L'après-midi du 2 octobre, nous voici donc de nouveaux aux portes du palais du Grand Maître de l'ordre de Saint-Jean, désormais palais présidentiel, dont quelques pièces sont ouvertes au public. Parfaite occasion de revenir sur l'histoire de l'ordre de Malte et celle de la ville, étroitement liées...
Au commencement de l'histoire, nous sommes en 1113. La première croisade vient de reprendre Jérusalem aux Turcs, le royaume du même nom a été fondé, et l'hospice bénédictin d'un certain Frère Gérard, jusqu'alors destiné à accueillir et soigner les pélerins chrétiens, est reconnu autonome, sous la protection exclusive du pape. Dédié à Saint-Jean Baptiste, l'Hospital devient bientôt un ordre, dont le rôle religieux et médical se double rapidement de fonctions militaires qui en font un acteur majeur de l'histoire du royaume de Jérusalem. C'est aux Hospitaliers, notamment, qu'est confiée la garde du célèbre Krak des Chevaliers dont les hautes murailles dominent toujours les collines syriennes.
Mais déjà, le vent de l'Histoire tourne, Saladin reprend Jérusalem en 1187, les chrétiens se replient sur Saint-Jean-d'Acre où ils tiennent encore un siècle. Chassés pour de bon de Terre sainte, Templiers et Hospitaliers se retirent à Chypre. Les premiers ne tardent pas à revenir en Occident, où ils connaîtront le sort des sorciers et des rivaux trop puissants, les seconds se maintiennent un temps dans l'île avant de partir conquérir Rhodes, alors sous domination byzantine. Ils y restent établis de 1310 à 1523, date à laquelle Soliman le Magnifique les flanque à nouveau à la porte - mais avec tous les honneurs dûs aux survivants valeureux.
Suivent sept années d'errance, au terme desquelles les chevaliers se voient confier par Charles Quint l'archipel maltais, alors dépendance du royaume de Sicile (si j'ai tout suivi, Charles Quint était alors justement roi de Sicile de par son ascendance Aragonaise) avec pour mission de bloquer l'avancée ottomane en Méditerranée. Vu leur expérience de la branlée héroïque face aux musulmans, le choix était-il vraiment judicieux ?
En 1530, délaissant l'ancienne capitale au coeur de l'île de Malte, l'Ordre s'installe sur la côte nord-est, autour du port de Birgu. Plusieurs autres fortifications sont édifiées, le fort Saint-Ange, le fort Saint-Elme, bien utiles lorsqu'en mai 1565, la flotte turque se présente devant l'île.
160 galères, 30 000 hommes, face auxquels les hospitaliers ne peuvent guère aligner que quelques 800 chevaliers et 1500 soldats : le rapport de force est dérisoire et le fort Saint-Elme est pris au bout de plus d'un mois de siège acharné. Les corps crucifiés de ses défenseurs sont envoyés par navire aux défenseurs de Birgu, qui répliquent en bombardant les lignes ennemies des têtes coupées des prisonniers... et résistent, malgré tout, aux assauts.
Enfin, début septembre, l'armée espagnole arrive pour mettre un terme à cet échange de gracieusetés et les ottomans sont enfin repoussés.
Les chevaliers auront payé un lourd tribu à cette guerre, mais les populations civiles aussi, victimes de nombreuses razzias, tout particulièrement sur l'île de Gozo.
Tirant leçon du siège, l'Ordre reprend les fortifications de Saint-Elme et, sous leur protection, construit une nouvelle ville qui prend le nom de son fondateur, le grand maître de l'Ordre, Jean de Valette.
C'est son second successeur, Jean l'Evesque de La Cassière, qui fait réaliser le palais magistral à partir de 1572.
Dans la grande galerie qui entoure le patio, une fabuleuse architecture imaginaire se déploie, semée de paysages maltais et de scènes de bataille.
