[Originale] La Voix du Désert - Réponse au défi "Music" - G

Jun 15, 2011 14:56

Thème de l'atelier d'écriture d'Eric Poindron : désert.
Défi du Monde de l'Ecriture, de Jezy à Cocoa : écrire un texte de S-F, avec au moins une fois les mots "albatros", "gelée", "puzzle" et "sable".
Tu devras t'inspirer de la chanson de Craig Armstrong Weather Storm pour au moins le début du récit.
Contrainte du défi de kumfu  : écrire sur une musique.

Le résultat est ci-dessous. :)

La Voix du Désert

Sans jeter un regard au désert en contrebas, Ophiuchus se prit la tête dans les mains, désemparé. L’avion solaire planait toujours au-dessus de la planète désolée, dans sa recherche désespérée d’un peu d’eau. Jusqu’ici, ces survols s’étaient avérés vains. Toutefois, les scanners s’étaient montrés si imprécis qu’il demeurait toutefois un infime espoir.

L’albatros de métal se posa enfin. L’homme-lézard sortit de l’appareil, le visage protégé par le long voile qui lui couvrait la bouche et le front, ne laissant apparaître que ses yeux dorés, à la pupille fendue. Certes, son organisme disposait d’un système d’autorégulation de la chaleur, mais de tels vêtements procuraient également une aide certaine à ceux de son espèce.

En observant le camp scientifique, qu’il hésitait à rejoindre par peur des moqueries de ses confrères, tous des humains, Ophiuchus se perdit dans ses pensées.

Lorsqu’ils avaient débarqué sur cette planète, quatre siècles auparavant, les hommes les avaient massacrés. La planète n’était que peu fertile ; pourtant, ses sous-sols regorgeaient de minerais précieux - du moins, de leur point de vue. Ils ne voulaient pas partager cette richesse, bien que les natifs n’en aient cure.

Ensuite, la situation s’était améliorée - elle ne pouvait plus empirer, de toute manière. Après avoir été parqués dans des réserves, les autochtones avaient fini par être acceptés dans les écoles, puis dans les universités du colonisateur. Bien que leur traitement laissât encore à désirer, ils pouvaient apprendre, eux aussi.

Cela n’avait pas été facile, mais Ophiuchus avait ainsi gravi les échelons sociaux, jusqu’à devenir radiesthésiste professionnel. C’était l’un des seuls novosaures à être parvenus à un tel rang social. Même si les talents naturels de sa race le prédisposaient à ressentir la présence de l’eau, y compris sans scanners, la société n’était pas encore prête à leur donner un tel rang.

A l’école, il avait étudié l’histoire de la Terre. Ce n’était pas la première fois que de tels paradoxes se produisaient. S’il avait bien compris, peu d’Amérindiens étaient devenus biologistes, malgré les grandes connaissances de ce peuple envers leur environnement.

En arrivant sur Sabulum (selon son nom terrien, car ses habitants l’appelait autrement, bien que ce ne fût pas prononçable par les nouveaux venus), les étrangers avaient donné aux indigènes le simple nom de « novi lacertae », « nouveaux lézards », un terme qui s’était transformé en « novosaures » dans la langue courante.

Puis, après d’âpres discussions entre savants pour déterminer si ces créatures s’avéraient intelligentes ou non, ils y avaient ajouté le participe présent « sapiens », comme dans leur propre dénomination.

Quelques grains de sable tirèrent le radiesthésiste de sa réflexion, en ricochant contre la paupière transparente qui lui recouvrait les yeux. Certes, le temps où l’on s’interrogeait encore sur leur sapience était révolu, mais l’acceptation n’était pas encore totale pour autant. C’était pour cela qu’il préférait endurer le simoun, dehors, plutôt que de se réfugier sous la tente auprès de collègues qui le haïssaient sourdement.

