Les Portes : la sorcière de Cork et l'évadé d'Azkaban (version illustrée), 1ère partie

Sep 26, 2008 14:57

Titre : Les Portes : « la sorcière de Cork et l’évadé d’Azkaban »
Fandom : Harry Potter
Disclaimer : L’univers de HP et ses personnages sont la propriété de JK Rowling, je ne touche aucun argent. Les dessins sont la propriété de Jo' (Jo-Yumegari) (cliquez sur les dessins pour les voir dans leurs tailles originales).
Continuité : été 93 (je rappelle que, dans cet univers, tout ce qui a été révélé au-delà du tome 4 n’existe pas)
Personnages : Sirius Black, Lynn Finnigan (mère de Seamus Finnigan), apparition de Remus Lupin.
Avertissement : PG
Résumé : Le chien mort sur le paillasson, c’était le pompon. La cerise sur le gâteau. Le couronnement magistral d’une abominable journée. De quoi se tourner avec ferveur vers les cieux et demandez : « Pourquoi ? Pourquoi moi, Hécate ? Pourquoi ? »
Note : Ce texte est en gestation depuis très longtemps, il a été écrit, réécrit et remanié un nombre de fois inavouables. J'ai été aidée dans cette tâche par Jo qui a écouté (lu) mes plaintes et m'a octroyé conseils et critiques. Je remercie également Arcadiane, Alixe, Kpou et Lucile pour leur participation à un mini brainstorming.
Rappel :
- Constantin est le frère jumeau de Lynn. Il a été tué en 75 (ch2 des Portes)
- Les Ondes Silencieuses est la demeure principale des Black.
- Pâris Black est le père de Sirius.
1ère publication : 25 septembre 08

Les Portes :
« La sorcière de Cork et l’évadé d’Azkaban »

-o-

La journée avait été particulièrement éprouvante… Surcharge de travail, supérieurs tyranniques, patients irresponsables, supermarchés sur-bondés, embouteillages… Heureusement, la journée touchait à sa fin…

Mrs Finnigan ferma la porte d’entrée d’un coup de pieds, déposa les sacs lourds de provisions sur le comptoir qui séparait la cuisine de la salle de séjour et se laissa, enfin, tomber sur un haut tabouret de bar. Elle jeta un rapide coup d’œil circulaire au désordre qui régnait dans la pièce. La vaisselle sale s’entassait dans l’évier, la nourriture avait grillé sur les plaques, maculait le mur et même le plafond. La salle de séjour n’avait pas été épargnée. Sur la table basse du salon et tout autour de la télé s’étalaient en corolle des miettes de chips, des emballages de bonbon, des bouteilles soda vides. Il y en avait d’ailleurs une qui avait été renversée sur le divan et le tapis. Une serviette trempée achevait de sécher sur l’accoudoir du canapé en cuir. Une partie de Cluedo avait été abandonnée et un carton de comics oublié. Mrs Finnigan soupira et piocha dans un des sacs une bouteille de soda. Elle prononça un sort de rafraîchissement et but au goulot.

… Ou peut-être pas.

Mrs Finnigan remarqua, collés sur la porte du réfrigérateur, plusieurs post-it de couleur. Elle but une nouvelle gorgée de soda et tendit le bras. Elle joua un peu avec la gravité et atteignit finalement les petits papiers multicolores. Elle les posa sur le bar, devant elle, but une autre gorgée et, machinalement, claqua des doigts en marmonnant : « Supercalifragilisticexpialidocious ».

Balais, chiffons, serpillières et éponges sortirent de leur placard et se déployèrent en rang bien ordonné. Les provisions gagnèrent sagement leurs placards, pendant que les assiettes passaient docilement sous le jet d’eau et étaient réceptionnées par des torchons (propres). Les bouteilles vides, sachets éventrés et paquets délaissés, quant à eux, trouvèrent leur chemin jusqu’à la poubelle qui ne s’emplissait jamais, pendant que les vêtements, à la file indienne, se dirigeaient vers le sac de linge sale dans la salle de bain. Mrs Finnigan étala consciencieusement les post-it, selon l’ordre de l’arc-en ciel.

Rouge : Papa a loupé son avion. S’est trompé dans les horaires. Rentrera demain, l’avertissait Seamus.
Elle lui avait pourtant dit de vérifier auprès de la compagnie !

Orange : Avec Dean, Mark, Edward et toute la bande, on va camper ce soir sur la colline. Paraît qu’il y aura des étoiles filantes.
Voir les étoiles filantes ? C’est comme ça qu’on disait maintenant ? Mrs Finnigan secoua la tête, sourire amusé en coin. Elle recevrait probablement un coup de fil acerbe de Mr Feldstein, propriétaire légitime du pré où les ados de la région aimaient compter fleurette. Mieux qu’un chaperon… ou qu’un spytilège.

Jaune : Mrs Jones a téléphoné : voudrait organiser une séance de spiritisme le WE prochain.
Seamus avait ponctué ce message d’un petit bonhomme qui levait les yeux au ciel.
Mrs Finnigan se pencha pour saisir son sac à main qu’elle avait abandonné sur le sol et en extirpa son agenda. Week-end prochain ? Week-end prochain ?… Elle avait le marché tout samedi et une séance prévue avec Mr Locke le soir. Le lendemain : une maison hantée qui n’était probablement qu’une mystification. Mrs Finnigan se passa la main dans les cheveux, cherchant à évaluer si elle ne serait pas trop fatiguée pour organiser une séance de spiritisme deux soirs de suite. Surtout qu’elle était de garde à cinq heures lundi matin. Non, ce n’était pas sérieux ! Elle appellerait Mrs Jones et lui proposerait une autre date. Mrs Finnigan était dévouée à son rôle de Sorcière de Cork, mais pas au dépend de sa santé, surtout qu’il ne s’agissait pas d’une urgence.

