[Original] Contes Défaits

Mar 13, 2012 10:54


J'ai hesité à commencer à publier ailleurs mon original mais je ne vais plus sur fanfic-fr depuis plus de quatre ans, et j'ose pas m'inscrire sur un autre site. (Peur de me perdre, d'oublier un Login, etc.) Donc autant poster sur LJ mon projet original du moment dont je viens de clôturer le premier chapitre.

Pour l'univers en très gros : imaginez les personnages de contes dans un monde proche du XIXe siècle, une uchronie où la vapeur c'est ZE ressource, on a des bateaux volants, des fées chieuses pas comme deux (normal, ce sont des fées), des sorcières qui copinent parfois avec des scientifiques. Sans compter les conflits, les guerres, les révoltes parce que sinon c'est pas drôle. Univers très dense que je construis petit à petit, pas sûr que ça plaise mais autant partager.

Chapitre 1 : La fille des bois
Fandom : Original - Contes Défaits
Personnages : Hansel, Gretel, Rapunzel, Baba Yaga
Rating : PG-13
Notes : Mention de cross-dressing, d'homosexualité. Et désolé du long texte.



Raiponce avait de longs et merveilleux cheveux qu'on eût dits de fils d'or. En entendant la voix de la sorcière, elle défaisait sa coiffure, attachait le haut de ses nattes à un crochet de la fenêtre et les laissait se dérouler jusqu'en bas, à vingt aunes au-dessous, si bien que la sorcière pouvait se hisser et entrer.
Raiponce, Grimm.

Ses pieds saignaient, ses jambes la suppliaient de s'arrêter mais Rapunzel n'avait pas le choix. Courir était sa seule chance de survie. Courir vers l'horizon, vers un lendemain encore inconnu. Rapunzel ne savait pas vers où elle se dirigeait, si elle quittait le pays ou ne faisait que s'y enfoncer plus profondément. N'importe quel endroit serait meilleur que ce qu'elle avait vécu jusqu'à présent.

Les arbres se ressemblaient tous - elle avait cessé de chercher à distinguer la preuve qu'elle soit déjà passée ici. Peut-être tournait-elle en rond ou avançait-elle inlassablement, comment aurait-elle pu le savoir ? Rapunzel ne savait pas depuis quand elle courait ainsi, trébuchant par à-coups, épuisée et continuant pourtant sa marche. Si elle s'arrêtait, la sorcière l'attraperait - c'était ce qu'elle se disait pour ne pas fléchir.

La jeune femme finit par perdre l'équilibre, son pied butant contre une racine. Son visage s'écrasa au sein des feuilles mortes, son nez inspira les effluves d'humus, l'odeur de la forêt après la pluie. Ses longs cheveux d'un roux flamboyant la recouvraient, comme voulant la cacher aux yeux du monde. D'un geste de la main, Rapunzel en repoussa les lourdes mèches et releva la tête.

Son regard croisa celui d'un homme. Le regard dur la fixait d'un air résolu sous la visière du chapeau - on aurait dit deux fragments de métal prêt à lui trancher les membres. Rapunzel se crispa ; elle eut le réflexe de se replier sur elle-même, comme si elle avait le pouvoir de se fondre dans le paysage. De devenir invisible. Il émanait de l'inconnu une odeur de fer, de sang. N'était-elle donc faite que pour tomber de Charybde en Scylla ? Elle n'avait nullement confiance en cet homme vêtu d'habits sombres, au regard si inquiétant.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

La question était si incongrue que Rapunzel ouvrit la bouche, puis la referma en se rendant compte qu'elle devait être ridicule. En quoi cela regardait-il un parfait inconnu de savoir le pourquoi de sa présence dans ces bois ? Mais de toute façon si elle avait répondu, son interlocuteur ne l'aurait pas écouté. Il venait de tourner la tête, tendant l'oreille. Ses sourcils se froncèrent, ses traits se plissèrent formant un masque de concentration.

- Ils ont sûrement appeler la garde, fichus érudits...
- Vous êtes en fuite ?

Rapunzel voulut rattraper les mots, les ravaler mais trop tard. Ils étaient sortis, avaient résonné dans l'air froid de la forêt. Quand l'homme se tourna vers elle, il n'y avait plus cet éclat froid dans ses yeux - il y avait même une esquisse de sourire sur son visage. Ses traits s'étaient détendus et Rapunzel remarqua combien ils étaient fins. Cet homme avait des airs de femme.

- Je suppose que c'est ton cas aussi. Donne-moi la main.

Les mots sonnaient davantage comme une invitation que comme un ordre. Rapunzel prit la main de l'inconnu - la paume calleuse lui rappelait l'état de ses propres pieds. La bouche de l'homme se crispa à la vue du sang suintant des plaies de la jeune fille.

- Tu peux marcher ?

Rapunzel hocha la tête.

- Il faudra peut-être même courir. Et crois-moi il faudra que tu y arrives. Si tu me ralentis trop, je serais obligé de te laisser derrière moi.
- Je ne vous ralentirais pas.

Quelle folie commettait-elle là ? Elle s'en remettait à quelqu'un qu'elle ne connaissait nullement, quelqu'un en fuite et qui était sûrement peu recommandable. Mais c'était cela ou risquer de retrouver la sorcière, et ça Rapunzel ne voulait surtout pas. Le souvenir du sous-sol empli de plantes et de leurs parfums étouffants lui glaçait l'échine. Elle ne voulait plus chercher un bout de ciel derrière des barreaux.
L'homme hocha la tête, et tenant la main de Rapunzel, la mena à sa suite. La jeune fille le suivait, espérant, souhaitant, qu'ils partent le plus loin possible de l'Allemagne. Et de la sorcière.

***

Le café avait du avoir un nom auparavant, quelque chose comme « Au joyeux voyageur ». Un de ces titres fantasques, colorés, créés spécialement pour attirer le client, le voyageur de passage. Le nom s'était perdu, ne restait pas même une pancarte, une gravure quelconque sur le bois de la devanture. L'établissement avait donc pris le nom de sa tenancière, Baba Yaga - vieille femme sans âge qui, malgré sa tendance à se ratatiner sur elle-même avait encore toute sa jugeote. Et assez de force pour renvoyer les indélicats à coups de cannes dans le derrière. Hansel pouvait en témoigner. Il fréquentait le café dès qu'il le pouvait. Il appréciait l'ambiance cossue du lieu, havre de chaleur dans ce pays de glace qu'est la Russie. Et puis il en devait une belle à la Baba Yaga et il s'en sentait redevable. Jusqu'à la mort.

Profitant du peu de monde en cette journée, la gérante avait pris place sur un haut tabouret de l'autre côté du comptoir. Avec sa petite taille, cette propension à s'enrouler sur elle-même, Baba Yaga ressemblait à une pomme ridée qu'on avait abandonné là. Grattant son nez, un nez proéminent en forme de bec que surmontait un regard aigu, toujours alerte derrière les lunettes rondes, la vieille femme hocha le menton en direction d'Hansel. Juste assis en face d'elle.

- T'accompagnes pas ta sœur c'te fois ?
- Pas besoin mission de routine, précisa Hansel en prenant le verre que lui tendait une des serveuses - jeune fille d'une blancheur de neige jusqu'aux cheveux. Piquer des papiers à des érudits, c'est pas sorcier.
- Bon duo de sacripants. Un jour ça vous tuera une de vos petites frasques de mercenaires. (Hansel secoua la tête, habitué par les remontrances de la vieille femme) J'suis pas votre mère j'le sais mais c'est tout comme, sans moi vous seriez morts. Que des os dans la neige.

Hansel ne pouvait que lui accorder ce point. Il s'en souviendrait toujours de cette marche longue et pénible, cette avancée dans la neige qui semblait prêt à les engloutir lui et sa sœur. Comment deux gamins rachitiques, au bord de la faim, avaient réussi à marcher aussi longtemps ? Mystère. Sûrement la peur qui les avait aidés à tenir, sans compter qu'ils étaient ensemble. Deux gamins couverts de poussière, un frère et une sœur se soutenant mutuellement. Mais ils étaient avant tout des enfants, avec leurs propres faiblesses. L'épuisement, la faim avaient eu raison d'eux - surtout d'Hansel qui s'était laisser tomber dans la neige avec une seule envie : dormir, pour ne plus sentir ses pieds en sang, les crispations dans son ventre. Et tandis que ses paupières s'abaissaient, sa sœur le couvrait de sa chaleur, les paumes rendues presque brûlantes par les flammes qui baignaient ses mains.

- Qu'est-ce que tu ramènes 'core Gretel ?

Hansel leva la tête de son verre, et eut le temps de voir Baba Yaga bondir de son tabouret comme une balle de jongleur. La canne à la main pour l'aider à marcher, la vielle femme fronça le nez devant les nouveaux arrivants. Pour une fois Gretel était on ne peut plus présentable - si on omettait évidemment qu'elle portait des vêtements d'homme (attitude inconvenante qui, si elle était connue d'autres personnes, lui vaudrait une bonne correction en prison pour outrage des mœurs). Mais la physionomie même de la jeune femme, l'absence de rondeurs là où toute femme se doit d'en exhiber, entretenait l'illusion. Avec son corps sec, et malgré quelques traits encore un peu doux au visage, Gretel pouvait facilement passer pour un jeune homme un peu candide - attitude qui plaisait à nombre de femmes. Ce qui poussait la vieille femme à plisser ainsi la bouche ce n'était pas la tenue de Gretel, mais de la jeune femme qui l'accompagnait.

- Tu l'as ramassé dans un fossé ? Regardez-moi ces pieds ! T'aurais pu les bander, la pauvre p'tiote. (La ville femme leva la tête, croisa le regard de Gretel) Ah oui j'comprends mieux. Tu t'dis que la Yaga, elle va pouvoir soigner le 'tit oiseau que t'as trouvé. Duo de sacripants...

La suite de la phrase se transforma en un marmonnement que Baba Yaga s'adressait avant tout à elle-même. Pendant toute la scène, l'inconnue n'avait pas dit un mot, gardant les yeux baissés, mains derrière le dos. Elle avait tout de la jeune fille partie en fuite. La robe - simple, de tissu grossier - démontrait déjà qu'elle devait être pas plus qu'une servante. Déchirée là où les ronces s'étaient accrochés, elle dévoilait une peau marquée par les ecchymoses, blessée parfois jusqu'au sang. Du sang qu'y se voyait encore sur la lèvre là où elle avait du se mordre. Toutefois malgré les blessures - sommes toutes bénignes, égratignures qui ne laisseraient guère de traces - les cheveux attiraient toute l'attention. D'un roux flamboyant, semblable aux feuilles d'automnes, ils brillaient presque sous l'éclairage du café. Désespérément longs, ils recouvraient presque l'inconnue - elle en aurait pu aisément s'en draper comme dans une cape ou un manteau, s'y fondre et s'y cacher. Jamais Hansel n'avait vu une femme avec une chevelure aussi grandiose.

- Allez viens. (La voix de Baba Yaga s'était adoucie, reprenant les accents d'une grand-mère en qui on pouvait encore confiance) On va te soigner tout ça, et te trouver un habit plus convenable.

L'inconnue leva la tête - des yeux d'un bleu délavé se posèrent craintivement sur la vieille femme, se tournèrent vers Gretel cherchant un appui. Un hochement de tête de cette dernière finit par résoudre la demoiselle à suivre Baba Yaga à l'arrière du café, à disparaître derrière la porte.

Gretel se laissa choir sur un tabouret du comptoir aux côtés de son frère qui affichait un sourire goguenard.

- Les filles du bordel te plaisaient plus, et donc t'as décidé d'aller te chercher une belle allemande ? Bizarre pourtant, je croyais que t'aimais les fortes poitrines et de ce que j'ai vu, elle se situe dans la moyenne.

Hansel esquiva le coup de coude qui devait le frapper aux côtes. Néanmoins le sourire que sa sœur tâchait de retenir lui présageait de folles histoires sur cette mission qui devait être de routine.

- J'ai toujours eu un faible pour les animaux blessés. (Sans transition, elle prit le verre d'Hansel, le vida d'un coup) Elle était là toute craintive, apeurée et elle me regardait comme si j'allais la manger.
- Ce qui n'était pas totalement faux.
- Je mange les demoiselles que si elles sont consentantes. Et lavées. Pas envie de m'attraper une de ces maladies. (Ça la faisait doucement sourire de dire cela. A son frère - et quelques personnes - elle pouvait user de ces mots, montrer son attirance pour les femmes. Envers les autres, elle devait s'en cacher ou feindre d'être un homme. Elle tenait à la vie, Gretel, et ce serait bête de la perdre pour si peu.) Et c'est pas pour ça que je l'ai recueilli. Je... (Elle déglutit) Elle me rappelait nous deux, à l'époque.

Nul besoin de précisions, Hansel savait très bien ce qu'elle mentionnait par « à l'époque ». Leur fuite de la maison familiale jusqu'à se perdre dans les bois, à gratter la terre pour trouver de quoi se nourrir - racines, champignons, vers, peu importait. Hansel posa sa main sur celle de sa sœur, s'étonna encore de pouvoir désormais la tenir dans sa paume - alors qu'avant, bien avant, c'était lui le gamin faiblard, presque maladif. Désormais adulte, et ce depuis quelques années, il était devenu plus grand que son aînée. Un homme aux larges épaules, cheveux aussi blonds que sa sœur - qui tâchait de les porter courts (heureusement encore que beaucoup la prenaient pour un homme). Main emprisonnant toujours celle de sa sœur, il gratta de l'autre la barbe mal rasé - picots d'un blond terne - qui lui ornait le menton.

- Et tu t'es dis « elle va pas survivre comme nous, faut que je l'aide ». (Hochement de tête de Gretel) C'est louable comme acte, je te dirais pas le contraire mais... vivre avec des mercenaires, est-ce que c'est le mieux pour elle ?
- Du peu qu'elle m'a dit, avant elle était avec une sorcière. (Hansel grimaça - les sorcières mieux valaient ne jamais se les mettre à dos) Sorcière, mercenaire... Je pense pas qu'on soit pire qu'une femme de cette trempe, puis on a des principes.

Elle n'avait pas tort. Certes ils acceptaient des missions pas toujours glorifiants - ni très attrayants. Mais ceux consistant à tuer, ils tâchaient de les éviter - avoir du sang sur les mains, surtout d'innocents non merci. Gretel plus que tout autre répugnait à prendre la vie. Et quand cela advenait (car parfois l'argent, le manque mettaient les principes en arrière) elle en tremblait pendant des jours, vidait son estomac auprès du cadavre dont l'odeur restait à jamais imprégnée dans sa mémoire.

- Donc je suppose qu'il va falloir trouver une place pour la nouvelle. (Hansel avait abdiqué, en haussant les épaules - lui aussi était trop bon, surtout envers sa sœur) Tu sais au moins son nom ?

Gretel n'eut pas le temps de répondre, à peine d'ouvrir la bouche quand Baba Yaga reparut avec l'inconnue. La robe simple, mais d'une propreté plus impeccable que la précédente, montrait une silhouette fine, déliée - telle une plante qui doucement tente de se développer. La chevelure épaisse, avait été nouée en une tresse grossière qui n'empêchait pourtant pas les cheveux d'atteindre le sol. À se demander comment la jeune femme pouvait marcher sans avoir la nuque rompue par une telle masse. Ses yeux, toujours agités prêt à se cacher derrière des paupières closes, croisèrent ceux de Gretel. Avec des gestes lents, craintifs, la jeune femme s'approcha de Gretel, inclina la tête.

- M-Merci. Je... si je peux vous remercier en quoi que ce soit...
- Tout à l'heure, elle disait pas un mot, commenta à Baba Yaga s'adressant à Hansel après avoir repris place sur son tabouret. Après, faut dire que je sais pas bien causer votre langue barbare d'allemand, juste le minimum.
- Vous avez du l'effrayer. (Imaginer la vieille femme baragouiner un allemand de cuisine était si cocasse, qu'Hansel dut se mordre la lèvre pour ne pas rire) Oh et en ce qui concerne de remercier ma sœur (continua-t-il en se tournant vers la jeune femme) ne t'inquiète pas, elle ne te demandera rien de... douloureux.

Les yeux bleus s'agrandirent, la jeune femme posa sa main sur ses lèvres, regarda alternativement Hansel et Gretel.

- Votre... sœur ?

Gretel lança un coup d'oeil à son frère qui haussa les épaules. Pas besoin de le regarder ainsi avec une telle haine - ce secret serait devenu celui d'un polichinelle. Puisque la demoiselle allait vivre avec eux, autant lui apprendre quelques arcanes de leur vie. Plutôt que de la laisser sous le choc après avoir croisé Gretel en déshabillé au détour d'un couloir.

- Disons que... (Gretel cherchait les mots, ceux qui sauraient la sauver des mauvais jugements) Se faire passer pour un homme permet d'ouvrir certaines portes interdites aux femmes. Enfin, je t'expliquerais en temps voulu. (Là, la fatigue du voyage, sans compter tout ce que l'arrivée de cette inconnue amenait, lui mettait les nerfs en bouillie) Sinon, tu as un nom ?
- Rapunzel, Mons-Mademoiselle.

La pauvre était si confuse qu'elle en avait les joues rougis, le regard brillant. Gretel lui fit signe de prendre place sur un tabouret - Rapunzel obéit, elle semblait vouloir complaire à celle qui l'avait aidé et ne pas la décevoir. Par peur d'être abandonnée aux mains de cette sorcière dont elle n'avait dit que quelques mots ? Sans doute.

- Pas de mademoiselle, Gretel suffira. Tout comme Hansel pour le grand blond. (Gretel commanda un nouveau verre à Baba Yaga - elle avait bien besoin d'une bonne gorgée d'alcool pour se remettre) Si tu nous en racontais plus sur ta sorcière ?

Les tremblements qui prirent Rapunzel au nom de « sorcière » firent comprendre à Gretel qu'elle aurait peut-être dû, pour une fois, ignorer l'animal blessé et le laisser dans sa forêt. Mais il était trop tard pour retourner en arrière.

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