Le Fleuve guillotine - Antoine de Meaux
Le Fleuve guillotine - Antoine de Meaux (Phébus, 2015)
(464 pages, soit 75 km de plus pour le challenge Tour du Monde. Pays : France. Total : 5125 km, 21 490 pages et toujours 16 pays pour 56 livres)
10 août 1792. Le peuple gronde, de plus en plus menaçant autour des Tuileries où quelques gentilshommes se sont regroupés autour de la famille royale, prêts à la défendre jusqu'à leur dernier sang. Louis du Torbeil attend ses deux jeunes beaux-frères, Charles et Jean de Pierrebelle, qui ne paraîtront pas. Le roi hésite, choisit de se rendre pour éviter le bain de sang - n'évite pas grand chose. Le château est pris, ses derniers défenseurs, ses derniers serviteurs massacrés. Les derniers survivants parviennent à se fondre dans la capitale enfièvrée, qu'ils ne tardent pas à fuir.
Quelques mois plus tard, certains d'entre eux se retrouvent à Lyon. Louis grave des estampes en attendant de retrouver sa maîtresse puis de reprendre le combat. Jean s'est réfugié auprès d'Irénée Conche, ami et cousin, et se noie dans le vin pour tenter d'oublier. Barthelemy, son cadet, prêtre réfractaire, ne vit que pour l'amour de Dieu et le service des pauvres gens. Camille, le benjamin, s'impatiente dans le Forez et ne rêve que de prendre les armes.
Dans l'autre camp, Rambert Conche, le frère d'Irénée, est devenu le conseiller occulte de Chalier, le Marat lyonnais dont l'ardent idéal se fait de plus en plus menaçant aux yeux de la bourgeoisie locale. La révolution va trop loin, une grande partie de la ville s'accorde à le penser, les royaliste soufflent sur ce petit foyer qui bientôt s'embrase. Lyon se révolte. Croit un instant qu'elle pourra changer le cours de l'Histoire - et concentre sur elle toute la fureur jacobine.
La répression sera terrible.
Sur un sujet passionnant et relativement méconnu - l'Histoire de la Révolution se limite trop souvent à Paris et à la révolte vendéenne - Antoine de Meaux compose un roman ambitieux, original, très solidement documenté mais assez inégal.
La plume est résolument littéraire : une langue belle, très descriptive, souvent poétique, des choix narratifs qui évitent les effets attendus et privilégient souvent le détail à la logique d'ensemble des événements. Un choix personnel, assez original, mais qui n'est pas sans défauts : si les descriptions sont prenantes et composent une atmosphère très forte, si certains passages sont d'une puissance superbe, le tout s'éparpille dans une construction très fragmentaire qui manque parfois de concision sur l'essentiel. Plusieurs fois, je me suis retrouvée un peu perdue, ne sachant plus trop dans quel camp et auprès de qui j'étais, et peinant à trouver grand intérêt à une succession de petites saynètes oubliées sitôt que lues.
Entre les deux morceaux de bravoure que sont le début - la prise des Tuileries - et la dernière partie du roman - le siège de Lyon et les combats des troupes alliées cherchant à rejoindre la ville depuis les monts du Forez - un gros morceau central du récit se perd dans des longueurs un peu pénibles, que les personnages n'ont pas assez de corps, de profondeur, pour rendre vraiment intéressantes. Le sentiment de délitement qui s'empare de ces hommes dont le monde vient de s'écrouler, dont l'identité se trouve soudain niée par le nouvel ordre qui s'installe, est fort bien rendu, certes, et le propos de l'auteur est justement là. Toutefois, je lui aurais trouvé beaucoup plus de poids s'il avait été conté de manière un peu plus concise, ou attaché à des personnages plus travaillés.
C'est bien dommage, car le fracas des batailles, leur horreur, leur absurdité, leur grandeur désespérée, sont eux superbement rendus. L'effondrement final est magnifique.
C'est au final un roman dont je garderai sans doute le souvenir d'une ambiance, mais dont les personnages risquent de s'effacer assez vite de ma mémoire. Décevant par certains aspects, enthousiasmant par d'autres - à recommander malgré tout à ceux que la période intéresse !