Vert : Grand-mère a appelé : Darcy serait en réalité un démon.
Mrs Finnigan résista à l’envie de téléphoner sur-le-champ à sa belle-mère, Mrs Finnigan Mère, grande douairière pleine d’aigreur et de hargne - Duane risquait de ne pas apprécier qu’elle traite sa mère de harpie. Mais de quel droit cette harpie traitait sa fille de démon ? De quel droit ?! Par Hécate !
Un verre éclata en morceaux, une assiette se fendit. Serpillières, éponges et torchons récurèrent avec plus de vigueur. Les balais et les plumeaux s’affairèrent avec davantage d’énergie pour atteindre les coins et recoins de la pièce. Mrs Finnigan inspira profondément.
Une fois la première vague de colère passée, Mrs Finnigan dut faire face à une vague d’une toute autre espèce et bien plus violente : la culpabilité. Elle savait que c’était une mauvaise idée d’envoyer Darcy chez Mrs Finnigan Mère. Elle le savait. Mais c’était ce qu’il y avait de plus pratique (et économique). Mrs Finnigan avait espéré que la présence d’une tripotée de cousins et de cousines aiderait… A huit ans, Darcy faisait déjà preuve d’un caractère très affirmé. A quatre-vingt-huit ans, Mrs Finnigan Mère n’en finissait pas d’affirmer le sien.
Il allait falloir écourter le séjour de Darcy. Et embaucher une baby-sitter un peu plus alerte que Miss Campbern. Miss Campbern était une adorable vieille sorcière qui ne connaissait que des sortilèges amusants et préparait les meilleures crêpes au monde. Elle avait été la baby-sitter de Mrs Finnigan et celle de la mère de Mrs Finnigan et même de la mère de cette dernière. Elle était vraiment vieille et bien trop arthritique et sourde pour s’occuper de deux pré-ados sorciers et de Darcy. Mrs Finnigan colla un post-it (rouge) sur la porte du réfrigérateur : contacter le département de la Famille Magique.

Bleu : coca, brioche, chips, ketchup, PQ, piles, mars, PAS de poisson, PAS de courgettes, SURTOUT PAS de chou-fleur, à la rigueur des haricots, jambon, hamburgers congelés, glace (pas fraise !)… CHOCOLAT !!

Indigo : Mrs Swendsen voudrait un porte-bonheur pour sa fille (passe son permis de conduire) .

Violet : Ne touche pas au magnéto : j’enregistre le foot !
« Et je regarde comment ma série, moi ? » pleurnicha Mrs Finnigan. Elle tourna la tête et vit que le ménage était fini. « Accio sac poubelle. »

PS : Désolé pour le bazar.
Mouais…

-o-

Mrs Finnigan ouvrit la porte de service, sac poubelle à la main, et se trouva nez à truffe avec un chien étendu sur le flanc, gueule ouverte et langue pendante. Elle leva les yeux vers le ciel : « Et évidemment, il y a un chien mort sur mon paillasson ! ». Les dents serrées, Mrs Finnigan invectivait tous les Leprechauns d’Irlande de sa connaissance (et elle en connaissait beaucoup !), quand elle entendit un grognement.
Le chien.
Il n’était pas mort.
Effrayée, Mrs Finnigan lâcha le sac poubelle et recula prestement à l’intérieur de la maison. La porte se referma dans un claquement sonore.
Mrs Finnigan resta quelques secondes hagarde et immobile dans l’entrée. Quand ses sens lui furent revenus, elle s’approcha de la porte et jeta un regard à travers le carreau. Il s’agissait d’un chien. Juste d’un chien famélique et sale. Et elle avait réagi comme un éléphant face à une souris. Elle, la Sorcière de Cork, par Hécate !
Mrs Finnigan regagna le séjour à grands pas furieux. Elle s’était comportée comme une fillette. Pire, une fillette moldue ! Mrs Finnigan s’empara du combiné du téléphone et composa le numéro de Jessica. Avec sa chance, le chien était porteur de maladie. À la troisième sonnerie, on décrocha.
« Bonsoir Jessica… Oui, c’est moi. Navrée de te déranger à cette heure, mais il vient de me tomber une tuile sur le coin du museau… Non, le hamster de Darcy va bien… Je crois… » Mrs Finnigan colla un autre post-it sur le réfrigérateur (orange) : vérifier que Boule de Poils Puante est toujours en vie. Le cas échéant, nourrir la Chose et nettoyer sa cage.
« Non, c’est au sujet d’un chien. Figure-toi qu’il y en a un à moitié crevé sur mon paillasson… La canicule ? Oui, j’avais remarqué. Mais pourquoi sur mon paillasson ? Y a pas de micro-climat qui s’y cache, à ce que je sache !… Oui… Oui…. La fourrière ? D’accord. Est-ce que je… Tu me les envoies ? Tu es un ange ! »
La conversation dévia par la suite sur des sujets plus personnels : les enfants, le boulot, les maris (futur ex-mari pour Jessica). Le quotidien dans sa splendide banalité. Mrs Finnigan proposa à son amie de passer le lendemain : elle avait la maison pour elle toute seule et Jessica avait besoin d’arrêter de penser, au moins une journée, à son divorce. Jessica promit d’y réfléchir, puis, avant de raccrocher, renouvela sa promesse de s’occuper du problème canin de Mrs Finnigan.
Mrs Finnigan s’assura d’un regard par la vitre que le chien était toujours bien là et vivant, puis alla s’immerger dans un bain brûlant et pétillant de bulles roses.

