Ligne de CV

Mar 05, 2014 17:32

Il y a un ligne sur mon CV qui dit "4 ans au Kenya, participation aux MUN (Modal United Nations)"
Cette ligne, cette demi-ligne, même, a plusieurs rôles. Le premier, évident, est de justifier mon niveau d'anglais (la ligne précédente indique "anglais : bilingue). Le deuxième est de dire, discrètement, que j'ai habité en Afrique - longtemps. Et le troisième, plus annexe, est de susciter un petite curiosité sur les fameux MUN.
Alors, sachez-le, ça ne sort jamais en entretien. Jamais. Je pourrais compter le nombre de fois où on m'a demandé "et les MUN, c'est... quoi, exactement ?" sur les doigts d'un pirate amputé. Soit les gens lisent pas, soit ils s'en fichent. J'avoue, je peux comprendre.

Mais, mais, lors de ma dernière série d'entretien, pour la toute première fois, c'est ressorti. Et ça m'a aussi rappelé cette expérience formidable qui me semble parfois être dans une autre vie. Alors ma foi, laissez-moi vous guider le long de mes souvenirs.

[Les MUN, c'est quoi ?]Les MUN, c'est quoi ?
L'acronyme veut dire "Modal United Nations", ce qui vous aide vachement, je sais. Si certains connaissent le Parlement Européen ou le Sénat pour les jeunes, c'est un peu le même principe.
Nairobi, capitale du Kenya, est siège régional des Nations Unies. Le pays est donc un haut lieu de la diplomatie internationale et de très nombreux expatriés du monde entier y vivent. Pour tout vous dire, mes parents n'ont jamais autant reçu et été invités que pendant les quatre ans que nous y avons passé. Et qui dit grosse population internationale dit aussi... Pas mal de lycées étrangers. Le lycée français est tout petit, mais quand même un peu plus important que l'école allemande ou suédoise. En revanche, personne ne peut lutter contre les trois lycées américains et les dizaines d'écoles anglaises.
C'est l'un de ces lycées américains qui organise les MUN. Et invite à y participer tout ceux qui veulent.
Au lycée français, on nous propose d'y participer à partir de la troisième. Le principe est simple : on se regroupe par équipes de 5, de préférence pas du même âge. On nous attribue alors aléatoirement un pays (la première année, je serai la Bolivie. L'année suivante, ce sera le Vietnam). On choisit un ambassadeur pour chaque groupe. Et, tant qu'à faire, on se renseigne un minimum sur le pays que nous représenterons.
Ensuite, chaque groupe écrit une résolution. En anglais bien sûr. Et dans le style très particulier des Nations Unies. Parce que non, on écrit pas une résolution comme ça. Le plan est très stricte, à la virgule près. Elle se présente en deux parties, la première qui explique la situation que la résolution se propose de résoudre/améliorer, la deuxième qui expose les solutions. Chaque partie doit être composées de phrases courtes, commençant par des mots à choisir dans une liste qui nous est fourni. Je vous jure.
Cette étape dure quelques mois, avec des rendez-vous réguliers pour la réflexion et la rédaction. Les profs qui nous encadrent vérifient et revérifient que tout correspond bien.

Ensuite arrive la semaine des MUN proprement dits. Ca commence par une journée au lycée américain où chaque résolution doit obtenir 10 signatures. 10 autres pays qui s'engagent à soutenir la résolution et à voter en sa faveur. C'est un peu la foire d'empoigne, parce qu'on est tous réunis au même endroit. Et on est nombreux : 900 la première année, 1000 la suivante !
C'est aussi le moment de faire les derniers ajustements : si on se rend compte qu'un autre pays propose une résolution sur le même sujet que nous, on peut fusionner les deux et la présenter conjointement. C'est là aussi qu'on se rend compte de tout ce qu'on a oublié de mettre dans sa résolution, parce que les autres posent les bonnes questions : qui va payer ? Comment ? Pourquoi ? Oups...
Le lendemain, on est jeté dans le grand bain. Direction le siège des Nations-Unis. On a tous un badge avec une photo et le nom du pays qu'on représente, et sans lequel nous ne pouvons ni entrer ni nous déplacer dans l'enceinte. Tenue correcte exigée, aussi : les garçons en costume et cravate obligatoires, les filles en jupes, tenues traditionnelles autorisées, mais certainement pas le jean. Ambiance, trac.
On commence avec une cérémonie d'ouverture, où les ambassadeurs passent, tous, et doivent faire un discours. Une minute par pays, pas plus, nous sommes trop nombreux et il n'y a pas de temps à perdre.
Ensuite, nous sommes répartis dans différentes salles, en fonction des commissions auxquelles nous appartenons (politique, économie, droits de l'homme ou écologie). L'ordre de passage des résolutions a été tiré au sort, et on nous remet à chacun un livret avec toutes les résolutions de notre commission, dans l'ordre de passage. C'est parti pour les débats.
Chaque résolution est lue, à la tribune, devant un amphithéâtre de 500 personnes. Tout est extrêmement protocolaire. Après la lecture, les "juges du débat" (the chair, en anglais, mais je vous jure, je trouve pas la bonne traduction) demandent à l'audience si la résolution sera débattue ou pas. Elle l'est la plupart du temps, mais il peut arriver qu'un pays ou plusieurs s'y opposent : dans ce cas, ils doivent expliquer pourquoi (en une minute). Les auteurs de la résolution ont alors à leur tour une minute pour dire pourquoi la résolution doit être débattue. Il y a alors vote : la motion de censure (objection to consideration) doit obtenir deux tiers des voix pour passer.
Pour la petite histoire, la deuxième année, j'étais dans la commission économie, et nous partagions l'amphi avec la commission politique (on alternait, une résolution de chaque). Et Israël a présenté une résolution qui s'intitulait "De faire cesser les attaques en Israël financées par les pays arabes voisins". Je n'ai jamais vu la motion de censure présentée aussi vite (dès la fin de la lecture, en fait, avant que les juges ne puissent proposer le débat, le(s) pays qui s'oppose(nt) doivent crier "objection to consideration" en levant le panneau indiquant le nom de leur pays). Il y a eu un vote massif en faveur de la motion de censure, mais les juges nous ont fait débattre quand même. Ca a été absolument énorme, un grand grand moment.
BREF ! La plupart du temps, il y a débat. Le temps accordé pour et contre est le même, et défini à l'avance (5 minutes en moyenne). En général, la personne qui a présenté la résolution donne un court argumentaire (qui permet souvent de compléter ce qui a été oublié/pas mentionné dans la résolution) et se déclare ouvert pour répondre aux questions (il est d'ailleurs possible de préciser qu'on répondra à un nombre précis de questions, ce qui peut permettre de laisser ensuite la tribune a un allié). Dans l'audience, on demande la parole pour une question en levant le panneau du pays, et les juges appellent en disant "Pays X, vous avez la parole" (you have the floor). Quand le temps pour est écoulé, les juges demandent qui veut la tribune pour s'exprimer contre, et le jeu s'engage de la même manière : court argumentaire, questions... Puis, une fois le temps écoulé, vote. A la majorité simple.

