Titre : Par delà des océans de distance
Auteur : Lorelei (Participant.e 18)
Pour : ArambaHortis (Participant.e 13)
Fandom : Sense8
Persos/Couple : le cluster, couples canons
Rating : R
Disclaimer : Sense8 appartient aux sœurs Wachowski
Prompt : le cluster, UA, et si le cercle n’était pas né dans les années 2000 mais en 1700, comment arriveront-ils à se réunir ? Couple canon + Wolfgang/Kala/Rajan
- Ils ne sont pas obligés d’avoir une entité maléfique à leur trousse, ils peuvent juste avoir d’hésiter qu’ils voulaient se rencontrer. Peut être angst comme humor.
Notes : Texte probablement rempli d'anachronismes et de confusions, mais qu'importe, c'était amusant de décaler le cercle de 300 ans et de réimaginer leurs aventures en 1700 avec toutes les différences et similitudes que cela implique. J'aurais même voulu en faire plus, il y a matière à un texte bien plus long, mais on verra si j'ai l'occasion d'y retravailler un jour.
S'ils étaient nés trois siècles plus tard, les choses auraient été fort différentes. Un coup de téléphone à l'autre bout du monde ou une recherche internet aurait pu prouver que ce qu'ils vivaient était réel. S'ils n'avaient chacun leurs obligations, ils auraient pu franchir en quelques heures la distance qui les séparait. Des transactions financières dématérialisées auraient aidé les plus nécessiteux. Tout aurait été plus simple. Tout aurait aussi été plus compliqué, commencer par la menace que représenterait la technologie et la science pour les identifier, les pister, et les asservir aux ambitions d'un autre.
Ils n'étaient pas nés trois siècles plus tard. C'est autour de l'année 1700 qu'ils découvrirent ce qu'ils étaient, et cette époque avait ses propres dangers.
Faut-il s'en étonner ? C'est Will qui entreprend de les réunir. Will sait depuis longtemps qu'il est différent des autres et qu'il doit le cacher. Pour lui tout remonte à cet hiver où la petite Sara Patrell avait disparut. Will savait où elle était, reconnaissait le visage de l'homme qui l'avait emmené. Pour une chance de retrouver la petite fille à temps, il aurait hurlé jusqu'à ce qu'on l'écoute. Il aurait juré devant Dieu qu'il disait la vérité. Mais c'était l'an 1692 et Salem n'était pas si loin pour que son père ne devine pas comment seraient prises ses affirmations. La folie qui s'était emparée de Salem n'était pas tout à fait apaisée. Son fils serait considéré comme possédé ou, pire, comme un sorcier lui-même. Quand Will avait voulu parler publiquement, son père l'avait frappé, brutalement. Le lendemain, ils déménageaient - fuyaient ? - vers Boston où il était plus facile pour un enfant anormal de passer inaperçu. Il avait fallu des années à Will pour comprendre que cette raclée était, à sa façon, un acte d'amour. Son père avait été terrifié à l'idée de le perdre.
Le matin où Will se réveille en sueur après avoir rêvé d'une femme mourant dans une église en ruines, un prêtre vêtu de noir à ses côtés, il se demande à nouveau ce qui lui arrive. Quand il demande à son père, il apprend que la petite fille avait déjà été retrouvée morte quand son père l'avait frappé et son assassin trop bien situé dans la hiérarchie du village pour pouvoir le dénoncer. Will croit commencer à comprendre. Il voit les morts, ou du moins certains morts, mais pourquoi ? Il l'ignore, mais quand il commence à les voir, il croit qu'il s'agit d'autres défunts.
Ils sont sept. Il y a le jeune homme frêle dans ses riches vêtements trop grands pour lui, l'homme noir en pagne, l'homme au visage de brigand, qui a du sang sur les mains dans plusieurs de ses visions, l'homme au riche costume rouge et or, la femme au teint cuivré dans ses robes sévères, celle à la peau plus sombre dans ses robes aux couleurs éclatantes, la femme aux cheveux d'un blond presque blanc qui porte des fleurs bleus dans les cheveux. Celle-là est si belle quand elle lui sourit que Will a du mal à en dormir la nuit.
Peu à peu, ses rêves le hantent même le jour, et contrairement à la petite fille, ses visions ne l'appellent pas à l'aide, contrairement à la femme dans l'église, ils n'ont l'air ni morts, ni mourants. Ils ont l'air de simplement vivre leur vie de tous les jours. Parfois, c'est Will qui se croit un instant transporté auprès d'eux dans des rues aux odeurs inconnues. Des fois, ils se tournent pour lui sourire. À force de les voir, il apprend leurs noms, mais c'est Riley à qui il parle la première fois. Dès qu'il la touche, il sait qu'elle est réelle. Will tombe amoureux presque immédiatement.
Will a toujours rêvé d'être soldat et de protéger les colonies face aux assauts des Peaux Rouges. À défaut, il est membre de la garde de Boston, mais maintenant, il s'attarde sur le port en rêvant de franchir l'immense distance qui le sépare de l'Islande et écoute les marins parler de l'Afrique et de la lointaine Inde. Contrairement au reste des badauds, il peut mettre des images sur les lieux et les repas décrits. Ce qui l'empêche de partir, c'est la santé de son père et le manque d'argent.
Tout change le jour où il se réveille en sentant le fusil sur sa tempe tout en sachant qu'elle est posée sur celle de quelqu'un d'autre. Il voit la scène : Mickaël, le fusil sur la tempe, dans la grange où il s'est caché avec les esclaves qu'il a aidé à s'évader. Il ressent la peur de Mickaël, pas pour lui qui serait soulagé que ses souffrances s'arrêtent, mais pour ceux qu'il a aidé et qui vont payer le prix de son orgueil, pour Amanita surtout, qui lutte pour se libérer de l'homme qui lui tort les bras dans le dos.
Will ne pense pas, il agit. Il frappe l'homme derrière eux d'un coup de coudre dans le ventre et s'empare de son fusil quand l'autre le laisse tomber sous l'effet de la surprise. Il tire sur l'homme derrière Amanita qui s'effondre, une balle dans l'épaule. Il y a un troisième homme dans le coin. Le fusil n'a plus de balles, aussi Will assomme-t-il l'homme qui tenait Mickaël, avant de courir envoyer un oppercut monumental dans le nez du troisième.
Pendant un instant, il pense que c'est fini, puis il entend la course et les cris. Le coup de fusil a été entendu. Mickaël revient dans son corps pour hurler aux fugitifs de fuir, tandis que lui se redresse pour faire face aux nouveaux arrivants. Will est obligé d'assister à sa capture, impuissant. La connexion entre eux est encore trop fragile pour que lui ou un autre puisse agir.
Ce qu'il peut faire, par contre, c'est annoncer qu'il prend congé de la garde pour des raisons de famille, embrasser son père et voler un cheval, avec l'aide de Wolfgang qui s'y connaît en vol et de Lito qui s'y connaît en chevaux.
En quelques jours, il arrive dans la petite ville de Caroline où Mickaël est enfermé et tombe presque nez à nez avec Amanita.
« Je croyais que vous deviez fuir au Canada » sont les premiers mots qu'il lui adresse. Elle lui répond en tirant un couteau et en le pointant vers lui. Il faut du temps pour la convaincre, mais moins que Will ne l'aurait cru. C'est Capheus qui lui chuchote que pour ceux qui ont des racines en Afrique, ce genre de pouvoir paraît moins extraordinaire qu'à ses yeux de protestant élevé parmi les puritains.
