Titre : L’autre guerre
Auteur : Wendigo (participant 3)
Pour : Menekku (participant 10)
Fandom : Agents of SHIELD
Persos/Couple : Melinda May & Philippe Coulson, pre Coulson/Barton
Rating : PG-13
Disclaimer : Rien n’est à moi !
Prompt : May et Coulson se retrouvent à diriger ce qui reste du SHIELD. Dire qu'ils ont des bagages est un doux euphémisme et la confiance, même en amitié, parfois il faut la travailler. Et j'aime bien le Clint/Coulson moi aussi, glisse en autant que tu veux en arrière-plan !
Ceci est la deuxième partie
Skye est sans grande surprise la première à prendre le taureau par les cornes.
« Alors, Boss ? Le grand Manitou nous a laissé une base secrète, des ressources loin d’être illimitées mais néanmoins honorables et la mission de reconstruire le SHIELD, du coup je pense que je dois demander… C’est quoi le plan ?
- Tu sais que le SHIELD n’existe plus Skye. Tu n’as pas à-
- On a déjà eu cette discussion, non ? Je suis sûre qu’on a déjà eu cette discussion. »
Il y a quelque chose de plus dur chez la jeune femme à présent, quelque chose qui n’était pas là avant Ward, avant Fitz. Mais même ainsi, elle garde ce fond d’idéalisme buté qui fait chaud au cœur de Phil, cette même manière de mordiller sa lèvre inférieure quand elle réfléchit. C’est probablement ridiculement sentimental de sa part d’y trouver une forme de réconfort, mais peu importe l’impact que le GH-325 a eu sur elle - sur eux- cela au moins n’a pas changé. Il trouve ses points positifs où il peut, ces temps-ci.
« C’est valable pour vous tous », ajoute-t-il avec sévérité en contemplant les cinq hommes et femmes réunis dans la petite cuisine de la base : Skye, épaule contre épaule avec Simmons - l'absence de Fitz à ses côtés est un crève-cœur à chaque fois renouvelé -, Triplett, appuyé dans l’encadrement de la porte, Melinda, au repos contre un mur, mug de thé en main, Billy Koening près du frigo. Son équipe, amputée, mais aussi la majorité du cercle désormais extrêmement restreint des personnes en qui il peut placer sa confiance.
« Je n’ai pas porté ce badge très longtemps », continue Skye, « mais vous aviez raison quand vous disiez qu’il signifie quelque chose, qu’il doit signifier quelque chose. Le SHIELD n’existe peut-être plus techniquement parlant ? Et alors, nous on est là, et les dangers qu’il combattait aussi. On peut toujours brainstormer un nouveau nom si c’est ça le problème... Mais s’il y a un endroit où je veux être, c’est avec vous. Avec l’équipe. Et j’emmerde l’HYDRA.
- J’en suis, murmure simplement Simmons.
- Moi aussi », confirme Triplett.
Melinda ne dit rien, se contente de hocher la tête, ce qui est une réponse plus expressive qu’il n’en attendait d’elle.
« Dans ce cas, voici la première phase du plan. »
« May, attend ! »
L’agent pivote sur ses talons et fait face à Skye, sourcils haussés. Elle attend à peine que la jeune femme la rattrape avant de reprend son chemin vers l'armurerie avec de longues foulées énergiques qui forcent la hackeuse à presser le pas pour rester à son niveau.
« Je voulais…Je me suis rendu compte que je ne m’étais pas excusée.
- de ?
- D’avoir pensé que tu étais une Nazillone en puissance travaillant pour l’Hydra et complotant pour tous nous tuer dans notre sommeil. »
Les sourcils de Melinda grimpent un peu plus, mais Skye ne s’en formalise pas et continue sa tirade. Elle a décidé qu’une franchise brutale en réponse à celle que manie parfois l’espionne était sa meilleure chance d’être non seulement entendue mais aussi écoutée : elle ne va pas se laisser éconduire par la première brusquerie venue.
« Écoute, je sais que tu ne m’aimes pas trop et qu’à tes yeux je suis une petite fille qui essaie de jouer dans la cour des grands, mais on est dans la même équipe. Et je pense qu’on ne peut pas se permettre d’être divisé et de- »
Elle est interrompue quand May s’arrête devant la porte de l’armurerie et lui fait face.