-o-

Le bain avait rempli son office : Mrs Finnigan se sentait détendue et agréablement somnolente. Elle enfila un peignoir douillet et noua une serviette moelleuse autour de sa tête. Elle traversa la salle de séjour, évita un balai perfectionniste qui s’agitait dans un coin de la pièce et se glissa derrière le bar. Elle remplit la bouilloire d’eau et brancha l’appareil. Il y eut un petit bruit de moteur et Mrs Finnigan s’appuya contre l’évier, attendant que l’eau bout. Par delà le comptoir, à l’autre bout de la salle, des silhouettes se mouvaient sur l’écran de la télévision. Narquoise, Mrs Finnigan regardait des mamans de vingt-trois ans, filiformes et souriantes, accueillir, extatiques, des bambins de sept et cinq ans. « Moi aussi, faire la lessive, ça m’emplit d’amour pour ma marmaille ! » commenta Mrs Finnigan. A l’intérieur de la bouilloire, l’eau entrait doucement en ébullition, de la vapeur s’échappait de l’embouchure. Mrs Finnigan leva les yeux au ciel quand un monsieur en costume trois pièces apporta, gentleman, à une autre maman - la petite vingtaine - le produit miracle pour la libérer de la corvée de toilettes. Et ainsi, la mère de famille comblée pouvait passer plus de temps avec ses enfants. Mais de père, on n’en voyait jamais l’ombre d’une veste. « Sûrement trop occupé à dégueulasser les toilettes », soupira Mrs Finnigan tout en ouvrant un placard. Elle se baissa sous le comptoir et farfouilla longuement dans sa réserve à thé, pas tout à fait sûre de ce dont elle avait envie. Jasmin ? Ou thé vert ? Ou peut-être bergamote ? Elle entendit un petit ‘ploc’ : l’eau était prête. Elle se décida pour du thé bleu. Quand elle se releva, le paquet de thé lui échappa des mains et se déversa sur le parquet.
Pendant quelques secondes, le monde perdit un peu de son aplomb. Ou peut-être que ce fut elle. Les doigts de Mrs Finnigan se crispèrent sur le rebord du bar. Son champ de vision se réduisit à un rectangle de quarante centimètres sur trente. Et puis tout s’accéléra, tout devint urgent. La télécommande ? Où était cette foutue télécommande ? Mrs Finnigan envoya valser les coussins, fit tomber la pile de magazines, renversa le fauteuil. Un peu plus loin, le balai enchanté s’affolait.
« Où est cette foutue télécommande ? » cria-t-elle en déversant sur le sol le contenu du tiroir de la table basse, avant de se rappeler qu’elle était une sorcière. « Accio télécommande ! »
Le boîtier surgit de sous le canapé et se glissa dans sa main. Mrs Finnigan pointa l’objet vers le téléviseur et rétablit le son. Mais le flash info était fini. Mrs Finnigan zappa sur la chaîne qui diffusait les informations en continue.
« … contacter le numéro qui défile en bas. Nous vous rappelons de ne rien tenter, cet homme est dangereux et armé. N’essayez pas de le défier, ne le provoquez pas… »
Elle chut sur le sol, tremblante et hagarde, les yeux rivés à l’écran, rivé au visage de Sirius Black. Sirius Black était de retour. Il était là, aux informations moldues, plein de haine et de fureur, le regard creusé, le visage émacié. Comment… ? Mrs Finnigan porta les mains à son visage - Sirius -, les crispa sur ses lèvres - Sirius -, ses mâchoires - Sirius -, les remonta jusqu’à ses cheveux - Sirius -. Sa respiration était erratique - Sirius -, bruyante - Sirius - et incontrôlable…

Sirius Black s’était échappé d’Azkaban. Sirius Black était de retour.

