Titre : Au cœur du Bois
Auteur : Lorelei (Participant.e 18)
Pour : Lilange (Participant.e 4)
Fandom : Déracinée
Persos/Couple : Reine de Polnya
Rating : K
Disclaimer : Déracinée appartient à Naomi Novik
Prompt : Son regard sur les événements qui la conduisent à finir claustrée dans un arbre-cœur, sa lutte possible contre l’influence du Bois, comment son esprit se délite peu à peu. Les inquiétudes qu’elle pouvait nourrir pour ses proches et ce qu’ils ont pu croire tandis qu’elle-même reste impuissante à apporter la vérité.
Notes : Merci pour ce défi, vraiment pas facile, mais enthousiasmant ! J'espère que la réponse te plaira.
Je vis. Comment cela se fait-il que je vive encore ? J'étouffe. J'essaie d'ouvrir les yeux, de prendre une inspiration, de hurler, de bouger ne fut-ce qu'un cil.
Je n'y arrive pas. Mon corps ne m'appartient plus, seules mes pensées m'appartiennent encore, mais cela est-il seulement vrai ? Pour la première fois depuis des jours, le brouillard dans ma tête s'est levé et je pense par moi-même. Je pourrais pleurer devant ce petit miracle. Je pourrais maudire cette lucidité. Je ne peux m'empêcher de penser que c'est une nouvelle torture que me réserve le Bois.
Au moins, je sais où je suis, je comprend ce qui m'arrive, mais qu'est-ce que ça change ? Je suis perdue, totalement perdue. Nul ne viendra me chercher ici, au cœur du Bois. Ni mon époux, ni toutes les armées et sorciers de la Polnya. Ils diront que c'est regrettable, se lamenteront probablement en public, mais personne ne lèvera le moindre doigt pour moi. Je suis l'épouse d'un roi, la fille d'un duc. Je sais ce qu'est le devoir. Et je sais ce qu'est le Bois, même si ce n'est que par les murmures de la cour et ce qu'en disent les sorciers et les livres du palais. À leur place, j'agirais de la même manière.
Je ne peux le leur reprocher. Je les hais de m'abandonner comme ça.
Je suis morte, sans l'être, et je ne peux même pas pleurer sur mon propre sort. Combien de temps peut-on mettre à mourir, coincée comme je le suis, sans air, sans nourriture ? Le Dragon et ceux qui l'ont précédé dans la vallée se sont-ils seulement penchés sur la question ? À ma connaissance, nul ne sait ce qui arrive à ceux que le Bois enferme dans les arbres-cœurs. Il est bien trop dangereux de rentrer dans le Bois pour l'étudier.
Avant de mourir, je pourrais souffrir des heures, des semaines, des jours. Depuis combien de temps suis-je prisonnière, combien de temps il me reste, je l'ignore. Si au moins je savais l'issue, peut être paraîtrait-elle moins insupportable. Peut être. Chaque seconde qui passe m'est un supplice. C'est comme un hurlement ininterrompu qui reste coincé dans mon esprit, incapable de dépasser mes lèvres. Comme si j'étais coincée pour l'éternité entre un battement de cœur et le suivant, une boule de panique à jamais coincée dans la gorge.
Quelque chose se passe. Je met un long moment à m'en rendre compte, beaucoup trop long. En cet instant, toutes mes pensées sont tournées vers mes enfants. Ils sont ce que j'ai de plus important au monde et ils ont perdu leur mère, pour toujours, sans le soulagement que procure les funérailles et le deuil. Mais il est impossible d'ignorer ce râle presque imperceptible qui se fait entendre, déformé par l'écorce qui me recouvre. Sans reconnaître la voix, je sais à qui elle appartient. Au prince de Rosya, par qui tous mes ennuis sont venus.
Ma propre stupidité me saute aux yeux. Une Reine est censée être sage. Une reine est censée être raisonnable, mesurée, digne, et j'en passe. On en attend tant d'elle ! Mais une chose est sûre, elle n'est pas censée rencontrer nuitamment des princes étrangers dans une bibliothèque vide, la minuit passée depuis longtemps.