« Tu te trompes, Skye. Tu n’as pas besoin de t’excuser, tu avais des raisons parfaitement valides de penser que je jouais double jeu et tu as suivi deux choses qu’il ne faut jamais négliger : ta méfiance naturelle et ton instinct de survie. Il n’y a rien de répréhensible en cela.
- Je-
- Et quand à l’équipe… J’avais peut-être des doutes au début, mais tu as plus qu’amplement fait tes preuves. »
Skye s’attendait à plus de résistance et en reste un instant bouche-bée. Au bout de quelques secondes de silence, elle se rend compte qu’elle tripote nerveusement une longue mèche de cheveux bruns et se force à arrêter.
« Parfait. Je suis contente d’entendre ça, parce que j’ai quelque chose à te demander. Je suis… Je n’ai plus de XO, et vu la façon dont tu as mis la pâtée à mon dernier, je me disais que peut-être… »
Devant l’expression de marbre de l’agent May, elle relève le menton et serre les lèvres.
« Je ne suis en vie que parce que j’ai réussi à mentir à Ward, à lui faire croire que je ne soupçonnais rien… mais je ne suis pas bonne à ça, et… Et je pense que tu peux m’apprendre beaucoup de choses qui pourraient m’être utiles, me sauver la vie un jour. W- Ward m’a énormément apporté », elle ponctue les mots d’une grimace de dérision avant de poursuivre, « mais tu es meilleure que lui, et tu-
- D’accord.
- Quoi ?
- Tu m’as entendue. Mais soyons claires : tu penses que ce que Ward t’a fait subir lors de ton entraînement initial était un cauchemar ? Tu n’as rien vu.
- Oooookay...
- Et pas de plaintes. Assume tes choix ou ce n’est pas la peine de commencer. »
Skye acquiesce muettement et ouvre de grands yeux ; une lueur fugace d’amusement passe finalement sur le visage de son aînée.
« Tu es surprise que j’ai accepté si facilement, n’est-ce pas ? »
La jeune femme hoche la tête avec vigueur.
« Honnêtement ? Je pensais au moins devoir faire appel à la solidarité féminine...
- C’est de la psychologie basique. Tu penses vraiment que ça aurait marché ? »
La question prend Skye pas surpris et elle hésite un instant avant de secouer la tête négativement.
« Non ? Je veux dire, pas vraiment…
- Pourquoi ?
- Hé bien comme tu l’as dit, c’est… basique ? La ficelle est trop grosse. Pourquoi as-tu accepté, alors ?
- J’ai mes raisons.
- Et je n’ai pas le droit de les connaître ? Je vais être ton padawan, c’est la moindre des choses…
- Si tu es mon padawan, commence par obéir aux ordres de ton maître Jedi et arrête de poser des questions. »
May connaît Star Wars et est capable de faire des références de pop-culture ! Skye ne pensait pas voir venir ce jour.
Avec un grand sourire elle croise les bras.
« Poser des questions est ce que je fais de mieux, après hacker des ordis pour obtenir les réponses qu’on refuse de me donner. J’espère que tu ne pensais pas honnêtement que la carte de l’obéissance aveugle allait marcher sur moi. »
Une nouvelle fois, elle a l’impression que May est amusée, malgré son impassibilité olympique - non, franchement, s’il y avait des JO de l’impassibilité elle gagnerait haut la main. Elle ne prend même pas la peine de répondre à la sailli de la jeune femme. A la place elle tape le code de la porte qui ferme l’armurerie, lâche un « on commence demain matin, soit à 6 heures dans le gymnase » lapidaire, franchi le seuil et laisse le vantail blindé claquer sur ses talons, au nez de Skye.
Bon, songe cette dernière. C’est quand même une victoire.