Entre Amanita et Will, c'est l'amitié immédiate. Tous deux ont le même objectif après tout et Will peut aller là où elle aurait bien plus de mal à accéder pour libérer Mickaël, même si elle a pu repérer les lieux. Elle accepte la totalité de son plan en n'y voyant qu'une chose à redire : « Tu te trompes. Mickaël n'est pas son nom. ». Will réalise alors à quel point la personne qu'il vient sauver souffre à cause de ce lien qui les unit.
Mickaël est un nom qui gêne autant aux entournures que ce « il » dont on l'affuble en permanence ou cette chose entre ses jambes. C'est Amanita qui lui a permit de l'accepter. C'est aussi la seule à l'appeler Nomi, quand personne ne peut les entendre. Nomi doit tant à Amanita.
Enfant, Nomi essayait les robes de sa sœur et les bijoux de sa mère jusqu'à ce que quelques coups de fouets lui apprenne qu'elle était un monstre. Ne réussissant à en faire un homme, ses parents ont tenté d'en faire un pasteur, mais l'idée de proférer les idées abjectes d'un Dieu qui désapprouvait son existence rendit Nomi si malade qu'ils finirent par y renoncer. Depuis, son père met tous ses espoirs en son futur beau-fils pour reprendre les affaires familiales. Nomi a, paraît-il, un talent certain avec les chiffres, mais trop de cœur pour diriger un commerce et une plantation. Elle n'éprouve que du soulagement face à cette décision.
Nomi devint Nomi après avoir vu Amanita, la nouvelle esclave domestique de sa mère, profiter de l'absence de sa maîtresse pour enfiler ses bijoux et essayer ses produits de beauté. Mickaël était resté figé dans l'embrasure de la porte, mais Amanita ne s'était pas laissée démonter. Elle avait juste claqué le fermoir du collier de rubis sur son cou en défiant du regard Mickaël. Le bijou lui allait infiniment mieux qu'à sa mère.
Sans doute Amanita vit-elle l'envie sur le visage de Mickaël car elle lui tendit les boucles d'oreilles assorties. « Tu veux les essayer ? », avait-elle demandé. Incapable de parler, Mickaël avait hoché la tête. Amanita s'était levée et avait installé Mickaël à sa place à la coiffeuse, lui avait peigné les lèvres et aidé à enfilé une robe de brocart jaune avant d'en choisir une autre pour elle. La gorge sèche et les larmes aux yeux, Mickaël l'avait laissé faire. Des mois après, Amanita lui confiait qu'elle avait fait ça pour sauver sa peau en ayant de quoi faire chanter Mickaël s'il la dénonçait, mais quand elle avait vu l'émotion dans ses yeux, tout ce qu'elle avait pu faire, c'était se pencher et murmurer à l'oreille de Mickaël qui se regardait dans le miroir « Tu es belle. Tu ne devrais pas avoir à le cacher. ».
Nomi était née à cet instant, même si elle n'avait choisi le nom que plus tard. Ce jour-là, elle avait compris aussi qu'Amanita était bien plus libre qu'elle, malgré son statut d'esclave et que le seul moyen pour Nomi de la remercier était de rétablir un peu de justice en ce monde en lui donnant pleinement sa liberté.
Pour cela, le seul moyen était d'hériter de la plantation et de libérer Amanita et tous les autres esclaves. Hélas, son père a déjà décidé qu'il en irait autrement. Pour le faire changer d'avis, Nomi s'efforce de devenir un fils exemplaire, mais si elle peut taire ses désirs, elle ne peut cacher son horreur à chaque fois qu'un esclave est frappé devant elle. Son père ne change pas d'avis.
Nomi change de tactique et se met à imiter la signature de son père pour écrire de faux certificats d’affranchissements. Et quand sa mère s'absente, Amanita et elle se transforment en les reines qu'elles sont censées être.
Puis les visions commencent. Amanita l'emmène nuitamment consulter sa sorcière de mère qui aide Nomi à comprendre ce qui lui arrive. Nomi est soulagée d'apprendre qu'elle ne devient pas folle, mais renonce à porter la nuit les vieilles robes de sa mère qu'Amanita lui offre au lieu de les jeter ou de les réduire en chiffons. Elle craint le regard de ces sept personnes qui peuvent observer sa vie comme elle la leur. Elle s'enferme dans l'apparence de Mickaël une fois de plus, en ravalant sa bile. Ce qu'elle n'arrête pas pour autant, c'est son travail de falsification, et ses efforts pour trouver les trois pères potentiels d'Amanita à travers les autres plantations de la région. Enfin, elle organise le plan pour les faire s'évader tous les cinq vers une colonie française ou espagnole avec de fausses identités et de faux certificats de liberté, tout en sachant qu'il n'y a pas d'endroits dans les Amériques ou d'anciens esclaves libérés seraient libres de tout danger.
Nomi est moins prudente qu'elle ne l'aurait cru et ils sont découverts. Will fait ce qu'il peut pour les aider et elle lui en est reconnaissante. Au moins, à eux deux ils donnent à Amanita et à sa famille le temps dont ils ont besoin pour prendre le large. Quand Nomi est arrêtée, elle compte sur son père pour la libérer et protéger le nom de la famille. Au lieu de ça, il décide que son fils a besoin d'une leçon et le laisse mariner en prison quelques jours.
La nuit du troisième jour, la porte de sa grille s'ouvre, mais ce n'est pas le gardien qui vient abuser de son pouvoir en frappant le fils de riche qu'il a sous sa garde. Non, c'est Amanita déguisée et Will en uniforme de soldat du roi. Nomi éclate en sanglots et tombe dans les bras d'Amanita. Will la serre contre lui ensuite, un peu maladroitement, mais l'appelle Nomi. En sentant l'amour des six autres personnes de leur cercle, Nomi éclate en sanglots.
Il leur faut disparaître après ça. Les Treize Colonies ne seront jamais sûres pour Amanita et les siens. Le Canada ne le serait probablement qu'à peine plus, mais Nomi conçoit un plan. Il est ambitieux, mais il leur donnera à tous ce qu'ils veulent.
Une semaine plus tard, après avoir retrouvé au passage son ami Bug qui l'a aidée pour les faux papiers, puis les parents d'Amanita là où ils se cachent, espérant contre tout espoir revoir Amanita revenir avec celle qu'elle aime, Nomi, Amanita et Will pénètrent nuitamment dans la plantation. Ils ne peuvent libérer tous les esclaves, hélas. Ceux-ci sont si nombreux qu'ils seraient repris et fouettés ou tués. À défaut, ils espèrent trouver dans les papiers de son père pour trouver de quoi le faire chanter et l'obliger à mieux traiter ses esclaves.
Au lieu de cela, Nomi trouve son père au travail bien après l'heure à laquelle il se couche habituellement. Sans un mot et comme s'il n'était pas surpris de les voir, son père lui tend un nouveau testament où il déclare Mickaël seul héritier de ses biens.
-Toute ma vie, déclare-t-il quand Mickaël lui jette un regard incrédule, j'ai voulu que mon fils soit un homme. Je ne peut lui en vouloir si sa conception d'un homme d'honneur et de principes est différente de la mienne.
