Je ne sais pas combien de personnes lisent encore ce blog mis à jour si peu souvent, et combien savent exactement que je suis partie bosser dans les Caraïbes, pour un grand pétrolier français que je ne nommerai pas. Mais bref, sur la suggestion de Tallia, je vais mettre mes mails fleuves, quelques nouvelles, et potentiellement mes réflexions pas si profondes ici aussi. Ce premier post sur le sujet sera donc un peu fouilli, j'en ai peur. Je vais reprendre les premiers mails et les recombiner. Par la suite, j'essaierai de faire mieux et plus organisé. [les récits]
Je suis partie de Nice, France, le 8 mai au matin. Réveil 5h30, café, couper l'eau et l'électricité, dans le bus pour l'aéroport à 6h15. Avion à 8h pour Paris, puis à midi pour Pointe-à-Pitre. Arrivée à 14h heure locale, après 8h de vol. Encore deux heures de vol pour Port-au-Prince, où j'arrive enfin autour de 18h. Le voyage a été long mais sans problème. Ma valise pesait 22 kg tout juste, personne n'a vérifié mon bagage à main, et on m'attendait comme prévu à l'arrivée à Port-au-Prince. Je suis lessivée, mais encore capable d'apprécier la chaleur qui m'accueille, les odeurs lourdes qui peuplent l'atmosphère, les sourires de bienvenue. Je suis installée dans un appartement en rez-de-chaussée d'une petite maison. Ce n'est pas climatisé mais bien ventilé, avec de l'eau chaude et un frigo opérationnel. C'est grand ! Je peux même loger des gens si besoin.Découverte de l'entreprise dès le lendemain de mon arrivée, avec Elsa, la nana que je remplace, très sympa et très efficace. J'ai fait le tour des différents services et ait été très bien accueillie par tout le monde. J'ai discuté longuement (enfin, écouté) le DG l'après-midi, ce qui m'a permis d'entendre les consignes de sécurité, une présentation générale et pas inutile du pays, et une définition un peu plus précise de mon poste. Tout devrait se mettre en place tranquillement puisqu'on a deux mois pour faire la passation. J'ai un emploi du temps chargé la semaine prochaine, avec des visites de stations services et des rencontres avec les partenaires. L'accent est mis sur les lampes solaires, qui représentent l'essentiel de mon activité.
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Je suis à Haiti depuis un peu plus d'une semaine maintenant, et ma foi, ça va. J'ai passé la semaine à travailler avec Elsa, qui m'a formée sur les différents aspects de mon travail et m'a fait rencontré un certain nombre de partenaires. Ce n'est pas fini, et je pense qu'il va y avoir un sacré paquet de choses à faire ! Mais c'est bien ça qui rend les choses intéressantes.
J'ai aussi passé une matinée avec l'un des inspecteurs commerciaux, à faire le tour de certaines stations services de la zone de Port au Prince, histoire de voir comment elles sont, rencontrer les gens, savoir s'ils vendent ou non les lampes solaires. La semaine prochaine, je pars avec Elsa dans l'Artibonite, une région au nord de la capitale, pour essayer de nouer de nouveaux contacts pour vendre les lampes. Au cours du mois qui vient, je dois également me rendre dans le nord et dans le sud du pays, toujours pour visiter les stations et rencontrer les partenaires et distributeurs. Ca promet d'être intéressant. La vie ici commence à s'organiser. Je suis allée voir un centre équestre le week-end dernier, qui donne des cours en semaine, ou des cours particulier le week-end. J'espère m'inscrire dès que j'aurai reçu mon déménagement... Et prendre des cours de créole ! Se débrouiller sans est assez compliqué ici, en fait. Un certain nombre de gens ne comprennent et ne parle que ça . Un œil non averti peut confondre Haïti avec l'Afrique, les points communs sautent aux yeux. Le climat, déjà, aide (c'est la saison des pluies : il fait un temps magnifique, et la pluie tombe un jour sur deux ou trois, pendant 2h à la tombée de la nuit). Il y a des moustiques partout, et même l'architecture de la ville, succession anarchique de belles maisons et de cases entre les déchets et les routes défoncées, peut rappeler le Burkina ou le Niger. Mais on se rend assez vite compte que non, on est dans les Caraïbes. Je l'ai dit, le créole est partout, bien plus que ne peuvent l'être le Djerma ou le Haoussa ou même le Swahili. Il y a des produits américains partout dans les