Titre : Branle-bas de combat dans le donjon
Auteur : Lorelei (Participant.e 18)
Pour : MoustiCat (Participant.e 22)
Fandom : Le donjon de Naheulbeuk
Persos/Couple : Les Fiers de Hache
Rating : Le Donjon de Naheulbeuk appartient à PoC
Disclaimer : K
Prompt : Quand, au détour d’une aventure, l’un des aventuriers touche une substance qu’il ne faut pas… pour découvrir ensuite avec horreur qu’il a échangé de corps avec un de ses camarades !
- Peut concerner deux personnes ou plus. Les réactions peuvent être diverses, disputes, moqueries (surtout des non-concernés, j’imagine), horreur, tentation de profiter d’avoir le corps de l’autre pour tester certaines choses (la force de l’ogre, la magie…). Et évidemment, les difficultés (au moins les premiers temps) pour savoir qui est qui parmi les concernés (surtout s’ils sont plus de 2) n’arrangent pas les choses ! Autre souci encore s’ils sont dans un donjon ou autre et qu’ils doivent aussi penser à se tirer de là, avec des bras cassés encore plus bras cassés vus qu’ils n’ont plus accès à leurs ‘talents’ habituels. La potion peut avoir une durée déterminée ou nécessiter une intervention pour en cesser les effets, à toi de voir.
Notes : Ce petit texte n'a pas tourné exactement comme je m'y attendais, en particulier la fin, mais j'espère qu'il te plaira quand même !
Le plus étonnant, c'était peut être qu'on les engage encore, se dit la Magicienne en regardant ses compagnons. Les Fiers de Hache étaient d'une ineptitude étonnante. Pas elle, bien sûr. Elle était dou... elle était effica... Au moins, elle savait ce qu'elle faisait. La plupart du temps. Sérieusement, ça faisait au moins dix jours qu'elle n'avait pas mis involontairement le feu à quelque chose ! Alors les autres pouvaient arrêter de se moquer de sa soi-disant incapacité à viser.
À cause de leurs idioties - les leurs, pas les siennes, bien sûr - ils commençaient à se faire une réputation. Cependant, c'était une mauvaise réputation qui ne les aidait pas à trouver du travail. Ils en étaient arrivés à un point où ils n'avaient rien trouvé de mieux comme employeur qu'un menuisier qui leur avait promis de les payer s'ils allaient réclamer au Seigneur du Mal voisin l'argent que ce dernier lui devait pour la fabrication et l'installation d'un chevalet et d'autres objets de torture qui avaient presque fait défaillir le rôdeur quand il les avait vu en boutique. Aller toquer à la porte d'un Seigneur du Mal spécialiste de la torture, ce n'était pas vraiment leur conception d'une bonne journée.
Comme ils n'avaient même plus assez d'argent pour racheter des bottes au Barbare, ils avaient accepté ce travail d'intérieur. Pour une fois, ils avaient même tout fait comme il faut : ils avaient toqué à la porte, crié les demandes de leur employeur, refrappé à la porte. Personne n'avait répondu et ils avaient vraiment envie de manger le soir, alors ils étaient rentrés. Même qu'ils avaient décidé de faire une carte du donjon pour ne pas se perdre. Sauf que comme tout le monde avait la flemme de s'en occuper, c'était l'Ogre qui l'avait dessinée. Maintenant, ils étaient totalement perdus et tellement enfoncés sous le donjon qu'ils ne devaient pas être loin de l'espace torture, ce qui ne faisait vraiment, mais alors vraiment pas envie au groupe. La seule bonne nouvelle, c'était que le donjon était encore en construction. Les pièges étaient presque tous installés, mais il y avait parfois la notice de montage à côté pour les aider. Pas beaucoup d'employés non plus.
-Boulot de merde, se plaignit le Nain pour la vingt-cinquième fois de la journée alors qu'il sortait d'une fosse de boue qu'il n'avait pas vu à cause du tapis qui la recouvrait.
-Si quelqu'un n'avait pas marché sur les jolies fleurs des Druides de l'autre jour, peut être qu'on aurait eu un meilleur travail !, siffla l'Elfe qui en avait assez de se prendre la tête dans des toiles d'araignées géantes. Ils allaient nous donner l'orbe de Machinchose !