-Le jour où j'hériterais, je libérerais vos esclaves, et tant pis si l'entreprise que vous avez mis tant d'efforts à créer périclite, le menace Nomi.
-Alors j'ai jusque là pour décider si je veux mettre mes principes en adéquations avec les tiens, soupire son père. En attendant, tu as causé assez de dégâts à notre réputation dans la région. Il vaut mieux que tu disparaisse, le temps que les choses s’apaisent. Que venais-tu chercher ?
Il ne dit pas « voler », mais ils savent tous les deux que c'est ce que Nomi venait faire et qu'elle n'y serait pas allée de main morte.
-Je veux de quoi affréter un bateau, rétorque Nomi, assez d'argent pour répondre à d'éventuels problèmes et votre bénédiction pour épouser Amanita, si elle l'accepte.
Son père soupira à nouveau et secoue la tête.
-J'imagine que nous devrons nous satisfaire de ça. Au moins tu épouses une femme, même une négresse. J'ai toujours craint que tu ne sombres dans la pédérastrie. Tu as ma bénédiction. Je préfère que mon petit fils et héritier naisse légitime, quelle que soit sa couleur de peau. Je vais réfléchir à un moyen de libérer mes esclaves. Il ne serait pas bon qu'on voit mon petit fils au milieu d'eux et qu'on se demande quel est son statut.
Les sacs qu'il place sur la table sont suffisamment lourds pour répondre aux besoins de Nomi et des siens et il y ajoute une lettre leur permettant d'emprunter un des bateaux de son père, qui a commencé sa carrière dans la marine marchande avant de s'installer sur ses terres. Aucun d'eux ne sait manoeuvrer de bateau, mais ils ont Sun pour ça. Les bateaux occidentaux étaient différents de ceux de son père, mais elle se faisait fort d'en comprendre le fonctionnement. C'est un problème pour plus tard. Pour l'instant, Nomi hésite à dire à son père qu'elle n'est pas son fils mais sa fille et que malgré la violence de ses mots, il a davantage été son père ces cinq dernières minutes que pendant toute une vie. Il accepte Amanita dans la famille, même du bout des lèvres, et c'est un si grand pas en avant que Nomi n'ose en demander plus. Plus tard, se dit-elle pour la première fois, plus tard il acceptera peut être.
L'espoir vibre pour la première fois dans sa poitrine. Elle s'effondre à nouveau dans les bras de Will et d'Amanita dès qu'ils ont quitté les lieux, en se jurant d'être plus forte à l'avenir.
-Tu aurais du me dire que tu voulais m'épouser, lui reproche Amanita en embrassant ses larmes. Cela m'aurait évité de faire des plans pour te convaincre.
-Je ne voulais pas que tu te sente obligée, par peur ou par gratitude, lui explique Nomi, ou parce que mon corps...
-Au diable ton corps, les obligations et les couleurs de peau ! C'est de ton cœur que je suis tombée amoureuse !
Nomi est la femme la plus heureuse du monde.
À des milliers de kilomètres de là, Riley Gunnarsdóttir attend sur la côte islandaise. Cela fait des années qu'elle attend, depuis qu'elle a perdu son époux et son enfant durant le même hiver glacial. Ne lui reste que la musique, qu'elle partage avec son père, et de longues promenades sur la plage, quand elle ne garde pas les troupeaux.
Riley a vécu toute sa vie avec l'idée qu'elle est maudite. Après la mort de sa mère, une femme du peuple caché n'a cessé de lui apparaître pendant toute son enfance pour lui dire qu'elle était maudite. Toute sa vie, Riley s'est cachée au fond de la ferme de son père, évitant de sortir et de rencontrer des gens à qui elle pourrait transmettre sa malédiction. Elle aurait fuit son père, si elle en avait eu le courage. La seule fois qu'elle avait noué une connexion avec un autre être humain, elle était tombée amoureuse. Sa malédiction a tué son époux et sa famille.
C'est du moins ce qu'elle a cru jusqu'à ce qu'elle se mette à rêver de ces sept personnes qui partagent son âme. Ils n'ont rien des esprits cachés de son enfance. Et maintenant, elle commence à douter de la malédiction. Son père est vivant et heureux entre ses troupeaux et ses instruments de musique. Sept autres personnes partagent son âme et lui font comprendre qu'elle est aimée. Dans ces conditions, comment pourrait-elle être maudite ?
Avec de grandes difficultés d'abord, par peur d'être prise pour une folle, Riley parle du cercle à son père. Ce dernier l'écoute attentivement puis l'embrasse et lui promet encore, pour la millième fois, qu'elle n'est pas maudite. C'est lui qui maudit à son tour celle qui l'en a convaincue et dont ils ignorent le nom. Tout ce qu'il veut, c'est que Riley soit heureuse. Tant qu'elle lui promet que c'est le cas, qu'elle est heureuse parce qu'elle n'est plus jamais seule quand elle s'aventure loin pour oublier son chagrin, lui aussi est heureux.
Riley pleure avec lui, de soulagement, puis lui demande s'il est prêt à aider ses amis. Son père hoche la tête en souriant. Ils ne sont pas riches, Dieu sait que toute l'Islande peine à survivre avec les exigences du Danemark, mais ils peuvent bien offrir quelques bêtes et une part de leurs terres à des amis dans le besoin. La famille d'Amanita sera bien accueillie, même si sa couleur de peau surprendra dans les environs.
Après cette discussion, son père est avide d'informations sur ces pays lointains où la neige est rare et les coutumes si différentes des leurs. Parfois, Riley laisse la place à un des autres pour qu'ils chantent à son père un air de chez eux ou lui décrire leurs instruments. Cet hiver, son père tirera du bois de leurs arbres les instruments qu'il a dessiné d'après leurs descriptions. Sa musique prend des accents nouveaux, inspirés de chants espagnols, indiens, coréens, luos... Il pourrait être le plus grand musicien de son temps, mais ils ne sont que de modestes paysans islandais.
Il faut des semaines pour effectuer la traversée entre les Treize Colonies et l'Islande, alors Riley attend. Sauf que cette fois, ce n'est plus la mort qu'elle attend, mais Will et Nomi, deux parties de son âme. Riley se sent vivante et à deux doigts du bonheur pour la première fois depuis longtemps. Pour ne pas tourner en rond jusqu'à leur arrivée, elle aide son père à rénover la future maison de la famille d'Amanita et couds des robes pour Nomi qui peut enfin vivre en femme et laisser pousser ses cheveux. Quand Nomi voit ces robes rembourrées pour lui offrir la poitrine que Dieu lui a refusé, elle pleure et Riley la prend dans ses bras aussi longtemps qu'elle en a besoin. Le reste du temps, elle continue à veiller sur les troupeaux et à marcher. Comme avant, elle marche le long des falaises, mais c'est l'horizon qu'elle regarde à présent et pas le bas de la falaise.
Lors d'une de ces promenades, elle reconnaît une grotte au bas des falaises. Elle n'y a pas mis les pieds depuis que les esprits cachés lui ont parlé. Encouragée par le cercle, elle pénètre à l'intérieur.
Au fond de la grotte brûle un petit feu. Riley s'avance et découvre la femme qui vit là depuis presque vingt ans, Yrsa la sorcière. Celle-ci se lève, le couteau à la main, mais se rassoit en reconnaissant Riley.