Mrs Finnigan ignora la première sonnerie. À la seconde, plus longue et plus insistante, elle se leva avec lenteur. Ses jambes faillirent, elle se rattrapa de justesse à la commode. La sonnerie, impatiente, retentit une troisième fois. Elle tituba jusqu’à la porte d’entrée. Le miroir accroché dans l’entrée l’avertit qu’elle n’était pas en tenue pour se présenter à des inconnus. Quand elle ouvrit la porte, elle apparut vêtue d’un pantalon de toile et d’un débardeur de saison, une serviette humide sur les épaules.
« Excusez-moi, je ne vous avais pas entendu avec le sèche-cheveux. Que puis-je faire… »
Mrs Finnigan n’acheva pas sa formule de politesse. Sur le perron, se tenaient deux sorciers - un homme et une femme - tout en costume très formel et très officiel.
« Mademoiselle Lynn Amberson ? » demanda la sorcière.
Elle avait les cheveux blonds, tirés en arrière et serrés en un chignon impeccable. Pas de maquillage, juste des cernes et un air excessivement las. Elle s’exprimait avec lenteur, d’un ton égal et sans aspérité. La quarantaine bien entamée. Son compagnon, la dépassait de deux têtes et devait peser au moins deux fois son poids. Un ours. Il était aussi négligé qu’elle était méticuleusement apprêtée. Un brin sale. Une barbe de deux jours envahissait son visage flasque sans charme. La soixantaine doucement avancée.
« C’est à quel sujet ? s’enquit Mrs Finnigan, rendue méfiante par les capes blasonnées.
- Elyana Andrea Amberson, Sorcière de Cork ? insista la sorcière.
- Oui. »
Mrs Finnigan n’avait jamais consigné son union avec Duane Finnigan au département de la Famille Sorcière du Ministère de la Magie. À l’époque, le régime politique était loin d’encourager les mariages mixtes. Par la suite, Mrs Finnigan s’était tenue éloignée autant que possible des affaires du monde magique. Elle avait gardé une certaine méfiance à l’égard du Ministère. Aux yeux de la société magique, Mrs Finnigan était donc toujours Miss Lynn Amberson.
« Si c’est à propos de l’exorcisme, j’ai déjà adressé mon rapport au Ministère. La situation ne permettait aucune marge de manœuvre. Il fallait agir vite et…
- Il ne s’agit pas de cela ! coupa avec impatience (et grossièreté) le sorcier. Nous avons autre chose à faire que de nous occuper des agissements d’une petite sorcière déclarée !
- Nous sommes des Aurors dépêchés par le département de la Justice. Je suis Genna Stonen et voici mon collègue, Garius Waterfield. Nous aurions des questions à vous poser au sujet de…
- Je pourrais voir une votre licence et votre accréditation ? »
L’exigence surprit et choqua d’abord les deux sorciers, puis valut à Mrs Finnigan un double regard noir exaspéré. Mrs Finnigan ne se laissa pas impressionner. Main fermement accrochée à la poignée, expression impavide, elle ne bougeait pas. Elle connaissait ses droits. Les deux sorciers présentèrent deux plaques qui les identifiaient très officiellement comme des Aurors.
« Cela vous suffit-il, miss ? marmonna Waterfield, aigre. Ou exigerez-vous également que l’on exhibe empreintes, patronus et animal… ?
- Nous sommes à la recherche d’un individu », reprit Stonen. Son ton égal, sans affect, sans couleur, tranchait drastiquement avec celui de son collège. « Un sorcier évadé il y a peu de la prison d’Azkaban. Il y purgeait une peine d’emprisonnement à vie pour haute trahison et crime aggravé. Il répond…
- Black ! » coupa Waterfield.
Le rythme de parole des deux Aurors était irréconciliable. Stonen aimait prendre son temps, développer sa pensée, ajouter des détails et s’appuyer sur des formules toutes faites. Waterfield préférait couper à travers champ, oubliant politesse et ménagement. De ce fait, ils se coupaient la parole l’un l’autre.
« Semblerait que vous connaissiez le loustic… » Un sourire mauvais étira les lèvres brunit par le tabac de Waterfield.
« Loustic ? Tout à fait le terme que j’emploierais pour qualifier le bras droit de Voldemort qui a trahi et orchestré l’assassinat de son meilleur ami. Oui, "loustic", exactement le mot auquel je pense pour résumer le monstre qu’est Black ! grinça Mrs Finigan.
- Vous confirmez donc le connaître ? s’enquit Stonen.
- Je ne serai sûrement pas la première à dire que je croyais le connaître.
- Littérature que cela ! s’exclama Waterfield. Nous aimerions juste savoir si vous connaissiez effectivement le gaillard.
- Que voulez-vous savoir ? Si nous couchions ensemble ? »
Face au silence des deux Aurors, Mrs Finnigan su que c’était exactement la question qu’ils avaient en tête.
« Je confirme », soupira-t-elle.
Stonen nota quelque chose sur son parchemin, l’air détaché et neutre. En revanche, l’air de Waterfield gagna en hauteur et mépris.
« Une petite question au passage, miss…, commença Waterfield.
- Madame ! corrigea Mrs Finnigan.
- Si vous voulez… À l’époque, vous avez déclaré ne rien savoir des exactions de votre petit ami…
- Ex-petit ami !
- Si vous voulez… Réaffirmez-vous ne pas avoir été au courant des accointances de votre petit ami ?… Pardon, ex-petit ami ?
- Je réaffirme.
- Pourtant, si je ne m’abuse, un tatouage, ça se remarque… »
La main de Mrs Finnigan se crispa sur la poignée de la porte. Elle compta mentalement jusqu’à trois et se tourna vers Stonen.
« Je suppose que d’augustes Aurors tels que vous ne se donnent pas la peine de faire du porte-à-porte pour mettre en garde la population et leur assurer que tout ira bien et qu’elle est hautement protégée. Donc, hormis pour m’insulter, quelle est la raison exacte de votre présence ?
- Il a été amené à notre connaissance, Madame, que vous aviez été listée par l’évadé Sirius Black comme personne à prévenir en cas de problème. »
Stonen fit apparaître un rouleau de parchemin qu’elle tendit à Mrs Finnigan.
« Lors de leur titularisation, les Aurors fournissent une liste de personnes à prévenir en cas d’accident. Vous êtes sur la liste de Sirius Black. »
Mrs Finnigan déroula le document d’une main tremblante. Sous la mention "liste des contacts à prévenir en cas d’urgence", parmi une quinzaine de noms (dont la plupart étaient barrés), figurait le sien accompagné de son adresse postale et de ses coordonnées de cheminée.
« La plupart des sorciers mentionnés sur cette liste sont décédés.
- Ce sont ceux barrés », précisa Waterfield.
Pour la deuxième fois de la journée, Mrs Finnigan crut qu’elle allait se trouver mal. Elle s’agrippa à la poignée de la porte de toutes ses forces pour ne pas tomber.
« Vous n’êtes plus que trois, continuait Stonen. Le père de l’évadé, Pâris Black, dont personne n’a aucune nouvelle depuis une décennie… »
Mrs Finnigan avait douloureusement conscience du regard de Waterfield accroché au moindre de ses gestes, dépeçant la moindre de ses réactions…
« Remus Lupin que nous avons déjà interrogé… »
Et il surgit de ses souvenirs, s’imposa à elle. Le mantra blanc. Des années qu’elle n’y avait pas fait appel. Des années qu’elle n’en avait plus besoin… Elle sentit aussitôt son effet apaisant se déverser en elle et elle put mobiliser à nouveau toutes ses facultés.
« Et vous-même, termina Stonen.
- Et ? demanda froidement Mrs Finnigan.
- Il n’a sûrement pas échappé à votre observation que la plupart des sorciers listés sur ce document sont décédés.
- Et ?
- Et vous êtes particulièrement fraîche pour un zombie, sourit Waterfield.
- Merci.
- Ce que mon collègue essaie de pointer…
- Ce que votre collègue essaie de pointer, interrompit Mrs Finnigan, c’est que je suis suspectée de complicité parce que Black n’a pas jugé bon de me tuer il y a douze ans. Ou si ce n’est de complicité au moins de le cacher.
- Ce n’est pas le cas ? demanda Waterfield.
- Black est un Mangemort et un assassin. Jamais je ne cacherais ce monstre ! Quels que fussent mes liens avec lui.
- Il est avéré, Madame, dit Stonen avec pondération, que l’on peut faire des choses bien étranges par amour. Comme passer outre le plus odieux des crimes…
- J’ai quitté Black en juillet 78 ! Je me suis mariée en juin 80 et depuis je vis, très heureuse, avec mon mari et mes enfants. Black n’a pas une once de place dans mon cœur ou dans mes pensées.
- Peut-être n’êtes-vous pas libre de vos décisions ? hasarda Waterfield.
- Si je vous mets ma main dans la figure, est-ce que ce sera une preuve suffisante que je suis parfaitement maîtresse de mes actes ?
- Madame, nous vous assurons que nous demandons qu’à vous croire, intervint Stonen, mais si vous nous laissiez entrer, nous pourrions mener un rapide examen. Juste pour nous assurer qu’il n’y a aucune Magie Noire à l’œuvre. Tout cela serait vite fini.
- Il est hors de question que vous franchissiez le pas de ma porte.
- Pardon ? s’étonna Stonen. J’ai peur de ne pas comprendre.
- A moins que vous n’ayez une ordonnance du Ministère de la Justice à me présenter, il est hors de question que vous exécutiez une fouille !
- Nous sommes des Aurors, déclara avec importance Waterfield, nous n’avons besoin d’aucune ordonnance pour effectuer une fouille. Votre attitude, mademoiselle, laisse à penser…
- Vous pourriez être le Grand Auror ou Merlin réincarné, je ne vous laisserais pas entrer. Il s’agit d’une demeure moldue ! Et les Aurors ne sont pas habilités à fouiller une demeure moldue sans ordonnance.
- Une licence de sorcellerie déclarée a été délivrée à cette adresse », souligna Stonen. Elle fouilla dans sa chemise cartonnée et en tira un document qu’elle présenta à Mrs Finnigan qui n’y jeta pas un regard. « Il y a moins d’une heure, de la Magie a été exécutée, ajouta-t-elle. Avec tout votre respect, Madame, il me semble assez difficile de croire qu’il s’agit d’une demeure moldue.
- La maison est enregistrée au nom de Finnigan, la licence a été délivrée au nom d’Amberson. Mon mariage n’ayant pas été déclaré au ministère, il y a dissociation des deux noms et des biens. Cette maison est moldue et vous n’en franchirez pas le seuil à moins de me présenter un papier officiel vous y autorisant.
- Madame, je vous assure que… », tenta Stonen d’une voix plus calme, presque caressante. À côté d’elle, Waterfield fulminait.
Un bruit de moteur attira l’attention des trois sorciers. Ils tournèrent ensemble la tête et virent s’engager prudemment dans le chemin de terre une fourgonnette. La fourrière.
« Très bien, nous reviendrons demain avec une ordonnance, marmonna Waterfield, peu amène. Si jamais nous découvrons une seule preuve, même la plus petite et la plus sujette à caution, de la présence de Black dans votre si commode maison moldue, Mademoiselle, je vous promets des ennuis mémorables.
- Je vous attends avec impatience. »
Stonen salua Mrs Finnigan d’un mouvement de tête puis, dans un bruit sec et une odeur d’ozone, les deux Aurors disparurent.
Tandis que le véhicule amorçait un virage quelque peu délicat pour entrer dans la propriété des Finnigan, Mrs Finnigan se demandait si, sans l’intervention des Moldus, les Aurors auraient forcé sa porte. Probablement. On pouvait toujours compter sur les Aurors pour faire usage de la force quand leur bon droit n’était pas assuré. Mrs Finnigan n’avait aucune sympathie pour cette profession et ses façons d’agir. Bien sûr, elle ne pouvait pas souhaiter qu’ils ne mettent jamais la main sur Black. Bien sûr… Mais si ça pouvait être un tout petit peu pénible et burlesque, ça lui irait très bien.

