D'Almodovar à Thierry Jonquet (attention, pavé)

Nov 05, 2011 16:57

Lorsqu'à la fin du mois d'août, je suis allée voir La piel que Habito d'Almodovar, j'étais bien loin d'imaginer dans quel engrenage je venais de mettre un doigt.

Le film, comme je l'avais dit, m'avait un peu déçue. La fin, surtout, trop banale, coupant court à toute ambiguïté. Mais il m'avait donné envie de lire le bouquin dont il était inspiré... un petit bouquin, parfait à attraper entre deux pavés à la médiathèque, pour voir. Et pour voir, j'ai vu : dévoré, adoré, adopté, et enchaîné. Du vrai, du beau coup de foudre. Mais reprenons dans l'ordre et en détail :

Mygale, de Thierry Jonquet (Gallimard, 1984 et 1995) est un petit roman d'une redoutable efficacité, qu'il ne servirait à rien de résumer. Ceux qui ont vu le film connaissent le principe de l'histoire, ceux qui ne l'ont pas vu feraient bien mieux de lire sans rien savoir.
La construction, pourtant d'une grande concision, égare admirablement le lecteur innocent. Elle est à l'image de cette écriture, à la fois précise et imagée, qui sait créer du mystère dans les description les plus crues. Le résultat est beaucoup plus violent, plus dur que le film, mais aussi infiniment plus ambigu.
Je n'en dis pas plus, ce serait dommage, mais jetez-vous dessus !

felisophétant tombée dans le chaudron en même temps et aussi bien que moi, elle m'a offert ceci pendant que je lui prêtais cela, emprunté à la médiathèque de Rueil. Continuons dans l'ordre chronologique des parutions.



La Bête et la Belle (Gallimard, 1985) est un autre roman court, tout aussi incisif que le précédent. Moins dur, moins ambigu, mais plus glauque, et doté d'un retournement final particulièrement réussi.
C'est l'histoire d'une Bête et d'une Belle, qui vivent dans un Palais. Sauf qu'on est en banlieue parisienne dans les années 80, et que ni la Bête, ni la Belle, ni le Palais, ne sont exactement comme autrefois. Sous l'apparence d'un conte noir moderne, un roman policier construit crescendo la folie d'un homme trop ordinaire.

Les Orpailleurs (Gallimard, 1993) est beaucoup plus long que les deux autres. La brièveté implacable, haletante, y fait place à un univers plus construit, étendu à de plus nombreux personnages. On retrouve les quelques enquêteurs de la Bête et la Belle, accompagnés de leurs acolytes du quai des Orfèvres, dans un roman policier un peu plus traditionnel... mais non moins réussi.
L'intrigue, une fois de plus, est tissée de main de maître, et débouche au terme d'un chemin tortueux sur une assez belle et touchante histoire.

Dans Moloch (Gallimard, 1998), autre roman long, on retrouve les enquêteurs des Orpailleurs, trois ans plus tard, et lancés sur d'autres affaires.
Moins de suspense, de surprises, dans ce livre-là, qui trouve son intérêt ailleurs : la mise en scène et l'étude d'une galerie de personnages tordus autour d'un double thème central, le syndrome de Münchausen et l'enfance maltraitée. Très réussi aussi, dans un genre encore un peu différent.

Vampires (Seuil, 2011), du coup, je l'imagine un peu dans le même genre.
Je l'imagine - car il s'agit du tout dernier roman de l'auteur, tellement dernier que Jonquet est mort avant de l'avoir terminé. Le récit s'interrompt donc au moment où tous les éléments sont mis en place pour faire réellement démarrer l'histoire : un psychopathe qui fait un peu penser à celui de Moloch, et une aimable famille de vampires, des vrais, au sujet desquels une interprétation médicale assez prometteuse est avancée. C'est frustrant, très frustrant, avec un petit goût de pas fini jusque dans l'écriture, mais cela reste intéressant, par tout ce que cela implique et laisse imaginer.
Comme Moloch organise son histoire autour d'une étude du syndrome de Munchausen, Vampires aurait pu être une enquête autour du syndrome du vampirisme, au carrefour entre maladie physique et maladie psychiatrique.
Je ne conseillerais pas de l'acheter, mais il est à lire - après les autres

*

Pour compléter ce tableau, il faut ajouter que Thierry Jonquet est très visiblement obsédé par les thèmes de la souffrance et de la folie, de la dégénérescence physique et mentale. Qu'il est un maître incontestable es-descriptions de cadavres suppliciés et plus ou moins avariés (ah ! la jolie fille grouillant de vers au début des Orpailleurs... l'empalé de Vampires... un délice.) Qu'il possède un grand sens du récit et de la construction. Qu'il sait être très réaliste sans tomber dans la banalité. Qu'il est aussi habile à décrire la simplicité, la normalité, que le malsain et la folie.
Et qu'il sait épicer sa cuisine d'un humour noir tout à fait bienvenu.

La semaine prochaine, j'enchaîne avec Comedia !

bouquins, cinéma, lecture : roman noir - policier - polar

Previous post Next post
Up