Auteur : Mystic Rains Traductrice : Hermi-kô Cinquième jour, au matin : Amitié Kanae Kotonami avait déjà eu des amies. Quand elle était plus jeune, presque toutes les filles de la classe avaient l'habitude de jouer avec ses cheveux et de lui dire combien elle était jolie. Elles allaient faire du lèche-vitrines ensemble et parfois s'arrêtaient boire un thé après les cours. Elle aimait l'école vu que c'était bien plus calme qu'à la maison dans le brouhaha familial. Evidemment, c'était embêtant d'être toujours comparée à ses frères et sœurs tout le temps, mais elle pouvait le supporter. A part faire partie d'une famille exceptionnellement large, et ne pas pouvoir s'investir tout son saoul dans le club de drama, Kanae savourait assez la vie d'écolière.
Tout avait changé lorsque Naoto avait eu le béguin pour elle.
Elle revenait de la piste d'athlétisme avec les cônes orange fluo que le professeur lui avait demandé de ranger lorsqu'elle surprit des pleurs au bas des marches. Elle pouvait entendre sa camarade Mina pleurer dans l'escalier. Toutefois, ce fut la voix de son amie Ai qui la fit s'immobiliser :
« Ne pleure pas, Mina. Naoto est simplement immature. Il ne sait pas encore comment aimer les filles. »
La voix larmoyante se calma un peu : « Ce n'est pas vrai. Il a dit qu'il aimait quelqu'un d'autre. Je l'ai vu fixer Kanae-chan... » Mina fondit en larmes de nouveau. Les filles furent bouche bée puis tentèrent de remonter quelque peu le moral de leur camarade déprimée.
Kanae s'interrogeait sur la marche à suivre : devait-elle approcher ou non son amie ? Elle ne connaissait pas très bien Mina mais ça lui semblait naturel de s'inquiéter un brin. Elle posa les cônes et avait fait un pas dans la direction du groupe lorsque la voix pleine de morgue de sa meilleure amie Rina la fit s'immobiliser :
« Kotonami se croit canon. »
« Ouais, juste parce que ce n'est pas une mocheté elle pense pouvoir se taper tous les garçons, » acquiesça Ai d'un ton courroucé. Mina se mit à pleurer plus fort.
« Chut… là, Mina, ne pleure plus. » La nouvelle voix avait un accent maternel. Elle réalisa que c'était celle de Chinatsu. Kanae ne la connaissait pas non plus très bien, excepté le fait que c'était leur déléguée de classe.
« Je propose de découvrir qui elle aime puis de le lui dire. » Lança brusquement Ai d'un air déterminé. L'approbation des autres filles emplit la cage d'escalier.
« On n'a qu'à dire qu'elle embrasse des vieux après l'école, » répliqua Chinatsu d'une voix entendue.
« Vous savez, sa famille est pauvre avec toutes ses bouches à nourrir : elle me l'a avoué une fois, » commença Rina, fière de dire des crasses sur sa camarade. « Je parie qu'elle ferait n'importe quoi pour du fric ! »
Le groupe de filles pouffa.
Elle n'avait pas eu le moindre ami depuis. Surtout pas de copines. Elles étaient hypocrites et indignes de confiance. A la maison elle n'avait pas un seul instant de paix, au club la gosse de riche lui piquait tous les beaux rôles qui auraient dû lui revenir de droit tandis que les cours ne lui apportaient pas la moindre joie. Elle se retrouva à jouer la comédie à chaque fois que ses camarades de classe lui demandaient quoi que ce soit.
« Sur qui tu flashes, Kanae-chan ? » Lui demanda Ai alors qu'elles mangeaient leurs bento pendant la pause du déjeuner. Elle fit un signe en direction des garçons à l'autre bout.
« Je n'en aime aucun, » répondit confiante Kanae tandis qu'elle picorait un morceau d'omelette.
« Quel gâchis ! Tu pourrais avoir n'importe lequel ! » S'écria Rina en pointant ses baguettes vers la plus jolie fille de leur groupe.
« Rina-chan, c'est grossier. On ne pointe pas ses baguettes, » la gronda Kanae.