Était-ce déjà la corruption du Bois qui m'avait lancé sur ce chemin ? Je voudrais le croire. La capitale est bien loin du Bois, mais ma chambre donne dans cette direction. Un vent mauvais pourrait avoir pénétré la sécurité de ma chambre, déposant les graines de la corruption comme autant de bouffées de pollen sur mes oreillers. Une servante pourrait avoir ouvert mes fenêtres trop longtemps pour profiter de la douceur printanière.
Alors, je ne serais pas responsable. Mais c'est hautement improbable. Jamais jusqu'ici un vent n'a mené la corruption en-dehors de la Vallée, et si c'était le cas, le Dragon aurait lancé l'alerte. Moi seule fut donc fautive de cette incartade. Je n'arrivais pas à dormir et je suis descendue prendre le livre le plus ennuyeux possible à la bibliothèque. J'étais en chemise, une simple robe de chambre placée sur mes épaules, mais à cette heure, les lieux étaient toujours déserts. En voyant le prince, penché sur un livre fermé qu'il n'ouvrait pas, malgré son apparente fascination, j'aurais du faire volte face, mais j'étais chez moi et je savais qu'il déplairait à mon époux que j'échange même des platitudes avec ce représentant de notre ennemi héréditaire.
Ce soir-là, j'étais ravie de déplaire à mon royal époux. Cette première discussion, j'en suis responsable. Mais ce qui me poussa à revenir, nuit après nuit ? C'est la faute du Bois, uniquement la sienne. Je me réveillais en sursaut et descendait en titubant jusqu'à la bibliothèque, sans même allumer une chandelle, au risque de me rompre le cou. Nous ne nous embrassions même pas, nous ne nous touchions pas. Nous posions la main sur le même livre, pensant à l'ouvrir sans jamais le faire et il fallait les premières lueurs de l'aube pour nous arracher à notre stupéfaction. Je remontais dans mes appartements, le rouge aux joues et je peinais de plus en plus à garder les apparences en public. J'attendais la nuit et rien d'autre. Plus rien n'avait de sens ou d'importance.
Mon époux n'a rien vu. Il aurait fallu que je sois plus qu'un ventre à ses yeux. Je lui avait déjà donné deux héritiers, je n'avais donc plus qu'à m'occuper d'eux et à le dispenser de ma présence. Mes fils, par contre, voyaient bien que je m'éloignais. Mon petit Marechek surtout s'accrochait à moi et me secouait le bras pour me faire sortir de ma torpeur. Le souvenir de ses pleurs me déchire de l'intérieur, plus que le Bois ne saura jamais y parvenir.
Le râle résonne à nouveau tout contre l'écorce. J'ai l'impression que les cordes sur mon torse et mes poignets se resserrent. Impossible, l'écorce m'étreint déjà de si près qu'elle me déchire la chair.
Il se meurt, Vasily, prince de la Rosnya, l'homme qui m'a guidé dans le Bois, puis traîné quand j'ai commencé à me débattre. Je lui ai craché au visage tandis qu'il m'attachait à l'arbre-cœur. Pour ce qu'il m'a fait, je le hais. Mais je me souviens aussi de son visage vide quand la mante derrière lui a jailli et que son sang a giclé vers moi, au moment où le piège d'écorce se refermait. Il n'était même pas conscient qu'il était en train de mourir. Se rend-il compte comme moi de la folie qui nous a frappé maintenant, ou la corruption le tient-elle toujours ? Je lui souhaite presque que ce soit le cas, mais alors je devrais le haïr d'autant plus. Sa mort sera plus rapide que la mienne. Lui peut aspirer quelques dernières goulées d'air, fut-il vicié. Peut être même peut-il voir un coin de ciel. Je voudrais être à sa place et lui à la mienne. Il est l'auteur de ma corruption. Peu importe comment lui-même a été touché, il n'avait pas à m'en faire payer le prix.
Un nouveau râle. Combien de temps entre celui-ci et le précédent, celui-là et celui d'encore avant ? Combien de temps passé dans cet arbre-cœur ? J'ai vu la blessure de Vasily. Son sang doit s'écouler à toute vitesse, donc je ne peut être là que depuis quelques minutes.