La fourgonnette s’arrêta et deux hommes vêtus de combinaisons bleues en descendirent. Ils firent un geste de la main pour saluer Mrs Finnigan et disparurent à l’arrière de leur véhicule.

… Quelle idée de venir chercher Black chez elle ! Ils n’étaient même pas venus lui poser des questions, non, ils voulaient juste fouiller ! Quelle bande d’incompétents ! Comme si Black était assez stupide pour venir chercher refuge chez elle ! Et pourquoi pas à Poudlard tant qu’on y était ?! Ou aux Ondes Silencieuses ?! Ils feraient bien mieux de frapper aux portes des Mangemorts reconvertis. Mais bien sûr la famille Malfoy ne recevrait jamais une délégation d’Aurors malotrus qui demanderaient de retourner leur magnifique manoir. Non, on convoquerait plutôt Lucius Malfoy dans l’intérieur très confortable du département de la Justice Magique et, entre deux scones, on lui demanderait, très aimablement, s’il hébergeait Black. Il répondrait que non, bien entendu. Un regard complice serait échangé, il y aurait peut-être même un petit éclat de rire. Le ministre secouerait la tête et sourirait avec complaisance. Allons, allons, tout cela n’était pas sérieux. Il faudrait songer à trouver une autre résidence à leur invité. Et puis la conversation se poursuivrait sur un tout autre sujet : les résultats des équipes de Quidditch et de la descendance…

« Bonjour madame.
- Bonjour messieurs. »

… En dépit de tout le mal que Mrs Finnigan pouvait penser de Black, elle était bien obligée de reconnaître à ce dernier un réel talent magique et une ressource impressionnante. Il n’avait pas été pour rien l’un des sorciers les plus prometteurs de sa génération. Il les ferait courir un certain temps, ces satanés Aurors, avant d’être attrapé…

« C’est le Dr Jessica Johnson qui nous envoie. »

… D’autant plus que Black avait un atout de taille dans sa manche…

« Paraît que vous avez un problème de chien errant. »

… Black était un Animagus non déclaré.

« Il y en a beaucoup qui traînent en ce moment aux alentours des propriétés. »

… Un Animagus…

« La canicule les rend plus audacieux. »

… chien…

« Normalement, il n’y a aucun souci de rage, mais on n’est jamais trop prudent. Si vous voulez bien…
- Je suis navrée, coupa Mrs Finnigan. Je vous ai fait déplacer pour rien. Le chien n’est plus là. Il était moins mal en point que je ne le pensais. Il est reparti. »
Mrs Finnigan renvoya les deux hommes avec deux bières bien fraîches et deux parts de tarte aux prunes qu’elle improvisa d’un tour de magie. Elle referma la porte. Silencieusement. Posa le front contre le chambranle et crispa le poing sur la poignée.

« Respire, Amberson. Respire. »

-o-

Les mains tremblantes, Mrs Finnigan sortit un paquet de cigarettes entamé de la boîte de thé aux pépins de melon à laquelle personne ne touchait jamais. Le paquet appartenait à son mari qui était censé ne plus fumer depuis deux ans. Elle toussa un peu puis tira une autre bouffée. Elle avait un peu fumé dans sa jeunesse, plus par conformisme que par goût. Elle s’était vite lassée de l’odeur de tabac froid sur les doigts et dans les cheveux. Mais, de temps en temps, quand sa tension artérielle frôlait la crise cardiaque, elle retombait dans ce travers nauséabond.
Mrs Finnigan écrasa la cigarette au fond de l’évier. Elle ne pouvait pas rester dans sa cuisine à regarder la nuit tomber quand un Mangemort agonisait sur le pas de sa porte. « Nom d’une ensorceleuse ! Reprends-toi, Amberson ! »
Elle traversa d’un pas décidé la cuisine, la salle de séjour, ne jeta pas même un regard vers la porte de service mais poussa celle qui menait au grenier. Elle gravit quatre à quatre les marches grinçantes de l’escalier, alla directement vers le fond de la pièce et dégagea une vielle malle en cuir brun. Quand elle souleva le couvercle, une odeur de souffre et d’ozone emplit ses narines. Elle déplaça la cape noire, poussa les livres et trouva, tout au fond de la malle, une baguette magique. Sa baguette magique.
À l’instant où les doigts de Lynn se refermèrent sur le manche en bois clair, une douce chaleur se répandit dans sa main, remonta le long de son bras et se propagea dans tout son corps. L’émotion lui noua la gorge et lui mouilla les cils. Cela faisait si longtemps…