Ceci dit, la faim le tenaillait. En s’arrangeant pour contourner le groupe, Ophiuchus atteignit l’intendance, où il trouva des provisions de voyage dont il se nourrit subrepticement. Il regrettait la gelée nourrissante de sa tribu natale, au bien meilleur goût, mais lorsqu’on se trouvait au beau milieu du désert, éloigné de tout point d’eau, un tel aliment gaspillerait le précieux liquide.

Il songea avec nostalgie à l’oasis où vivait sa famille. Lorsqu’on y pensait, elle s’apparentait nettement à une réserve. On ne pouvait y pénétrer sans autorisation, et seuls des novosaures y vivaient. Pourtant, il gardait des souvenirs d’enfance assez heureux, dans l’ensemble.

Ceux de son peuple étaient intrinsèquement liés au milieu désertique. C’était heureux que les humains n’aient pas éprouvé le besoin de terraformer Sabulum - c’était trop cher. L’écosystème tout entier de la planète en aurait été bouleversé. Ceci dit, la recherche de minerai polluait déjà beaucoup l’environnement.

« Alors, l’affreux, on lézarde ? » l’apostropha un collègue en entrant à l’improviste dans l’intendance, sans doute dans le but de le surprendre. Cette intrusion ne le fit pourtant pas sursauter, car il avait déjà détecté son odeur.

Il ne répondit rien. Le jeu de mots de mauvais goût n’avait rien d’inédit. Depuis l’académie des radiesthésistes, et même avant, il avait été habitué aux railleries des autres. Bien que ce ne fût pas agréable, et qu’il les évitât le plus possible, il avait perdu l’envie de se battre si on l’insultait. Cette attitude encourageait seulement ceux qui prétendaient qu’ils n’étaient que des sauvages.

« Vous avez trouvé de l’eau ? », s’enquit-il poliment auprès d’Hercule, son agresseur. Ce dernier perdit son sourire goguenard en formulant sa réponse.

« Non, avoua-t-il. Et toi ?
-Pareil », renchérit-il.

La mission des radiesthésistes consistait à sillonner la région aride en quête d’eau, si possible potable. Cette mission s’avérait capitale, car la population de la planète ne cessait de s’accroître, bien qu’il n’existât encore qu’une seule grande ville. Humains comme novosaures avaient besoin de cette ressource - bien que son espèce pût s’en passer plus longtemps.

Hercule afficha un air désolé. Leur camp ne disposait de réserves que pour quelques jours. Et que dire de la cité, dont les puits s’asséchaient les uns après les autres ? Ils ne tiendraient pas longtemps.

Pour l’homme-lézard, c’était parfois difficile de ne pas faire entrer en ligne de compte ses sentiments personnels à ce sujet. L’endroit en question était surtout peuplé de mineurs, des personnes qui n’éprouvaient pas la douleur de la planète lorsqu’ils creusaient.

Son peuple, au contraire, en était capable. Cela ne le rendait pas supérieur pour autant ; simplement, personne de sa race ne travaillait dans les mines. De plus, tous les individus ne disposaient pas du même degré de sensibilité, et elle se concentrait sur des éléments différents selon les personnes. Lui, par exemple, pouvait mieux détecter l’eau que la plupart de ses semblables. En revanche, la souffrance du désert ne lui avait jamais été tangible.

Il considéra que la conversation était achevée et prit donc congé. Dehors, les hommes qui s’étaient rassemblés venaient d’allumer un feu, car le jour était en train de tomber. À ce moment-là, la température du milieu désertique chutait considérablement.

Là encore, son espèce au sang froid s’avérait favorisée, puisqu’elle s’adaptait au climat. Simplement, Ophiuchus n’aurait pas beaucoup envie de bouger tant que le soleil ne serait pas revenu - ce qui était compatible avec le désir des humains, qui s’endormiraient bientôt. Habitués à sa présence, ils ne se moqueraient pas lorsqu’il creuserait son trou dans le sable. Peut-être pas.

En attendant, il resta debout dans le vent chargé de particules à la couleur ocre - la même que celle de sa peau. Ses pieds, qui se terminaient par des griffes recourbées, s’enfoncèrent dans le sol sablonneux, de même que sa queue. Même les yeux fermés, il percevait la lueur du campement.