-Ah ouais ? Et c'est qui qui a proposé de les manger en salade et qui s'en est mis dans les cheveux des fleurs qu'il ne fallait surtout pas toucher ?
-Je pouvais pas savoir qu'elles étaient sacrées ! Et moi au moins j'ai pas traité les Druides de bouffeurs de salades plein de puces.
-Peut-être, mais moi...
-Par Crôm ! Si vous n'arrêtez pas, j'en prends un pour taper sur l'autre !
Le Barbare roula des muscles pour leur faire comprendre que la menace était sérieuse. Les deux autres se turent aussitôt, au grand soulagement du reste des aventuriers. Parfois, c'était une torture de les entendre se disputer ces deux là.
Le silence dura au moins cinq minutes, un record qui aurait pu être gravé dans les annales, quelque part. Les autres eurent le temps d'ouvrir trois portes donnant sur des pièces vides en profitant du silence retrouvé, avant de débouler dans un nouveau couloir. Les premiers à rompre ce silence ne furent cependant pas le Nain et l'Elfe, mais une petite troupe armée qui avançait bruyamment dans leur direction.
Des employés du donjon. Un autre groupe aurait refusé de s'aventurer dans un endroit pas encore référencé par la Caisse des Donjons. Les aventuriers se regardèrent aussitôt avec inquiétude.
-Une patrouille ! Qu'est-ce qu'on fait ?
-Zoug zoug.
-Il dit qu'il sent des Gobelins. Beaucoup de Gobelins.
-Vous je sais pas, mais moi je préfère les éviter. Je n'ai plus qu'une seule flèche.
-Quoi ? Mais t'as pas tiré une seule fois depuis qu'on est entré dans ce donjon !
-Ben pour en racheter il faut de l'argent. Tu en as toi ?
Le Nain préféra changer de sujet.
-Alors la magicienne a qu'à leur lancer une boule de feu !
-Dans un couloir ? Tu veux que je t'explique ce que c'est qu'un embrasement généralisé avec effet retour garanti à cent pour cent vers le lanceur ?
-Mais elle sert à rien celle là ! Alors on se planque.
Ils regardèrent de tous les côtés, de plus en plus paniqués. Il y avait trois portes dans ce couloir. D'un commun accord ma foi fort rare, ils se précipitèrent vers la plus proche.
Elle n'était pas fermée à clé.
Ils se précipitèrent tous à l'intérieur et refermèrent la lourde porte derrière eux. Alors seulement ils prirent le temps d'examiner l'endroit où ils étaient. Il y avait des tables couvertes de livres, d'alambics, de bocaux, de racines et de plantes. La Magicienne se mit à sautiller de joie.
-Un laboratoire d'alchimie ! Je n'en ai pas fait depuis l'époque où j'étudiais à l'université de Glargh !
Elle se précipita vers les établis chargés de potions avec des étoiles plein les yeux. Les autres la suivirent en prenant grand soin de rester à distance raisonnable. Vu comme elle gérait ses boules de feu, ils se disaient qu'elle était probablement pire en alchimie et qu'elle était probablement capable de faire exploser de l'eau en la regardant d'un peu trop près. S'ils avaient pu consulter les registres de l'université, ils auraient reculé plus loin encore. Sauf qu'ils avaient explosé. On serait en droit de se demander qui était responsable.
L'Elfe finit par vaincre sa répugnance et se rapprocher. Il y avait de jolis fleurs sur les établis et le donjon en manquait drôlement. Si elle pouvait les renifler, peut être qu'elle se sentirait mieux, parce que la seule chose qu'on devrait trouver aussi loin sous terre, c'était des racines et des terriers de petits animaux.
-Et voilà ! Elle recommence déjà à se mettre du pollen plein les narines. C'est pas une Elfe en fait, c'est une vache.
-Idiot, c'est les abeilles qui butinent !
-Peut être bien, mais toi tu ressemble à une vache qui rumine.
L'Elfe, ressembler à une vache ? Elle serra son poing sur une poignée d'herbes posées sur l'établi.
-Je ne suis pas une vache ! Je suis une Elfe et je suis belle !
