité qu'elle a acquise à la surface. Tout ce qu'elle aura à faire en échange, c'est de tuer son prince.
Les cinq sœurs hochèrent la tête. Elles n'avaient pas d'âmes et considéraient le meurtre d'un homme avec la même indifférence que la mort d'un insecte. Le prix leur semblait peu cher à payer. Elles auraient payés bien des vies supplémentaires pour récupérer leur benjamine.
-Nous acceptons, déclara l'aînée après avoir consulté les autres du regard.
La sorcière sourit et leva un doigt. La deuxième sœur avait été plus intelligente qu'elle ne s'y attendait, mais elle pouvait encore tisser quelques méchancetés dans ses maléfices. La petite sirène leur reviendrait dépourvue de chagrin, de peur, de tristesse, indifférente à tout. Mais la sorcière savait qu'elle ne leur reviendrait probablement pas du tout. L'humanité est un piège dans lequel se loge la compassion et le remord. La sirène ne tuerait pas le prince.
-C'est le prix à payer pour elle. Mais pour vous ? Voyons, voyons...
-Nous ne payerons le prix que quand notre sœur nous sera revenue !
-Oh, mais cela ne marche pas ainsi, très chères, et vous avez déjà accepté le marché. Je vais déjà avoir besoin de vos cheveux.
-Nos cheveux ?
-Oui, vos beaux cheveux dont vous êtes toutes si fières, ces beaux cheveux qui jamais ne repousseront et qui diront à tous le marché que vous avez passé avec moi.
Les mains des princesses se tendirent malgré elles vers leurs chevelures. Elle en étaient effectivement très fières, mais elles savaient déjà qu'il y aurait un prix à payer.
-S'il le faut, murmura la quatrième en fermant les yeux.
Un geste de la sorcière, et leurs cheveux tombèrent autour d'elles. En touchant le sol, ils se mirent à se tortiller et se tresser les uns aux autres, jusqu'à former une épaisse corde multicolore. Derrière la sorcière, un chaudron bouillonnait déjà. La sorcière y jeta la corde, rajouta un peu de ci et un peu de ça en psalmodiant. Ce qu'elle ressortit de là n'était plus une corde, mais un couteau bien affilé dont le métal reflétait les milles nuances des cheveux des sept sœurs.
-Donnez ce couteau à votre chère petite sirène, les instruisit la sorcière, et dites lui bien de tuer son prince avant le lever du soleil le soir de son mariage. Que son sang tombe sur ses pieds et elle redeviendra sirène pour trois cent ans avant de devenir écume.
L'aînée prit le couteau entre ses mains tremblantes.
-Et quel prix payeront nous ?
-Vous êtes venues à cinq alors le coût sera partagé entre vous, mais l'une d'entre vous paiera plus cher que les autres. Pour quatre d'entre vous, la culpabilité. Pour la dernière, la mort, par ce couteau, ce soir, demain ou dans deux cent ans. Celle-là pourra fuir aussi loin qu'elle le souhaite, le couteau la suivra.
-Qui ? Qui d'entre nous mourra ?
-Sais-je ces choses, moi ? Maintenant filez, avant que je ne change d'avis. Le prix pourrait être plus cher encore !
Les cinq princesses ne se le firent pas dire deux fois. Elles filèrent, aussi vite que les vagues et remontèrent à la surface. L'aînée tenait avec précaution le couteau, la pointe tendue le plus loin possible de ses sœurs.
-Notre sœur ne sait rien et ne doit rien savoir sur le prix que nous avons payé, décréta l'aînée quand elles s'arrêtèrent enfin. Nos cheveux sont le seul prix que nous avons payé, est-ce entendu ? Sitôt le prince mort, nous cacherons ce couteau dans la faille la plus profonde que nous trouverons ou nous le jetterons dans le plus gros brasier que nous trouverons. Il y a des perles et des joyaux au fond de l'océan. Un forgeron humain nous le fera disparaître dans sa forge. Est-ce dit ?
-C'est dit, lui répondirent quatre voix inquiètes.
Elles reprirent leur route, cette fois vers le royaume voisin. Quand elles sortirent la tête de l'eau, elles surent qu'elles arrivaient juste à temps. On dansait, on riait et on chantait jusque sur les ponts des navires. Pire, les premiers rayons de l'aurore perçaient à l'horizon. Le soleil les suivait à son rythme, mais dès qu'il apparaîtrait, il serait trop tard.
Leur sœur parut et s'appuya au bastingage, plus blanche et triste que la dernière fois qu'elles l'avaient vue. Aussitôt, elles se précipitèrent pour lui confier le couteau et les instructions de la sorcière. La petite sirène reçut le tout avec un sourire désolé et s'éloigna sur le navire, hors de leur vue. À leur tour, elles disparurent sous les vagues et s'éloignèrent du navire. Elles se prirent la main, et attendirent que leur petite sœur saute du navire, sirène à nouveau, sirène enfin. Il était temps, le soleil allait paraître à l'horizon. Mais leur sœur n'arrivait pas. C'était bien long, se disaient-elle. Était-il trop tard ?
Non, quelque chose perça les flots, juste au-dessus d'elles. Plein d'espoirs, elles levèrent les yeux, mais au lieu d'une petite sirène, c'est un couteau qui perça les flots pour se planter droit dans le cœur de l'aînée. Les autres n'eurent le temps que de voir la surprise sur son visage avant qu'elle ne se dissolve en écume. Des gouttes de sang rejaillirent de l'eau, seul signe du drame. Le poignard, lui, n'était plus qu'une myriade de cheveux qui se détachaient déjà, séparés par les courants. L'instant d'après, la petite sirène se jetait à son tour dans la mer. Ses pieds, ses jambes, son torse et sa tête disparurent l'un après l'autre, ne laissant aussi qu'un peu d'écume se dissoudre sous les yeux des quatre dernières des filles du roi de la mer.
De six, elles étaient devenues cinq et désormais elles ne seraient plus que quatre. L'aînée et la benjamine les avaient quitté à jamais. La deuxième sœur regardait sans comprendre ces quelques gouttes de sang se mêler à l'eau tandis que le soleil les baignait de sa gloire terrible, faisant naître milles nuances de quelques gouttes. La troisième criait dans l'eau sa rage et sa colère. La quatrième plongea pour ne jamais remonter à la surface ni regarder dans cette direction. La cinquième seule ne détourna pas le regard de leur benjamine et cru voir l'écume s'élever vers le ciel et devenir air, mais peut être était-ce la douleur qui les égarait. Si elle avait pu pleurer, ses larmes auraient fait monter l'océan, mais elle n'était qu'une sirène sans larmes.
Elle seule, quand la brise faisait chanter les glaciers où elle aimait se réfugier, croyait soudain sentir un vent printanier lui caresser le visage tendrement, et y voyait un acte de tendresse. Alors elle chantait et en fermant les yeux, elle entendait presque l'écho d'une voix plus belle et aimante que ce qu'elle avait jamais entendu. Mais elle ne pouvait voir la petite sirène devenue fille de l'air.
Car écume et brise vivent l'une à côté de l'autre, mais ne peuvent jamais que se frôler.

contes, pour:bibifoc, fic, auteur:lorelei

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