La torpeur propre à la nuit le gagnait lentement. De manière diffuse, il sentait pourtant autre chose, une émotion qu’il n’avait jamais connue auparavant. Comme si quelque chose l’attendait, caché dans les profondeurs des dunes, à l’instar d’un trésor secret.

Attiré par cette intuition, le novosaure quitta les tentes afin d’errer en direction de ce ressac mental. Ses compagnons l’appelèrent. Il n’entendit pas. Tous ses sens s’étaient concentrés sur cette invitation étrange, celle de l’eau ou plutôt d’autre chose, de plus important. Mais comment pouvait-il exister un élément plus capital que l’eau ? C’était inconcevable.

Il continua tout de même sa marche. C’était la première fois que « la terre lui parlait » vraiment, comme le disaient les siens. Il avait entendu parler de ces êtres élus, en communication directe avec la planète. Son grand-père en avait fait partie, et ses histoires restaient gravées dans sa mémoire.

Lui, le seul langage qu’il savait déchiffrer, c’était celui de la radiesthésie. Une langue plus commune, moins mystérieuse et davantage rationnelle, même si elle prenait parfois ses racines dans une sorte de force instinctive. Ses collègues riaient lorsqu’il tentait de le leur expliquer.

Personne ne tenta de le rattraper. Il n’était pas très aimé au sein de son équipe. De toute façon, on considérait que sa race était si bien adaptée à son milieu que nul ne s’inquiéta à l’idée de le voir partir ainsi, sans carte numérique ni provisions, juste avec une outre pas même pleine.

Comme dans un état second, il marcha des heures entières à la lumière des trois lunes et des étoiles, sans même s’arrêter lorsqu’il buvait. Il semblait oublier que son organisme réclamait le sommeil, qu’il risquait probablement de s’écrouler en plein milieu de nulle part. Toutefois, cela n’arriva pas.

Finalement, il trouva enfin.

Une grotte s’étendait devant lui. Il ignorait comment, mais il savait qu’il s’agissait de son objectif. Sans aucune hésitation, il y entra, en dépit de l’obscurité absolue que sa vision, exclusivement diurne, ne pouvait percer. Son ouïe n’était pas très développée, mais il entendait toutefois un son régulier, qui se répercutait sur les parois de pierre. Un clapotis caractéristique… De l’eau ! Il en avait finalement découvert !
Malgré tout, mêlée à la joie, il lui restait une profonde impression d’anormalité. Il ouvrit la bouche, encore et encore, afin de confirmer l’odeur qui émanait de cet endroit. Oui, c’était bien cela. Ce n’était pas du tout la manière dont sentait l’eau, d’habitude.

Il progressait à tâtons dans l’excavation, soucieux d’éclaircir ce mystère, lorsqu’il parvint soudain à un grand lac souterrain. Emplie d’un liquide bleu, légèrement phosphorescent, cette nappe ne paraissait pas constituée d’eau, mais d’autre chose. C’était de là que l’appel étrange provenait. Des reflets lumineux se réverbéraient sur les murs de granit, dans une danse hypnotique. Après l’obscurité totale, c’était rassurant d’enfin percevoir une lueur, aussi faible fût-elle. C’était impossible de discerner le fond du bassin, tant ce qui le remplissait était coloré.

Jusqu’ici, Ophiuchus s’était montré confiant. Néanmoins, il hésita à boire cet étrange liquide. D’une part, la soif le tenaillait, car son outre était vide depuis longtemps. D’un autre côté, que faire si c’était empoisonné ?

Dans le doute, il décida de ramener un peu du fluide azuré, et d’attendre les analyses de l’un des appareils dont ils disposaient au camp. Il quitta cet espace magique, le cœur empli de révérence envers la beauté du lieu, convaincu d’être entré dans un espace de légende.

Il ne comprit jamais comment il réussit à revenir au campement sans se perdre. Peut-être que la voix intérieure qui l’avait menée jusqu’au lac le guidait encore, subtilement… C’était là un mystère de plus.