-o-

Le chien gisait toujours sur le pas de la porte de service. Un grand chien noir, efflanqué, galeux, asthmatique et nauséabond. Il n’était pas parti, n’était pas non plus mort. Il était là, étendu sur le flanc, gueule ouverte et agité de spasmes. Sirius Black.
Lynn n’avait jamais imaginé qu’elle se retrouverait face à face - truffe à face - avec Sirius Black. Azkaban était censée être une prison dont on ne pouvait s’évader et elle n’avait aucune intention de lui rendre une petite visite de courtoisie. En ce qui la concernait, Sirius Black était mort. Mort le soir où James et Lily avaient été assassinés. Oublié depuis. Oublié le camarade de classe, l’ami de confiance, le premier amoureux. Oublier Sirius Black. Oublier tout et ne garder en mémoire que Black le Mangemort.
« Black ? »
Voix froide, expression dure, attitude déterminée. Lynn n’avait jamais été une sorcière imposante ; elle devait composer un rôle et convaincre. Comme le chien ne réagissait pas, elle l’appela une seconde fois. Elle n’avait pas besoin de confirmation, d’aucune vérification. Elle était sûre : c’était lui.
Le chien noir ouvrit les yeux et tenta de se redresser. Lynn recula aussitôt, baguette tendue, sens aux aguets. L’animal poussa un cri plaintif et s’effondra à nouveau, langue pendante et paupières closes.
Voilà donc le terrible bras droit de Celui-dont-on-prononçait-pas-le-nom ?
Lynn s’accroupit auprès du chien et le regarda, le regarda vraiment. Elle vit les os disloqués, le sang séché et les plaies infectées. Les parasites, la famine, la crasse, la puanteur, la maladie. Et la magie noire qui lui bouffait les entrailles et lui rongeait la vie.
« Leviacorpus ! »

-o-

Lynn lança des sortilèges de protection dans la salle de séjour, aussi bien pour la prémunir de toute attaque que pour s’assurer qu’il n’y avait aucun sort mouchard. Une fois tranquillisée, elle s’approcha du canapé sur lequel elle avait étendu l’Animagus.
« Je crois qu’il est temps de laisser tomber la pelisse de chien, Black ! »
Le chien releva péniblement la tête et gémit, le regard suppliant. Elle ne l’avait pas immédiatement reconnu parce qu’elle ne s’attendait pas à le trouver sur le pas de sa porte. Mais maintenant…
« Ne me fais pas perdre mon temps et métamorphose-toi ! Si tu préfères que je m’en charge, je te promets quelques désagréments. Souviens-toi, Métamorphose n’était pas ma matière forte ! »
L’animal poussa un lourd soupir puis il y eut un ‘pop’ sonore et, à la place d’un chien famélique, Lynn se retrouva avec un homme décharné sur son canapé.
Contre toute attente, un violent sentiment de compassion submergea Lynn. Elle avait maintes fois été témoin d’accidents de la vie et d’injustices sociales. Les petits-vieux maltraités, oubliés dans leur lit jusqu’à ce que mort s’ensuive, les clochards méprisés, les enfants battus, les jeunes fauchés par des conducteurs saouls, les parents incapables de payer les soins de leurs enfants… Tout cela, elle savait. Mais douze ans d’Azkaban, elle ne connaissait pas. N’avait pas voulu savoir. Avait voulu croire et oublier. Et la réalité était brutalement offerte à ses yeux. Détaillée. Étalée. Exhibée. Lynn ne retrouvait en rien dans cet homme maigre, cacochyme et souffreteux, le beau jeune-homme passionné de dix-neuf ans qu’elle avait connu. Aimé.
Lynn ne s’aperçut qu’elle tremblait que lorsqu’elle surprit le regard de Black fixé sur sa baguette vacillante. Elle ravala son émotion et raffermit sa prise sur le manche de la baguette. Le regard de Black monta jusqu’à ses yeux : ils étaient pleins de défiance et d’incompréhension. Bien.
« Je ne sais pas ce qui m’a le plus étonnée, dit Lynn pour briser le silence et asseoir son autorité. Te trouver sur mon palier ou bien que tu aies été assez stupide pour te réfugier chez moi… »
Black ne disait mot. Son regard était de plus en plus froid, son expression de plus en plus… L’extrémité de la baguette s’illumina, il tressaillit. Très bien. Il avait peur d’elle.
« Accio trousse à pharmacie et médicomagie. »
Black fronça les sourcils.
« Je… Qu’est-ce que… ?
- Je vais te soigner, explicita-t-elle. Mais tente quelque chose - n’importe quoi - et je te décapite. C’est compris ? »
Il secoua la tête, l’air désabusé.
«C’est compris ? insista-t-elle.
- Oui. » La voix était caverneuse, âpre, désagréable.
Lynn s’assit sur la table basse pour être à la hauteur de Black. Ses mains, calmes et professionnelles, s’approchèrent Black afin de le déshabiller. Black recula immédiatement. Lynn insista. Black repoussa les mains de Lynn et agrippa fermement les pans de sa chemise.
« Non, marmonna-t-il, en détournant le regard.
- Laisse-moi faire, je…
- J’ai dit NON ! s’écria-t-il en attrapant les mains de Lynn.
Lynn, terrifiée, écarquilla les yeux. Il lui fallut quelques secondes pour se remettre du choc de la voix, du regard… Elle hurla et se débattit furieusement.
« LÂCHE-MOI ! LÂCHE-MOI TOUT DE SUITE ! »
Black libéra les mains de Lynn, brusquement, comme si le contact de la peau l’avait brûlé. Lynn tomba en arrière, tremblante de colère et de peur.
« Je… Je… ne voulais pas. Je… je suis… désolé », balbutia Black. Il tendit la main vers Lynn ; elle tendit sa baguette.
« Fais un mouvement, Black. Un seul et j’exécuterai la sentence qui aurait dû être la tienne il y a douze ans. »
Black blêmit et laissa retomber son bras dans un bruit mou sur le cuir du canapé.
Les deux sorciers restèrent quelques secondes sans bouger, sans dire un mot. Puis lentement, prudemment, sous le regard attentif de Lynn, les doigts de Black se portèrent au premier bouton de la chemise.
Black garda le regard baissé durant toute l’opération de déboutonnage. Quand vint le moment de retirer la chemise, il hésita à poursuivre son geste. Il leva les yeux vers Lynn pour les détourner tout aussitôt et il se débarrassa du vêtement. Lynn retint son souffle tandis que la peau se dévoilait.
Dans la pénombre de la pièce, la marque d’Azkaban, cruellement gravée dans la peau blanche, presque translucide, était parfaitement visible.
Lynn, tout en surveillant les mouvements du Mangemort, examinait, évaluait, le geste sûr et médical. Elle palpait, pressait, arrêtait au moindre gémissement et, parfois, émettait un commentaire. Mais toujours ses yeux revenaient sur la marque, tout à la fois fascinante et horrible. Selon les peines, elle différait et celle-ci disait : "condamné à la réclusion à perpétuité pour crime infâme". Lynn savait que personne ne méritait autant ce jugement que Black, mais quand elle voyait quelle en était la réalité, son assurance vacillait.
« Arrête de regarder ! » commanda Black. Le premier réflexe de Lynn fut de nier, mais à quoi bon ?
« La salle de douche est derrière la première porte à droite. Il y a des vêtements propres dans le sac de linge à repasser, sers-toi ! Puis tu désinfecteras ce que tu peux. Je m’occupe du repas et des potions. »
Lynn se leva sans attendre la réponse de Black, sans croiser son regard.

