Aujourd'hui, un petit hors série d'Olive, se passant peu après ses 18 ans.
le début a été écrit cet hiver chez Shakes, à trois pas de la mer... ^^
La mer
Au début, Olive n'avait pas voulu venir. Quand Cédric avait téléphoné ce soir-là et demandé à lui parler, il était loin de s'imaginer que son plus jeune oncle proposerait de l'emmener avec lui en vacances au bord de la mer.
D'une part on était en février, et la Bretagne n'était pas précisément un pays chaud. D'autre part Cédric allait rejoindre des amis et Olive ne voyait pas trop ce qu'il pourrait faire au milieu de ce groupe qu'il ne connaissait ni d'Eve, ni d'Adam. Mais il avait insisté en arguant que ça lui ferait du bien de changer d'air et de prendre de la distance.
Olive avait regardé sa mère. Techniquement il était majeur depuis quelques semaines, mais il vivait encore chez elle et le billet de train ne pouvait décemment pas être payé de sa poche seule. Peut-être était-ce parce qu'il avait abandonné le Lycée agricole avant Noël, qu'il ne faisait pas grand chose de ses journées et qu'elle le qualifiait de « déprimé » qu'elle avait accepté. Toute sa famille semblait vouloir avancer comme sur des œufs avec lui depuis quelque temps. Deux CAP entamés, un bac pro abandonné au bout d'un trimestre et demi... il y avait de quoi se demander ce qui ne tournait pas rond.
Olive savait très bien ce qui ne tournait pas rond chez lui, mais allez expliquer à des adultes rationnels que la montagne l'appelait sans cesse et qu'un jour il partirait ? C'était d'ailleurs pour cette raison qu'il n'avait pas voulu aller avec Cédric. Même pour une semaine il n'imaginait pas s'éloigner autant de la montagne. Vivre chez sa mère n'était pas évident car l'appartement était en ville et que Éric, son mari, s'agaçait de le voir tourner en rond comme un lion en cage. L'internat au Lycée avait été une torture, se trouvant beaucoup trop loin à son goût - quarante petits kilomètres.
Alors la Bretagne ? C'était à l'autre bout de la France !
Mais Olive n'avait jamais vu la mer. Et au train où ça allait, il n'aurait plus jamais d'occasion de la voir. Cédric avait insisté, aussi bien avec lui qu'avec sa mère. Elle avait fini par céder à son plus jeune frère. Olive avait de son côté fini par accepter l'idée que son oncle ne voulait que l'aider à changer d'air.
Et pour changer d'air, ça changeait. Le vent n'était pas sans rappeler celui de la montagne, il y avait tout autant de rochers, mais l'air avait une odeur - un goût - différente. C'était la première chose que Olive avait senti en sortant du train à la gare de St Malo. Puis ils s'étaient serrés dans une voiture avec trois des amis de Cédric et leurs bagages et il n'avait pas pu voir grand chose. Il faisait nuit noire quand ils étaient arrivés chez le dénommé Manu (diminutif, pseudonyme ou vrai nom, Olive l'ignorait) dont les parents, partis en vacances, ne se doutaient probablement pas de ce qui se passait entre leurs murs.
Ils étaient six, en le comptant. Cédric - que tout le monde surnommait Ricola et il ne voulait pas savoir pourquoi - leur hôte Manu, une fille répondant au nom de Sophie qui accompagnait son petit ami Tonton - il avait fini par comprendre qu'il se nommait Aurélien - et Fitifou, surnom approprié pour l'espèce de puce électrique qui complétait leur groupe, bien qu'il ne sut jamais quel était son vrai nom. Et apparemment, ils s'étaient tous rencontrés sur internet, à l'exception de Sophie qui semblait parfois se demander ce qu'elle faisait là.