-Vous !, crache Riley. C'est vous qui m'avez maudite !
La vieille femme échevelée et édentée se met à rire. Riley se demande depuis combien de temps elle vit dans cette grotte, mais elle refuse d'éprouver de la pitié.
-Maudite ? Non petite, nous n'avons pas ce pouvoir. Je t'ai sauvée.
-Sauvée ? Sauvée de quoi ? J'ai vécu toute ma vie convaincue que ma mère, mon époux et mon enfant étaient morts à cause de moi !
Ces mots font enfin réagir la vieille femme, mais Riley ne veut pas de sa pitié. Elle lève la main pour l'arrêter dans ses excuses et ses explications de ce que sont les sensitifs.
-Pourquoi m'avoir fait ça ?
-Pour t'éviter le destin de tant des nôtres. Certains peuples, certaines cultures nous acceptent, voire chérissent les nôtres comme des voyants ou des intermédiaires avec les esprits. Nous, nous avons l’Église. Catholique, protestante, orthodoxe, elle n'aime pas ceux qui sont différents. Je t'ai vu à l'enterrement de ta mère et j'ai tout de suite su ce que tu était. Si le prêtre l'avait compris aussi, il aurait pu te tuer. Celui-là a déjà du sang sur les mains, et il n'est pas le seul. Certains de leurs prêtres sont des nôtres, mais ils ne défendent pas nos intérêts. Pour eux, nous sommes des sorciers et des démons à exterminer. Je t'ai dis que tu était maudite pour te faire peur, pour que tu ne t'approche pas des autres et que tu ne les laisse pas te tuer comme tant d'autres.
Sur ses épaules, Riley sent les mains rassurantes de Will. Elles lui donnent la force de ressortir sans frapper la vieille femme à moitié folle. Riley devine sa vie. Les membres de son cercle disparus, certains tués par l’Église, peut être, elle s'est réfugiée ici, terrorisée. Il a fallu qu'elle sorte le jour où Riley était la plus fragile pour lui faire tellement peur qu'elle est restée cachée presque vingt ans elle aussi.
Le navire qui lui amène Will et les autres se rapproche de jour en jour. Riley n'en peut plus d'attendre qu'il arrive, pas seulement pour les prendre dans ses bras, mais parce qu'elle a besoin de s'évader de sa ferme, et même de son île. Son père comprend. Il la prend dans ses bras et attend avec elle. Il sait que Riley pensera tout le temps à lui et à leur ferme, et qu'elle lui reviendra.
Si elle le peut. Dans la lointaine Europe, des nuages s’amoncellent.
Né dans une famille de voleurs, de tueurs et d'assassins, Wolfgang se croyait prêt à affronter toutes les conneries que le monde pouvait lui envoyer à la figure. Il n'était pas prêt au cercle et à devoir s'inquiéter pour sept personnes à travers le monde, toutes aussi mal préparées à survivre que Felix. Il n'est pas comme Riley, il ne se croit pas maudit, mais il sait qu'il ne mérite rien de bon en ce bas monde. Il n'est qu'un parricide qui se cache derrière sa profession de serrurier pour commettre ses vols dans les plus riches familles de la capitale prussienne. Il a tout été auparavant, tueur à gage, voleur, soldat, déserteur, pilleur de champs de bataille... Dans son passé, il ne voit que du sang. Dans son avenir aussi. Il ne mérite rien, et surtout pas sa belle princesse indienne.
Kala n'est pas une princesse, bien sûr, mais elle l'est à ses yeux. Sa belle princesse indienne qui a en épousé un autre qui ne la mérite pas. Wolfgang hait Rajan avec force. Il voudrait pouvoir se rendre en Inde et lui planter sa lame dans le cœur, même si Kala dit qu'elle aurait pu tomber sur un époux tellement pire. Il sait bien que l'amour n'a rien à voir avec le mariage et que Rajan se montre affectueux avec l'épouse que ses parents lui ont choisi, mais la nouvelle reste difficile à avaler. Le jour où il se retrouve à avouer la situation à Felix, celui-ci éclate de rire en disant que c'est bien Wolfgang ça, de tomber amoureux d'une femme qui vit à l'autre bout du monde. Wolfgang est obligé de lui donner raison et Felix rit encore plus fort en lui rappelant que grâce à ses amis qui naviguent entre Amérique et Islande, il a un bateau.
Le plus idiot des deux est sans doute Wolfgang. Dieu soit loué d'avoir mis Felix sur sa route, même si Wolfgang ne le mérite pas à ses côtés, pas plus qu'il ne mérite les autres membres du cercle.
Wolfgang ne mérite pas ses gens dans sa vie, mais il est déterminé à les servir de son mieux. Il devine qu'ils sont complémentaires, à leur manière. Les uns savent manier les armes, les autres les mots, lui seul a le sang froid qu'il faut pour agir quand les autres n'osent pas.
C'est lui qui comprend le premier que Lito est dans les ennuis jusqu'au cou. À Berlin, Wolfgang n'a comme menaces à gérer que la police du roi de Prusse et ses alliés d'hier qui sont les ennemis d'aujourd'hui. Lito est espagnol. Lui, c'est le Saint-Office qu'il a sur le dos. Il ne faut pas être très futé pour comprendre qu'il ne s'est pas fait des amis en jouant dans certaines pièces critiquant discrètement l’Église. Lito ne s'en est rendu compte que lorsque Hernando lui a mis les yeux dessus à la première de la pièce. L'imbécile heureux.
Tout en faisant le guet sous la pluie de Berlin avant un casse avec Felix, Wolfgang marche dans les rues de Madrid avec Lito et surveille du coin de l'oeil le capuchon noir qui le suit. Il calme Lito qui panique et se demande si c'est un de ces tueurs de sensitifs dont Riley a entendu parler. Les autres n'ont encore rien remarqué de la scène, tant mieux. Wolfgang prend la place de Lito pour tenter de semer le prêtre dans des ruelles obscures, en même temps qu'il pénètre dans le rez-de-chaussée d'une riche demeure berlinoise. Manque de chance, le prêtre connaît Madrid aussi bien que les pieds de Lito et le manoir berlinois est moins vide qu'on ne lui avait dit. Felix pousse un cri de l'autre côté du bâtiment.
Ce n'est pas le moment d'être subtil. Wolfgang court, et tire sur l'homme qui menace Felix. Un clin d’œil et il est à nouveau à Madrid pour faire taire l'inquisiteur quand il croit le voir brandir un couteau sur Lito. Le crâne fracassé, le prêtre glisse le long du mur. Wolfgang reprend son souffle. C'est alors seulement qu'il réalise deux détails importants. L'homme qui menaçait Felix est trop bien habillé pour n'être qu'un gardien. Le prêtre brandissait simplement une croix pour sermonner Lito.
Leurs ennuis ne sont pas terminés. Ils commencent à peine.
La rue de Madrid est vide et le quartier peuplé d'ivrognes. Nul ne devrait soupçonner Lito, s'il part assez vite pour se créer un alibi le plus public possible. Heureusement, c'est un travail idéal pour l'acteur et il connaît l'alibi parfait dans la comédienne la plus bruyante qui soit quand elle le veut. Wolfgang le laisse rejoindre cette Daniela et se retourne vers Felix, couvert de sang.