L’architecte qui a conçu les bases du SHIELD n’a pas été chercher bien loin et elles sont toutes plus ou moins construites sur le même modèle : une salle de guerre à la pointe de la technologie, des laboratoires qui le sont tout autant, une armurerie, des geôles, une infirmerie, des quartiers de vie communs, quelques salles de stockage, une cuisine au garde-manger rempli pour un hiver nucléaire, des chambres étroites, des douches communes près de la salle de sport, un hangar à avion avec ascenseur intégré menant sur un tronçon de route privée au milieu de nul part... le tout dans un charmant de camaïeu de gris béton, d’acier renforcé et de paranoïa militaire du meilleur goût.
La base où ils se trouvent - nom de code ‘Terrain de Jeu’ - ne fait pas exception à la règle. Mais comme elle était destinée à fonctionner en autarcie, un décorateur d'intérieur plein de bons sentiments a décidé qu’en plus d’ajouter les écrans à lumière solaire calés sur le cycle circadien moyen d’un être humain et montrant des paysages de carte postale kitchissimes en temps réel, il serait bon de peindre certains murs dans des couleurs vives d’une acidité propre à ronger la rétine et aussi peu complémentaires que faire se peut.
Si quelqu’un demandait à Melinda ce qu’elle en pense, elle répondrait que ledit décorateur mériterait d’être pendu par les couilles et de servir de cible de paintball - avec des munitions aux couleurs de son méfait, pour l'exemple. Mais comme il n’est venu à l’esprit de personne qu’elle était susceptible d’avoir un avis sur quelque chose d’aussi trivial que la décoration, elle a pour l’instant gardé sa théorie pour elle.
Phil a vu son ancien appartement et sait qu’elle a un goût sûr et bien arrêté, mais leurs conversations pour l’instant sont en majorité opérationnelles et occasionnellement difficiles : ce n’est pas demain qu’ils aborderont la déco. Ward aurait pu poser la question, mais… hé bien disons que Ward ne posera plus la moindre question avant un long moment, vu l’état dans lequel elle a laissé sa trachée. C’est un souvenir qu’elle chérit pour l’instant avec une ferveur vindicative plutôt inhabituelle pour elle, mais elle a décidé qu’au vu de la situation hautement exceptionnelle, elle pouvait bien s’accorder une exception.
« J’avoue que je suis surpris », lui confie Phil avec son habituelle intonation douce, celle que Melinda a cessé de prendre pour argent comptant environ trois jours après l’avoir rencontré.
Il est en bras de chemise, appuyé contre une caisse de fournitures de bureau dans la salle de stockage où elle a trouvé refuge à la fois pour échapper à la couleur des murs et parce qu’elle préfère parfois être loin des regards pour poursuivre sa méditation. Les autres membres de l’équipe ont depuis longtemps appris à se tenir à distance dans ce genre de cas, mais Coulson a toujours eu un instinct infaillible pour la retrouver et ignorer ses silences, qu’ils soient hostiles ou simplement concentrés.
Quand elle ne répond pas, il poursuit : « Tu n’as pas pris d’élève depuis cinq ou six ans, et tu ne portes pas exactement Skye dans ton cœur… Je m’attendais à devoir intercéder en sa faveur, et pourtant… Admet qu’il y a de quoi être curieux.
- J’ai trouvé ses arguments convaincants…
- A d’autres. Est-ce que c’est à cause de ce qu’elle est ? Tu veux garder un œil sur elle à cause de ça, ou du GH-325 ?
Elle interrompt son kata et lui fait face.
« Ce n’est pas la question que tu veux vraiment poser », fait-elle remarquer.
« Ha bon ? J’aurais pourtant juré que c’est celle qui vient de franchir mes lèvres.
- Ce que tu veux réellement savoir c’est si je vais lui faire la même chose qu’à toi, la surveiller parce qu’elle est une mission et un élément dangereux, et non pas parce que c’est quelqu’un auquel je veux du bien. C’est bien ça, non ? C’est ce que tu penses que je suis en train de faire, ce sur quoi on finit toujours par retomber. »
Le mordant de sa réponse fige un instant Phil, puis il penche la tête.
« J'admets que la possibilité m’a traversé l’esprit.
- Et me croirais-tu si je t’assurais que ce n’est pas le cas ?