Pour moi c'est déjà une éternité d'agonie. Je ne peux pas bouger, mais mon corps entier me brûle. Je suis ankylosée comme si je n'avais pas bougé depuis des heures. Même si je pouvais, je ne sais pas si j'aurais encore l'énergie de le faire. L'horreur de ma situation m'étreint à nouveau, plus réelle que jamais. Dans ma gorge, le hurlement muet est remplacé par de la bile, mais je ne peux pas vomir, je m'étoufferais. C'est une mort trop horrible, même si elle serait plus rapide que celle que me réserve l'arbre-cœur. L'instinct de survie est le plus fort.
Hélas.
L'écorce devant mon nez et ma bouche se fissure imperceptiblement. Je ne m'en rends compte que lorsque l'air pénètre enfin dans mes poumons. Je remercierais presque l'arbre-cœur de m'accorder cette grâce, avant de me rappeler que c'est lui aussi qui m'a torturé en me refusant cet air, qui peut me le reprendre à tout instant et qui m'attire toujours plus près de son tronc. Je sens sa conscience maligne me toucher l'esprit comme une branche épineuse, cherchant un point d'accès.
Je ne peux pas le laisser faire.
Pendant un moment, je ne me concentre que sur ça et sur l'air qui frôle mes lèvres avides. Chaque fois que je crois repousser l'arbre-cœur à distance, je comprends qu'il a déjà commencé à tester mes défenses d'une autre manière. Je crois comprendre ce qu'il veut. Il n'y a qu'une raison pour le Bois de s'attaquer à la reine de Polnya. Il veut connaître les forces et les faiblesses de nos défenses. Le nombre d'hommes, leur vitesse de marche et de réaction, le positionnement de nos sorciers... Si je lui donne tout ça, il suffirait d'une seule grande offensive de sa part pour tout détruire. Mais je n'ai pas besoin d'aimer mon mari ou mon titre pour aimer mon pays et surtout, pour vouloir que mes fils grandissent en sécurité, même loin de leur mère. Alors je m'accroche, je pense à eux pour ne pas penser aux faiblesses du royaume.
Au milieu de tout ça, je ne me rend même pas compte que Vasily a cessé de gémir.
Quelque chose se passe. Je met un long moment à m'en rendre compte, beaucoup trop long. Toutes mes pensées sont tournées vers mes enfants, leurs premiers cris, leurs premiers mots, leurs premiers sourires. Je pense à Marechek surtout. Il est si jeune et encore si dépendant de moi. C'est lui qui prendra le plus mal ma disparition. S'il était plus grand, je suis sûr qu'il tenterait de venir me sauver lui-même. C'est un enfant si aimant, il lèverait une armée pour moi et s'enfoncerait jusqu'au cœur du Bois. Là où Sigmund est calme et réservé, Marek est bouillant de l'envie de faire le bien et de rendre sa mère fière de lui. Ils sont si différents. Sigmund fera un grand roi, sage et juste, mesuré en toutes choses. Marek sera un général qui amènera richesse et gloire à la Polnya. Une mère sait ce genre de choses. Elle aime également ses enfants, mais sait reconnaître leurs différences et leur apprendre à développer leurs talents.
Quelque chose se passe. Je met un long moment à m'en rendre compte, beaucoup trop long. Toutes mes pensées sont tournées vers ma famille, vers mon mari qui ne lèvera pas une main pour moi. Après ma disparition, ma moralité aura été questionnée. Je n'ai rien à me reprocher, mais si on m'a vu me rendre nuitamment à la bibliothèque, je ne suis plus la pauvre épouse du roi volée par le Bois, mais une femme qui a trahi à la fois son époux et son royaume. Même si par miracle j'étais libérée de l'arbre-cœur, mon retour pourrait détruire la Polnya.
Quelque chose se passe. Je met un long moment à m'en rendre compte, beaucoup trop long. Toutes mes pensées sont tournées vers mes enfants, qui je ne verrais pas grandir, pas à moins que le Dragon en personne ne vienne à mon secours, et il ne le fera jamais. Je le connais juste assez pour savoir qu'il restera sagement calfeutré dans sa tour, à moins qu'il ne soit persuadé de pouvoir remporter une victoire contre le Bois.