-Tu peux marcher ?
-Oui. Mais Wolfie, ils vont enquêter. Ce type, tout le monde sait que c'est un ami personnel du roi. Personne ne va sauver notre peau en risquant la sienne.
-Non, personne. Il faut disparaître.
Le cercle s'agite à côté de lui, proposant de créer une fausse lettre de suicide dans le cas de Nomi ou de mettre le feu au bâtiment dans celui de Kala. Wolfgang secoue la tête. Lui et Felix ont du faire appel à trop de faveurs pour organiser ce casse-là. Quelqu'un parlera.
-On ne prend que le nécessaire, décide-t-il. On va se faire oublier à l'autre bout de l'Europe. À Madrid.
Si Lito est dans les ennuis parce que Wolfgang n'est pas capable de maîtriser ses pulsions meurtrières, c'est à Wolfgang de l'aider. Leurs échanges de corps sont pratiques, mais insuffisant. Wolfgang doit pouvoir pister ceux qui surveillent Lito et leur faire plus peur que Dieu lui même. Pour ça, il doit pouvoir agir indépendamment de Lito. Et si Madrid est sur la route de Lisbonne d'où partent tant de bateaux vers l'Inde... Kala dit toujours à Wolfgang qu'il mérite d'être heureux. Pour une fois, Wolfgang a envie de l'écouter.
-Madrid ?, s'étonne Felix en ramassant en vitesse leurs affaires.
-Je connais quelqu'un là bas.
-À Madrid ?, répète Felix, interloqué. Tu connais des princesses madrilènes en plus des princesses indiennes et tu ne m'as rien dit ?
-Ne t'inquiète pas, c'est à une vrai demoiselle en détresse que je vais te présenter. Vous allez vous entendre à merveille.
Présenter Felix à Lito lui fait un peu peur, à vrai dire, mais il sait combien son ami est frustré de ne pouvoir parler voir Kala de ses propres yeux, même s'ils ont pu parler deux ou trois fois par l'intermédiaire de Wolfgang. C'est pour ça que Wolfgang lui a tue l’existence des autres. Ce serait si simple si tout le monde pouvait parler à n'importe qui à l'autre bout du monde, pas seulement les sensitifs. À défaut, il peut bien emmener Felix en Espagne, et peut être au-delà.
Contrairement à ce que Wofgang pense, Lito sait qu'il n'y a pas à s'inquiéter de ce qu'il déclame dans ses pièces. Si quelqu'un est en danger, c'est toujours l'auteur de la pièce. Au pire, Lito se retrouvera quelques temps sans travail, jusqu'à trouver une nouvelle compagnie. Il a l'honneur d'avoir reçu une fois les félicitations du roi en personne pour son interprétation de Sigismond dans la Vie est un songe, aucune compagnie ne se priverait de sa présence. Daniela a déjà proposé de l'introduire au chef de sa troupe.
L'auteur, Lito et tous les autres acteurs ont du faire acte de contrition publique et la remontrance s'est arrêtée là. Un problème demeure cependant, et c'est celui qui fait sursauter Lito chaque fois qu'il entend un craquement derrière lui dans la rue. Le Saint Office continue à le faire suivre, et lui seul. Cela ne peut vouloir dire qu'une chose. C'est Lito et lui seul qui intéresse le Saint Office, et si ce n'est pas pour ce qu'il déclame sur scène, c'est pour ce que l’Église appelle une déviance et qu'Hernando appelle amour. Le jour où Hernando rentre, livide, en déclarant que quelqu'un est entré dans son atelier et a fouillé ses poèmes, ils en ont la confirmation. D'un jour à l'autre, le Saint Office s'estimera suffisamment informé. Ce sera le tribunal et les applaudissements du roi ne feront pas se détourner la main de la justice.
Daniela veut espérer. Elle propose que l'un d'eux l'épouse, ce qui prouverait que le Saint Office c'est trompé, mais Lito et Hernando savent qu'il est trop tard. Même s'ils se séparaient et déménageaient chacun à un bout de la ville, le Saint Office ne montre aucune clémence face au crime de sodomie. Daniela persiste. Elle croit pouvoir sauver l'un d'eux de cette manière, mais même s'il y avait une chance que son stratagème marche, aucune d'eux n'est capable d'en sacrifier un autre pour vivre. Daniela non plus serait incapable de servir.
Ce qu'il faut, c'est déménager, assène alors Daniela. À Séville, Grenade ou ailleurs, elle se ferait passer pour la sœur de l'un et l'épouse de l'autre. Lito voudrait y croire, mais le Saint Office est présent partout en Espagne et même en Nouvelle-Espagne et dans les autres colonies. Wolfgang voudrait pouvoir régler tous leurs problèmes à l'aide de la violence. Lito sait que même le plus grand talent d'acteur ne pourrait les sauver. Grâce au cercle, il parle anglais, allemand et islandais. Il pourrait recommencer sa vie ailleurs. Daniela et Hernando auraient plus de mal, mais l'une danse, l'autre peint et l'art est un langage universel. Ils pourraient se débrouiller.
Mais jusqu'à quand ? Combien de temps avant qu'un frôlement de main ne les dénonce à nouveau ? Là où s'étend la main de l’Église, qu'elle soit catholique ou protestante, il n'y a pas de place pour les gens comme eux. Combien de siècles encore avant que l'amour ne chasse la haine de l'autre ?
Ce ne sera pas de leur vivant. Dieu ait pitié de leur âme.
Une nuit, alors qu'il se ronge le sang en croyant entendre marcher devant sa fenêtre, Riley vient à lui et lui demande ce qui est le plus important à ses yeux, son art ou la vie qu'il a aujourd'hui. La réponse est évidence. Hernando et Daniela, voilà ce qui compte vraiment. Ce qui fait que la vie vaut d'être vécue.
Le navire que Nomi a obtenu de son père repart. À bord, il y a Will et Riley, Nomi et Amanita. Avec leur aide et celle de Wolfgang, Lito et les siens disparaissent, juste avant que les alguazils ne frappent à leur porte. Il ne s'agit plus que de leur échapper assez longtemps pour que Nomi et les autres arrivent. Ensuite... Il n'y a pas de terre faite pour eux en Occident, pas aujourd'hui. La loi des hommes et celle de Dieu est trop sévère. Ailleurs, par contre, peut être Lito pourra-t-il être lui même pour la première fois de sa vie. Tout ce qu'il demande, c'est à vivre en paix, caché du regard des autres, sauf de celui des siens.
Un an après qu'il ait découvert le lien qu'il partage avec ces sept personnes extraordinaires, Capheus est déchiré. Il les aime autant que la vie elle même et il reste fasciné par les mondes différents qu'ils lui permettent de découvrir. Capheus ne sait ce qu'il aime le plus, la sensation de la neige d'Islande sous ses pieds, les épices d'Inde, l'encens de Corée, la musique espagnole,... Peut être tout simplement se tenir sur le pont d'un navire et d’accueillir le vent et les embruns sur son visage. Cette sensation est pareille à nulle autre.
