Challenge ABC : P comme Pérez-Reverte
Arturo Pérez-Reverte - La Reine du Sud (2002 / Seuil, 2003)
Le téléphone sonna, et elle sut qu'ils allaient la tuer. Ainsi commence, par une fin programmée qu'un peu de chance et beaucoup de culot métamorphose en début, la grande épopée de Teresa Mendoza.
Du Mexique en Espagne, la jeune femme passe des bras d'un trafiquant de coke à un autre - le premier, aviateur génial mais trop aventureux, vient de se faire trouer la peau dans un règlement de comptes ; le second, marin plus placide, risque la sienne sur le détroit de Gibraltar et accepte de faire de Teresa son matelot et associé lorsque le rôle de l'épouse au port lui devient insupportable. Puis il y aura la prison, où elle devient l'Edmond Dantès d'un abbé Faria au féminin qui contribuera à faire d'elle cette légende : la Reine du Sud. Buisnesswoman avisée et intouchable, à la tête (ou soupçonnée de l'être) de la plus grande partie du trafic de coke et de hashish en Méditerranée, élégante aussi discrète qu'implacable lorsque s'approchent de trop près les paparazzis.
Une femme sur laquelle il est fort complexe et dangereux mais passionnant d'enquêter.
Construit avec beaucoup de talent, moitié comme un roman, moitié comme une enquête journalistique, la Reine du Sud est aussi intéressant pour le monde qu'il explore que pour le personnage qu'il met en scène. Documentaire, il offre une plongée passionnante dans les cartels de la drogue, de ses plus humbles à ses plus puissants acteurs. Etude de caractère, il détaille un beau portrait de femme - une femme-objet qui refuse son statut de victime, se révéle femme de tête pour survivre, mais dont le courage admirable et la puissance conquise n'éteignent jamais les très vieilles terreurs. Une enfant de la misère dont la plus belle conquête se fera peut-être surtout dans le monde des livres.
Roman d'aventure, il rend un superbe hommage à Dumas, modelé comme un Comte de Monte Cristo moderne et féministe - avec en prime un personnage de looser superbe comme je les aime tant. Y compris au féminin.
Un téléfilm américain hispanophone a été tiré de tout ça, avec pour but essentiel semble-t-il, de métamorphoser cette pauvre Theresa en cliché de pétasse hispano-mexicaine. Aï, aï, aï...
