Thomas l'Agnelet - Claude Farrère

Jun 02, 2016 21:48


Thomas l'Agnelet - Claude Farrère (1911 - Phébus, 2011)
(412 pages, soit 75 km de plus pour le challenge Tour du Monde. Pays : France. Total : 5200 km, 21 902 pages et toujours 16 pays pour 57 livres.
6e titre pour le challenge XIXe siècle 2016))

Sous le règne du bon roi Louis le Quatorzième, voici l'histoire de Thomas Trublet, malouin de modeste origine passé d'un coup, par le hasard de la guerre et l'audace d'un armateur ambitieux, de simple maître d'équipage à capitaine corsaire. Il a le sang chaud, Thomas, ses colères balaient les hommes comme l'ouragan les navires et son courage aveugle, sa fierté indomptable, le jettent dans les batailles les plus inégales sans un instant frémir. De victoire en victoire, il deviendra une légende, des Caraïbes où il a basé son navire jusqu'à la cour de France où le roi, un jour, le reçoit.
Mais il a laissé derrière lui, entre les remparts de Saint-Malo, un serment solennel qu'il ne saura tenir - et les saints de Bretagne sont impitoyables envers ceux qui trahissent leurs serments. Pour un homme de guerre, la paix est un péril. Pour une âme simple et trop ardente, l'amour en est un plus grand encore - et quand Thomas le rencontre, c'est le Diable lui-même qui pourrait bien l'avoir mis sur sa route.

Ouh, qu'elle a fini par me devenir pénible, cette lecture ! Il y avait pourtant plein d'ingrédients pour me plaire : le siècle de Louis XIV, Saint-Malo, l'univers des corsaires et de la flibuste, des batailles navales, une grande amitié virile et même cette histoire d'amour destructrice qui possédait un certain potentiel. Hélas, impossible d'accrocher au potentiel tragique de toute l'affaire.
Impossible d'éprouver grand intérêt pour le destin de personnages qu'un travail psychologique plus poussé aurait pu rendre passionnants, mais qui ne dépassent guère le stéréotype sans profondeur : Thomas, qu'on tente de nous faire passer pour un brave garçon dévoyé mais qui ressemble surtout à une brute doublée d'un abruti ; Louis, d'un angélisme fade, incolore, inodore et sans saveur ; Juana, aussi fatale et vicieuse que se doit de l'être toute femme fatale digne du nom.
Bon. Tout ceci aurait encore pu passer si l'écriture avait su faire du stéréotype un symbole, pointer le nez vers la légende. L'intention de l'auteur est sans doute là, mais son style - irréprochable d'un point de vue académique - est trop classique, manque de nerf, de folie, de puissance, pour donner l'élan, la fougue, la démesure que cette histoire aurait mérité, sans compter que beaucoup de choix narratifs m'ont frustrée de ce que j'avais envie de voir raconté.
Mais le pire, c'est encore l'esprit du roman, l'esprit de l'auteur, terriblement daté - dans le genre morale catholique petitbourgeoise étriquée du début du XXe siècle. On a droit à tous les clichés : la bonne Bretagne pieuse, les bons fils d'autrefois comme n'en fait plus ce siècle tant il est corrompu, les femmes curieuses comme le sont toutes les femmes  et dangereuses catins dès qu'elles suivent leurs sens, sans compter le sempiternel nègre ou indien qui finit par trahir son camp parce qu'il a les foies face à l'ennemi (l'espagnol, lui, bien sûr, meurt toujours fièrement). Ce n'est pas grand chose, d'abord, une petite remarque agaçante, un soupir, après tout, ça ne colle pas si mal avec l'esprit de l'époque évoquée, puis à la longue l'agacement l'emporte et n'aide guère à rester concentré.

Reste un tableau assez intéressant du monde de la flibuste, de ce moment charnière où la paix vient mettre un terme malencontreux à la grande heure des corsaires, et finit par lancer les plus aventureux d'entre eux sur les chemins de la piraterie pure et simple. Bien documenté, le roman est au moins assez instructif (quoique parfois un peu trop ouvertement pédagogue), et il faut lui reconnaitre des scènes réussies. Mais il gâche beaucoup de ses potentiels, et ne dépasse pas assez les modes de pensée de son temps pour atteindre à l'intemporel des vrais grands romans : à en juger par ce seul texte, l'injuste oubli dont est victime aujourd'hui l'auteur, académicien en 1935, ne me semble pas si injustifié !

challenge tour du monde, lecture : aventure maritime, bouquins, challenge 19e siècle : critiques

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