Une vie sans images

Nov 06, 2010 11:27

Bien que les images autour de moi prolifèrent, depuis quelques années en particulier, les miennes se font rares. Je n'ai pas cette tendance qu'ont la plupart des mes contemporains à tout tenter d'immortaliser en image. Les seules occasions où je me fais prendre en photo surviennent lors d'événements familiaux ou lorsque je suis lasse de voir la même photo de moi sur Facebook et que je me décide à en prendre une nouvelle par l'entremise de Photobooth. (Je cède quand même à cette nécessité de montrer sa fraise sur Facebook!)

Mais pourquoi rater tant d'occasions de tout saisir en images alors que tout m'y encourage? J'imagine que mon absence de talent en la matière y est pour beaucoup (et ma conscience de cette absence de talent...). Et puis, je ne suis tellement pas photogénique. Lorsqu'on approche un appareil photo de moi je fige, je me raidis. Il n'y a rien à faire. Pourtant, au quotidien, je suis très expressive. La proximité de l'objectif liquide tout ça. Peut-être suis-je semblable à ces primitifs qui craignaient de se faire voler leur âme? Je ne sais pas. Ou peut-être suis-je incapable de me résoudre à ce temps d'arrêt qu'exige la pose? J'ai souvent évoqué mon problème avec le temps. Je déteste le temps de la pose. C'est un des temps que je déteste le plus au monde.

Peut-être aussi -- et c'est, je crois, l'hypothèse la plus probable -- veux-je nier que tout est appelé à disparaître? Ou plutôt, sans doute suis-je si obsédée par l'inéluctabilité de la disparition que je ne peux voir que celle-ci à travers l'acte de photographier. Prendre une photo, n'est-ce pas hurler: tout cela disparaîtra, vite, immortalisons-le!

Peut-être enfin -- et c'est l'autre hypothèse la plus probable -- est-ce là une déclaration que ce que je fais des événements, que ma subjectivité, ma perception, les sentiments et réflexions qu'ils suscitent chez moi sont plus importants pour moi que leur objectivité et qu'aucune image ne saurait les restituer?

N'empêche, je regrette un peu qu'Amélie et moi ayons pris si peu de photos au cours des 5 ou 6 dernières années... Si peu de photos de nous deux, si peu de photos des chats -- lorsque Badria a failli mourir l'an dernier, j'ai regretté si amèrement de ne pas avoir pris de photo d'elle depuis deux ans -- et si peu de photos de cette vie partagée à trois pendant un peu moins deux ans...

Aux derniers temps de notre relation telle qu'elle fut jadis, lorsque je sentais la fin approcher, il m'a dit un jour: « Ça fait si longtemps que nous n'avons pas pris de photos de nous! Il faudrait en prendre bientôt. » En entendant cette phrase, j'aurais voulu mourir. Nous avions pris si peu de photos de nous, mais il était trop tard. Je ne voulais pas immortaliser ce moment. C'est le point culminant qu'il fallait immortaliser et il était trop tard.

Je lui ai simplement répondu: « Oui, c'est vrai... »
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