Denis Blanchard-Dignac -
Viollet-le-Duc (1814 - 1879). La passion de l'architecture (Editions Sud Ouest, 2014)
Notre-Dame de Paris, c'est lui. Du moins, la cathédrale que l'on peut voir aujourd'hui, avec sa flèche et ses statues, bien différente du pauvre édifice mutilé que Victor Hugo décrit dans le troisième livre de son roman médiéval.
Lui aussi, la basilique de Saint-Denis, les remparts de Carcassonne, la basilique de Vézelay, le château de Pierrefonds... pour le plus connu. Mais il travailla aussi sur des dizaines de monuments anciens, églises, cathédrales, remparts, châteaux, cités entières, de Beauvais à Toulouse, de Gand à Clermont-Ferrand. Et s'il ne put accomplir son rêve de restaurer le Mont Saint-Michel, il donna au sculpteur Bartholdi le dessin de la tête de la statue de la Liberté.
De dessin, sa vie est remplie - dès l'enfance, grâce à l'enseignement de son oncle maternel, artiste peintre sans grand génie mais amateur d'art éclairé, dont le salon réunit quelques grands esprits de l'époque. Parmi eux, Prosper Mérimée, qui fait ses débuts en littérature, s'engage pour la sauvegarde d'un patrimoine ancien bien malmené par le temps, l'incurie et les vandalismes révolutionnaires, et qui ne tardera pas à succéder à Ludovic Vitet (autre habitué des lieux) comme inspecteur général des Monuments Historiques.
Ce sont alors les années 1820, la pleine guerre entre classiques et romantiques - les premiers pleins de préjugés contre cet art gothique barbare qu'ils ont toujours appris à mépriser, les seconds pleins de fougue pour sauver les splendeurs ruinées du Moyen-Age.
Non sans panache, le jeune Viollet-le-Duc refuse la voie royale vers l'architecture, cette école des Beaux-Arts qui ne jure que par l'imitation de l'Antique et pond des temples grecs en plein Paris, aberration stylistique et climatique qu'il ne peut tolérer. Architecte il sera, oui, mais à sa manière. Pour cela, il travaille avec acharnement, visite les chantiers, entre en apprentissage, lit, voyage, observe, déduit, comprend, et dessine, dessine encore, meilleur moyen à ses yeux d'appréhender cet art dont il veut percer les secrets.
Architecte il sera donc, l'un des plus grands de son temps, l'un des plus actifs et sollicités, aussi, au-delà des troubles politiques et des changements de régime, jusqu'à mourir quasi d'épuisement après une carrière vertigineuse. Et si ses interventions furent contestées, en son temps et surtout au XXe siècle, il eut le mérite d'inventer de zéro une pratique encore inconnue : la restauration, et une grande partie du patrimoine français lui doit aujourd'hui sa survie.
Il eut le mérite, aussi, de beaucoup réfléchir et de beaucoup écrire sur son art, des textes qui dépassent très largement son domaine concret d'intervention et posent les premiers jalons de l'architecture moderne. Cette architecture qu'il voulait débarassée de l'imitation sclérosante comme du luxe vulgaire, nourrie des connaissances du passé mais puisant sa force vive dans les besoins, les moeurs et les techniques du présent.
Depuis longtemps attirée par le personnage et ses réalisations, enchantée par
la très riche et très belle exposition que lui a consacré, cet hiver, la cité de l'Architecture et du Patrimoine, j'avais envie d'approfondir un peu plus le sujet, et cette biographie en fut un bon moyen. Peut-être n'est-elle pas la plus riche ni la plus exigeante qu'on puisse trouver, sans doute donne-t-elle une apparence un peu trop exclusivement austère au personnage - quand l'exposition révélait, par de délicieux dessins humoristiques en marge de ses courriers privés, une facette plus légère qui le rend plus attachant - mais elle est complète et d'une lecture très intéressante.
En même temps, comment un bouquin sur un tel bonhomme pourrait-il ne pas l'être, intéressant ?!
Et maintenant, pauvre de moi, me voilà réduite à aller lire les livres de Viollet-le-Duc lui-même, en commençant par les très alléchantes "Histoires" (d'une maison, d'une forteresse, d'un hôtel de ville et d'une cathédrale, de l'habitation humaine et d'un dessinateur) qu'il publia pour la jeunesse chez Hetzel dans les années 1870. Et qui mériteraient bien des rééditions modernes plus jolies que les bienvenues mais très austères
impressions sur demande de la BNF... (Puis de me replonger dans Mérimée, et dans Notre-Dame de Hugo, et dans d'autres biographies, et... aaahhh.)