La partie mâle de l'assistance déglutit. L'Elfe ne se mettait pas souvent en colère, mais quand c'était le cas, elle sautillait sur place et ça faisait rebondir son opulente poitrine d'une façon qui leur donnait envie de prier la déesse Lafoune de leur accorder de goûter au fruit défendu - ou au diamant défendu, dans le cas du nain - et de se mettre à genoux devant l'Elfe. Avec la magicienne qui était de son côté occupée à baver devant une série de potions de résistance, personne ne remarqua quand l'Elfe tapa du poing sur l'établi et qu'il y eut en réponse comme un bruit de bris de verre.
-Et même une très grosse vache, rajouta le Nain en déglutissant malgré lui.
En général, les insultes vraiment méchantes du Nain faisaient juste pleurer l'Elfe un petit moment avant qu'un des garçons du groupe ou la Magicienne ne la réconforte. Mais elle avait mal aux pieds d'avoir marché des heures dans ce donjon, un piège lui avait déversé de l'eau glacée sur la tête et détruit sa permanente, un autre l'avait couvert de boue des pieds au nombril alors, s'il fallait être honnête, elle se sentait un tout petit peu l'air d'une vache et elle détestait ça. L'Elfe fit donc quelque chose de totalement imprévisible.
Elle sauta sur le Nain et lui asséna une torgnole digne d'une gifle de Namzar de niveau 3. La tête du Nain vola carrément en arrière. Inquiet de la réaction du Nain, le Rôdeur s'intercala courageusement presque entre eux.
-Euh, ce serait peut être bien de s'arrêter là, non ? Après tout, on est tous amis. Ou collègues. Compagnons d'aventure ? Je suis sûr que l'Elfe ne voulait pas frapper le Nain, n'est-ce pas ?
À sa grande surprise, le Nain et l'Elfe se jetèrent un coup d’œil et se mirent à hurler d'horreur à l'unisson, puis le Nain se mit à pleurer pendant que l'Elfe faisait semblant de vomir.
-C'est horrible, pleura le Nain d'une petite voix geignarde, horrible !
-Horrible ?, cracha l'Elfe. Parle-pour toi, bouffeuse d'herbe, regarde-moi, je n'ai pas de barbe !
Le Barbare, le Rôdeur et l'Ogre se regardèrent étonnés. Pour eux, cette conversation n'avait ni queue ni tête. La Magicienne, elle, commença enfin à ce qui se passait autour d'elle et approcha du petit groupe.
-Du calme voyons ! Qu'est-ce qui s'est passé ?
L'Elfe, ou la personne que les autres prenaient pour l'Elfe, leva bien haut la main droite pour que la Magicienne la voit, alors que les deux étaient de même hauteur.
-Cette morue m'a frappé avec sa main toute collante, c'est dégueulasse ! Enfin, merde, il y a des fleurs collées dans ma barbe ! Sa barbe ?
Avec un luxe de précaution, mais un mépris évident pour toutes les règles de sécurité, la Magicienne préleva du bout des doigts un peu de la substance collante en question. Le Barbare s'approcha et y regarda de plus près.
-Ça sent comme les gâteaux au miel que me faisait ma maman quand elle rentrait de pillage.
Il toucha à son tour le liquide poisseux. Aussitôt, la Magicienne et le Barbare poussèrent à l'unisson un cri de surprise.
-Ne touchez pas cette substance, avertit le Barbare d'une voix sentencieuse inhabituelle. Ou je me trompe fort, ou cette mixture force un échange des corps.
-Par Crôm !, s'exclama la Magicienne. J'ai des seins !
Le reste de l'assistance en resta parfaitement pantoise. À ce stade, le narrateur fera par contre l'honneur à ses lecteurs de croire qu'ils ont compris avant ces personnages ce dont il retournerait et donnera à chaque personnage son nom, nonobstant le corps qu'il occupe.
Les six membres des Fiers de Hache, eux, se regardèrent un moment interloqués. Vu le niveau intellectuel moyen de l'équipe, l'existence même d'une potion d'échange corporel était un peu complexe à saisir. La difficulté de la gymnastique mentale visant à déterminer qui était qui les occupa une bonne minute supplémentaire. Ensuite, la réalité de ce qu'ils vivaient les frappa pleinement. L'Elfe se remit à pleurer et les autres retroussèrent la lèvre devant ce spectacle désagréable à subir. La manie de l'Elfe d'éclater en sanglot quand quelque chose ne lui plaisait pas était bien moins mignonne quand elle occupait le corps poilu et musclé d'un Nain. Au lieu de vouloir la prendre dans leurs bras pour la consoler, ils avaient plutôt envie de la frapper. Le Nain, par contre, était ravi que les autres réalisent enfin à quel point cette morue était crispante.
