Un temps tout relatif
Requête de :
leliels_lullabyCensure : K+
Spoilers : pas vraiment, pas au-delà du premier épisode de Torchwood…
Date : lundi 29 octobre 2007
Avertissement : Je crains avoir sombré dans l’émo-mélo. J’espère pas.
La tension atteignit son paroxysme lorsque Jack s’en prit à Gwen. Jack n’élevait jamais la voix contre elle (sauf, peut-être, lorsqu’elle s’apprêtait à détruire le monde), c’était une règle admise, une sorte de stabilité dans leur vie de fou. Jack claqua presque la porte de son bureau ; Gwen, à l’extérieur affichait une expression choquée et désemparée. Il y eut un silence gêné, Toshiko fixait obstinément l’écran de son ordinateur, Ianto posa son mug de café sur le bureau d’Owen et ce fut ce dernier qui finit par adresser le problème.
« Bon Dieu, Ianto, je sais pas ce que t’as fait mais fous-toi à quatre pattes une bonne fois pour toute et qu’on en parle plus ! Il est invivable ! »
En temps normal, cela lui aurait valu son café dans la figure mais Ianto ne répondit rien et continua son chemin comme si de rien n’était. Owen émit un bruit écoeuré.
« Je m’en lave les mains », marmonna-t-il.
¤
Owen avait raison, pensa Ianto.
Il fallait qu’il se décide. Cela faisait bien trois semaines, maintenant, que Jack se doutait de quelque chose. Trois semaines que Ianto ne restait plus au Hub systématiquement lorsque le Capitaine le lui demandait.
Ianto avait un secret, et Jack ne le supportait pas. Ce qu’il pouvait comprendre.
Mais encore une fois, Owen avait raison. Cette situation devait se résoudre. Ianto allait devoir faire un choix.
-
Ce soir-là, alors qu’il s’apprêtait à partir, Jack le rejoignit à l’office. Inexpressif, sinon dans la dureté de son regard, il finit par lâcher d’une voix froide :
« Je perds patience, Ianto.
- Monsieur.
- Si tu te contentais d’avoir quelqu’un d’autre, je comprendrais. Mais ce n’est jamais aussi simple, avec toi, n’est-ce pas ? »
Ianto refusa de répondre, garda les yeux soigneusement baissés.
« De quoi s’agit-il, cette fois ? Qu’est-ce que tu me caches ? »
De nouveau, le silence pour réponse. Jack pinça les lèvres, la jointure des doigts blanches de fureur, de déception.
« Tu as moins que quiconque le droit d’avoir des secrets. Si tu n’as toujours pas compris ça, il est peut-être temps que je revoie la nécessité de ton travail ici. »
Jack tourna les talons. Ianto inspira, les mains tremblantes.
Son choix était fait.
¤
Ianto l’avait rencontré un mois plus tôt, accoudé à la balustrade d’un pont qui traversait la Taff. Sa présence à cet endroit l’avait surpris, il s’était approché.
Alors il s’était retourné, sourire poli et curieux aux lèvres, le regard chaud et bienveillant. Ses tempes grisonnaient, quelques rides profondes ornaient ses yeux. Il était beau.
« Ex…excusez-moi, avait balbutié Ianto.
- Ce n’est rien, avait-il répondu. Je ne vous ai pas entendu approcher. »
Et, peut-être parce que Ianto ne faisait pas mine de reprendre son chemin, il avait tendu la main :
« Je m’appelle Jonathan. Jonathan Hawkins », s’était-il présenté, un accent indéfinissable dans la voix.
Ianto n’oublierait jamais ce coup au cœur, cette soudaine impression d’étouffer. Sa main tremblait lorsqu’il prit celle qu’on lui tendait ; sa voix sortit rauque, basse, étranglée :
« Ianto Jones.
- Ianto Jones », avait répété Jonathan comme on goûte une sucrerie.
Il y avait eu le sourire, puis l’offre de café et Ianto savait qu’il aurait dû dire non, s’enfuir et ne plus jamais y penser, mais il avait accepté.
« J’étais très jeune, la dernière fois que je suis venu à Cardiff, lui avait confié Jonathan. Je ne me souviens pas de grand-chose. J’étais dans la région pour régler un problème, alors j’ai eu envie de repasser. Mais tout est trop flou, comme un rêve. »
Son regard s’était fait lointain, si plein de souvenirs, de vécu.