« Mais c'est trop dommage ! » Risa reposa brutalement ses baguettes sur le pupitre et fit la moue. « En plus tu parles comme ma crâneuse de sœur. »
Elle jouait l'ignorante lorsque ses professeurs lui demandaient comment allaient ses frères et sœurs. Elle jouait la ravie contente quand ses parents lui demandaient comment ça se passait à l'école. Elle jouait la comédie pour tout le monde et on la croyait. Elle restait attentive, prenant les choses comme elles venaient et passant son temps à étudier les gens. Kanae Kotonami était déterminée à ne pas se faire avoir de nouveau. Elle deviendrait même la meilleure actrice au monde.
Elle sentit qu'on lui donnait un petit coup de coude. De l'extérieur on ne voyait aucune différence mais Kanae avait bel et bien reportée son attention sur le devant de la classe. « Maintenant T ! » Annonça le professeur, regardant au-delà du membre de Love Me aux cheveux en aile de corbeau. Kyoko sourit franchement à Kanae avant de se retourner pour être face au prof.
Kanae fronça les sourcils. Cette fille était enquiquinante. Elle n'avait pas besoin de la sauver des foudres du prof simplement parce qu'elle ne faisait pas attention. Elle ne voulait pas être amie avec cette dingue, mais cette dernière avait décidément décidé de s'incruster dans sa vie.
« M ensuite ! »
« Sumomo mo momo, momo mo momo, sumomo mo momo mo momo no uchi. » (2)
Malgré son tempérament naïf, elle valait mieux que beaucoup d'autres personnes de son âge. Même le « Moko-san » dont elle l'affublait était assez mignon dans le genre embarrassant, exécrable, immature et ridicule. Kanae lança un regard au membre de Love Me qui se tenait auprès d'elle.
« Le dernier : O ! »
« Kono otoko no hontou no kokoro wo tokou to omou no yo kono otoko o korosou to omou no. » (3)
Elle réalisa que quelque chose n'allait pas.
Kanae se retourna pour regarder Kyoko tandis que la classe s'égayait pour une pause de quelques minutes. Elle observa son embarrassante collègue essuyer la sueur sur son front avec le dos de sa main alors que les autres élèves se dispersaient dans le couloir.
Kyoko remarqua finalement qu'on la regardait. Elle fit un immense sourire à la brunette :
« Moko-san ? »
Kanae croisa ses bras. Son visage s'assombrit.
« Encore ! O ! »
Kyoko se redressa pour faire comme un soldat sur la ligne du front. « Kono otoko no hontou no kokoro wo tokou to omou no yo kono otoko o korosou to omou no. »
Kanae se mit à décrire un cercle autour d'elle : « Maintenant juste la fin. »
« Korosou to omou no ? » Proposa Kyoko d'une voix perplexe.
« Oui. Encore une fois. »
« Koro … (Ce) »
« Sho ! » Prononça simplement Kanae.
L'atmosphère de la salle s'alourdit immédiatement. Les néons se mirent à clignoter. De longues ombres sinistres suintèrent des coins de murs. La figure de la plus petite des deux actrices se tordit d'un sourire malveillant. « SOU TO OMOU NO (CE TYPE JE L’ÉTRIPE) ! »
~Allons le tuer ! Le Tuer ! Oh oui, cet homme, nous sommes sûrs de vouloir le tuer…~ Ses démons émergeaient de son corps et virevoltaient autour de leur maitresse en chantant.
Kyoko reprit le contrôle d'elle-même lorsqu'elle remarqua le visage furieux de sa comparse. Elle regarda terrifiée ses démons la quitter pour aller s'amuser avec leur nouveau maître.
« Moko-san ? » Couina-t-elle. La vision ne se dissipa point.
« Tu me caches encore quelque chose. » Susurra Kanae, sa colère suintant de chacun de ses mots prononcés d'une voix des plus glaciales.
Kyoko paraissait toujours terrifiée mais une certaine confusion commençait à poindre sur ses traits. Kanae soupira avec rage avant de continuer :
« C'est ton préféré : Habituellement je peux sentir le poids que ces mots ont pour toi. Et pourtant, aujourd'hui rien n'a changé quand tu les as prononcés. C'est comme si tu avais oublié ton but. Qu'est-ce qui te prends ? »
Kyoko se tritura les mains. Alors qu'elle ne savait plus sur quel pied danser, ses joues se colorèrent légèrement de rouge. Kanae arqua un sourcil à cette soudaine expression de gêne.
« Tu l'aimes à nouveau ? »
« JAMAIS ! » Pendant un instant, l'expression de Kyoko fut celle d'un démon ulcéré et d'une sirène enragée, ses cheveux se dressant sur son crâne.