La fin du Grand Siège, et en 1571 la bataille de Lépante qui marque l'arrêt de la progression ottomane en Méditerranée, inaugurent une époque de prospérité pour l'Ordre. Les Hospitaliers s'enrichissent dans la guerre de course et le commerce des esclaves, dont Malte devient une grande plaque tournante. S'éloignant de toute réelle vocation religieuse, l'Ordre devient un lieu de formation militaire privilégié pour l'aristocratie européenne.
Il faut attendre 1798 pour voir débarquer un nouvel ennemi réellement redoutable : Bonaparte, en route pour l'Egypte, vient faire aiguade à La Valette. Le grand maître ayant refusé de laisser entrer plus d'un vaisseau à la fois (quel bon prétexte pour s'emparer d'un fruit mûr à point !), l'impétueux général prend possession de l'île et en dégage les chevaliers, qui trouvent refuge auprès du tsar de Russie. (La Russie saura les venger à sa manière, mais c'est une autre histoire.)
La colonisation française, toutefois, ne dure pas longtemps : l'administration trop pesante, le pillage des biens de l'Eglise sont mal vus des maltais, qui ne tardent pas à trouver l'appui... des anglais, évidemment. En 1800, la garnison française se rend au capitaine Alexander Ball et comme en diplomatie internationale, les cadeaux désintéressés ne se connaissent guère, Malte est officiellement annexé à l'Empire britannique en 1816.
Le palais devient alors Palais du Gouverneur.
L'île ne voit son indépendance reconnue qu'en 1964 mais conserve la reine Elisabeth à sa tête, comme d'autres pays du Commonwealth. Ce n'est que dix ans plus tard, sous l'impulsion du Premier Ministre Dom Mintoff, que la république est proclamée et qu'un président est élu. (Notons au passage qu'aujourd'hui, Malte en est à sa deuxième femme présidente.)
Au rez-de-chaussée du palais, se visite aussi une très belle armurerie... avec C-3PO en guest star et des mauvaises reines de conte de fée pour veiller sur la poudre des guerriers.
En sortant du palais, la balade se poursuit au sud est de la ville, où entre l'église Sainte Catherine d'Italie et la chapelle Notre-Dame des Victoires, Jean de Valette a une place et une statue à son nom.
Juste à côté de l'église, se dresse la superbe auberge de Castille, construite entre 1571 et 1574 pour abriter les chevaliers de la langue de Castille, puis entièrement rebâtie de 1741 à 1745 dans un style baroque. Siège des forces armées britanniques à Malte à partir de 1805, elle abrite aujourd'hui les bureaux du Premier Ministre maltais.
Par derrière, s'est établi le joli hôtel de Castille devant lequel passe je ne sais plus trop quel homme politique maltais.
Juste à côté, s'ouvre l'entrée des Upper Barakka Gardens...
Tiens, Churchill !
Escorté d'une bande de gavroches par Antonio Scortino (1907)
Nous comptions juste faire un tour, mais un brin de musique, deux bancs de pierre face à face sous une arche, devant cette vue superbe, nous retiennent finalement jusqu'à la tombée du soir.
Face à nous, se déploient les Trois Cités : Il-Birgu, devenue Citta Vittoriosa après le Grand Siège, Bormla, dite aussi Corpiscua, et L-Isla, dite aussi Senglea, les trois villes où s'établirent d'abord les chevaliers avant de construire La Valette. Tout au bout, avant la jetée qui referme le port, le fort Ricasoli fait pendant à Saint-Elme.
Il suffit pourtant de tourner un peu la tête pour trouver bien plus moderne et bien moins romanesque : le coin des docks et la centrale électrique d'Il Marsa.
Au prochain épisode, et pour ceux qu'intrigue cette juxtaposition de noms sur une même malheureuse cité, vous aurez droit à un petit topo sur la langue maltaise, fruit d'une longue histoire aux origines mêlées.
Pour la fin de journée, un dîner au
D'Office Bistro - où je déguste un ragoût de poulpe tedre, moelleux, parfumé, merveilleux ! - et une nouvelle balade nocturne avant de regagner l'Asti Guesthouse.
Là haut, les arches du Upper Barakka Gardens où nous étions assises un peu plus tôt.
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