« J’étais vraiment très jeune. »
Ce soir-là, Ianto s’était presque jeté sur Jack. Ils avaient fait l’amour longtemps, passionnément, au point que Jack s’était assoupi quelques minutes. Ianto, serré contre lui pour se noyer dans sa chaleur, dans son odeur, n’avait pas fermé l’œil de la nuit.
Jonathan l’avait embrassé trois jours plus tard.
¤
Jonathan regardait la baie lorsque Ianto le rejoignit. Il y avait du monde sur le quai, la soirée était douce et les terrasses de cafés ne désemplissaient pas. Ianto se glissa aux côtés de Jonathan, deux anonymes dans la foule.
« Ianto », l’accueillit-il avec ce doux sourire, ce regard si tranquille, confiant.
Le baiser qu’ils échangèrent promettait tellement. Ianto laissa Jonathan le prendre dans ses bras. S’il pouvait se cacher sous ce manteau, s’il pouvait seulement y disparaître, là, en sécurité, dans cette étreinte sûre et solide…
« Ianto… j’ai quelque chose à te dire. »
Moi aussi.
Jonathan le regardait avec sérieux, presque trop.
« Je t’ai dit que je n’étais que de passage. Je suis déjà resté trop longtemps.
- Vous partez. »
Ianto avait presque envie de rire.
« Il le faut. »
Jonathan lui prit le visage entre les mains, ses paumes larges si fortes contre les joues de Ianto.
« Viens avec moi, dit-il.
- Pardon ?
- Viens avec moi, Ianto.
- Je…
- J’ai tellement de choses à te montrer. Tellement ! Si tu savais tout ce que je voudrais te faire découvrir. Si tu savais ce que j’ai à te révéler… Viens avec moi. »
De nouveau, un coup au cœur. Ianto sentit un frisson lui parcourir l’échine, il avait presque la nausée, il étouffait. Il veut que je vienne avec lui.
D bonheur, réalisa Ianto. Cette fois, c’était du bonheur qui lui compressait la poitrine, c’était du bonheur, cette soudaine révélation qu’il ne serait pas laissé derrière, qu’il était assez important pour mériter une telle proposition . Assez aimé pour qu’un simple au revoir, dont il se serait si bien contenté, ne soit pas suffisant. Il ferma les yeux.
Lorsqu’il les rouvrit, il se sentait calme, apaisé. Sûr de lui ; certain, surtout, qu’il n’éprouverait pas de regrets.
« Je ne peux pas.
- Pourquoi ? demanda Jonathan sans surprise ; il avait dû s’attendre à devoir insister un peu, malgré tout cela ne faisait que trois semaines qu’ils se voyaient.
- Parce que vous avez besoin de moi », répondit Ianto.
Jonathan fronça les sourcils, déconcerté.
« Je ne comprends pas. Tu dis que tu ne peux pas parce que j’ai besoin de toi ? Cela n’a pas de sens. »
Ianto le regarda dans un silence grave. Enfin, Jonathan écarquilla les yeux et recula d’un pas. Son visage exprima le choc, puis une soudaine tristesse, presque de la douleur.
« Je t’ai oublié, souffla-t-il d’une voix rauque. Je t’ai oublié. »
Ce fut au tour de Ianto de se rapprocher, d’appuyer avec tendresse les mains contre ses joues.
« Combien de centaines, de milliers d’années avez-vous ? dit-il doucement. Croyiez-vous que je puisse m’attendre à ne jamais quitter vos souvenirs ?
- Cela ne rend pas ma propre perte moins douloureuse. »
Jonathan ferma un court instant les yeux.
« Je déteste te savoir là, quelque part en moi et ne pas m’en rappeler. Ne pas pouvoir invoquer ton visage à un autre moment que ces trois dernières semaines. »
Il lâcha un petit rire.
« Dire que je pensais que tu t’étais arrêté pour mon physique exceptionnel, ce jour-là. Mais tu m’as pris pour… lui, n’est-ce pas ?
- Oui. Le Capitaine Jack Harkness, à la tête de Torchwood 3.
- À la tête de Torchwood, s’étonna Jonathan. Voilà autre chose. Il faut vraiment que je commence à prendre des notes si je me mets à oublier des choses pareilles.