« Alors dis-moi ce qui t'arrive. De suite. » Elle était catégorique.
« Ben… » Kyoko se tritura encore les mains, tapotant ses doigts. « Tsu… » Le jingle habituel signalant un message de l'école grésilla dans les haut-parleurs du plafond. Elles levèrent toutes deux la tête de curiosité :
« Kyoko Mogami, veuillez vous rendre dans la salle des professeurs. Je répète, Kyoko Mogami, veuillez vous rendre dans la salle des professeurs. »
Il gratta son menton alors qu'il faisait tourner la chaise de bureau dans laquelle il avait pris place, peu familier avec la sensation de ne pas s'être rasé au matin. Remarquant une sucette sur le bureau en face de lui, il s'en empara vivement. Les rares professeurs qui étaient dans la salle se contentaient de chuchoter poliment à l'autre bout de la salle. Il ne s'en préoccupa pas. Au lieu de ça, il déchira le plastique et enfourna la sucette dans sa bouche. Il fit une légère grimace. Il n'était pas fan des sucreries. Cependant, le bonbon lui rendait service : il voulait que personne ne le reconnaisse sous son déguisement.
La doyenne des enseignants toussa et fit une nouvelle tentative :
« Vous êtes… le manager de Mogami-san ? »
Il frotta ses poings contre son menton, embêté par sa barbe naissante. Mâchonnant la tige de la sucette, l'homme s'assit plus confortablement et sourit crûment. Il mit ses pieds sur le bureau.
« C'est ce que j'ai dit, madame : J'ai du travail pour elle. »
La vieille dame souffla et regarda vexé le visiteur indésirable. On frappa à la porte. Une silhouette féminine confuse apparue de l'autre côté du battant vitré.
« Ano… j'ai été appelée ? »
« Oui oui, entre, Mogami-san. »
Deux personnes pénétrèrent dans la typique salle des profs. Les deux membres de Love Me jetaient des coups d'œil circulaires et repérèrent l'homme léthargique dans un coin. Ses cheveux étaient ébouriffés, il avait revêtu de vieux vêtements passablement élimés et sur son nez était perché une paire de lunettes de soleil vertes. Ses bottes de l'armée prenaient leurs aises sur la longue table en bois. Toutefois, le poids et la carrure ne pouvaient correspondre qu'à une seule personne de leur entourage :
« Tsuruga-san ? » Laissa échapper Kotonami.
L'homme dans le fauteuil éternua pour dissimuler vainement un rire moqueur. Kotonami prit la mouche il ressemblait beaucoup au célèbre acteur. Son dialecte était cependant de Kyushu, de l'extrémité sud du Japon.
« C'est nouveau. D'habitude on me confond avec Kurusaka. »
La doyenne se hérissa, aimant encore moins leur visiteur : « Le Directeur Kurusaka est un directeur talentueux et dévoué. »
« Ouais, bon. » L'homme se leva et écarta la professeure d'un mouvement de la main. « Allez, Kyo', on a du boulot. »
L'homme de belle taille aux lunettes de soleil colorées ouvrit la porte et puis adressa un regard à la cantonade. Il croisa le regard de Kanae pendant une seconde. Kyoko avait gelé sur place.
« KYO ! »
« Hai ! » Kyoko sursauta et le suivit hors de la salle.
Kotonami fronça les sourcils. Ce corps clamait Ren Tsuruga. Pourtant, on était au beau milieu de la journée. Même avec les rumeurs qui couraient, elle savait que le célèbre acteur devait être très occupé. Le meilleur acteur au Japon n'avait pas le temps de batifoler en jouant les managers. Encore moins de s'occuper de sa kohai si inexpérimentée. Kanae y repensa.
« Hum… Tsu… »
Il se tramait quelque chose entre eux deux. Pour le bien de sa seule amie, elle devait découvrir le fin mot de l'histoire.
(1) : « Torawo torunara torawo toru yori toriwo tore, toriwa otorini torawo tore. » = « La raison pour laquelle j'ai placé ce bambou contre ta barrière en bambou, c'est juste parce que je voulais placer un bambou contre. »
(2) : « Sumomo mo momo, momo mo momo, sumomo mo momo mo momo no uchi. » = « La prune japonaise est une sorte de pêche, une pêche est aussi une pêche, alors la prune japonaise et la pêche sont toutes deux des sortes de pêches. »