5/ Littérature de la Méditerranée :
La Peau du tambour - Arturo Perez-Reverte (1995 / Seuil, 1997)
(Espagne pour l'auteur - Rome et Séville pour l'intrigue)
Désordre au Vatican : un pirate vient de pénétrer dans le système informatique pour déposer un message sur l'ordinateur très privé de Sa Sainteté : A Séville, les marchands menacent la maison de Dieu et une petite église, abandonnée de tous, tue pour se défendre.
Un agent de l'IOE, équivalent pontifical des services secrets, est alors dépêché sur les lieux pour mener son enquête. Mais les mystères qu'il découvrira sur place dépassent de beaucoup une simple histoire de hacker à identifier ou de crimes à résoudre : ils impliquent des questions de foi, de rapport à l’Église, aux pouvoir établis et au monde temporel, qui ne peuvent laisser indifférent ce prêtre-soldat pourtant endurci dans l'obéissance impassible.
Sous le regard d'une trop belle duchesse et de trois sympathiques truands à la petite semaine, d'un vieux prêtre obstiné et d'un banquier aux dents longues, le père Lorenzo Quart ne tarde pas à se retrouver confronté à ses propres faiblesses, à questionner ses propres engagements, tout en cherchant à faire la part des choses dans une histoire qui implique une vieille romance tragique, des investissements douteux et les larmes d'une vierge baroque.
Sous une couverture assez laide dont la quatrième pourrait aussi bien résumer un Dan Brown, Perez-Reverte développe avec son talent habituel un beau roman mélancolique, tout en finesse et en poésie. On y retrouve son goût pour les perdants magnifiques, les héritiers d'un monde défunt, les défenseurs de causes perdues. Pour tous ceux dont la lucidité désespérée n'empêche pas une ultime quête de sens, de quoi dompter le vide, de quoi donner à la vie une noblesse dont le monde, trop souvent, la dépouille. C'est sans doute ce qui me plaît, ce qui me touche le plus dans les romans de cet auteur, mais il y a aussi la beauté en clair-obscur de ses descriptions, sa sensualité amère, son amour contagieux pour un pays, une ville où l'on rêverait de se perdre à son tour. Et une vision subtile, intéressante de la religion - en tant qu'institution spirituelle à ancrage temporel, comme en tant que conviction ou refuge personnel, avec tous les liens ambigus qui rattachent ces deux facettes.
Le tout tendu par un réel suspense qui, sans être le point essentiel du récit, n'en est pas moins bien présent... et se dénoue de manière assez savoureuse.