- Pourtant vous êtes le même. Du moins là où ça compte. Vous êtes… moins torturé. Moins incertain. »
Ianto inspira.
« Vous êtes devenu quelqu’un de merveilleux.
- Alors viens avec moi, pressa Jonathan.
- Je vous aime », répondit Ianto.
Il ne l’avait jamais dit à Jack. N’avait jamais osé, de crainte de tout gâcher. Peut-être était-ce un tort.
« Pourquoi je sens que ce n’est pas la réponse que je veux ? fit Jonathan.
- J’aime la personne que vous êtes aujourd’hui, et j’aime celle que vous êtes devenue. Mais j’existe dans le présent de Jack Harkness, pas dans son futur.
- Tu pourrais…
- Laissez-moi terminer. Pour devenir Jonathan Hawkins, vous avez dû être Jack Harkness d’abord. Jack Harkness est à la base de votre identité. Je veux être là. Je veux savoir que peut-être j’ai contribué un peu à cette personne exceptionnelle qu’est Jonathan Hawkins.
- Ianto.
- Vous êtes merveilleux, reprit Ianto. Mais Jack a besoin de moi. »
Jonathan ne prit pas la peine de réfuter. Il s’empara doucement d’une des mains de Ianto pour en baiser la paume, sans le quitter des yeux.
« Tu ne changeras pas d’avis.
- Bien sûr que non, vous le savez. »
Jonathan hocha la tête. Leur dernier baiser n’avait pas le goût des adieux, mais d’une redécouverte, pour l’un et pour l’autre.
« Prends soin de nous », murmura Jonathan.
Ianto, gorge serrée hocha la tête. Jonathan s’écarta, le visage soudain sans expression, le regard qui portait au-delà de Ianto. Ce dernier, avec un mauvais pressentiment, se retourna. À une dizaine de mètres, Jack les observait, aussi impassible que Jonathan. Les deux hommes se dévisagèrent sans un battement de cils. Ianto, rigide, osait à peine respirer. Puis Jonathan déposa un baiser léger sur sa tempe, tourna les talons et s’éloigna. Ianto le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse dans la foule. Alors une main se glissa dans la sienne ; Jack porta leurs doigts entremêlés à sa bouche pour les embrasser doucement. Comme Jonathan quelques instants plus tôt, il serra Ianto contre lui.
« Comment fais-tu pour te mettre dans des situations pareilles ? » demanda-t-il avec un soupir.
Ianto appuya le front contre son épaule, les yeux fermés.
« J’ai un curieux karma », répondit-il.
Un baiser dans ses cheveux, un bras autour de sa taille.
« Rentrons », dit Jack.
Ianto hocha la tête. Ils allèrent à leur tour se perdre dans la foule.
(fin)
Blablatage de l'auteur : J'ai pris ici le contrepied de
Paradoxe. J'ai eu vraiment beaucoup de mal à commencer ce prompt, et même à l'écrire, je savais pas comment rendre les choses de façon assez subtile, surtout comment faire passer les différentes émotions des personnages : le sentiment de trahison de Jack au début qui n'a pas à voir avec le fait que Ianto ait quelqu'un d'autre dans sa vie (encore que c'est vexant XD) mais avec le fait qu''il lui cache quelque chose, (ça réveille toute l'affaire Cyberwoman, les incertitudes de Jack...) ; le dilemme de Ianto, le fait de devoir accepter que Jack l'oubliera, qu'il n'est qu'une étape dans sa vie, et enfin, la souffrance de Jonathan de réaliser tout ce qu'il a oublié, et qu'il oubliera... De peur de tomber dans le mélo, j'ai écris ça de façon très distante, très extérieure, j'ai posé les mots de façon clinique et je crains que du coup je sois trop loin du texte pour réussir à juger s'il est lisible, ou bien "trop".
Quant à la fin... La nature de Jack est très mystérieuse. S'il est un point fixe dans le temps, comme est-ce qu'il est affecté par les changements qui s'opèrent autour de lui lorsqu'il y voyage ?
Je ne sais pas si la rencontre de Jonathan et Ianto va changer les choses pour Jack. L'idée de réfléchir autour de ça suffit à me flanquer mal au crâne. :p