Le premier soir, laissant les quatre autres à leurs retrouvailles et leurs délires personnels, elle avait tenté d'engager la conversation avec lui. Ça s'était terminé assez rapidement, peu après « j'ai dix-huit ans » et « j'ai arrêté l'école il y a deux mois, je ne fais rien d'autre depuis ». Olive admettait qu'il n'y avait pas mis beaucoup de bonne volonté non plus, mais l'éloignement avec la montagne le rendait nerveux et il commençait à se demander s'il tiendrait la semaine.
Il était allé se coucher relativement tôt. Manu partageait son lit avec Cédric, et on lui avait installé un matelas dans un coin de la chambre. Il n'était pas épais et il sentait le plancher en-dessous selon la position dans laquelle il se mettait, mais Olive n'était pas particulièrement difficile.
Fidèle à lui-même, il s'était réveillé le lendemain matin sur le coup de cinq heures. Décidant que c'était tout de même trop tôt, il avait patienté jusqu'à la demi avant de finalement se lever le plus discrètement possible - le plancher craquait sous ses pieds. Il alla fouiller sans vergogne dans les placards de la cuisine afin d'y trouver sa pitance.
Un café et quelques tartines plus tard, il s'était décidé à aller faire un tour, ne tenant pas particulièrement à se tourner les pouces en attendant que les autres se lèvent, ce qui n'arriverait pas avant quelques heures. La rue dans laquelle se trouvait la maison était en pente, et il la suivit dans le sens de la descente, notant mentalement son nom en arrivant au bout. Il en suivit quelques autres du même genre, admirant au passage l'architecture des maisons, différente de ce qu'il pouvait voir en Haute-Savoie. La plupart semblaient vide, sans doute parce qu'elles ne servaient qu'en été. Olive trouvait ça un peu triste, l'idée que le village soit aussi fantomatique en hiver.
Il faisait frais et il remonta machinalement le col de son blouson. La température, cependant, n'était pas moins élevé que chez ses grands-parents au petit matin, et il se sentit pendant un instant comme transporté à la ferme, à l'aube, pour aller s'occuper des vaches et de la basse-cour. Il s'arrêta au milieu du trottoir dans une rue silencieuse, sous un réverbère, et ferma les yeux.
Oh oui, il y était presque ! Les meuglements des vaches pressées d'être traites et de sortir, les caquètements furieux des poules se battant pour leur grain et le chant du coq réveillé par les humains de la ferme - ce qui était un comble pour un coq, Olive n'avait pas fini d'en rire.
Mais le vent lui apporta soudain l'odeur de la mer, cette odeur d'eau et de sel, incomparable à tout ce qu'il connaissait. Machinalement, il se mit à suivre le vent qui, comme pour mieux le guider, le poussa dans le dos. Et Olive déboula soudain sur la route qui longeait la plage.
Il se figea, interloqué. Devant lui, après la digue qui délimitait la plage en contrebas, se trouvait de l'eau. Beaucoup d'eau.
La mer.
« Il habite aussi près ? » fit-il à voix basse pour lui-même, en pensant à Manu qui pouvait profiter d'une telle chose toute l'année.
La mer léchait le sable environ cinquante mètres plus loin, en une lente respiration. Le ciel était encore gris d'une aube à peine entamée, recouvert d'une masse informe de nuage qui se fondait dans la mer à l'horizon. Mais Olive ne voyait qu'elle, lointaine encore mais pourtant si proche, presque à portée de main. Et il entendit, soudain, le murmure des vagues.
À la fois différentes et identiques, elles chantaient comme le craquement des arbres et le hurlement du vent dans les rochers. La mer avait la même voix que la montagne. Comme dans un rêve, Olive monta sur le mur de la digue et sauta sur les marches du grand escalier qui permettait de rejoindre la plage. Il fit quelques pas sur le sable, s'attendant à s'enfoncer un peu, mais il était humide et compact. Quelques petits cailloux polis et fragments de coquillages le parsemaient. Dans d'autres circonstances, Olive en aurait ramassé quelques uns, mais il ne parvenait pas à détacher son regard de la mer. Il fit quelques pas sans y penser puis, soudain, enleva ses baskets, les abandonna là où il se trouvait et s'élança en courant sur le sable.
