Oct 06, 2010 20:35
Je l'ai souvent dit, je déteste, j'exècre la nostalgie. Je suis dégoûtée en particulier par la glorification de l'adolescence comme un moment béni, idyllique, où l'on vivait pleinement, où l'on ne redoutait pas de s'abandonner à ses passions, où l'on était en quête d'infini. Inutile de préciser que je suis encore plus dégoûtée par la représentation de l'adolescence comme une période d'authentique révolte -- sans doute, je ne le cacherai pas, parce que je fus moi-même si peu révoltée pendant mon adolescence. Ce ne sont là que des dispositifs pour désamorcer tout ce qui pourrait plus tard perturber l'ordre social ou à tout le moins, lorsque ces forces ne sont pas canalisées dans un projet politique, nuire au rendement optimal de l'individu au sein du système.
On imagine que je passe beaucoup de temps à maugréer. Ces idées sont si communément admises, de ces évidences qu'on ne remet pas en question
À ce propos, je lisais hier soir une BD de Michel Rabagliati, Paul a un travail d'été et Paul en appartement. Ces dernières semaines, je me suis mise à lire passionnément des BD. Question purement circonstancielle. J'avais envie de lire plus de BD depuis un moment puis j'ai été un peu en contact avec des analyses de BD et je me suis dit, allons-y gaiement. J'ai lu quelques classiques, dont le magnifique Blankets de Craig Thompson, et j'ai aussi décidé de lire tous les Paul. Rabagliati a une puissance d'évocation rarement égalée. Il possède un don tout particulier pour puiser dans les images et les mots et en faire ressortir ceux qui restitueront instantanément les lieux et époques qu'il représente, avec une force de précision impressionnante. Ce qui est fascinant chez Rabagliati aussi c'est son aisance à représenter l'expérience commune. Paul, c'est le Québécois moyen. Inutile de recourir aux statistiques, on n'a qu'à lire les BD de Rabagliati. Il a une sensibilité profonde, une intelligence ainsi qu'un sens de l'observation exceptionnel qui lui permettent de nous en apprendre et nous en montrer tellement plus que tous ces sondages à deux sous qui prétendent en grande pompe donner un portrait du Québec.
Et donc, bien sûr, l'idée de l'adolescence comme période de la plus grande exaltation est présente chez Rabagliati, en particulier dans Paul a un travail d'été, et encore plus dans la comparaison qu'on peut faire entre Paul a un travail d'été et Paul en appartement. Je suis souvent émerveillée ou touchée en lisant les Paul, mais hier, vers la fin de Paul a un travail d'été et en enchaînant ensuite Paul en appartement j'étais en beau fusil! Après avoir relaté une histoire d'amour d'adolescent, le narrateur de Paul a un travail d'été écrivait que la passion qu'il avait ressentie était inégalée et déclarait de but en blanc que cette idée est partagée par tous les gens avec qui il a discuté d'amour d'adolescence. Selon lui à aucun autre moment après l'adolescence n'est-il possible de vivre avec une telle intensité l'expérience amoureuse. Dans la BD suivante, Paul raconte l'histoire du début de sa relation avec la femme avec qui il a fondé une famille, qu'il décrit avec tendresse et admiration mais sans l'enthousiasme qui transporte ses évocations de son amour d'été. Je trouvais ça si triste...
Paul a raison: tous s'accordent sur cette idée. Ça ne fait que décupler mon dégoût. Et mon chagrin aussi... Comment est-il possible d'être aussi résigné par rapport à sa vie amoureuse? « Jadis, j'ai vécu le grand amour, la grande passion, et maintenant ce n'est plus possible. » Et pourquoi ne serait-ce pas possible? Qu'est-ce qui nous en empêche sinon nous? Comment peut-on accepter de vivre sa vie avec qui que ce soit d'autre qu'une personne avec qui on partage une complicité absolue, quelqu'un qui n'a de cesse de nous émerveiller, qu'on admire, qu'on a constamment envie de dévorer de la tête aux pieds, qui nous rend fou de bonheur et fou de désir? Comment peut-on accepter moins que ça? Tant qu'à vivre dans l'ennui et la frustration, ne vaut-il pas mieux rester célibataire? Mais bien sûr, les gens sont rarement capables de vivre seuls et, paradoxalement, rejettent souvent les plus grandes occasions de vivre un amour passionné...
Je ne voudrais tellement pas être comme eux. Mon grand amour n'est pas situé dans un lointain passé. Mon grand amour c'est maintenant, à chaque jour plus passionné, solide et beau.
Comment pourrais-je accepter d'être en couple autrement? La vérité, c'est que je suis chanceuse. La vérité c'est toutefois aussi que si les gens n'étaient pas si lâches et soucieux de l'opinion des autres, ils n'auraient que faire des questions de statut social et d'argent qui minent si souvent les « relations amoureuses adultes »...
Romantisme frénétique,
amour