Quelque chose se passe. Je met un long moment à m'en rendre compte, beaucoup trop long. Toutes mes pensées sont tournées vers le Bois auquel j'essaie d'échapper. Je cours, jusqu'à n'en plus pouvoir, terrifiée par les horreurs du bois. Les arbres sont tordus comme sous l'effet d'un cri, l'air est empuantit par les odeurs de leurs fleurs et de leurs fruits, et sous leurs frondaisons, je voit des choses bouger, aussi mauvaises que le Bois lui même. Le manque d'air me brûle les poumons, mais je ne peux m'arrêter car les branches les plus basses tentent de m'emprisonner tandis que les racines se dressent pour me faire trébucher. À chaque fois, leurs épines déchirent ma robe et mes bras. Mes bras et mes jambes sont couverts de terre et de boue. Je ne ressemble plus à la noble reine de Polnya. Il n'y a pas de différence entre moi et les paysannes de la vallée qui dans les chansons se laissent séduire par les murmures du Bois. Ni elles ni moi n'avons la moindre chance de nous en sortir. Le pouvoir et les couronnes ne veulent rien dire dans le Bois.
Quelque chose se passe. Je met un long moment à m'en rendre compte, beaucoup trop long. Toutes mes pensées sont tournées vers le Bois auquel j'essaie d'échapper. Je cours, jusqu'à n'en plus pouvoir. Le manque d'air me brûle les poumons, mais je ne peux m'arrêter car les branches les plus basses tentent de m'emprisonner tandis que... Je suis déjà passée par là. J'ai déjà vu cet arbre tordu. Et ce...
Quelque chose se passe. Je met un long moment à m'en rendre compte, beaucoup trop long. Toutes mes pensées sont tournées vers...
Quelque chose se passe. Je met un long moment à m'en rendre compte, beaucoup trop long. Toutes mes pensées sont tournées vers...
Quelque chose se passe. Je met un long moment à m'en rendre compte, beaucoup trop long. Toutes mes pensées sont tournées vers... Non. Quelque chose ne va pas. Comment me suis-je échappée ? J'étais dans l'arbre-cœur. Nul n'échappe à un arbre-cœur, pas même la plus puissante des sorcières, et je n'en suis pas une. Alors soit je suis toujours prisonnière, soit il m'a laissé m'échapper. Et je ne me souviens pas m'être échappée.
Je ferme les yeux et j'essaie de bouger. Je n'y arrive pas. Mon corps ne m'appartient plus, seules mes pensées m'appartiennent encore, mais cela est-il seulement vrai ? Pour la première fois depuis des jours, le brouillard dans ma tête s'est levé et je pense par moi-même. Je pourrais pleurer devant ce petit miracle. Je pourrais maudire cette lucidité. Je ne peux m'empêcher de penser... Non. Quelque chose ne va pas. J'ai déjà eu ces pensées. L'arbre-cœur se joue de moi.
Je sens son écorce s'insinuer dans ma bouche. Il ne lui suffit pas de me recouvrir, il doit pénétrer jusque sous ma peau. Je sens sa haine et sa folie se faufiler en moi et je peux presque sentir autre chose derrière, quelque chose de plus ancien et mauvais encore. Je crois que c'est le Bois lui-même qui joue avec moi et me torture.
Au moins j'ai réussi à lui refuser ce qu'il veut. Il n'a rien appris des faiblesses de la Polnya. Tant que je continue à penser à ma famille. Je serais assez forte pour lui résister.
Je dois l'être.
Quelque chose se passe. Je met un long moment à m'en rendre compte, beaucoup trop long. Toutes mes pensées sont tournées vers... Soudain je comprends. Ce que le Bois essaie de m'arracher, c'est mes connaissances de ma famille. Il veut me faire trahir mes fils, puis les utiliser à leur tour contre la Polnya.
Jamais.
Je refuse.
Je recommence à fuir dans ce Bois qui n'est pas réel tout en étant coincée dans l'arbre-cœur qui lui ne l'est que trop. Qu'est-ce qui est le pire ? Une fuite imaginaire au sein d'un cauchemars dans lequel je peux au moins avoir l'impression de me battre, ou cet autre cauchemar où l'obscurité m'engloutit ? Du bout de mes doigts qui se frôlent, je sens ma chair devenir écorce.
À nouveau, j'essaie de hurler. Cette fois, je ne peux refuser d'accepter qu'il est trop tard. Comme une idiote, j'espérais encore que mon époux ou le Dragon viendrait, que la corruption ne m'avait pas tout à fait saisit. Mais il est trop tard, il est trop tard, mes enfants ne me reconnaîtraient plus et mon mari me jetterait lui-même sur le bûcher.