- Probablement plus que je t’ai cru quand tu m’as affirmé que tu n’étais pas de l’HYDRA. »
Ça mord. Elle n’a pas menti : elle ne tient pas rigueur à Skye de ses accusations... mais que Phil ait pu les juger crédibles fait bien plus mal. Lui aurait dû savoir - et oui, elle est consciente du paradoxe que cela représente, mais cela ne l'en rend malheureusement pas plus facile à encaisser.
« Vraiment ? Nous avons un problème, alors.
-Tu ne peux pas agir dans mon dos en me cachant des informations ou tes motivations, puis me demander de prendre ta parole pour argent comptant, May. J’ai envie de te croire. Mais j’ai besoin que tu me parles, que tu me dises ce qui te passe dans la tête. Nous sommes dans le même camp. »
Sans le regarder, Melinda attrape les bâtons d’escrima qu’elle avait déposé à côté de sa veste et les fait tournoyer d’une main à l’autre, se concentrant sur les mouvements normalement si automatiques pour retrouver son calme, décider de ce qu’elle va dire.
Phil a raison, sur le fond… Mais cela va à l’encontre des leçons de toute une vie, à l’encontre de ses instincts de conservation qui lui hurlent de garder sa façade indifférente, qui lui rappellent que s’exposer ainsi est mettre toutes les clés entre les mains de quelqu’un d’autre, quelqu’un de faillible - quelqu’un de potentiellement compromis.
Mais Phil est directeur du SHIELD, elle suit ses ordres. Si vraiment ses craintes sont fondées, ils sont de toute manière dans les emmerdes jusqu’au cou. Et si non, se taire ne fera qu’endommager un peu plus leur relation déjà fragilisée…
« Très bien », convient-elle en amorçant les premiers pas d’un kata, qui l’amènent face à lui dans une posture agressive. « Mais tu ne vas pas aimer tout ce que j’ai à dire…
- Laisse-moi donc en être juge.
- Je savais que tu allais intercéder en la faveur de Skye. Tu aurais sorti tout un tas d’arguments rationnels et quand j’aurais continué à refuser, tu aurais joué la carte du « tu me dois bien ça » et j’aurais fini par céder. Je nous ai épargné au moins trois jours de négociations irritantes.
- Ce n’est pas-
- Je n’ai pas fini », le coupe-t-elle en poursuivant au ralenti son enchaînement, muscles vibrants de tension. « Il ne t’es pas venu à l’idée que je pouvais à la fois vouloir m’assurer que tu allais bien pour moi-même, et obéir en même temps aux ordres de Fury ? J’aurais dû te dire le peu que je savais sur T.A.H.I.T.I., je suis consciente à présent. Mais j’ai suivi les ordres, et toutes mes actions ont été en la faveur de l’équipe, en ta faveur.
- Il ne s’agit pas de moi, il s’agit de Skye.
- Parlons de Skye alors. Je l’aime bien, malgré ses défauts et sa maudite curiosité. Elle est courageuse, elle a du mordant et elle apprend vite. Je pensais ce que j’ai dit, ses arguments étaient valables et je suis mieux placée que Triplett pour être son XO. Je peux lui apporter des choses qu’un officier masculin n’envisagera jamais, des choses qui lui sauveront un jour la vie. Mais tu ne peux pas nier non plus qu’elle est un élément potentiellement erratique, non seulement à cause de ce qu’elle est, mais à cause du GH-325 également. Qui sait le résultat qu’il pourrait avoir sur son organisme ? Et tu as beau dire, tu sais aussi bien que moi qu’il y a des effets secondaires, Phil. Et je ne parle pas seulement de ton comportement. Tu crois que je ne sais pas pour tes crises de somnambulisme ? Que je n’ai pas remarqué que quand tu griffonnes machinalement sur un bloc c’est toujours les mêmes symboles qui reviennent, les mêmes que Garrett a écrit sur les murs après s’être injecté le GH-325 ? C’est ne pas garder l’évolution de la situation à l’œil qui serait irresponsable… »
Elle fait quelques pas sinueux de côté, attend quelques battements de cœur que la trajectoire de son kata vienne la ramener face à lui tandis qu’il rumine sa réponse.