-C'est horrible !, finit par dire l'Elfe. Je vais jamais pouvoir trouver assez de cire pour enlever tous ces poils !
Le Nain chercha sa hache, mais ne trouve à sa ceinture qu'un carquois davantage rempli de fleurs des champs que de flèches.
-Touche à un seul de mes poils et je... je... Je trouve un tatoueur orc pour s'occuper de ton visage ! Tu feras moins la maligne avec des clous plantés dans les sourcils !
Les pleurs de l'Elfe redoublèrent.
-Personne ne touche aux visages ou aux poils de personne !, décréta la Magicienne. Vous m'entendez ! Personne !
Le silence se fit aussitôt. Elle réalisa que dans le corps du Barbare, elle était bien plus menaçante que dans son propre corps. Elle tenta de rouler des muscles pour accentuer l'effet, mais c'était bien plus difficile que ça n'en avait l'air. Les sourcils des autres se froncèrent comiquement devant ses efforts, lui faisant abandonner la manœuvre pour croiser les bras sous ses pectoraux et gonfler sa poitrine. C'était bien de pouvoir faire ça sans risquer que ses seins sautent en-dehors de son corsage. Quand elle faisait ça pour avoir l'air menaçante, l'attention des hommes était uniquement fixé sur leur contenu et pas sur la sagesse de ses paroles, c'était agaçant ! Au moins, le Barbare n'avait pas ce problème, sauf une fois, où il avait été harcelé par une troupe de nymphes en rut. Là, le Rôdeur fit deux pas en arrière, impressionné et un peu effrayé. La Magicienne réalisa qu'il pouvait y avoir un bon côté à avoir des muscles, du moins, tant que c'était un autre qui faisait l'entraînement à votre place. Parce que les tractions tous les matins, très peu pour elle. La Magicienne préférait la gymnastique du cerveau, bien moins épuisante.
-Bien, reprit-elle maintenant qu'elle était sûr d'avoir l'attention générale. Si cette situation se prolonge, il faut mettre en place quelques règles de base : personne ne fait de mal ou ne modifie le corps de l'autre. Personne n'en profite pour regarder ce qui se cache dans le pantalon ou le corsage de l'autre. Le Barbare, ça veut dire que tu éloigne tes pattes de mes seins !
Le Barbare, qui savait à quel point une baffe originaire de son corps d'origine pouvait faire mal et à quel point le corps de la Magicienne était fragile, préféra s'exécuter. Mais c'était juste de la curiosité, il se demandait comment on pouvait se battre avec ces deux choses qui bougeaient tout le temps. Au moins, les femmes de son clan avaient le bon sens de les enfermer derrière un soutien gorge en cuir clouté.
-Si l'Elfe ne fait rien, alors moins non plus, finit par concéder le Nain.
Lui par contre n'était pas du tout tenté par l'exploration du corps de l'Elfe. C'était déjà bien assez horrible d'être coincé là dedans. Si quelqu'un l'apprenait un jour, il serait la risée de toutes les mines naines de la Terre de Fang. Bien sûr qu'il voulait qu'on chante des chansons sur lui comme sur son ancêtre Gurdil, mais pas qu'elles se moquent tellement de lui que ses arrières-arrière-arrières-petits enfants en mourraient encore de honte. L'Elfe hocha aussi de la tête et arrêta de pleurer. Elle commençait à réaliser que c'était beaucoup moins efficace désormais et boudait un petit peu. En plus, elle était désormais parfaitement bien placée pour voir le bouton sous le menton de son joli visage. C'était horrible de se dire que le Nain voyait ça tous les jours. Si elle avait des boutons, peut être qu'elle méritait un peu qu'il se moque d'elle. Un tout petit peu. Si la situation se prolongeait, il faudrait qu'elle force le Nain à utiliser du shampoing Laureliane et de la lotion pour la peau à base de fleurs des champs. Et les Nains, ils utilisaient quoi comme exfoliants ? Elle avait un peu peur de devoir l'apprendre très vite. Pitié, qu'il la laisse au moins utiliser du savon, c'était horrible cette odeur de chaussettes mal lavées !