Une fois dans son atelier, loin du regard de Black, Lynn abandonna tout faux-semblant. Elle s’appuya contre le mur et glissa lentement. Elle ne tenta pas vraiment de retenir ses larmes, elle se recroquevilla et attendit. Attendit que l’émotion se déverse et se résorbe, attendit que la sympathie qu’elle éprouvait s’assèche, que le dégoût s’étouffe. Attendit sans cris ni sanglots.
Puis, calmement, les gestes à nouveau précis et assurés, Lynn alluma un feu dans la petite cheminée surélevée à hauteur d’homme. Elle plaça un chaudron sur les flammes, sortit de ses placards, étagères et tiroirs, diverses plantes, essences et baves. Elle versa des cuillérées, ajouta des pincées, saupoudra, remua, agita, porta à ébullition, glaça, sépara. Elle s’abandonna totalement à sa tâche et ignora le reste : Black ne représentait aucune menace dans son état - elle était même étonnée qu’il ait pu rester aussi longtemps sous sa forme canine.
Quand les différentes potions et sachets purificateurs furent prêts, Lynn sortit d’un placard de l’alcool de mandragore et la posa sur le plateau qu’elle destinait à Black. Elle hésita un instant, marmonna « Oh et puis zut ! » et but au goulot une généreuse lampée. Dans la cuisine, elle ajouta au plateau un reste de purée qu’elle réchauffa d’un tour de magie et une tranche de jambon. Elle prit également dans la corbeille à fruits la dernière banane, probablement délaissée parce qu’un peu trop mûre. Elle ajouta finalement la dernière part de cake à l’orange.
Quand Lynn reprit sa place sur la table basse, Black avait déjà nettoyé les plus accessibles de ses blessures et tentait maladroitement de faire tenir un pansement autour de son bras gauche. Il avait enfilé un pantalon de Duane qui lui était légèrement court sur les chevilles. Ses longs cheveux - plus longs qu’il ne les avait jamais portés -, encore humides, lui balayaient le dos. Black marmonna "merci" quand Lynn déposa le plateau devant lui. « D’abord, tu manges. Ensuite tu prends les potions. » Il hocha la tête.

Black dévora. Lynn voulut lui dire qu’il n’avait pas besoin de se presser, que personne ne lui retirerait son assiette, qu’il pouvait prendre le temps de mâcher. Elle ne dit rien. Elle se contenta de lui signaler la présence des couverts sur le bord du plateau : le premier geste de Black avait été de saisir la nourriture à pleine main.
Quand le plateau fut vide, Lynn tendit une première fiole : un énergisant à base de… Black mit l’embout à sa bouche et, d’un mouvement de tête, ce fut avalé.
« Tu ne vérifies pas…
- Quoi ?
- Qu’il n’y a pas de poison ? »
Black haussa les épaules. Il ingurgita les autres potions sans poser la moindre question, sans attendre la moindre explication de la part de Lynn. Elle l’observait en silence et en proie à un trouble incertain. Elle ne comprenait pas. Pourquoi Black ne manifestait-il pas davantage de défiance à son égard ? La redoutait-il si peu, trop confiant de l’ascendant qu’il pourrait exercer sur elle ? Trop sûr que le souvenir de leur histoire le protégeait et l’exonérait de tous ses crimes ? Ou bien cherchait-il à établir un lien de confiance ? Une technique de manipulation de haute voltige : feindre l’infériorité pour mieux endormir sa méfiance…
Lynn tira sa baguette, Black se recroquevilla. Les yeux fixés sur le bout de la baguette, les sens aux aguets, les muscles bandés. Pareil au chat qui a senti le danger et attend le meilleur moment pour fuir. Ou attaquer.
« Tu ne crains pas que je t’empoisonne mais tu as peur que je te lance un mauvais sort ? »
La question suffit à tranquilliser Black. Son corps se détendit, son regard se fit moins acéré, mais il ne cessa pas pour autant de surveiller la baguette.
« Tu as de nombreux sorts de magie noire sur toi. Certaines des potions que tu as ingérées devraient m’aider à t’en débarrasser. Seulement, je n’ai pas fait de Médicomagie, ni lancer de contre-sorts depuis très longtemps, je ne peux pas t’assurer de tous les éradiquer. »
Black hocha la tête. Lynn songea à Gilda Larsson qui avait tenté de la convaincre de ne pas abandonner ses études de Médicomagie. « Vous avez un véritable talent pour ça », lui avait-elle affirmé. Espérons que la guérisseuse disait vrai et que le talent ne s’était pas évaporé avec le temps. Lynn inspira, leva sa baguette et se lança.