« Et j’espère vraiment que je m’inquiète pour rien, mais je le fait autant parce que tu es mon ami que parce que c’est mon métier, de savoir ce que les gens cherchent à cache, de voir les signes annonciateurs. Nous sommes amis, Phil, et je sais que tu tiens particulièrement à Skye, mais ce danger est réel. Et si toi ou elle dérapez à cause de cela ou d’autre chose, je serai là pour avoir vos arrières. »
Elle cherche son regard, le soutient avec défiance.
« Et tu sais que s’il le faut je serai là pour te stopper le cas échéant, pas parce que c’est ma mission, mais parce que c’est ce que tu voudrais, s’il n’y avait pas d’autre issue. On ne sait quasiment rien du GH-325, et tu penses honnêtement que c’est une erreur de garder un œil sur les gens qui ont été inoculés avec ? Même si les gens en question sont des membres de mon équipe ?
- A leur insu ?
- Si c’est le seul moyen pour avoir des informations, oui. Nous sommes des espions, Phil. C’est ce que nous faisons. Est-ce soudainement inacceptable simplement parce que tu es concerné ? Ce serait hypocrite.
- Alors pourquoi admets-tu toi-même que tu aurais dû me le dire ? »
Il touche juste, et Melinda hésite un instant.
« Parfois j’oublie comment être une amie. J’ai du mal à différencier ce que je fais pour le job de ce que je fais pour les gens. Je surveillerais n’importe qui dans votre situation. Mais vous êtes mon équipe, tu es mon ami, et Skye… Quand je vous surveille vous, c’est différent. Je le fait parce que je veux qu’il ne vous arrive rien et que je peux peut-être faire quelque chose. »
Phil reste silencieux un instant, puis penche la tête sur le côté.
« Des fois je me dis que ce métier a complètement bousillé ma jauge des relations sociales. Être prêt à mourir pour quelqu’un, à mettre sa vie entre les mains de quelqu’un d’autre devrait être la plus grade preuve de confiance, non ? Comparé à ça, des choses comme les sentiments et tout le reste devraient être facile… Et pourtant. »
Melinda sait exactement de quoi il parle. Elle n’a jamais eu la socialisation aisée et d’entre eux deux Phil est clairement le plus sociable et le plus ouvert... mais dans leur domaine, cela ne veut pas dire grand-chose. Les rapports humains sont un verni indispensable, mais paradoxalement être prêt à donner sa vie pour un équipier ne signifie pas forcément qu’on est prêt à lui laisser gratter la surface et voir ce qu’il y a en dessous.
« Ce n’est peut-être pas la même chose de ton point de vue, Melinda, mais tes amis ne peuvent pas savoir que tu agis pour eux si tu ne le leur dit pas. »
Elle ouvre la bouche pour protester, mais il l'interrompt d’un geste de main.
« Je sais ce que tu vas dire, que je suis bien mal placé pour parler. Le boulot passait avant tout, et certaines choses n’ont pas besoin d’être sues… Mais obéir simplement aux ordres, garder les secrets… Regarde où ça nous a mené ! Incapables de distinguer nos amis de nos ennemis… Je n’ai pas de réponse gravée dans le marbre entre la nécessité de suivre les ordres, d’être discret, et celle de suivre son instinct, de s’ouvrir suffisamment pour construire puis entretenir la confiance… Mais je pense qu’en ce moment nous avons besoin d’être aussi honnêtes que possible entre nous, ou nous n’irons pas loin.
- C’est le genre de décisions que tu vas devoir prendre maintenant que tu es à la tête du SHIELD, Phil. Il va falloir t’y faire.
- Je sais. Mais pour nous j’ai décidé. Et puisqu’il faut être honnête, une partie de moi est soulagée de savoir que tu me surveilles, que si je ne suis plus moi-même tu sauras faire… ce qu’il faut. Je sais que tu sais faire les choix difficiles quand il n’y a plus d’autre option.
- Pour toi et pour Skye.
- Je suis heureux de l’entendre. »
C’est le moment d’ajouter le reste de ce qu’elle a en tête, mais les mots n’arrivent pas à se former, meurent avant d’attendre sa bouche. Admettre qu’elle est prête à abattre Phil et Skye au besoin est difficile, mais étrangement moins que reconnaitre le reste, de pousser Phil dans ses retranchements sur des sujets personnels.