Il était froid sous ses pieds mais il ne s'en inquiéta pas. Il s'arrêta à quelques pas de l'endroit où la mer venait lécher le sable, détrempé à cet endroit. Le bas de son pantalon était déjà mouillé et collait contre ses chevilles.
Elle avançait, elle reculait, elle avançait, elle reculait... comme une éternelle indécise qui, paradoxalement, semblait parfaitement savoir ce qu'elle voulait. Le murmure était assourdissant, amplifié par le bruit des vagues qui venaient rouler jusqu'à ses pieds.
L'eau se glissa autour de lui, caressant ses orteils. Il recula, lui échappa, et elle revint, plus vive encore. Il éclata de rire comme un gamin. L'aube s'entama, s'amorça. Les nuages s'écartèrent légèrement pour laisser la place à un froid soleil d'hiver, mais Olive ne s'en aperçut pas, absorbé qu'il était par sa danse avec la mer.
Elle avançait inexorablement, le forçant à reculer. Un amas de rochers coupants couverts de moules pointait au milieu de la plage et il dut le contourner pour continuer sa danse. Le vent violent s'engouffrait dans son blouson, tantôt le poussant en avant, tantôt essayant de le renverser d'une bourrasque narquoise. Olive trébucha, se mouilla le pantalon, mais ne tomba pas une seule fois.
C'est plongé dans cette danse sans fin que Cédric, Manu et Sophie le découvrirent, quelques heures plus tard. Emmitouflés dans leurs manteaux, bonnets, gants et écharpes superposés, ils ouvrirent de grands yeux en découvrant Olive pieds nus, le pantalon mouillé jusqu'à mi-cuisse, jouant à chat avec la marée montante.
« Olive ! » cria Cédric.
Son cri fut noyé par le vent, tout comme le « oh mon dieu » de Sophie et le « mais il est complètement timbré ! » de Manu. Mais Olive avait entendu son nom et releva la tête, se réveillant soudain et réalisant où il se trouvait et ce qu'il faisait. Il avait le souffle court et, malgré sa tenue, n'avait absolument pas froid.
Un nœud se forma dans son estomac quand il jeta un coup d'œil au ciel : plusieurs heures s'étaient écoulées ! Sur la digue et sur la plage, plusieurs promeneurs matinaux regardaient dans sa direction, en plus du groupe qui venait à sa rencontre. Il sentit une certaine forme de honte lui étreindre le cœur ; lui qui détestait se donner en spectacle !
Il fit quelque pas et Cédric lui tomba dessus.
« Non mais t'es complètement malade ! Si tu attrapes la mort Justine va me tuer et maman éparpillera mes restes jusqu'au mont Blanc !
- Désolé, se sentit obligé de dire Olive.
- Désolé ? Désolé ?! Il fait moins trente avec ce vent, la flotte doit être à trois degrés, et toi tu fais le con pieds nus et désapé !
- Je n'ai pas froid », précisa-t-il en souriant ; Cédric était tellement risible à s'inquiéter et à hurler qu'il ne pouvait pas s'empêcher de rigoler.
Pour toute réponse, son oncle lui lança ses baskets - qu'il avait ramassé au début de la plage - à la figure.
OoOoO
La semaine passa très vite, entre ballades le long de la mer et visites de quelques châteaux locaux. Le vent portait une voix si semblable à celle de la montagne qu'Olive ne ressentit quasiment pas la distance. Par contre, vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec cinq personnes commençait à agacer le solitaire qu'il était, aussi c'est avec un certain soulagement qu'il reprit le train en direction de la Haute-Savoie.