Hélas, il n'a pas découvert que la beauté et l'amour avec ce lien. Il a vu des gens avec la même teinte de peau que lui être fouettés et tués à la tâche. Il a vu la peur de Will, Nomi, Riley, Wolfgang et Lito devant leurs prêtres. Peu importe la couleur qu'ils portent et le nom qu'ils se donnent, cela sont dangereux. Ces mêmes hommes condamnent Lito pour sa manière d'aimer, Nomi pour sa façon de se penser et condamneraient tous les autres pour sorcellerie s'ils découvraient leurs liens. Ce sont eux aussi qui prêchent que certains hommes sont supérieurs aux autres et que les noirs sont tout en bas de leur vision du monde.
Un jour, ces prêtres viendront poser le pied sur la terre de Capheus. C'est inévitable, vu comme l'homme blanc se répand partout. Ils amèneront leur Dieu unique et leurs lois. Ils leurs prendront leurs coutumes. Quand il mentionne ses pensées à voix haute, personne ne dément. Capheus aime rentre rentrer dans les églises, mais il a peur de ce à quoi ressemblera sa terre le jour ou ces hommes déciderons qu'il n'ont pas assez de toutes les Amériques pour imposer leur marque.
C'est pour ça qu'il est déchiré de l'intérieur. Capheus veut tenir les siens dans ses bras, parler en personne avec Amanita, Felix, Hernando et Daniela. Il veut naviguer sur l'océan indien pour saluer Kala et Sun. Il veut être là pour Wolfgang qui réalise que peut être Kala ne voudra pas venir avec eux à la rencontre de Sun. Kala aussi est déchirée en deux, entre l'homme dont elle est tombée amoureuse comme après un coup de foudre, et celui que sa famille lui a choisi mais dont elle est en train de tomber amoureuse. Grâce aux visites qu'ils peuvent se rendre, il est désormais impossible de rater un événement important de la vie des autres, mais ce n'est pas pareil que de tenir quelqu'un en chair et en os dans ses bras. Capheus veut cette rencontre tellement fort, mais en même temps, il doit penser à son peuple, qui ne sait pas ce qui l'attend et qui compte sur lui.
Capheus est un sorcier, tous comme les sept autres, mais ça n'a pas la même signification dans les tribus de son père et de sa mère qu'en occident ou qu'en extrême-orient. Il l'explique aux autres, pendant les longs mois que dure le voyage autour de l'Afrique. Il y a des mauvais sorciers qui jettent des sorts, mais toute sorcellerie n'est pas forcément mauvaise. Tout dépend de celui qui l'utilise. Capheus veut l'utiliser pour son peuple, pour les prévenir et les préparer à la menace que représente l'européen.
Il en a parlé à la tribu de sa mère, qui l'a accueilli avec des pierres. Il en a parlé à la tribu de son père qui s'est montrée un peu plus à l'écoute. Il y en a d'autres comme lui sur leurs terres. Capheus est le premier de son cercle à en avoir rencontré. Ils ont des choses à lui raconter, sur leur pouvoir et comment le maîtriser. Ils connaissent des mélanges de plantes qui arrêtent les visions ou qui permettent d'observer de loin sans être vus. Eux aussi sont conscients de la menace. Il y en a même pour dire que les sorciers comme eux devraient tous boire ces plantes pour espionner les blancs sans se faire connaître des autres membres du cercle.
Capheus n'est pas convaincu, mais il veut apprendre ce qu'il peut de ces sorciers pour protéger son cercle et sa famille. Il ne peut pas faire ça s'il monte dans le grand bateau qui vient pour le rencontrer. S'il part avec eux, les sorciers ne voudront peut être plus lui faire confiance. C'est urgent qu'il apprenne leurs méthodes, pourtant. En Europe, Wolfgang et Lito ont entendu des histoires. Elles parlent d'un moine en noir qui porte tout le temps sa capuche, sauf quand il regarde ceux qu'il interroge dans les yeux pour leur voler leur âme. Cet homme travaille avec le Saint Office et a l'oreille de tous les grands chefs d'Europe, du pape à l'empereur. Même ici, en Afrique, certains sorciers ont entendu parler de lui, de l'homme qui torture les siens pour les soumettre à l’Église, et surtout à sa volonté à lui. La rumeur le nomme Whispers et le Cannibale.
Capheus doit apprendre, au cas où cet homme devienne une menace. Il doit aussi apprendre à parler pour convaincre et préparer son peuple. Les Européens ne seront peut être pas là avant des années et des années, mais son peuple et tous les peuples voisins doivent être prêts à leur dire non le jour où il faudra le faire.
Alors non, Capheus ne verra pas l'océan de ses propres yeux, pour l'instant. Il doit se montrer brave et sage, pour les autres. Un jour il verra le monde. Pour l'instant, il doit se contenter d'attendre le jour où sa famille approchera des côtes qui l'ont vu grandir. Lui et sa mère monteront à bord pour les embrasser et leur donner l'eau et les provisions dont ils ont besoin pour poursuivre le voyage. Pour cette fois, ce sera assez. Il a toute une vie pour explorer le monde et en attendant, il peut toujours visiter les siens et monter au sommet du plus haut mât pour rire en regardant le navire fendre les vagues. Il sera là aussi quand ils mettront le pied en Inde, et lorsque Kala prendra sa décision.
Quand il prend sa décision, les siens viennent aussitôt le réconforter et le remercier pour son sacrifice. C'est assez pour Caduceus, et le navire repassera forcément au retour. Cette fois, ce sera la bonne.
Parfois, Kala aimerait que sa vie soit simple, comme avant. Quand elle était enfant, tout ce qui comptait était de faire sourire son père et d'aller prier Ganesha au temple. Mais les choses changent. Même sa ville bien aimée a tellement changé depuis son enfance et depuis que les Anglais y font la loi. Son père le regrette. Il dit que ces gens finiront par demander bien plus que des prix avantageux pour les marchandises qu'ils viennent chercher. Longtemps, Kala s'est désintéressée de la question. C'était une affaire d'adultes, puis une affaire d'hommes. Les choses ont commencé à changer quand elle a épousé Rajan. Son beau-père, lui, est ravi des opportunités que lui offrent les Anglais. Il est prêt à accepter l'intrusion de ce monde occidental, tant qu'elle l'avantage. Maintenant que Kala a vu les deux côtés du tableau, elle rejoint son père et donne tort à son beau-père et à son mari.
Elle aime tous les membres de son cercle. Comme Capheus, ça ne l'empêche pas de se méfier des paroles des Européens. Hélas, quand elle le suggère à Rajan, il ne l'écoute pas. Être une femme est une leçon en patience et en frustration, que ce soit en Inde, dans les colonies d'Amérique, en Islande ou en Corée. Il n'y a que chez les hommes de son cercle qu'elle voit une réelle compréhension de ce que c'est d'être une femme. Comment pourrait-ils en être autrement, quand ils partagent leurs moindres troubles de femme ? Il est étrange et agréable d'être considérée en égale par ces quatre hommes. Wolfgang, en particulier, la comprend mieux que Rajan ne le fera jamais.
Et pourtant, elle ne peut s'empêcher de penser que Rajan a d'autant plus de mérite de faire un pas vers elle pour tenter de la comprendre. Lui n'a pas ce don inné qu'a Wolfgang. Son seul avantage sur Rajan est de partager la même culture avec elle. C'est injuste de la part de Kala d'attendre autant de lui que de Wolfgang.
