Joe - Larry Brown

Feb 25, 2017 21:39


Larry Brown - Joe (1991 / Gallmeister, 2004)
(336 pages, soit 75 km de plus pour le challenge Tour du Monde. Total : 9825 km et 39 332 pages pour 107 livres)

Un vieux pick-up déglingué, un pack de bières sous le fauteuil passager, une bouteille de Bourbon à portée de la main, et au volant un type entre deux âges, pas mauvais bougre, loin de là, mais du genre qu'il vaut mieux éviter de chercher. Voilà Joe. Marié et divorcé, évidemment, deux gosses qu'il ne voit guère, on pourrait l'imaginer dans le rôle du shérif local mais il doit se contenter d'un job moins reluisant - le déboisement des forêts locales et leur reconversion en plantations de pins. Pas de quoi vous offrir un but existentiel folichon, en somme.
Pourtant, cette existence plutôt morose partagée entre le boulot, la picole et le jeu semble soudain des plus enviables lorsqu'entre en scène la famille Jones. La famille Jones, c'est le pire du pire - le père surtout, alcoolique teigneux prêt à toutes les saloperies pour se procurer une bouteille, loqueteux, puant, paresseux, servile avec les forts, brutal avec les faibles, sa femme et ses gosses surtout. La mère n'est plus qu'une épave à moitié folle, la fille aînée commence à comprendre qu'elle se débrouillera mieux toute seule qu'avec les siens, la benjamine ne prononce plus un mot et le cadet fait ce qu'il peut. Un chouette gamin, Gary, élevé à coup de gnons, ne connaissant du monde qu'une succession de boulots minables et mal payés, la violence et la misère, improbablement gentil pourtant et résolu coûte que coûte à s'en tirer.
Joe, évidemment, va rencontrer Gary et restera difficilement insensible à son sort. Reste à savoir ce qu'ils vont pouvoir faire l'un de l'autre - entre l'apathie ronchon de l'un et l'incapacité de l'autre à échapper à son père, lequel ne cesse de repousser les frontières de l'ignoble, la partie n'est pas gagnée d'avance.

Après les raffinements de l'Angleterre aristo-artistique de Brideshead, j'aurais bien fait de m'offrir une petite transition plutôt que sauter à pieds joints dans le doux fumet White Trash de Larry Brown. J'ai beau aimer les contrastes, picoler à la Bud avec des bûcherons dans une cabane en rondins est, disons, plus confortable quand on ne vient pas de siroter des vins fins en compagnie d'un joli garçon dans le salon d'un château. Les pauvres bûcherons, surtout, n'y ressortent pas vraiment à leur avantage. N'est-ce pas en partie pour cela que j'ai trouvé à Joe cet arrière-goût de stéréotype, au lieu de me laisser convaincre par le personnage ? J'avoue être un brin lassée de l'éternelle figure du quadra/quinquagénaire alcoolique divorcé au caractère râpeux qu'on retrouve si souvent, d'un côté ou de l'autre de la loi, dans la littérature américaine, et en l'occurrence le caractère ne m'a pas semblé assez travaillé pour sortir vraiment du lot.
Fort heureusement, Gary est assez irrésistiblement attachant, une petite flamme vive qui s'obstine à lutter contre des ténèbres gluantes et qu'on a envie de protéger de ses mains, d'arracher à son monde. Un personnage enlevé à toute naïveté par les horreurs qu'il a vues et vécues, mais qui à travers elles a su garder une innocence touchante... d'autant plus touchante peut-être qu'elle vient justement de son statut d'enfant sauvage et que toute forme de "réussite sociale", aussi modeste soit-elle, a des chances d'y mettre bientôt fin.
Fort heureusement, Larry Brown échappe au piège que tendait cette histoire, celui d'un sauvetage rédempteur de l'adolescent par l'adulte. Il tisse entre les deux personnages un rapport beaucoup plus subtil, beaucoup plus ambigu, où les liens d'une paternité manquée sont évidents mais dont les ressorts exacts et les conséquences restent sujets à la libre interprétation du lecteur. Dans cette optique, la fin très ouverte est assez louable, même si j'avoue qu'elle m'a quelque peu laissée sur ma faim et qu'une action un peu plus resserrée n'aurait pas gâché mon plaisir.

challenge tour du monde, bouquins

Previous post Next post
Up