Rassurée que les premiers concernés soient tous d'accord avec elle, la Magicienne s'approcha de l'établi pour essayer de déterminer ce qui s'était passé et voir si un manuel d'instructions traînait par hasard dans le coin. Il valait mieux, parce qu'elle n'avait jamais travaillé avec ce genre de potions. C'était d'un niveau beaucoup trop avancé pour elle. Son professeur d'alchimie l'avait supplié d'abandonner son cours avant la fin de la troisième semaine. Elle avait fini par accepter parce qu'elle en avait assez de devoir se redessiner les sourcils au crayon.
Pendant qu'elle essayait de comprendre, et surtout qu'elle galérait à saisir de minuscules petites fleurs avec ses nouveaux doigts de Barbare couverts de cals, l'Ogre se grattait la tête avec perplexité.
-Zog Zog ?, demanda-t-il au Barbare.
-Je comprends pas l'Ogre, lui rappela celui-ci.
-Zoug zog !
Le pauvre avait du mal à saisir ce qui se passait. L'Ogre n'était pas stupide, mais quand même, son amie était gentille et avait les cheveux qui sentaient bons et le Barbare était ce grand copain avec qui il pouvait échanger des coups. Ce n'était pas normal que les choses changent. S'il pouvait donner des coups à la Magicienne et pas au Barbare, qu'est-ce que cela voulait dire ?
-Zog Zoug !, cria la Magicienne pour le rassurer.
Ces mots gentils le rassurèrent un peu. Peut être même que le Barbare apprendrait un peu de vocabulaire ogre s'il restait longtemps dans le corps de la Magicienne. Ce serait bien de pouvoir parler à quelqu'un d'autre. Il s'approcha de la Magicienne pour lui demander si c'était possible. Celle-ci haussa les épaules pour dire qu'elle n'en avait aucune idée et qu'elle était occupée à autre chose pour le moment. L'Ogre n'eut pas d'autre choix que de s'asseoir et d'attendre. C'était triste, les autres s'amusaient bien à échanger leurs corps, mais lui s'ennuyait, et il n'avait pas envie de devenir le Rôdeur. Il aimait bien être le plus grand. Peut être avec le Nain ? Ce serait amusant d'être le plus petit, mais pas plus d'une minute ou deux.
Le Rôdeur non plus n'était pas content. Il trouvait que tout ça n'était pas très juste. Il ne pouvait plus baver sur l'Elfe maintenant, parce qu'à l'intérieur de ces formes fascinantes, il y avait un Nain et que celui là était un spécimen vraiment pas sympa de sa race. Il ne comprenait pas grand chose à ce qui se passait non plus, mais d'habitude, ça ne l'empêchait pas de donner des ordres et de faire son travail de chef, sauf que là, c'était difficile, parce que la Magicienne, qui essayait déjà d'être celle qui prenait les décisions en temps normal, pouvait vraiment lui mettre une torgnole s'il la ramenait un peu trop. Du coup, il préférait se taire et lancer des regards noirs au Nain qui avait le privilège d'occuper le corps parfumé de l'Elfe et de pouvoir mater son décolleté par au-dessus. Au moins, lui n'avait pas touché l'Ogre. Ce serait horrible d'être dans ce corps là, et encore plus si les autres attendaient de lui qu'il se batte comme l'Ogre. Le Rôdeur préférait rester derrière, en sécurité, enfin, là où on pouvait saisir l'intégralité de la configuration du combat et prendre des décisions stratégiques essentielles.
Tout d'un coup il fronça les sourcils.
-Dites ? On fait quoi si on doit se battre ?
-Baston !, hurla le Barbare en cognant les deux poings de la Magicienne l'un contre l'autre.
Il réalisa aussitôt que c'était une mauvaise idée. Ce corps de mauviette n'était pas fait pour les démonstrations de force. Il s'était presque foulé un poignet !
-Par Crôm, trouve un moyen de réparer ça, Magicienne ! J'entends mes ancêtres qui hurlent de colère. Je suis un Barbare, pas une faible femme des villes.