Lorsqu’il revint, les autres dormaient depuis longtemps. Sans un bruit, il se glissa dans la tente qui hébergeait le matériel scientifique. Ensuite, il emboîta une éprouvette du liquide recueilli dans l’appareil capable de déterminer si l’eau était potable ou non. En apparence, c’était le cas - même si le reste des résultats ne ressemblait à rien de connu.

Curieux, il prit alors un verre propre et y versa l’échantillon. Puis, après un bref temps d’hésitation, il en avala le contenu. Le goût lui parut minéral, d’une fraîcheur surprenante. C’était comme s’il avait bu l’essence même de la grotte.

La fatigue de cette journée et surtout de cette soirée atypique le submergea d’un seul coup. Il sortit afin de se creuser un trou dans le sable. C’était ainsi que procédaient les novosaures, qui ne se différenciaient pas des simples lézards de ce point de vue.

Une fois couché dans ce lit de fortune, il se rendit compte que le contact des grains contre sa peau n’avait rien de commun avec ce dont il était habitué. Cette fois, ils lui semblaient raconter une histoire, celle d’un temps où l’eau coulait à flots sur Sabulum.

Il clôt les paupières. Le chant du désert s’entendait mieux ainsi.

Auparavant, la planète était fertile. Au lieu d’être brun-jaune, sa surface arborait des tons verts et bleus. Cela, Ophiuchus le savait déjà. Il l’avait appris à l’école, des années auparavant.

Mais ce qu’il ignorait, c’était que la terre sur laquelle il vivait se souvenait de cette époque, et la regrettait. Le sable où il était couché relatait des récits d’érosion et de vent, de montagnes disparues avec le temps.

Ensuite, une série d’éruptions volcaniques avait frappé Sabulum et le climat avait changé, au bénéfice de sa propre espèce. Jusqu’ici, les mammifères menaient la danse. Après la catastrophe (il pouvait entendre le cri de l’astre résonner dans sa tête), ce fut au tour des lézards de dominer.

En somme, l’inverse de ce qui avait eu lieu sur Terre.

Toute la nuit, le sable murmura ses histoires au jeune novosaure. Il en ressentait le moindre chagrin, y compris ceux qui étaient causés par les mines, plaie béante. Jamais il n’aurait pensé que les ravages étaient si profonds. Il s’en voulait de n’avoir jamais lutté contre un phénomène si destructeur.

Le lendemain matin, il se réveilla lié au désert, plus que jamais. Il se précipita vers les autres chercheurs qui mangeaient paisiblement leur petit-déjeuner et leur parla de sa découverte.

Sans surprise, ils lui rirent au nez.

« Une eau qui permet de comprendre le vent ? le railla Hercule. T’es sûr que t’as pas abusé de tes drogues de barbare ?
-Il dit peut-être vrai, l’interrompit Vela. Où se serait-il procuré de quoi se droguer ? Et puis, quel intérêt y aurait-il à nous mentir ? »

Comme la plupart des Sabulumiens, elle portait un nom de constellation terrienne. Même les autochtones comme lui avaient adopté cette coutume. Une superbe preuve d’aliénation, pensait-il désormais. Pourquoi ne pas s’attacher aux étoiles de sa propre région, plutôt ?

La femme qui avait été baptisée d’après les Voiles était une jeune radiesthésiste frêle, qui ne se joignait que rarement au groupe pour se moquer de lui. Elle ne lui avait pas adressé plus de deux mots depuis qu’il était entré dans l’équipe. Malgré tout, en croisant son regard franc, il sut instinctivement qu’il pouvait lui faire confiance.

« Que fais-tu de ton esprit scientifique ? l’apostropha-t-on.
-Justement, j’expérimente, rétorqua-t-elle.
-As-tu perdu la raison ? » s’emportèrent les autres.

Pourtant, sans les écouter, elle suivit le novosaure reconnaissant. Il lui montra le prélèvement, qu’il avait transféré de son outre à un récipient transparent. Le fluide lançait des éclats irisés dans toute la tente.