Il est si dur de se comprendre quand on a vécu des vies si opposées. Même Wolfgang peine parfois à accepter les devoirs de Kala envers son époux et sa famille. Pourtant, que la vie serait plus simple si le monde n'était peuplé que de sensitifs. Peut être que les hommes seraient alors moins enclin à conquérir le monde. Pourquoi dominer quand il est si agréable de découvrir une culture en la visitant de l'intérieur ?
Hélas, le monde est loin de penser comme Kala, même dans sa propre ville. Elle ne sait comment elle a été découverte, ou ce qui l'a dénoncée, mais les Brahmanes ont découvert ce qu'elle était et la font assommer, puis enfermer. Kala comprend que la sentence est déjà décidée. Elle s'est arrogée une place qui ne lui revient pas. Elle appartient aux Vaishyas, la caste des artisans et des commerçants. Son pouvoir doit être réservé à la caste des prêtres. Face aux Brahmanes, l'argent et l'importance de la famille de Rajan ne veulent plus rien dire.
Kala ne peut que se morfondre dans sa cellule. Elle est impure, nul ne viendra l'aider. Même son cercle est impuissant à la libérer de l'intérieur. Pire, il est encore à au moins deux semaines de navigation de Mumbai. Kala se sait condamnée. Wolfgang passe tout son temps éveillé dans la cellule, les autres se relaient. Malgré leur présence, il est dur de ne pas sombrer dans le désespoir.
Quand un bruit retentit dans le couloir, elle pousse un petit cri, croyant sa fin venue. Les mains tremblantes de Wolfgang se posent sur ses épaules pour tenter de la rassurer. D'eux deux, elle ne sait pas qui est le plus surpris de voir apparaître Rajan.
-Que fait-tu là ?, demanda-t-elle, interloquée.
-J'ai payé le garde pour qu'il me laisse venir. Je ne pouvait pas laisser mon épouse seule. Je voulais que tu sache que j'essaie de te faire libérer. Si j'arrive à parler avec la bonne personne...
Kala ferme les yeux. Elle ne peut supporter de voir l'espoir dans ses yeux.
-Rajan, ils vont me tuer.
-Mais pourquoi ? Ils disent que tu as commis des actes impurs, mais...
-Je ne peut pas t'expliquer, c'est trop compliqué. N'essaie plus de me sauver, c'est sans espoir.
Will apparaît soudain à ses côtés, une ride de concentration sur le front.
-Pas forcément. Mumbai n'est pas Boston, mais si j'avais une idée de l'agencement des lieux, peut être qu'on pourrait te faire sortir. C'est ce qu'on aurait fait depuis le début, si tu n'étais pas arrivée inconsciente. Rajan, combien as-tu vu de gardes en venant ?
-Trois, mais...
-Combien de pièces ? Combien de portes ? Sur quoi donnent les fenêtres ?
Encore tout perturbé, Rajan répond à ses questions les unes après les autres. Kala s'efface, le temps de se remettre du coup que vient de lui porter la perspective de la liberté. Quand Nomi, Will et Wolfgang ont terminé leur interrogatoire et dressé un plan des lieux, ils se mettent à estimer les itinéraires des gardes et à déterminer un itinéraire d'évasion, Kala reprend sa place et saisit la main de Rajan.
-Ma femme, pourquoi ces questions ? Tu ne penses pas...
-Ils vont me tuer, Rajan, sauf si je m'évade.
Le regard de Rajan se fait déterminé.
-Dis-moi ce que je dois faire.
Kala l'entraîne dans les méandres de la prison, mais c'est Will et Nomi qui déterminent le chemin, Wolfgang, Sun et Will qui se battent à sa place, Lito qui pousse le cri d'oiseau qui détourne l'attention des gardes. Ils surprennent tous ceux qui se mettent sur leur route, en partie grâce au fait qu'ils ne s'attendent pas à ce que ce soit la femme en sari qui les attaque. Un seul les surprend, et Rajan manque d'en payer le prix de sa vie. Wolfgang lui tord le coup.
Quand ils sont enfin à sécurité, à bonne distance de la prison, Rajan la prend par le bras. Elle lit l'incrédulité et la peur dans ses yeux.
-Ma femme. Qu'est-ce que c'était que ça ? Ce n'était pas toi qui te battait.
Kala ne met pas que sa vie en danger en lui révélant la vérité. Elle hésite, mais Riley est là pour l'encourager d'un sourire et lui rappeler que d'autres ont pris ce risque et n'ont reçu que de l'amour en retour. Kala inspire et se lance. Quand elle se tait, Rajan la fixe sans rien dire, estomaqué par ses révélations.
-C'est difficile à croire je le sais, reprend Kala après un moment, mais ils vont lancer des poursuites, je n'en doute pas, mais maintenant je dois me cacher, et...
-Je sais où.
-Pardon ?
-Je me demandais s'il faudrait en venir là. J'ai préparé un endroit pour te cacher que personne ne connaît, même mon père. Je n'avais juste pas la moindre idée de comment t'y amener.
-Un point pour lui, concède Wolfgang à regret pendant que Kala sourit amoureusement à son époux.
Pendant qu'ils fuient tous les deux, épaulés par l’œil assuré de Will, Kala s'inquiète à nouveau de l'avenir. Elle ne peut pas abandonner Rajan. C'est son devoir d'épouse, mais elle en est venue à l'aimer, aujourd'hui plus que jamais. Mais elle ne peut non plus rejeter Wolfgang. Son cœur s'affole dès qu'elle le voit et le seul moyen de le quitter serait de prendre ces drogues que Capheus lui apprend depuis peu à créer. L'idée même, dire adieu à Wolfgang, dire adieu au cercle, est inconcevable.
Kala maudit son indécision jusqu'à ce que le navire de Nomi, la Sensation, les rejoigne. Rajan se tient à ses côtés, souriant, pendant que sa famille débarque. Tout en la tenant par la la hanche, comme il le fait depuis qu'il a failli la perdre, Rajan se penche vers elle pour demander qui parmi tous ces arrivants est celui qui lui a sauvé la vie pendant l'évasion. La gorge sèche et la main tremblante, Kala lui désigne Wolfgang. Rajan se précipite pour le serrer dans ses bras. Wolfgang acceuille l'étreinte avec une grimace incrédule.
-Tu as sauvé ce que j'ai de plus précieux au monde, déclare Rajan, et tu m'as sauvé la vie. Vous êtes tous ma famille, puisque vous êtes la sienne, mais toi, je ne te quitte plus jusqu'à avoir remboursé ma dette. Tu es plus qu'un frère pour moi.
Dans les yeux de Wolfgang, Kala voit ses défenses s'écrouler. Maladroitement, il tape sur l'épaule de Rajan et lui répond dans sa langue, le plus naturellement du monde. Un petit sourire naît même sur ses lèvres, malgré lui. Le cœur de Kala bat plus vite tandis que son regard se dirige un instant vers Lito, Hernando et Daniela enlacés sur la rive. Se peut-il qu'un tel bonheur soit le sien également ?
Même si l’orgueil des prêtres l'a condamné, Kala lance en silence une prière frénétique à Ganesha. Elle se permet de rêver.
L'Inde n'est pas plus sûre que l'Espagne ou les Amériques pour leur cercle. Il est temps pour eux de trouver un endroit qui les accepte. Peut-être l'Islande et les terres reculées de Gunnar sont désormais le seul port d'attache possible. Ils aiment trop fort et trop différemment de ce que les lois des hommes leur autorise pour vivre cachés parmi les humains normaux. Leur choix est fait pour tous, sauf pour Sun. Il est aussi difficile pour elle que pour Capheus.