C'est là qu'il serait utile de noter un petit détail intéressant. Le Barbare avait peut être quitté son corps, mais la barbaritude était restée collée à l'intérieur de celui-ci. La Magicienne se sentit brusquement envahie par cinquante générations d'ancêtres barbares qui lui disaient de ne pas se laisser faire par cette mauviette en robe.
-La faible femme elle peut t'arracher la tête d'un coup de poing pour l'instant et en temps normal, sa magie est dix fois supérieur au plus petit de tes muscles !
-Pour ça, il faudrait déjà être capable de viser correctement ! Comme si la magie c'était si compliqué ! On vise, on frappe, on tue ! N'importe qui peut faire ça !
-Ah oui ? Prouve-le alors !
Deuxième petit détail. Le cerveau de la Magicienne était lui formaté par des années de compétition académique. Le Barbare tendis la main vers une épée qui était dans la main de la Magicienne et pas à sa ceinture. À défaut, il s'empara du bâton de celle-ci et lança un « Tourbillon de Wazaa » tonitruant. Il ne réfléchit même pas aux potentialités destructrices d'un tel sort. Il n'écoutait jamais quand la Magicienne parlait de magie. Pour lui tous les sorts se valaient dans la nullité, même les plus destructeurs, parce qu'ils n'impliquaient pas de muscles.
Une fois le mot lancé, le cerveau de la Magicienne fit le reste et lança le sort que son corps avait proféré. Par contre, la preuve que la Magicienne n'était pas si catastrophique que ça se matérialisa sous leurs yeux : le Barbare avait vaguement pointé le bâton dans la direction de la Magicienne, mais le sortilège partit de l'autre côté, droit vers la porte qui explosa en une centaine de petites allumettes pointues comme des échardes. Celles-ci rebondirent sur le cuir de l'Ogre et l'armure que portait à présent l'Elfe, mais le Rôdeur eut à peine le temps de sauter à l'écart. Le Nain, lui, avait oublié qu'il n'en portait plus, d'armure, et que la jupe et le corsage qu'il portait actuellement ne protégeait pas de grand chose. Il s'effondra au sol en criant, le bras transpercé de petits morceaux de bois, pendant que des dizaines de fioles volaient en éclat.
-Bordel, faites attention avec vos jouets !, hurla-t-il. Est-ce que j'essaie d'utiliser un arc comme un fumier d'Elfe, moi ?
-Ben tu va devoir, parce qu'on a de la compagnie !
Attirés par le bruit, la patrouille revenait. Le groupe entier déglutit en constatant qu'elle était constituée de six gobelins et de deux Ogres portant une armure de plaque. Ceux-ci se figèrent en voyant le groupe qui se figea aussi. Ça faisait beaucoup de monde à castagner, surtout dans leur état.
-On peut discuter, peut être ?, glapit aussitôt le Rôdeur.
Il était un des plus proches de la porte, et pas très chaud pour un tel combat. Hélas pour lui, les autres ne lui laissèrent pas le choix.
-Baston !, hurlèrent à l'unisson la Magicienne et le Barbare.
L'instinct barbare était supérieur à l'instinct de survie. Les deux se précipitèrent au corps à corps, submergés par l'envie de piétiner dans le sang et les entrailles. La Magicienne l'aurait nié avec véhémence, mais elle s'amusait comme une folle. Le barbarisme, c'était en fait bien plus marrant que la magie quand on y pensait, et en plus, on était bien moins fragile pour prendre des coups ! Le Barbare, lui, était tellement habitué à foncer sans réfléchir qu'il ne s'était même pas demandé s'il était en état de décapiter un adversaire avec les dents.
Derrière eux, le Nain et l'Elfe se tiraient dans les pattes pour récupérer sa hache pour l'un, son arc et son carquois pour l'autre.
-Zog zog !, gémit l'Ogre en hochant la tête d'un air désespéré.
Les autres ne comprenaient bien sûr pas qu'il voulait dire que tout ça était mal parti. Voyant que personne ne l'écoutait, il secoua tristement la tête et partit se réfugier sous une table, partant du principe qu'il faudrait bien quelqu'un pour identifier et recoller les morceaux de ses équipiers avant de les enterrer.