« Dès que tu en as bu, le monde t’a paru différent, dis-tu ? », l’interrogea-t-elle. Il acquiesça, heureux d’être enfin écouté. Quant à Vela, elle réfléchissait à voix haute.

« Je ne dispose pas des connaissances nécessaires pour en être sûre, mais il s’agit probablement d’une sorte de stimulant naturel à ta réceptivité, continua-t-elle. Tu nous avais déjà expliqué que ta manière de sentir la proximité d’eau était liée à ton instinct, non ?
-En effet, confirma-t-il. Mais je n’ai jamais été aussi sensible qu’un chamane, par exemple. Je ne pouvais pas entendre la terre, lorsqu’elle me parlait. Jusqu’à aujourd’hui, rectifia-t-il en hâte.
-Et aucune légende ne parlerait d’une eau mystérieuse, capable de rendre les gens aussi doués que des espèces de sorciers ? Sans vouloir te blesser, se reprit-elle.
- Aucun problème, la rassura-t-il. Eh bien, non, il ne me semble pas… Je ne m’en souviens plus, c’est trop lointain. » Sa voix se brisa sur ces derniers mots.

Elle se posa le menton dans les mains, songeuse. Brusquement, elle prit une décision.

« Je vais en boire, moi aussi, déclara-t-elle. C’est potable, je ne risque donc rien. » Elle lui fit un clin d’œil. « A part, si ça marche, de changer de regard sur le monde. »

Trop vite pour qu’il pût l’arrêter, elle empoigna le verre qu’il avait utilisé la veille, le rinça brièvement et se servit. Comme lui la veille, elle marqua un temps d’arrêt avant d’avaler l’étrange liquide.

« Alors ? s’enquit Ophiuchus, inquiet.
-Rien », annonça-t-elle, un peu déçue.

Ils sortirent ensemble. A peine Vela avait-elle esquissé quelques pas dehors qu’elle poussa une exclamation de surprise. Tous se dirigèrent vers elle. La jeune femme se tourna vers lui et plongea ses yeux bruns dans les siens. Ils étaient totalement écarquillés.

« Si vous voyiez ce que je vois, ne cessait-elle de répéter. Mais toi, tu comprends, n’est-ce pas ? Toi aussi, tu sais ! »

Elle lui serrait convulsivement les mains, au risque de se blesser sur ses griffes acérées. Il tenta de se dégager, mais elle les lui reprit. Apparemment, chez les humains, la sensation de connexion se révélait de manière encore plus brutale. Peut-être parce qu’ils n’étaient absolument pas préparés à ressentir de telles émotions.

« C’était donc bien de la drogue, conclut Hercule, presque blasé.
-Pas du tout ! le démentit la jeune femme. Si je réagis comme ça, c’est parce que je suis sidérée par ce que je me mets à comprendre, mais ça n’a rien d’un état hallucinatoire.
-Si tu le dis… », répliqua-t-il en haussant les épaules.
-Qui veut tenter d’en boire ? » lança Ophiuchus à la cantonade.

Bien évidemment, après la réaction exagérément forte de la radiesthésiste, personne n’en avait envie. Cette dernière semblait profondément altérée par cette expérience mystique. Elle le prit soudain par le bras, bouleversée.

« Comment peuvent-ils infliger cela à la planète ? »

Il comprenait ce dont elle parlait. Le travail des mineurs venait de reprendre, et liés au désert comme ils l’étaient, c’en devenait extrêmement douloureux. Etait-il possible qu’il ne s’en soit jamais douté auparavant ?

Peu à peu, il reconstituait les pièces du puzzle. Il fallait avoir bu à la source pour être capable d’écouter le désert comme si c’était un ami. Les hypothèses de Vela étaient donc partiellement justes : quelque chose dans ce liquide stimulait les sens. Mais pourquoi cela fonctionnait-il également sur les humains, qui ne disposaient pourtant pas d’une sensibilité particulière envers le désert ?