D'eux tous, seuls Will et Capheus pourraient se fondre dans la foule et vivre une vie normale tout en cachant l'existence du cercle. Lito, Kala et Wolfgang auraient trop de mal à cacher leur amour débordant pour deux personnes à la fois, dont certaines de leur propre sexe. Nomi ne pourrait plus supporter une société qui la considère comme un monstre et la réduit à son sexe de naissance. Nomi, Kala et Riley se révolteraient contre ceux qui les réduiront à leur condition de femme.
La société de Sun est plus stricte encore pour cette moitié de l'humanité que les colonies, l'Islande ou même l'Inde. Kala a trouvé un époux qui l'écoute et respecte ses décisions, mais il a fallu à Rajan deux ans de mariage et la révélation de l'existence du cercle pour en arriver là. Sun aussi n'est qu'une femme, mais parfois dans son pays, on leur donne un autre nom. Les femmes sont des voleuses, car par leur mariage, elles volent à leur famille de naissance une partie du patrimoine pour l'offrir à une autre.
Sun n'est pas mariée, malgré son âge avancé. Aujourd'hui, il n'y a guère d'hommes qui voudraient d'elle. Sun est l’aînée. Il y a quelques siècles, cela voulait dire quelque chose en Corée. Elle aurait hérité de quelque chose, au moins. Hélas, les choses ont changé. L'avenir de Sun dépend du bon vouloir de son père et de son frère.
Longtemps elle a cru que son père ne l'avait pas mariée car il l'aimait assez pour ne pas vouloir se priver de sa présence. La découverte d'autres cultures a forcé Sun à porter un regard plus sévère sur sa situation. La vérité, c'est que la santé de son père défaille depuis quelques années et qu'il a préféré confier celle-ci à l'amour d'une fille plutôt qu'au désintérêt d'une servante ou d'une bru. La vérité, c'est que leur famille est riche et qu'il préfère qu'elle le reste en ne privant pas son fils d'un sou pour bien établir sa fille. La vérité, c'est qu'il a fini à comprendre que Joong-Ki n'est pas un fils digne de son père et que Sun continuera à le guider dans le droit chemin après son départ. Il ne se soucie pas de la position précaire dans laquelle il a placé Sun. Le jour où Joong-Ki sera marié, la belle-sœur de Sun n'appréciera guère sa présence en ces lieux. Vieille fille impossible à marier, Sun sera obligée de se placer sous ses ordres et sera reléguée le plus loin possible de la maison. Leur père a accepté qu'on lui enseigne les arts martiaux pour canaliser son esprit rebelle et veiller à ce qu'elle reste obéissante à côté. Joong-Ki ne lui laissera même pas ce dernier plaisir. Sun vieillira seule et oubliée.
La tradition a condamné Sun. Son père aussi, par égoïsme et par facilité. Sun est coréenne. Elle a toujours accepté les lois de son pays et les devoirs qui lui incombent en tant que fille.
Et maintenant, le cercle vient à sa rencontre. Il lui faut choisir entre ce destin qui a été tracé pour elle et l'impensable. Monter à bord de la Sensation et voguer vers d'autres mers plus accueillantes. Ici, son destin ne peut s'améliorer. Même la mort de son père et de son frère ne la sauveraient pas. Plus encore que les autres du cercle, elle restera à jamais soumise à un monde et des décisions d'hommes. Toute la question est de savoir si elle peut accepter de s'étioler dans un rôle trop étriqué pour elle et de vivre par procuration les voyages exaltants du cercle.
Des mois durant, depuis le départ de la Sensation d'Europe, elle remet sa décisions à plus tard, tout comme Capheus l'a fait. Joong-Ki est finalement celui qui prend la décision pour elle. Son frère s'est endetté auprès de parieurs et de kisaeng et n'est plus en état de payer seul ses dettes. Lorsque leur père refuse de payer à sa place, croyant lui apprendre une leçon nécessaire, c'est lui qu'on retrouve mort au matin.
Sun a assisté à leur dispute. Elle est devenue dangereuse. Aussi ne s'étonne-t-elle même plus quand Joong-Ki l'accuse d'avoir elle tué leur père après une violente dispute, puis quand il paye les officiels venus constater la mort pour qu'ils m'emmènent avec eux.
Sun voit tout ça, mais ne proteste pas. Les siens seront bientôt là et ils ont déjà prouvés qu'à eux huit, ils savent comment orchestrer une évasion. La seule chose à faire, c'est d'observer attentivement la prison où on l'emmène et d'être un peu patiente. Sun sourit. Avec la vie qu'elle a mené, elle a des réserves de patience. Elle laisse un des hommes lui ligoter les poignets et la guider vers la sortie. C'est probablement la dernière fois qu'elle contemple sa maison. Son chien est la seule créature qu'elle regrettera.
Le monde et les hommes ne la surprennent plus. Le garde chargé de la conduire en prison parvient à le faire, pourtant. Au moment où Will remarque qu'elle pourrait se mettre à courir et sauter sur l'un de chevaux pour fuir, le garde se tourne vers elle.
-Ne serait-ce pas le bon moment pour fuir ?
Elle le regarde sans trouver ses mots. Le garde sourit.
-Je connais votre famille. S'il y a un criminel dans celle-ci, ce serait plutôt Joong-Ki. Il a une certaine... réputation, dirons-nous ? Ne payez pas pour les crimes d'un autre. Si vous savez monter à cheval, partez.
Il ne se contente pas de détourner le regard, il lui rend également l'argent que son frère a payé pour leur complicité.
-Comment vous appelez-vous ?
-Kwon-Ho Mun.
-Que va-t-il vous arriver si je m'évade ?
-Je perdrais mon poste. Je ne le regretterais. Il est difficile de faire ce métier sans céder à l'appel de la corruption. Je préfère le quitter en ayant encore ma dignité.
Will siffle d'un air appréciateur. Lui aussi a fait ce métier. Il comprend les doutes de Mun. Sun ne va pas se mentir, elle aime la droiture qu'elle voit dans ses yeux.
-Il y a deux chevaux dans ce champ, remarque-t-elle.
-Serait-ce une invitation ?
-Pourquoi pas ? J'ai juste quelqu'un a récupérer d'abord.
Quand elle escalade pour la deuxième fois la clôture du domaine, son chien sur les épaules et habillée avec des vêtements de son frère, il est toujours là à tenir les chevaux. Ses anciens camarades doivent profiter de l'alcool de son père, deuxième prix de leur silence. Sans un mot, Sun monte à cheval. Mun l'aide à positionner son chien confortablement, puis l'imite. Ils partent au trot, le plus loin possible de Joong-Ki et de ses machinations.
Le vent sur le visage de Sun est aussi bon que celui qui balaie les visages des siens, là-bas sur l'océan. Avec elle, tous profitent de la course. Sun n'est pas seule, elle galope au milieu de huit autres personnes et elle rit.
Ils ont du tout quitter, famille, amis, responsabilités, devoirs, patrie... Leur avenir est incertain dans ce monde qui refuse la différence et la volonté d'être soi-même, mais en cet instant, ils sont libres, absolument libres.... et c'est bien assez.