La baston en question fut rapide, brutale, étrangement peu sanglante et, à dire vrai, difficile à comprendre. La Magicienne avait peut être des muscles de Barbare, mais son épée vola à travers la pièce sitôt qu'elle la brandit. Le pommeau atterrit droit sur un Gobelin et l’assomma pour le compte. Le Barbare, lui, cassa son fragile bâton sur le nez d'un Gobelin en le confondant avec son épée, puis se fit assommer et piétiner en quelques instants. L'arc de l'Elfe se brisa entre des mains faites pour manier la hache et le Nain s'effondra sur le sol, emporté par le poids de la hache en question.
Pour être honnête, le combat n'avait pas commencé qu'il était déjà terminé. Après ce début, les Gobelins et les Ogres étaient trop occupés à se bidonner pour être capable de se battre. Quand l'Ogre enleva les mains qu'il avait placé devant ses yeux pour ne pas voir ça, il vit les derniers ennemis en train d'essayer de retrouver leur souffle. Il n'avait plus qu'à les assommer les uns contre les autres.
Alors qu'il s'approchait, un des Gobelins leva les mains d'un air inquiet.
-Non, non, pas moi ! C'est moi ! Le rôdeur ! J'ai buté dans quelque chose et je suis tombé sur ce Gobelin !
-Ah le nul !, ricana le Nain. C'est un Gobelin, l'autre !
Le Rôdeur se ratatina un peu plus sur lui même, honteux d'être vu dans un tel corps, tandis que les autres songeaient que c'était au contraire le corps parfait pour aller avec sa presque légendaire couardise. Les petits yeux chafouins lui allaient particulièrement bien. En tout cas, l'Ogre hocha la tête d'un air songeur et alla relever ses autres amis et verser le contenu d'une potion de soin dans la gorge du Barbare. Quand ce fut fait, ils se mirent en cercle au centre de la pièce et regardèrent autour d'eux. Il n'y avait pas grand chose qui ai survécu à la bagarre et au tourbillon de Wazaa qui l'avait précédé.
-J'imagine qu'on ne trouva rien de plus dans ce fatras, fit la Magicienne d'une voix remarquablement peu concernée pour quelqu'un qui était coincée dans le corps d'un Barbare malodorant.
Le Nain se mit aussitôt à pleurer.
-J'ai pas de poils et je peux pas tenir ma hache ! Qu'est-ce que je vais devenir ?
-Non mais il arrête sa charrette l'autre bouffeur de cailloux ?, lui cracha l'Elfe. C'est pas possible d'être aussi chouinard !
Le Nain se mit à pleurer encore plus fort pendant que le Rôdeur se plaignait que personne ne le laisserait entrer dans une ville avec ce genre de tête et qu'il ne pouvait pas laisser son corps faire n'importe quoi à l'intérieur d'un donjon.
Tout en les regardant faire, la Magicienne fronça les sourcils. Quelque chose la dérangeait, mais elle avait du mal à comprendre quoi. Il y avait un problème avec le comportement du Nain qui pleurait pendant que l'Elfe était en train de fouiller les poches des Gobelins. Puis le Barbare claqua des mains, et elle perdit le fil de sa pensée.
-Ah ! J'ai compris ! Nous avons échangés nos corps, mais le problème est plus grand que ça ! Je deviens futé comme la Magicienne, qui devient butée comme un Barbare, tandis que le Nain est en train de devenir une Elfe et vice-versa !
-Ah bon ?, s'étonna la Magicienne.
Le Barbare lui adressa un grand sourire, tout fier d'avoir compris le premier. La Magicienne était vexée, mais en même temps, elle s'en foutait. Pas besoin d'un cerveau pour taper sur des gens avec leurs propres copains.
Ah. La Magicienne commençait à voir le problème, et elle n'était pas la seule.
-Mais c'est une catastrophe !, fit l'Elfe. Je veux dire, ça me dérange pas de me mettre à vivre sous la terre pour chercher de l'or et creuser des tunnels, mais je veux continuer à manger de la salade et à parler aux oiseaux !
-Et moi je veux bien me mettre à tresser les poils des poneys, mais quand même pas à manger de la salade. Encore que, si elle était accompagnée de rognons...