La première année, je dois dire que j'étais terrifiée. Trop d'anglais, trop de monde, trop de choses que je ne comprenais pas. Et j'étais seule dans une salle avec la commission santé. J'ai voté un peu au hasard, pas décroché un mot et peu aimé l'expérience.
L'année suivante, ça a été complètement différent. D'abord je connaissais donc c'était déjà plus facile. Et ensuite, la réunion de deux commissions faisait que je n'étais pas toute seule. J'étais avec la présidente de notre groupe, une fille brillante qui avait un an de plus que moi, et je dois avouer que les résolutions politiques et économiques étaient beaucoup plus intéressantes que celles sur la santé.
Nous avions, cette année-là, une résolution sur la situation en Birmanie. Elle était présentée par notre ambassadrice et une représentante des Etats-Unis, avec qui nous avions fusionné notre résolution. C'était une résolution politique et agressive, réclamant des élections libres et la libération d'aung San Su Kyi... Le débat a été chaud et agité !! Et, à une dizaine de voix près, la résolution n'est pas passée.
Or nous l'avons débattue assez rapidement, le matin de la deuxième journée. Et, tant que la résolution n'est pas passée, il faut savoir que nous n'avions pas trop osé participer ou nous opposer, de crainte d'avoir des "représailles"... A partir de ce moment-là, nous nous sommes... déchaînées, ma foi. Nous avions des questions sur chaque résolution (c'est facile, en fait : qui agit ? avec quel argent ? avec quel personnel ? on pouvait décliner ces questions pratiquement à chaque fois) ! Je suis même allée, moi, parler à la tribune, volontairement, contre une résolution (économique, puisque c'était ma commission).
Hé bien, laissez-moi vous dire, on n'a jamais autant l'accent français qu'à la tribune des Nations-Unies devant 500 personnes.

Enfin voilà, une excellente expérience. Et pour ne rien oublier, si, quand même, je précise que même les "juges" sont des lycéens. Tirés au sort, même si ce sont généralement des élèves du lycée américain qui organise. Il y a également un service de presse qui prend des photos et fait des articles : un mini-journal est distribué tous les jours à la pause de midi et raconte la journée de la veille !!!
Oh, il y a un aussi un service de sécurité (toujours des lycéens), qui ont aussi pour rôle de passer les petits messages entre les différents pays. Parce que oui, on ne peut pas les passer comme ça, donc pour communiquer d'un pays à l'autre (ou avec les juges ou la personne qui a la tribune, pour lui suggérer un argument ou lui demander de nous céder la tribune), on doit écrire sur un petit papier (imprimé au préalable avec le drapeau de notre pays, etc) et le passer à un agent de sécurité. Qui le lit et le passe (pas toujours, d'ailleurs, mais généralement) à qui de droit. C'est comme ça, par exemple, qu'on a organisé entre nous et les Etats-Unis qui lisait la résolution (nous) et qui répondait aux questions (eux).
Et bien sûr, les messages doivent être en anglais. Pas question d'écrire des conneries en Français aux copains qui représentent un autre pays. Pas de messages idiots ou (trop) inutiles non plus. Ils ne sont pas distribués.

L'année encore d'après, j'étais partie au Niger.

Enfin voilà, j'en garde d'excellents souvenirs, qui passent un peu à la trappe, en fait. J'ai peu l'occasion de raconter ça, mais j'ai adoré l'expérience.

(et voilà mes 500 mots de la journée :p)

ma petite vie à moi, afrique, études

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