Cédric et lui venaient de terminer leurs sandwichs SNCF lorsqu'Olive se décida à poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis quelques jours :
« Toi et Manu, ça dure depuis longtemps ? »
Cédric s'étouffa sur sa dernière bouchée et, d'un coup d'œil, sembla vouloir vérifier que personne ne pouvait les entendre. Mais ils étaient seuls, face à face dans leur carré de siège.
« Que... comment est-ce que tu...
- Je suis pas aveugle, ni un imbécile, tu sais. Et je te rappelle que même si je me levais plusieurs heures avant vous, je dormais quand même dans la même chambre. Pas très malin d'ailleurs, je suis sûr que vous auriez pu me mettre ailleurs...
- C'était l'idée de Manu, avoua Cédric en soupirant. Ça nous donnait un genre d'alibi. Et comme je savais que tu ne faisais pas la grasse matinée...
- Y'a de l'idée. Les autres sont au courant ?
- Sophie se doute peut-être de quelque chose. Pour les autres ça m'étonnerai. On aurait entendu Fitifou jusqu'au mont St Michel. »
Ils gardèrent le silence pendant quelques instants. Olive attaqua son yaourt tandis que Cédric le fixait d'un air à la fois gêné et honteux.
« Est-ce que... ça te dérange ?
- Ça a l'air de me déranger ? articula Olive malgré sa cuillère pleine de yaourt dans la bouche. Tu en as parlé à quelqu'un ? demanda-t-il après avoir avalé.
- Non. Tu penses, le petit dernier de la famille qui est homo, alors que tous ses frères et sœurs sont mariés et ont des gosses... ça sent un peu le cliché quand même.
- Bof, fit Olive en haussant les épaules.
- Ne leur dit rien.
- C'est pas à moi de le faire. »
Ils terminèrent leurs desserts en silence et s'abimèrent ensuite dans le paysage qui défilait.
« Et toi, reprit Cédric au bout d'un moment, filles ou garçons ?
- Filles, rétorqua Olive avec un sourire en coin, définitivement filles.
- Et elle était mignonne ? »
Ce fut au tour d'Olive de fixer Cédric d'un air presque choqué.
« Comment tu...
- Ah, j'ai tiré la bonne pioche, on dirait ! ricana Cédric.
- Espèce d'enfoiré.
- Olive... reprit-il d'un ton plus sérieux. J'espère que tu n'as pas arrêté l'école à cause d'une histoire de meuf, et que tu ne passes pas ton temps à ruminer à cause de ça. Ça n'en vaut pas la peine.
- C'est pas ça, c'est... commença Olive. C'est vrai que je l'aimais bien. J'étais bien avec elle. Ça n'a pas duré très longtemps, je... je ne pensais pas que ce genre de fille existait vraiment. On se dit que c'est juste dans les histoires que se racontent les mecs entre eux ou à la télé...
- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Cédric quand il vit qu'il ne continuait pas.
- On a couché ensemble... je t'explique pas le bordel pour être sûr d'avoir la chambre à l'internat toute une après-midi et faire comprendre au pion qu'il a pas intérêt à se pointer. »
Cédric sourit en imaginant la scène.
« Deux jours après elle était au bras d'un autre.
- Je suis désolé. »
Olive haussa les épaules.
« J'étais pas le premier et je n'ai pas été le dernier. Ça fait mal à l'amour propre. On se sent con. Mais c'est pas à cause de cette histoire que j'ai quitté l'école. Je n'étais pas bien là-bas, c'est tout. »
Cédric le fixa pendant un moment sans rien dire, si bien qu'Olive commençait à s'en sentir agacé.
« Qu'est-ce qu'il y a ?
- Rien. Ou plutôt si. Si tu avais un problème, un gros, quelque chose qui te bouffe, même si ça a l'air ridicule, tu en parlerais ? Pas forcément à moi, mais à quelqu'un ?
- Évidemment », souffla Olive, l'estomac noué par le mensonge.
Cédric hocha la tête. Il n'était pas dupe. Il le connaissait trop bien pour ça.