Il aurait raison. Je n'ai jamais pleuré sur ces pauvres gens qu'il a fallu tuer pour protéger la Polnya de la corruption. Ai-je imaginé que parce que j'étais reine, il en irait différemment pour moi ?
Le Bois retire ses épines de mon esprit. Je sens quelque chose comme... De la compassion ? Non, une sorte de compréhension face à ce que je vis. L'impression ne dure en tout cas qu'un instant, puis à nouveau, les épines recommencent à fouiller mon esprit à la recherche de la moindre information que je lui aurait caché. Le Bois n'a aucune pitié. Rien ne lui résistera, et s'il doit détruire mon esprit au passage, ça ne le dérangera pas plus que cela. Lui et l'arbre-cœur attaquent à coups redoublés, sur tous les fronts. Mon enfance, mon mariage, ma vie en Polnya, tout est minutieusement observé, puis rejeté quand ils ont obtenus ce qu'ils veulent. Mon esprit part en lambeau, déchiquetés par ces épines implacables. Pour l'instant, j'arrive encore à garder l'essentiel à distance. Le Bois me prendra tout le reste, mais pas mes enfants.
Je fuis à travers le bois, sur les mains et les genoux, quand je n'ai plus la force de me lever et de courir. Je ne suis plus que plaies et bosses. La terreur m'étreint constamment alors que je sens les habitants du Bois se rapprocher avec leurs longues griffes d'écorces. Je sens leur anticipation. Ils meurent d'envie de déchirer ma chair. Je ne sortirais jamais d'ici, pas vivante. Faites au moins que cette torture s'arrête à ma mort ! Je ne sais même plus ce qui est vrai et ce qui est faux. Mes larmes coulent sans s'arrêter. Je n'arrive même plus à distinguer la réalité du cauchemar. Parfois, j'ai l'impression que mes mains et mes bras sont couverts d'écorce, ou que l'écorce jaillit de sous ma peau, la déchirant au passage, que mon cœur pompe lentement de la sève et plus du sang. Parfois, j'ai l'impression d'être encore prisonnière de l'arbre-cœur, mais je lui ai échappé.
Faites que je lui ai échappé.
Quelque chose se passe. Je met un long moment à m'en rendre compte, beaucoup trop long. Toutes mes pensées sont tournées vers...
Vers quoi ? Vers qui ?
Je pensais à... Des enfants. Les miens ? Mais quel âge ont-ils, à quoi ressemblent-ils ? Je crois me rappeler d'yeux bleus, ou verts, ou bruns. D'un babil d'enfant. Soudain, je réalise que ne sais même plus mon nom. Tout ce que je sais, c'est que je suis la reine, je suis dans le Bois. Je dois le fuir, je dois penser à mes fils. Le reste...
Néant.
J'essaie de réunir mes pensées, mais elles m'échappent. Des épines invisibles me déchirent l'esprit tandis que les branches du Bois font de même avec ma chair. Cette fois, je tombe et je suis incapable de me relever. Aussitôt, des racines et des lianes s'approchent de moi pour emprisonner mes bras et mes jambes. Je les laisse faire. Pourquoi lutter ? Il n'y a rien qui m'attend dehors. Je ne suis rien, il n'y a que la souffrance.
Non.
Je suis la reine, je suis dans le Bois. Je dois le fuir, je dois penser à mes fils.
Je suis la reine, je suis dans le Bois. Je dois le fuir, je...
Je suis la reine, je suis dans le Bois. Je...
Je suis la reine, je suis...
Je suis...
Un rire d'enfant résonne dans ma tête. La seule pensée heureuse qu'il me reste.
Mes fils, pardonnez-moi. Je ne suis pas assez forte pour résister à l'assaut du Bois. Je vais céder. Pardon. Pardon.
Au Bois, je lance une dernière supplique. Qu'il m'utilise contre la Polnya, contre mes fils, mais que ceux-ci ne sachent jamais ce que j'ai enduré. Qu'eux ne finissent pas dans un arbre-cœur. Et pitié, qu'il me laisse mourir...
Seul le silence le plus implacable me répond.