« Le cerveau reptilien, lui rappela-t-elle lorsqu’il lui fit part de ses réflexions. Nous ne nous en servons presque plus, mais nous en avons tout de même un… »

A cette réponse, le regard du novosaure s’illumina. Une idée, retorse bien que née du souci qu’il portait à Sabulum, était en train de germer dans son esprit. Il en fit immédiatement part à sa collègue.

« Et si nous leur faisions tous boire de cette eau ?
-Tous ? répéta sa compagne sans comprendre.
-Les mineurs, les industriels qui sont sur place, ceux qui provoquent tant de souffrance sans s’en rendre compte… Nous leur ouvririons finalement les yeux ! »

L’idée était séduisante, bien que totalement immorale. Que deviendrait l’économie terrienne, si la planète toute entière cessait d’envoyer du minerai ? Il s’agissait de la dernière source d’énergie dont la Terre disposait maintenant, après l’épuisement complet de ses ressources naturelles, plusieurs siècles auparavant.

« Bah, ils trouverons une autre colonie… », balaya-t-il avec désinvolture.

En temps normal, Vela aurait sans doute cherché plus longtemps ses arguments. Après tout, c’était une humaine. Elle se devait de défendre les intérêts de sa race. Ce n’était pas naturel qu’elle soit du même avis que lui. Même si elle était née ici, comme plusieurs générations de colons, son foyer restait là-bas.

Pourtant, tout se passait comme si la boisson absorbée la détachait totalement de ce type de préoccupations. Pour le moment, le plus important résidait en l’avenir de la planète, en ses cris de douleur. Il s’agissait peut-être d’un liquide hallucinatoire, finalement, s’il était capable de modifier à ce point le comportement de quelqu’un…

Trop captivés par l’élaboration de leur plan, ils ne s’attardèrent pas à cette question cruciale. Ils décidèrent de prendre l’avion solaire jusqu’à la ville, sans oublier le précieux liquide, et de mêler ce dernier à l’eau des rares puits de la cité des mineurs. Ils n’en parleraient à aucun de leurs collègues, évidemment. Ils auraient sans doute tenté de les arrêter - peut-être avec raison, bien qu’eux ne soient pas assez lucides pour y penser.

Ce plan audacieux fonctionna. Personne ne se méfia de membres d’une profession aussi respectable que la leur. Dans le pire des cas, on s’étonna qu’ils ne ramènent qu’une seule outre. En outre, jusqu’ici, ils avaient toujours alimenté la cité en eau potable. Pourquoi penser qu’on voudrait les empoisonner ?

En effet, Ophiuchus et Vela l’ignoraient, mais le fluide qu’ils avaient absorbé s’avérait mortel. Après une stimulation de douze heures des facultés, surtout de celles qui relevaient du cerveau reptilien, le liquide devenait dangereux pour les synapses, jusqu’à provoquer une mort subite. Précédée d’hallucinations auditives, parfois tactiles, celle-ci n’était en revanche pas douloureuse. Étrangement, on ne pouvait détecter ce danger potentiel lors des analyses, car la composition de l’eau changeait selon qu’elle se situe en dehors de l’organisme, ou à l’intérieur de ce dernier.

Voilà pourquoi nulle légende n’en parlait. Personne n’avait pu survivre à l’ingestion de ce qui permettait d’être mieux relié au désert - ou bien d’entendre des voix imaginaires. La grotte avait toujours préservé son secret. En quelque sorte, la planète les avait manipulés.

Les deux victimes n’eurent pas le temps de se rendre compte de ce qu’elles avaient commis. Heureux, les radiesthésistes constatèrent la réaction horrifiée des ouvriers qui s’étaient ravitaillés aux puits contaminés, ainsi que l’arrêt de leur travail. Ils soupirèrent de soulagement en leur compagnie, chantèrent joyeusement la beauté de la planète et s’endormirent dans le sable. Les humains avaient eux aussi adopté la coutume novosaurienne.

Ils moururent dans leur sommeil, bercés par la voix du désert qui leur racontait ses souvenirs de pluie.

[original], mood : epic win, [musique], défi : musique

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