supermarchés, parfois aussi sur les grands panneaux publicitaires. La culture n'est pas la même, le rapport à la France ou à l'Amérique non plus. Et ici, "africain" est une insulte grave ! Je m'emploie à trouver des livres pour essayer de mieux comprendre et m'imprégner de cette réalité. Les rues sont pleines de petits 4x4 Toyota, plus ou miens vieux. Quelques motos et mobylettes, mais rien à voir avec Ouaga. Des tap-tap, aussi, sortes de pick-up couverts où les gens s'entassent à l'arrière, et qui servent de taxi commun, un peu comme les matatu kenyans. Ils sont d'ailleurs tout aussi décorés, avec des couleurs vives et des messages forts, généralement religieux. J'ai, bien sûr, interdiction formelle de monter dedans. De toute façon, ils conduisent absolument n'importe comment, et je ne suis pas complètement fâchée d'être coincée avec un chauffeur, même si j'ai parfois envie de fermer les yeux quand elle conduit. Je n'en suis pas encore à regretter la circulation parisienne, mais... ^^ *****
Un mois déjà ! Avant de reprendre le récit de mes dernières aventures, je vais expliquer un peu ce que je fais en Haïti, pour ceux qui ne savent pas encore bien. J'ai plusieurs missions, mais la principale consiste à développer les ventes de lampes solaires. Pour expliquer en deux mots le projet, il existe depuis plusieurs années maintenant : T**** sélectionne des fabriquants de lampes solaires (souvent Chinois ou Indonésiens), fait un suivi assez stricte de la qualité des produits, et les vend dans différents pays en voie de développement, assurant un prix fixe dans le pays, une garantie de deux ans, et un service après-vente. Ca rentre dans une volonté d'apporter de l'énergie à tous, y compris aux plus pauvres. Les lampes sont donc vendues dans les stations service, mais pas seulement : en effet, une partie de la population ne se fournit pas dans les stations Total et peut quand même être intéressée par les lampes. Tout l'enjeu, donc, consiste à développer des partenariats et à trouver des distributeurs dans les coins où il n'y a pas de station service. C'est, en bonne partie, ce sur quoi je travaille. Depuis mon arrivée, j'ai donc rencontré nos principaux partenaires afin de comprendre les différents enjeux et les différentes régions du pays. Chacun a sa stratégie, en fonction du type de clientèle auquel il s'adresse. C'est très intéressant pour moi, mais pas forcément évident de ne pas confondre les noms et les types de partenariat : on ne vend pas à une ONG comme à un supermarché...
J'ai également fait un tour dans deux régions, pour rencontrer les partenaires de province et aussi faire un tour dans les stations-service : même si les inspecteurs commerciaux sont techniquement chargés de ces ventes-là, je suis censée "superviser". Grand tour, donc, dans l'Artibonite, au nord de Port au Prince, sur une journée, puis trois jours, la semaine dernière, dans le Sud du pays. Cette région est absolument magnifique, c'est celle qui reste la plus boisée du pays aujourd'hui, et qui a les plages les plus "typiques" des Caraïbes (photo ci-contre, Pointe Sable, la plage de Port Salut), avec du sable fin et de l'eau transparente. Un vrai plaisir. La ville de Port-Salut a été un véritable coup de foudre, c'est une très jolie petite ville, avec des maisons peintes de toutes les couleurs... Et, à intervalles réguliers, les petits panneaux solaires de nos lampes qui chargent devant les maisons, ce qui n'est pas pour déplaire ! Notre partenaire dans le Sud fait un très bon boulot et est très bien implanté, le rendez-vous s'est donc passé dans la joie et la bonne humeur. ^^ Ils essuient, comme nous à Port au Prince, la concurrence d'un nouvel arrivant sur le marché, qui a des produits de moins bonne qualité mais moins chers et qui, surtout, ont une radio intégrée. Depuis l'arrivée de ce produit il y a 6 mois, nos ventes vont mal... Surtout dans les stations service. Un gros boulot pour moi en perspective, mais le challenge est d'autant plus intéressant ! La semaine prochaine, je partirai en mission (seule, cette fois - sans Elsa) dans le Nord, vers le Cap Haïtien, une région traditionnellement plus touristique que le Sud mais où nous n'avons pas de partenariat aussi solide et efficace qu'à Port Salut. On verra bien. Voilà côté boulot !