C’est déjà beaucoup, les admissions qu’ils viennent d’échanger, presque douloureux. Suffisant pour cette fois-ci. Si rien ne change d’ici là, elle abordera le reste au retour de mission de Simmons.
Elle ne sourit pas en retour mais hausse les sourcils d’une manière qu’il sait interpréter comme étant son équivalent.
« Et maintenant dehors, Boss. Tu pars dans moins de trois heures, je suis sûre que tu as mieux à faire que m'empêcher de finir mes exercices. »
La notoriété soudaine de Black Widow la rend quasiment impossible à contacter de manière discrète, du moins pour le commun des mortels.
Heureusement pour Phil, Maria Hill a des raisons officielles de la croiser et il suffit d’un échange discret, une date et un lieu en code sur le revers d’un mouchoir prêté dans les toilettes du Congrès, où les sèche-mains sont en panne.
Cela fait, les paparazzis qui campent devant la porte de l’immeuble un peu défraîchi où Natasha Romanoff loue officiellement un appartement ne font pas vraiment le poids et six heures plus tard, Phil se retrouve dans la galerie d’arcade éclairée au néon bleu d’un centre commercial en fin de vie, au milieu du vacarme des jingles électroniques des jeux et des exclamations victorieuse ou rageuses des joueurs, qui rendent toute écoute impossible. Il arrive en premier, sachant d'expérience qu’elle ne se montrera pas tant qu’elle n’aura pas identifié son contact et repéré les lieux… Mais même ainsi, il lui faut un moment pour la reconnaître quand elle s’accoude à ses côté sur la table où il fait mine de siroter une bière trop chaude, coincé entre deux groupes de jeunes en sortie, une bande de collègues profitant d’un séminaire et la faune disparate habituelle à ce genre d’endroit.
Une frange blonde cache ses yeux, un maquillage discret mais diablement efficace brouille son visage en y accentuant des traits inexistants, et ses formes - ainsi que probablement quelques armes blanches judicieusement placées - disparaissent sous un sweat-shirt gris géant.
« Si Nicky n’était pas déjà mort je le tuerais moi-même », annonce-t-elle en guise de préambule et il pivote pour lui faire face, note la fixité de son expression, le pli à la commissure de ses lèvres qui n’a de signification pour lui que parce qu’il a été son officier traitant pendant près de sept ans - et plus important, parce qu’elle le laisse le voir. Il note aussi qu’elle est loin de lui faire confiance, si elle souscrit à la version du décès de Fury pour lui.
« Pour ce que ça vaut, je suis resté hum… absent pendant plusieurs semaines et je n’ai pu être réintégré que parce que Nicky a utilisé des moyens peu officiels pour forcer la situation. J’ignorais à quel point peu officiels jusqu’à il y a à peine un mois. Et je suis désolé que ma réintégration ait dû rester secrète, que tu-
- C’est une discussion pour une autre fois.
- Certains éléments sont pertinents au regard de la situation actuelle. »
Un sourire aussi acéré qu’une lame vive joue sur ses lèvres et elle secoue la tête.
« La situation actuelle n’est pas de mon ressort, Phil. J’ai fait le plus gros coming-out de l’histoire de la profession, la veuve est morte et enterrée.
- Pourquoi ? » demande-t-il. « C’était la seule solution, te mettre à nu avec eux ?
- Oui », confirme-t-elle simplement. « Parce que nos secrets étaient leurs secrets. Tant que nous étions dans l’ombre ils l’étaient aussi. Maintenant nous avons une chance de détruire toutes les têtes. Il y a un proverbe russe qui dit « Quand les punaises sont dans le matelas, il ne reste qu’à y mettre le feu ».
- Je suis à peu près certain que ce n’est pas un proverbe russe », réplique-t-il pince sans rire, et pour la première fois de la discussion, il voit une étincelle d’humour sur son visage.
« Et alors quoi », continue-t-il, « la retraite ? A d’autres. Tu sais aussi bien que moi que c’est loin d’être fini.
- Peut-être. Peut-être pas. Que veux-tu ? »
Il le lui explique et elle l’écoute avec attention, mais quand il a fini de parler elle secoue la tête.
« