Neuf cent soixante-sept jours : partie 2

Jun 23, 2010 12:11


« J’ai vraiment choisi une année pourrie pour mourir », déclara Conner d’un ton lugubre.
Bart aspira sa dernière bouchée de nouilles sautées et posa le carton à côté de lui, l’air satisfait. Conner avait à peine entamé les siennes.
Ils étaient tous les deux assis dans un parc de Keystone City. La nuit était belle et jusqu’ici assez calme ; Conner avait la permission de minuit. Plus ou moins.
« Non, non, fit Bart en regardant les nouilles de Conner avec intérêt. L’année a été pourrie parce que tu es mort.
- Aouuutch ! »
Au ton de sa voix, Krypto leva la tête de là où il somnolait non loin, mais constatant que son presque-humain n’était pas en danger immédiat, il se réinstalla. Conner se laissa tomber dans l’herbe, bras écartés.
« L’année aurait été pourrie de toute façon, corrigea Bart, mais ton absence a empiré les choses de façon exponentielle.
- Ok, fit Conner, je vais aller me jeter dans le lac Michigan.
- Tu devrais être flatté.
- Je vois pas en quoi !
- Tes pâtes refroidissent. »
Conner les lui tendit et Bart s’en empara sans se faire prier.
« Ça nous a bousillés, dit-il, la bouche pleine. Ta mort, je veux dire. »
Il avala sa bouchée.
« On n’a pas su se consoler les uns les autres. Je m’en veux.
- Quoi ? »
Conner se redressa.
« Pourquoi ? »
Bart haussa les épaules.
« Tim… enfin, c’est Tim. Il a, genre, pété les plombs ! Mais à l’intérieur, tu sais ? Et j’aurais dû faire gaffe, c’est pas comme si je le connaissais pas. Le truc c’est qu’il y a eu le bordel avec Wally, et puis après j’ai perdu mes pouvoirs, alors au lieu d’être sur son dos pour vérifier qu’il déconnait pas trop et lui dire qu’on a le droit de pleurer même quand on est Robin, je l’ai…
- Eh, Bart, t’avais d’autres problèmes.
- On aurait dû rester soudés ! Et en ton absence, j’aurais dû servir de glu ! … Non, en fait, j’aurais dû servir de, de séparation ! Entre Tim et Cassie ! Pour qu’ils essaient pas de surmonter leur deuil ensemble, parce que Tim était vraiment pas de quoi Cassie avait besoin et alors Cassie, elle a vraiment fait n’importe quoi avec Tim ! »
Bart ponctua sa phrase d’un grand geste de ses baguettes.
« Bref, dit-il d’un ton plus calme. Je te demande pardon de pas avoir pris soin d’eux pour toi.
- Oh, ta gueule », fit Conner en levant les yeux au ciel.
Il donna un petit coup à l’épaule de Bart qui rattrapa de justesse (enfin, « de justesse » pour le commun des mortels n’étant pas lié à la Speed force) les nouilles. Bart tourna vers lui un regard pathétique.
« Ne meurs plus jamais, ok ?
- Ouais je sais. »

¤

Conner serait totalement allé voir Cassie le premier. Il avait juste besoin d’un peu de temps pour se donner du courage. Mais vingt-quatre heures après sa conversation avec Bart, elle se pointa à sa fenêtre en milieu de soirée.
« Est-ce qu’on peut discuter ? »
Conner sut à cet instant qu’il s’était fait plaquer. Il hocha la tête et la rejoignit sur le toit. Ils gardèrent longtemps le silence.
« Un mois avant ton… retour, j’ai commencé à sortir avec un autre.
- Oh », fit Conner.
Coup de poing dans le ventre, confirmé.
C’était différent de « j’ai cherché du réconfort auprès de ton meilleur ami ». Plus… radical.
« Ça se passe bien, continua Cassie. Lorsque tu es revenu… il a compris que j’avais besoin de temps.
- C’est un super-héros ? » réussit à demander Conner.
Elle hocha brièvement la tête.
« J’avais besoin d’y voir clair », dit-elle.
Elle se leva, et se tourna vers lui, lévitant à quelques centimètres au-dessus du toit.
« Tu es parti longtemps. J’ai accepté ton absence, et la disparition de ce qui a été nous. Et ton retour n’y change rien. »
Aouuuuuuuuch.
« Je suis désolée. Je sais… je sais que c’est plus récent pour toi. Mais un an c’est long, quand tu crois que quelqu’un ne reviendra plus jamais.
- Ne te justifie pas.
- J’ai changé.
- Cassie. »
Elle referma la bouche et Conner soupira.
« C’est pas comme si je m’y attendais pas.
- Je suis désolée. »
Conner secoua la tête sans répondre.
« C’est peut-être trop tôt et très cliché mais… on était amis, avant… dit-elle d’une voix hésitante. Est-ce qu’on peut… est-ce que tu crois qu’un jour… »
Conner ferma les yeux, et ce fut la voix de Tim qui résonna à ses oreilles à cet instant, si tu meurs encore, je ne veux plus jamais te revoir, et il sentit à nouveau ses doigts agrippés à lui, possessifs et obstinés.
Il rouvrit les paupières et se leva pour être à sa hauteur. Forçant un sourire, il mit les mains dans les poches.
« Salut, dit-il. Je suis Superboy, tu peux m’appeler Conner. »
Cassie se figea, baissa les yeux et ramena une mèche blonde derrière ses oreilles.
« Moi c’est Cassie, répondit-elle. Wonder Girl.
- Content de faire ta connaissance. »
L’expression de Cassie aurait fait se lever le soleil et Conner se dit que c’était bon, de la rendre heureuse, et cela suffisait.
Dis donc, ça rend mature, de mourir.

¤

« Captain Marvel JUNIOR ?! »
Kara secoua la tête.
« Il se fait appeler Shazam, maintenant.
- Et c’est mieux ? Je me suis fait plaquer pour Captain Marvel Junior ! »
Kara n’avait pas l’air de comprendre son drame alors Conner envoya un e.mail à Bart :



Cela étant dit, il refit au moins cinq fois, sinon dix l’e.mail qu’il voulait envoyer à Tim.
« Cassie m’a plaqué » faisait trop… pas assez… et puis « Cassie et moi avons rompu » impliquait… il ne savait pas quoi. Mais ça impliquait.
Il était encore en train de s’interroger sur la formulation quand il reçut justement un e.mail de Tim.
Le contenu était laconique : « Bruce est de retour. »
L’événement eut le mérite de secouer toute la communauté des super-héros et de faire oublier sa propre résurrection.
Ce fut également le seul contact qu’il réussit à avoir avec Tim avant deux semaines plus tard, lorsque ce dernier se pointa à la ferme des Kent après le dîner. Il signala sa présence en jetant un petit caillou à la fenêtre de Conner, alors qu’il était en civil et aurait pu sonner à la porte comme n’importe quel être normal.
« Il est tard. Je ne voulais pas déranger les Kent.
- Et tu es arrivé comment ? »
Tim montra le ciel.
« Batplane.
- … Batman est d’accord ? »
Tim lui jeta un drôle de regard.
« Bruce ou Dick ? »
Conner fit une petite grimace et haussa les épaules.
Ils allèrent s’asseoir sur le banc derrière la grange, sous la veilleuse.
« … alors, qu’est-ce qu’il s’est passé ? » demanda Conner prudemment.
Une tension sembla soudain s’envoler du corps de Tim ; il s’affaissa légèrement et laissa tout son poids reposer contre Conner. Celui-ci passa tout de suite le bras autour de ses épaules.
« C’est compliqué, mais Bruce était coincé dans le passé. Il a sonné à la porte du manoir.
- Quand il est revenu ? »
Tim hocha la tête.
« Je ne comprends pas pourquoi il n’est pas passé par la grotte… »
C’était bien le genre de Tim, de se focaliser sur les détails sans importance. D’expérience, Conner garda le silence et quelques secondes plus tard, Tim reprenait :
« Et Dick l’a jeté dehors. »
Conner écarquilla les yeux.
« Quoi ? … Il a le droit… ? »
Tim fronça les sourcils, l’air sincèrement préoccupé par le problème.
« Je ne sais pas. Il me semble que c’est lui qui hérite du manoir et de la batcave, mais Bruce n’a jamais été officiellement déclaré mort, et même si c’était le cas, je ne sais pas si ça s’annulerait du fait de son retour… »
Les Bats, songea Conner, complètement impressionné.
Ils avaient vraiment une façon particulière de gérer leurs émotions. Le reste des événements s’étaient déroulés ainsi : Dick et Bruce avaient eu une « conversation » qui s’était terminée par le départ furieux de Dick, ce dernier jurant qu’il ne remettrait jamais le masque de Batman.
« Mais Bruce a décidé que Dick devait continuer à être Batman. Alors en ce moment, on n’a aucun Batman à Gotham. Alors qu’on pourrait en avoir deux. »
L’idée avait l’air de beaucoup fatiguer Tim. Il avait fermé les yeux. Conner se mit à lui caresser doucement le bras.
« Et moi je m’habitue tout juste à Red Robin. »
Conner frissonna intérieurement. Il espérait que Tim n’avait pas l’intention d’aller combler le trou. Tu es trop petit pour être Batman, faillit-il dire, mais Tim ajouta :
« La bonne nouvelle, c’est que Damian a claqué la porte à son tour avant-hier. Mais il est retourné coller Dick, alors je ne suis pas certain que ce soit si bon que ça. »
Tim pinçait les lèvres, d’évidence contrarié. Conner garda le silence et continua sa caresse apaisante. Tim lâcha un petit soupir.
« Et toi ? » demanda-t-il.
Je ne suis plus avec Cassie, songea Conner.
« Clark et Ma disent qu’il va falloir que je retourne au lycée, dit-il.
- Mmmh.
- Je devrais être en dernière année à Smallville High, mais vu que j’ai raté un an…
- Et tu n’y retournes qu’à la rentrée.
- Ouais. J’avais déjà du mal avec ce bahut avant, et là l’idée de devoir y retourner en seconde année seulement… et avec tous les modules que j’ai à rattraper si je veux sortir d’ici avec une bourse…
- Tu veux aller à l’université ? »
Conner haussa les épaules en faisant attention de ne pas déloger Tim.
« Ça paye pas, d’être un super-héros. Il va bien falloir que je me trouve un truc à faire. »
Et puis tout le monde autour de lui avançait. Cassie commençait l’université en septembre, Tim probablement aussi, Bart finissait les cours plus vite qu’il ne s’y inscrivait… C’était horrible de se sentir à la traîne comme ça.
« Pourquoi tu ne changes pas de lycée ?
- Quoi, tu veux dire aller à Metropolis ? »
Tim acquiesça d’un petit geste.
« Mais j’aime la ferme. Et j’ai pas envie de laisser Ma toute seule. Et t’imagines, Krypto en pleine ville ? »
Cette seule idée le faisait grimacer. Et puis ça resterait deux années de lycée à s’enfiler. Tim avait un creux entre les sourcils, plongé en pleine réflexion. Conner avait envie de lui passer le pouce sur le front pour en lisser les plis.
« Tu mets combien de temps, pour aller à Metropolis ? demanda enfin Tim.
- En volant ?
- Oui.
- Une petite dizaine de minutes, à peu près.
- Tu pourrais quand même aller au lycée là-bas et habiter à la ferme. En donnant l’adresse de Clark, ça ne devrait pas être problématique. »
Conner haussa les sourcils. Il ne pensait pas que ça poserait de soucis à Clark, pas avec la crise de paternité qu’il faisait depuis la résurrection de Conner. Mais ce dernier continuait à ne pas vraiment en voir l’intérêt.
« Ouais…
- Renseigne-toi. C’est une grande ville, il doit y avoir des lycées qui font passer des tests de niveau. »
Tim se redressa, Robin en pleine machination ; Conner soupira intérieurement. Il lui sortirait probablement la liste des lycées en question avant demain matin.
« On a trois mois et demi, peut-être quatre, j’ai largement le temps de te faire rattraper tous les cours que tu as ratés et plus.
- Quoi ? Tu veux me donner des cours particuliers ? »
Oh, qu’il reconnaissait bien ce pli de bouche obtus... Tim hocha la tête avec la raideur de la détermination. À moins que Conner veuille se lancer dans une engueulade épique, il n’y couperait pas. Et les engueulades épiques avec Tim, il s’en était désabonné depuis un moment.
Il lui donna un petit coup d’épaule.
« T’es vraiment qu’un sale petit snob », se moqua-t-il d’un ton affectueux.
Tim le regarda sans répondre, attendant qu’il élabore.
« C’est parce que c’est Smallville High, hein ? Citadin, va. »

-

Tim rappela le batplane peu de temps après et s’il y avait quelque chose de plus inquiétant que cette grande ombre noire qui surgissait du ciel nocturne, c’était de voir Tim y pénétrer sans son masque. Comme si l’avion allait le dévorer.
« T’es à Gotham en combien de temps ? demanda Conner à la porte.
- Une dizaine de minutes. »
Conner grimaça intérieurement. Il fallait vraiment qu’il reprenne l’entraînement. Il ne pouvait quand même pas laisser un avion, fut-il celui de Batman, être plus rapide que lui. Il mit les mains dans les poches.
« Eh, tu te rends compte que Cassie m’a remplacé par Captain Marvel Junior ? » dit-il d’un ton léger.
Un sourire fugace passa sur les lèvres de Tim.
« Il est devenu Shazam.
- Huh, huh, bonnet blanc, blanc bonnet. »
Cette fois, le sourire de Tim fut tout à fait franc.
« “ Bonnet blanc, blanc bonnet ” ? Toi, il est vraiment temps que tu reviennes à la civilisation.
- Oh, casse-toi, princesse. »

¤

L’idée de Tim plut terriblement à Clark. La semaine suivante, Conner la passa presque entièrement à visiter les lycées de Metropolis. Tim lui mettait la pression, décrétant qu’il avait besoin de savoir dans quel établissement il serait pour établir un programme de révision optimal. Ou quelque chose comme ça.
L’histoire officielle, c’était que Conner avait été terriblement malade durant toute l’année dernière ; il ne savait pas comment quiconque pouvait gober un bobard pareil, il avait l’air plutôt en forme pour quelqu’un qui avait passé douze mois cloué au lit. Mais le proviseur de l’un des lycées qui lui plaisait plus que les autres (il y avait des arbres dans la cour !) accepta de l’inscrire en troisième année à la rentrée s’il passait les tests. Et si ses résultats étaient suffisamment hauts, il pourrait obtenir une bourse, ce qui précipita sa décision.
« Ne t’inquiète pas pour la bourse, Conner, lui dit Clark. Je peux te payer le lycée. »
Conner secoua la tête.
« Je sais combien ça coûte, une année à Smallville High. J’ose même pas imaginer ce que ça donne ici.
- Je n’ai pas beaucoup l’occasion de dépenser mon argent, répliqua tranquillement Clark. Ton éducation me parait une cause parfaitement valable. »
Conner savait que Clark forçait déjà Ma à accepter des sous pour les dépenses qu’il lui causait, sous que Ma reversait presque intégralement à Conner en prétendant qu’il s’agissait de son argent de poche pour le travail qu’il effectuait à la ferme. Conner en avait redoublé d’ardeur dans ses tâches ; cette fois il se jura de tout faire pour obtenir la bourse.
Il n’avait envie d’être un poids pour personne.

¤

La quatrième fois, Tim était venu le voir pour l’un de ses cours particulier. Clark avait expliqué le cas de Tim, et Conner lui en était reconnaissant parce qu’il était incapable de mentir à Ma et il ne savait pas non plus ce qu’il avait le droit de dire à propos de Tim.
Elle savait qu’il était un super-héros, mais elle avait l’air de croire qu’il faisait partie de la Légion.
Bien sûr, elle l’avait tout de suite trouvé très bien : un garçon de bonne famille, bien élevé et intelligent, tout ça.
Si elle savait.
C’était un peu irréel de voir Tim interagir avec Ma. Ce n’était pas du tout, mais alors pas du tout le Tim qu’il connaissait.
« Awww, qu’il est gentil, ce petit jeune homme, se moqua-t-il lorsqu’ils se retrouvèrent dans la chambre de Conner.
- C’est plus que ce qu’on peut dire de toi, rétorqua tranquillement Tim. Au travail. »
Tim venait deux fois en semaine et tous les soirs le week-end.
« Comment tu fais, pour tes patrouilles ? Je croyais que Dick et Bruce étaient encore en froid ? »
L’expression de Tim à cet instant avait quelque de terrifiant dans sa satisfaction.
« Chantage affectif », dit-il en refusant de développer.
Conner n’était pas sûr de vouloir savoir, de toute façon.
Tim était un professeur exigeant qui avait l’air de croire que Conner faisait exprès de ne pas comprendre ses problèmes de math du premier coup. Conner avait de son côté la conviction que Tim le préparait à un concours pour futur membre de Mensa. De plus, Conner ne voyait vraiment pas l’intérêt de la physique et le faisait savoir. Bruyamment.
« Les trois quarts des règles de la physique ne s’appliquent pas à moi ni à la majorité des gens que je connais !
- Ce n’est pas une question que ça s’applique ou non, on te demande de le savoir ! »
Ils s’engueulaient et ça donnait à Conner une envie de sourire comme un dément parce que ça lui rappelait Young Justice, Young Justice avant, quand c’était encore bien. Quand c’était encore simple.
« Quoi ? » lui demanda Tim un soir où Conner n’avait pu dissimuler à quel point il trouvait la situation jouissive. « Tu as l’air complètement dérangé.
- Rien. C’est juste que… »
Il émit un petit rire et secoua la tête. Tim le foudroyait du regard, indigné de son manque de sérieux. Conner fut soudain envahi d’une bouffée d’affection, quelque chose qui lui serra la gorge et lui compressa la poitrine, tellement qu’il en cessa de sourire.
Quelque chose passa dans le regard de Tim, son expression se fit presque méfiante.
« Conn.. »
Conner appuya la main sur sa nuque, se pencha et l’embrassa.
Tim se figea. Une demi-seconde, même pas peut-être, Conner n’eut pas le temps ni d’insister, ni de reculer, Tim s’empara du col de sa chemise, poigne de fer, et répondit au baiser.
C’était la première fois, songea Conner, les yeux fermés et empli de l’odeur de Tim. Leur quatrième baiser et la première fois qu’il répondait.
Tim s’était penché en avant, sa position devait être inconfortable et dans un effet de décision spontanée, Conner plaça les mains à moitié sur ses hanches, à moitié sur ses fesses et tira Tim jusqu’à lui, jusque sur ses genoux. Il calcula mal la distance, le front de Tim se cogna contre sa pommette. Il ne sentit rien mais Tim lui donna un coup sur l’épaule du plat de la main.
« Boulet », déclara-t-il d’un ton grognon.
Conner rigola un peu, déposa un baiser au coin de la bouche pour s’excuser. Tim tourna légèrement la tête et lui mordit la lèvre en représailles. Le baiser prit une tournure de bataille, une prolongation de leur pseudo-dispute juste avant ; Tim embrassait avec une agressivité jouissive, la douceur de ses mains sur la nuque et dans les cheveux de Conner en contraste, et Conner se laissait faire avec plaisir. Ses mains n’avaient pas quitté les fesses de Tim et ses pouces s’étaient glissés entre la limite du pantalon et de la chemise, caressaient la peau cachée là… Conner sentait l’extrémité d’une cicatrice, comme un défaut de texture, se demanda d’où elle venait, à quel point elle était récente, si Tim savait quand il la touchait…
Un soupir sur ses lèvres lorsque Tim s’écarta, Conner vint chercher un nouveau baiser mais Tim ne le laissa pas approfondir.
Il lui donna un petit coup derrière la nuque.
« Me distraie pas, dit-il. Tu as des exercices à finir. »
Conner lui jeta un coup d’œil incrédule mais Tim lui prit les poignets, les écarta de ses hanches et descendit de ses genoux pour aller se rasseoir sur sa chaise.
« Et tu veux que je me concentre maintenant ?
- Travaille. »

La cinquième fois, Tim déclara que c’était pour le récompenser de ses efforts.
La sixième, Conner le plaqua contre le mur de sa chambre avant qu’il ne parte.
La septième, Tim avait au coin des lèvres le sucre glace des cookies de Ma.
Après la huitième (juste comme ça, juste une envie), Conner cessa de compter.

¤

Un peu avant la mi-juillet, Cassie lui demanda de revenir chez les Teen Titans. Conner était juste venu leur filer un coup de main contre l’équivalent de Godzilla dans la baie de San Francisco. C’était vrai que ça flanquait un petit coup de nostalgie de se retrouver à nouveau dans la tour.
Mais l’absence de Vic, Garfield et Raven lui faisait bizarre. Il ne connaissait pas les nouveaux et ils n’avaient pas vraiment eu le temps d’échanger autre chose que des : « Attention ! » et autres « Merci ».
« Ta chambre est toujours là », dit Cassie.
Conner se gratta la nuque puis mit les mains dans les poches. Il regarda San Francisco qui se découpait de l’autre côté de la baie.
« Pas sans les autres, répondit-il. Pas sans Bart et Tim. »
Il la regarda d’un air sérieux.
« Les Teen Titans… de notre génération, c’est nous quatre. C’est Young Justice. Ça me ferait bizarre d’être ici tout seul avec toi. »
Peut-être que Cassie avait laissé tout ça derrière, peut-être avait-elle changé et grandi mais Conner non. Et il avait la sensation que sur ce sujet, Tim et Bart étaient avec lui.
« Il n’y a pas de problème pour Bart, au contraire, dit Cassie. J’avais l’intention de lui demander. Mais Tim…
- Quoi ? Ce serait trop tendu entre vous ? »
Cassie évita son regard et croisa les bras.
« Aussi tendu qu’entre toi et moi ? demanda Conner sur le ton de la plaisanterie.
- Ça n’a rien à voir ! Tu es toi et Tim… c’est Tim. Je ne suis même pas sûre qu’il voudrait revenir.
- Je m’occupe de le convaincre. »
Une expression bizarre passa sur le visage de Cassie.
« Si tu arrives à le ramener, il est le bienvenu, bien sûr », dit-elle d’une voix étrangement formelle.
Conner hésita, puis passa un bras autour de ses épaules.
« Ça va bien se passer. »

¤

Conner kidnappa Tim le samedi suivant ; ce qui consistait à se présenter au manoir Wayne, dire bonjour à Alfred, déclarer qu’il venait pour Tim et s’envoler avec ce dernier avant que Bruce ne surgisse.
Tim n’était pas forcément toujours d’accord mais il finissait toujours pas cesser de râler.
Ils s’étaient installés dans l’herbe fraîchement coupé du pré derrière la ferme. Krypto reniflait une odeur qui avait l’air très intéressante un peu plus loin. Conner s’était adossé à un arbre et Tim, après s’être plaint que Conner n’était pas confortable, avait fini par s’allonger dans l’herbe, la tête appuyée sur sa cuisse. Conner lui gratta doucement la tête jusqu’à entendre le cœur de Tim ralentir. Tim somnola une vingtaine de minutes, puis lorsqu’il sembla émerger de sa sieste par la seule force de sa volonté, Conner recommença à lui caresser les cheveux. Tim émit un grognement de satisfaction qui lui tira un sourire.
« Hé, Tim ?
- Mmmmrrr.
- Tu reviens chez les Titans, avec moi ? »
Parce qu’il le guettait, il vit Tim pincer les lèvres.
« Et ne te sers pas de Cassie comme excuse.
- Je pensais plutôt que c’était une raison.
- Elle a dit que ce serait toi qui poserais des difficultés. »
Tim se redressa, à nouveau tendu comme un arc. Conner grimaça intérieurement.
« Je ne crois pas que ma présence apporterait quoique ce soit aux Titans.
- Comment tu peux dire ça ?
- Mon absence n’a certainement pas posé de problème.
- Ils s’en sont très bien sortis sans moi aussi !
- Tu as des pouvoirs. Tu apportes de la force brute et il n’y en aura jamais assez. Ma participation est principalement stratégique. Cassie se débrouille très bien toute seule et mon arrivée ne ferait que déséquilibrer les choses. D’autant que quoiqu’elle t’ait dit, Cassie se sentirait en compétition. »
Tim avait le dos raide comme un piquet. Conner soupira puis, brusquement, il passa un bras autour de ses épaules et le tira contre lui sans ménagement. Tim lâcha un petit couinement tout à fait satisfaisant et qu’il nierait sûrement jusqu’à son dernier souffle.
« Vous me fatiguez, tous les deux, dit-il, le nez dans les cheveux de Tim. Tu pourrais essayer. Un mois ou deux. C’est pas comme si les gens ne passaient pas leur temps à aller et venir, dans cette équipe.
- Je ne…
- J’ai pas envie d’y aller sans toi. On a déjà eu cette conversation quand on nous a invités chez les Teen Titans. Sans toi, je n’ai pas de raison d’y être. »
Encore une fois, il guettait. Il entendit les battements de cœur de Tim accélérer. Il y eut un long silence durant lequel Conner se garda bien de parler.
« Cinq week-ends, grommela-t-il enfin. Pas un de plus. Si ce n’est pas concluant…
- Je te laisse partir sans faire de commentaire, juré. »
Tim hocha très légèrement la tête ; alors Conner passa les bras autour de ses épaules et le serra contre lui, jusqu’à ce que Krypto, intrigué, vienne coller la truffe sur la joue de Tim.

¤

Leur première journée chez les Titans le week-end suivant ne se déroula pas exactement comme Conner l’avait espéré.
Certes, l’enthousiasme de Bart mit tout le monde à l’aise, et sans se vanter, Conner se considérait comme un mec avec qui on s’entendait facilement. Tim, en mode Red Robin sombre et obscur, avait tout de suite imposé le respect, du moins jusqu’à ce que Blue Beetle lui saute dessus avec un « content de te revoir ! » retentissant.
Tous les trois, Conner s’en rendit vite compte, ils avaient comme une aura autour d’eux. Quelque chose de différent. Ils étaient Kid Flash, Robin et Superboy, et mine de rien, cela signifiait quelque chose. Ils n’arrivaient pas en nouveaux, inexpérimentés. Ils avaient fondé Young Justice, ils avaient fait partie de la première équipe des Teen Titans de leur génération.
Ça se sentait dans la façon dont ils avaient été accueillis par le reste de l’équipe : Conner avait l’impression d’être une célébrité. Ce qui aurait été agréable, hein, mais…
Cassie était tendue et agressive. Elle ne cessait de parler d’autorité, de donner des ordres, ce qui faisait hausser les sourcils à « son équipe ».
Son équipe. Oui, c’était ça. C’était l’équipe de Cassie. Tout au long de la journée, Conner avait senti que quelque chose clochait, qu’il était mal à l’aise.
Parce que Cassie les isolait, Bart, Tim et lui. Ils ne faisaient pas partie de « l’équipe ».
C’était peut-être pas une très bonne idée, songea Conner une fois qu’ils partirent tous se coucher.
Il ne comprenait pas pourquoi elle lui avait demandé de revenir si c’était pour se sentir envahie.
Il songeait à rejoindre Tim dans sa chambre, histoire d’en discuter, rameuter Bart aussi pour savoir s’il avait la même sensation de « déranger », lorsque son ouïe surdéveloppée capta accidentellement la voix de Tim, comme cela arrivait encore parfois quand il pensait fort à quelqu’un.
Elle ne fut d’abord qu’un bourdonnement quelque part dans un couloir, puis elle se fit un peu plus nette, il l’entendit prononcer le nom de Cassie, puis à son tour la voix de cette dernière résonna.
« … pas ici pour prendre ta place, disait Tim.
- C’est pas que tu as déjà fait ? »
Conner fut choqué par le ton mauvais de Cassie.
« Non. Alors non, fit Tim d’une voix tellement calme que s’en était flippant d’y entendre tout de même de la colère. C’est toi qui es partie, tu as fait ton choix, tu n’as strictement aucune remarque à me faire. »
Conner défocalisa son ouïe avec un léger sentiment de culpabilité et de frustration. Clark lui avait suffisamment fait la morale au sujet de l’utilisation de certains de ses pouvoirs mais... il avait tellement envie de savoir.
Après quelques minutes à batailler avec sa conscience, il finit par aller s’enfermer dans sa chambre et planquer la tête sous son oreiller.
Il n’y avait plus qu’à espérer que la tour serait encore debout le lendemain matin.

¤

À son réveil, Conner jeta un coup d’œil dans la chambre de Tim et la trouva vide. Il rejoignit la salle commune et l’y découvrit dans une version allégé de son costume, assis sur le canapé, à côté de Blue Beetle et en face de Static.
« Salut, tout le monde. »
Blue Beetle et Static lui rendirent son salut, Tim lui accorda un micro-sourire. Conner vint s’asseoir sans ménagement à ses côtés, le forçant ainsi que Blue Beetle à se déplacer de quelques centimètres. La jambe de Tim resta néanmoins collée à la sienne. Conner s’installa plus confortablement et passa le bras sur le dossier du canapé, derrière la tête de Tim.
Il vit Static hausser les sourcils, mais lorsque ce dernier ouvrit la bouche, ce fut pour dire :
« Si t’as la dalle, Kid Flash nous a ramené le petit dej’. Démentiel.
- J’ai toujours dit que c’était un mec bien », apprécia Conner.
Bart revint peu après, puis Miss Martian et Bombshell arrivèrent à leur tour. Et Cassie.
Conner croisa son regard. Elle esquissa un sourire qui ressemblait à une excuse. Il y eut un instant un peu tendu, puis Bart apparut soudain devant elle pour la tirer vers la table basse autour de laquelle ils s’étaient tous rassemblés.
« Dépêche-toi, ça va refroidir ! »
Cassie se laissa entraîner. Conner la vit regarder Tim. Ou peut-être Tim-et-lui. Elle détourna les yeux, réclama une assiette et le moment passa. Il ne savait pas comment s’était terminée sa conversation avec Tim la nuit précédente, mais tous les deux semblaient beaucoup plus sereins, même si encore un peu trop « polis ».
Peut-être aurait-il le courage d’interroger Tim à ce sujet, plus tard.
Ils se mirent à tous discuter entre deux bouchées de pancakes, à comparer leurs aventures, à en rire. Tim restait majoritairement silencieux à côté de Conner, n’intervenant que pour corriger d’une voix sarcastique une exagération de Bart, une modestie de Blue Beetle. À un moment ou un autre, le bras de Conner tomba complètement sur les épaules de Tim.
Il y eut quelques occasions où il sentit à nouveau tout ce qu’il avait manqué avec un pincement au cœur, mais Bombshell et Static étaient arrivés suffisamment récemment pour qu’il faille aussi leur expliquer pas mal d’événements et donc qu’il se sente moins isolé.
Et puis, surtout, il y avait la chaleur de Tim, tout contre lui.

Épilogue et Bonus
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