Tous se jetèrent un regard absolument paniqué. Non, vraiment, il fallait que ça s'arrête. D'accord, c'était peut être amusant de tabasser des Gobelins ou de lancer des sorts pendant deux minutes, mais si ça voulait dire changer aussi de caractère... Sans compter que personne ne voulait voir quelqu'un avec l'esprit tordu du Nain dans le corps de l'Elfe. Ils allaient avoir trop de problèmes à long terme. La compagnie se tourna vers le Barbare et la Magicienne.
-Me demandez pas comment faire, j'ai passé ma vie à taper sur des gens avec leur propre mâchoire !, s'excusa aussitôt le premier.
-Et moi, j'ai une envie terrible de brûler quelque chose, mais aucune idée !, grinça la Magicienne. Vous croyez que ça flambe bien, un donjon ?
Ils allaient rester coincés comme ça, à vie. La terreur s'empara d'eux. Ils se mirent tous à courir d'un bout de la pièce à l'autre pour chercher toutes les potions et tous les livres qui passaient à leur portée et les mettre sous les nez du Barbare et de la Magicienne - à moins que ce soit le Magicien et la Barbare maintenant ? Malheureusement, même en essayant de travailler à deux sans se bouffer le nez, les deux furent incapables de trouver quelque chose. La Magicienne finit même par saisir son épée et faire du petit bois des établis couverts de potions. Quand au Gobelin qui occupait le corps du Rôdeur, il s'était réveillé ligoté et hurlait pour qu'on lui explique ce qui se passait.
Le seul à rester calme, c'était l'Ogre qui avait trouvé le goûter des deux autres Ogres qu'il avait assommé un peu plus tôt. Assis à côté de la porte, il mangeait tranquillement sans être trop perturbé par l'agitation. Pour lui, c'était même presque amusant à regarder. Il y avait tellement de produit d'échange corporel par terre que plus ils se tapaient, plus ils en étaient couverts. Maintenant, à chaque fois qu'ils se touchaient, ils échangeaient de corps. Si l'Ogre avait bien suivi, la Magicienne était maintenant dans le corps du Gobelin et essayait de mordre l'Elfe dans le corps du Barbare qui frappait à coup d'arc cassé le corps de la Magicienne, qui lançait des étincelles de feu dans tous les sens et était occupé soit par le Rôdeur, soit par le Barbare, mais pour le reste, il n'avait pas la moindre idée de qui était qui. Surtout que du coup, la Magicienne était maintenant dans le corps du Barbare, l'Elfe dans celui du Gobelin et... à peine l'Ogre avait-il compris qui était qui qu'il fallait recommencer tous les calculs.
-Akala miam miam, conclut l'Ogre avec sérénité tout en commençant à manger sa deuxième pomme. Il essaya de s'installer un peu plus confortablement. Tout ça pouvait durer encore très, très longtemps.
Tout cela dura en fait exactement trente cinq minutes, même si l'Ogre n'essaya même pas de compter jusque là. C'est le temps qu'il fallu pour qu'un coup de poing ramène par hasard la Magicienne dans son corps. Comme elle venait du corps du Nain, elle du lutter contre le réflexe de continuer à taper tous ces imbéciles, mais réussit quand même à se mettre à genoux pour sortir de la mêlée en rampant.
-Zoug zog ?, demanda l'Ogre en lui tendant une pomme.
-Je sais pas ce qui m'a pris, gémit la Magicienne. Je n'avais jamais donné un coup de poing de ma vie !
En disant ça, elle mordit rageusement la pomme. Elle avait mal partout après la volée de coup que son corps s'était prit. Il serait raisonnable de crier aux autres de toucher leurs propres corps pour corriger le problème, mais il y avait encore un peu de la méchanceté du Nain en elle. Ils pouvaient bien s'en rendre compte par eux-mêmes, ça leur apprendrait la leçon, tiens ! D'ici là, peut être qu'elle se serait débarrassée de cette envie de chanter des odes aux oiseaux et de mettre le feu au donjon en hurlant au pillage. En tout cas, qu'après ça, ils ne viennent plus lui dire que la magie ne servait à rien et qu'elle était nulle, parce qu'elle était la seule d'eux tous à savoir viser même un petit peu avec une boule de feu ! Parce que son crochet du droit, il valait bien celui du Barbare, alors si quelqu'un ici était meilleur que l'autre, c'était bien elle.
On aimerait dire que les Fiers de Hache sortirent plus sage de cette mésaventure.
On serait en droit d'en douter.