Côté vie privée, mon déménagement est enfin arrivé et ça fait bien plaisir d'être dans mes affaires - même si je n'ai pas encore accroché tous les tableaux, j'envisage de déménager à la fin du mois. J'en ai profité pour aller monter à cheval le week-end dernier. Il y a un très joli petit club pas très loin du bureau, avec une vingtaine de chevaux très bien soignés et une grande carrière. Le club a été monté par un franco-haitien que je n'ai pas encore rencontré, mais le moniteur est très sympa, m'a posé plein de questions pour évaluer mon niveau, et m'a trouvé un cheval vif et réactif tout comme j'aime. Les chevaux sont grands - enfin, pour moi en tout cas ! Plus grands qu'à Niamey, mais plus petits qu'en France, je suppose. La reprise a été un peu dure pour mes muscles et j'ai la démarche un peu raide aujourd'hui, mais ça m'a fait très plaisir - et beaucoup de bien. J'ai également profité de la venue de Vina, une amie du Kenya qui vit à Miami, pour découvrir un peu les bons restaux de Port au Prince - ou plutôt, de Pétion Ville, la "banlieue chic" de la capitale, dans les hauteurs, où vivent les plus fortunés des Haitiens. Elle m'a également présenté quelques personnes et, petit à petit, je me constitue un réseau. Je suis aussi allée danser ! Dans un bar très chouette pas très loin de chez moi, qui fait des concerts presque tous les soirs. Musique entre le zouk et le reggae, avec des influences de salsa et de rumba... On est bien dans les Caraïbes, au carefour de plusieurs civilisations et plusieurs cultures. Bref, un endroit sympa, de la bonne musique, et de bons danseurs, sympas et pas collants. J'y retournerai !
***** On est donc déjà en juillet, et Elsa, que je remplace, est partie. Je suis désormais seule à la barre au boulot, où les journées se suivent sans se ressembler. J'ai rarement le temps de m'ennuyer, ce qui est parfait.
La mission dans le Nord a été repoussée mais a fini par avoir lieu. Je suis partie avec l'inspecteur commercial en charge de cette région, 5 ou 6 heures de voiture pour rejoindre le Cap sur une bonne route de goudron. La route longe la mer pratiquement jusqu'au bout, et ensuite, on monte dans les montagnes, sur des routes étroites où les locaux filent à toute blinde, et qu'importe si le tap tap ou le camion secoue trop ses passagers. Le Cap est très différent de Port au Prince. Déjà, c'est construit à l'américaine, avec des rues tracées au cordeau, selon des axes perpendiculaires, et les rues ont des chiffres qui vont croissant. Pratique, pour se repérer, bien plus que les rues tortueuses et non marquées de Port au Prince. Personnellement, j'ai toujours préféré les centre-villes tortueux, mais je suis probablement trop française pour apprécier une ville bien dessinée. ^^ L'entrée de la ville, cependant, plus récent, est bien plus anarchique. La nature humaine et l'exode rural rapide y ont repris leurs droits sur l'urbanisme. J'étais logée à l'hôtel du Roi Christophe, probablement le plus bel hôtel de la ville. Il est très bien aménagé et très confortable, et le bâtiment en lui-même est assez ancien, historique, ce qui ajoute un charme infini au lieu. Là, en oubliant un peu mon ordinateur et la télé diffusant les matchs de la Coupe du Monde, j'aurais pu me croire il y a cent ou deux cents ans. Outre le plaisir de l'hôtel et du restaurant voisin, qui sert les meilleurs salades de fruits de mer que j'ai jamais mangé, la mission a été un succès. J'ai pu faire le tour des stations que je devais voir, rencontrer la plupart des gérants, et leur présenter notre nouvelle lampe. Deux m'ont promis des commandes, d'ailleurs. J'ai également pu rencontrer un organisation qui soutient les micro-entrepreneurs de la région nord en leur proposant des formations et des micro-crédits. Ils vendent aussi à ces micro-entrepreneurs différents produits que ceux-ci peuvent revendre avec un bénéfice, des lunettes de vue, des réchauds (améliorés ou à gaz) et... des lampes solaires. Jusqu'à présent, ils prenaient des lampes de nos concurrents... J'espère les avoir convaincu de préférer les nôtres ! Et, oui, je vous rassure, je faisais vraiment VRP avec mes trois cartons de lampes et mon beau discours commercial bien rôdé. Je n'ai pas eu l'occasion ou le temps de profiter des belles plages à la sortie du Cap, ni de visiter la Citadelle bâtie par le Roi Christophe peu après l'indépendance de l'île, vers 1820, qui surplombe la ville et devait la protéger d'un retour en force des armées napoléonienne. Je l'ai aperçue de loin, cependant. Ce sera l'occasion d'un prochain voyage. Au retour, nous avons pris une route différente, à travers le plateau central du pays, parce que l'inspecteur commercial devait passer chez un type qui fait construire une station service qu'il voudrait voir approvisionner par T****. Sur le plan, la route est plus courte, plus directe. Dans la réalité, elle est en piteux état, et nous avons mis bien plus longtemps qu'à l'aller. La route est censée être en travaux, financée par l'Union Européenne... Mais je n'ai vu aucun camion ou quoi que ce soit, et d'après le commercial, les travaux n'ont pas avancé et la route est dans un état pire qu'il y a trois mois.
