Ce qu'il reste

Jun 22, 2014 21:09

Ce qu'il reste, c'est la certitude que ma vie ne serait pas différente. L'Espagne se serait peut-être un peu mieux passée, mais mes choix auraient été les mêmes, je serais quand même en Haïti à cet instant précis.

C'est le fait que le monde n'est plus le même, et comment je vis, six ans après, dans un monde qui ne sera plus jamais le même ? Même si j'aurais été en Haïti quand même.

C'est la certitude qu'il n'y a personne à blâmer, qu'elle s'est battue au point de gagner un an sur les prédictions des médecins. C'est savoir qu'elle nous aimait par-dessus tout.

C'est les questions sans fin sur les conversations qu'on aurait pu avoir, malgré toutes celles qu'on a eu. Malgré tous les aveux et toutes les discussions des derniers mois. C'est celles qu'on n'a pas eu, parce qu'on ne pouvait pas les avoir, et que je ne peux que faire dans ma tête. Et c'est pas pareil, même si je la connais bien.

C'est me dire qu'elle me voit, mais que je préférerais lui raconter.

C'est les disputes qu'on aurait eu et ses conseils que je n'aurais pas écouté.

C'est imaginer que si je me marie un jour, elle ne sera pas là. Pas réellement, pas comme je voudrais. C'est tout ces instants-là, vécus depuis ou à venir, sans elle.

C'est me dire avec une grimace que je préfère ne pas savoir ce qu'elle aurait pensé du mariage pour tous.

C'est me repaître, avec une bonne dose de cynisme, parce qu'il ne reste que ça, du visage embarrassé des potes qui s'arrêtent juste avant de dire "c'est ta mère..."

C'est m'appliquer à ne pas penser, pendant que je fête mes 26 ans à Nice avec ma grand-mère et ma tante, que la fois précédente où j'ai fêté mon anniversaire dans cette ville est la dernière fois où on a été tous ensemble avec elle. Pour mes 20 ans, et les 18 ans de ma soeur.

C'est parler trop souvent de mon père, et me demander combien de temps ils vont attendre avant d'oser me demander, à propos de Maman.

C'est rentrer dans une église et mettre un cierge devant la statue de la Vierge.

C'est cette montée d'angoisse quand le téléphone sonne, le dimanche, et que c'est la sonnerie de Papa - alors qu'il m'appelle tous les dimanches.

C'est entendre sa voix, par ma bouche, alors que je sanglotte avec ardeur chez le psy, six mois après sa mort, me dire qu'enfin, ma chérie, ça va pas de se mettre dans des états pareils, enfin.

C'est éviter à tout prix d'être chez mes grands-parents au début du mois de mai.

C'est cette terreur absolue à l'idée de perdre Papa. Ou ma soeur. Ou un de mes frères. Au point d'en faire des cauchemars qui me réveillent et me font passer des journées infernales, jusqu'à craquer et appeler, juste pour vérifier, juste pour être sûre, juste pour entendre leurs voix.

C'est entendre Max pleurer un soir et savoir que je ne peux rien dire pour le consoler.

C'est cette envie qui me prend, au coeur de la nuit ou à la fin d'une belle journée, de l'appeler.

famille, si maman si

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