Constantin Virgil Gheorghiu -
La condottiera (Plon, 1967 / Editions Rombaldi, 1969)
(253 pages, soit 75 km de plus pour le challenge Tour du Monde. Total : 10 800 km et 43 772 pages pour 116 livres. Pays : Roumanie.
6e titre pour le challenge 1914 - 1968)
La Condottiera, c'est la Vierge - la commandante des exilés, des humiliés, des travailleurs trop pauvres pour avoir droit au repos avant celui qu'on trouve enfin sous la terre. C'est elle qui a donné son nom au moulin des Acathistes, village misérable du fin fond de la Roumanie, c'est elle qui a donné au meunier Nicolas Acathiste le courage de conquérir son rêve. Mais sous ses yeux d'icône, le corps de Nicolas gît désormais dans la poussière, un couteau dans le dos.
Deux gosse pouilleux ont prévenu la garde et voici Mavid Zeng, le terrible chef de la milice du pays de Vrancia, qui se déplace en personne, interroge le cadavre. C'est qu'aujourd'hui, personne n'était censé être au village : le peuple entier, de gré ou de force (de force surtout) participait aux célébrations de la Fête Nationale, l'anniversaire de l'invasion soviétique. Personne, absolument personne, n'avait autorisation d'être là, pas même ces deux gamins d'ailleurs - et l'absence aux célébrations du Parti est un crime bien plus grand encore que le meurtre banal d'un meunier ! Mais au bout du chemin, voici que se profile la silhouette du prêtre-moine Théophore Acathiste, le frère de Nicolas... un coupable idéal pour qui ne veut pas enquêter plus loin que le bout de son nez. Et puis, quoi de mieux qu'une bonne petite histoire de fratricide sordide pour salir cette religion qu'on ne peut décidément pour de bon extirper ?
C'est dans un langage très simple, comme épuré, que Gheorghiu conte les souffrances des Acathistes - et avec eux de tout le peuple roumain. Simplicité due peut-être en partie à l'usage d'une langue non maternelle (l'auteur écrit là son premier roman en français) mais qui convient à merveille à ces êtres humbles, humiliés, offensés, qui gardent comme les humiliés et offensés de Dostoïevski une droiture farouche jusque dans les pires malheurs. Et des malheurs, Dieu sait s'ils en rencontrent ! La misère noire, depuis la nuit des temps, puis l'invasion étrangère, la dictature communiste dont le roman dénonce la cruauté avec un féroce sens de l'absurde.
Face à cela, un idéal spirituel assez touchant, assez beau, même pour qui n'est guère familier avec la foi religieuse. Un idéal qui est à la fois humilité et révolte, qui permet de tenir toujours, envers et contre tout, et oppose un humanisme sensible, exigeant, à la froideur déshumanisée des machines oppressives.
Le propos est trop ouvertement militant pour ne pas manquer un peu de finesse, de nuance, mais il n'en est que plus percutant. Habilement construit, précis, efficace, le récit se lit comme un roman policier où l'identité du coupable ne se révèle qu'au bout de tortueux détours, qui auront offert au lecteur une plongée intéressante dans une page d'histoire souvent méconnue.
On est là un peu trop loin de ma sensibilité pour que je sois vraiment touchée mais c'est une lecture assez captivante et pleine d'intérêt.