Quoi d'autre ? Ah, oui, les nouvelles lampes ! Je suis arrivée quasi en même temps que le container, mais le temps qu'il soit dédouané, apporté au dépôt, rentré dans le système... Bref, il s'agit là d'un système plus gros et plus complet que les petites lampes qu'on vend normalement. Il y a plusieurs lampes intégrées, la recharge du téléphone, un panneau plus grand... C'est donc un système plus fixe et plus durable que les autres. Mais donc plus cher. Carrément plus cher, même, pour les budgets d'ici. Je ne suis pas complètement convaincue qu'il y a un marché pour ce type de lampes, d'ailleurs, mais on va essayer. La vente à travers nos partenaires qui font du micro-crédit est une évidence, puisqu'alors les clients pourront payer en plusieurs fois... Mais je ne suis pas sûre que ça suffise et tente de trouver d'autres canaux de distribution. En tout cas, elles plaisent beaucoup, et font un certain effet quand je les sors des boites. J'en ai même déjà vendues quelques-unes, à des employés de T**** qui bénéficient d'un tarif préférentiel. Puisque je parle des lampes, j'ai fait l'article à plusieurs clients potentiels maintenant, et maîtrise bien mes arguments. Ce qui continue de m'éclater, c'est l'efficacité de la démonstration. L'un de nos arguments est que nos lampes sont solides, ce qui est sous-entendu avec la garantie de deux ans... mais rien ne vaut l'exemple : et pof, je laisse tomber la lampe par terre, où elle rebondit à grands bruits. Et quand elle marche après que je l'aie ramassée, c'est la joie. J'adore. J'ai fini le mois avec la bonne surprise d'avoir vendu plus de lampes qu'au mois précédent. Sans que ce soit suffisant, encore, si on veut remplir nos objectifs de l'année, cependant.
Côté perso, je continue mes découvertes. A l'occasion de la visite de fournisseurs, j'ai testé un autre restaurant de Pétionville. Et j'ai eu une grosse pensée pour Papa : le patron du restaurant, très amateur, a fait bâtir une véritable cave à vin dans son restaurant, avec éclairage et température contrôlés. Et il a de sacrées bouteilles, aussi ! Je ne sais évidemment plus laquelle nous avions choisi, mais je m'étais régalée ! Je me suis aussi inscrite sur les listes de diffusion pour les spectacles, films et autres expo de l'Institut Français et de la Fokal, un centre culturel haïtien. C'est comme ça que je suis allée voir un documentaire sur la dictature brésilienne, suivi d'un débat. Assez rapidement, le débat a tourné sur les liens à faire avec la dictature haïtienne des Duvalier (père et fils), à peu près à la même époque, et à l'influence américaine prégnante. Je savais tout ça, bien sûr. Mais même une passion pour l'histoire et une bonne connaissance de la guerre froide ne suffisent pas à comprendre, vraiment comprendre, les conséquences réelles et pragmatiques de ce conflit qui n'a pas du tout été froid partout. J'ai pris une sacrée claque, je dois dire. Ca m'a laissée avec beaucoup de choses sur lesquelles réfléchir. Puisque je suis sur le sujet... les Etats-Unis sont partout, ici. Je ne m'y attendais pas. Pas de marmïte, non, ça c'est trop anglais : en revanche, il y a des pancakes au sirop d'érable, les gens parlent en dollars et en gallons, et quand je me balade dans la rue, les gens s'adressent à moi en anglais avant de tenter le français. J'ai aussi fait un tour dans une librairie, histoire de lire les auteurs du coin. J'ai commencé par Pays sans chapeau, de Dany Laferrière, le roman quasi-autobiographique d'un Haïtien qui a fui la dictature et revient au pays vingt ans plus tard. Tout a changé et rien n'a changé, il parle de la vie quotidienne et du vaudou et des dieux et des autres, des Américains qui ne comprennent rien, de la cuisine de sa mère, de la poussière et de la chaleur. J'aime bien, c'est bien écrit, le style est facile, et ça éclaire assez la mentalité du pays. Je rencontre des gens, doucement. Cette semaine, j'ai été invitée à la soirée belote du mercredi soir qui rassemble quelques Français du coin. J'ai passé une bonne soirée et profité de la chance des débutants, visiblement !
Je pense aussi à mes premières vacances. En août, je pars une dizaine de jours pour New York, retrouver des copains de Paris. On a loué un appartement et on commence à planifier tout ce que nous allons voir, visiter, acheter et manger ! J'ai hâte d'y être et de découvrir enfin l'écrasant voisin. Parce que oui, pour l'instant, tout ce que je connais de ce pays, outre certains de ses habitants et ses séries télé, c'est l'aéroport de Miami. Et on ne peut pas dire que ce soit très parlant... Je prépare donc mon meilleur anglais et ma panoplie de touriste ! Si vous avez des adresses précises à me donner, c'est le moment !