Les fourmillements s’intensifiaient. Ils remontaient le long de son bras, se diffusaient dans son dos, grimpaient le long de sa colonne vertébrale jusqu’à la base de son crâne, s’immisçaient dans les replis de son cerveau et allaient se loger jusque derrière ses yeux, jusque dans le fond de sa bouche. Ses gestes étaient de moins en moins précis. Ses idées se diluaient, sa concentration s’amenuisait. Et la nausée montait. Continuer relevait de l’irresponsabilité. Lynn baissa le bras. Sa main tomba un peu lourdement sur le bois de la table basse.




Black ouvrit les yeux. Sa respiration était lente et régulière, sa posture détendue. Il jeta un regard à la baguette mais ne s’y attarda pas. Il se redressa prudemment, aussitôt Lynn fut sur ses gardes. Si Black le remarqua, il n’en laissa rien paraître. Il examina les pansements, fit tourner son épaule, bougea ses doigts, palpa le bas de son dos, fit claquer des doigts : des étincelles jaillirent. Lynn serra le poing sur le manche de sa baguette.
« Compte tenu de ton état et de mes compétences, c’est tout ce que je peux faire pour le moment. Je ne suis ni Médicomage, ni médecin. »
Black hocha la tête.
Et tandis qu’elle rassemblait sur le plateau les divers objets épars, Lynn expliqua qu’elle allait maintenant lui lancer un sortilège de sommeil. L’endormissement serait immédiat et le sommeil très profond. Hautement réparateur.
« Et demain ? »
Que ferait-elle de lui, demain ? Demain, elle avertirait les autorités et le remettrait à la Justice.
« La Justice ? Quelle Justice ? » Il rit, doucement, puis de plus en plus fort. Quelle Justice ? Ce qui l’attendait n’avait rien de commun avec la Justice !
« C’est tout ce que tu mérites ! Tu as tué James et Lily.
- Jamais ! rugit Black.
- Oh oui, c’est vrai. Tu as laissé la sale besogne à ton très cher maître. Pervers, jusqu’au bout !
- Tu sais quoi ? Tu devrais m’enchaîner, s’emporta-t-il, la voix tremblante de colère. On ne sait pas ce qui pourrait me passer par la tête. Je pourrais profiter de ton sommeil pour te tuer. Ou mieux, pourquoi tu ne me tues pas tout de suite de ta propre baguette ? De la Justice rapide et partiale, exactement ce qui semble te convenir. Ça te permettrait de te débarrasser de la douleur de tes deuils. Je suis là, à ta merci, profites-en ! Ce n’est pas souvent qu’on a l’occasion de tenir au bout de sa baguette un monstrueux Mangemort, le bras droit de Voldemort, le plus grand criminel de Grande Bretagne. Tu recevras probablement une jolie médaille qui brille pour ce crime d’utilité publique. » Black ouvrait grand les bras, donnant plein accès à son torse, s’offrant comme cible. « Qu’est-ce que tu attends, Lynn ? N’entends-tu pas ton frère, ton père hurler vengeance ? Exécute la raclure que je suis, on gagnera tous les deux du temps ! »
Lynn refusa de se laisser impressionner, refusa de céder à la colère. À la peur aussi.
« Je suis une infirmière et une sorcière déclarée, mon métier et mon devoir me commandent de soigner les gens, pas de les exécuter, déclara-t-elle avec une hauteur glaçante. Je te l’ai dit il y a quinze ans : je serai toujours du côté de la vie. Maintenant arrête ton mélodrame avant que je ne décide de changer de vocation. Et puis à quoi bon me menacer ? Au vu de ton état, même un sorcier de première année serait en mesure de te mater. Et pour la précision, je suis bien meilleure qu’un sorcier de première année. »
Les paroles de Lynn, son refus de répondre à ses provocations semblèrent avoir raison de l’emportement de Black. Ses bras retombèrent lourdement sur ses genoux, son dos se voûta. Sa respiration se calma et ses traits retrouvèrent de leur mobilité.
Lynn s’apprêtait à lancer le sortilège d’endormissement quand Black releva la tête et planta son regard dans le sien.
« Ce n’était pas moi… Cette nuit-là, ce n’était pas moi. »
La respiration de Lynn se bloqua. Elle s’y attendait. Depuis le début, depuis qu’elle l’avait identifié, elle s’attendait à cette phrase de déni. Elle pensait pouvoir l’encaisser - elle le croyait fermement -, mais elle s’apercevait avec horreur qu’il n’en était rien.
« Lynn, je n’ai jamais été leur gardien ! » insista Black.
Le regard de Black avait une intensité qui la tenait captive. Et tout ce qu’elle avait enfoui, tout ce qu’elle avait emmuré s’agita, menaça de faire éclater ses défenses, hâtivement construites et patiemment renforcées. Autrefois, Lynn ne savait pas faire face à ses regards et elle découvrait, terrifiée, horrifiée, que, quinze ans plus tard, mariée et mère de famille, il en était encore de même. Heureusement pour elle, Black commit une erreur : il baissa les yeux. Aussitôt, Lynn sentit l’air affluer normalement à ses poumons, les sens lui revenir. Elle serra les poings.
« Bonne stratégie de défense, Black ! » dit-elle, acerbe et méchante. D’autant plus acerbe et méchante, qu’elle s’était sentie faiblir. « Je ne comprends pas comment un jury a pu te condamner ! » Ironique maintenant.
« Peut-être parce qu’il n’y avait pas de jury à mon procès… » Le regard acéré de Black remonta jusqu’aux yeux de Lynn. « Ou peut-être parce que je n’ai pas eu de procès…
- Pas de procès ? » répéta-t-elle, confuse.
Il lui prit les mains. Elle les lui retira aussitôt. Elle se mit debout et il leva vers elle un regard suppliant. Un de ses regards de chiot abandonné.
« Lynn, je te jure sur la tombe de ma m … »
Il ne termina pas sa phrase : Lynn lui avait lancé le sort d’endormissement.

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à suivre...

fic: l'hydre (les portes), format: one shot

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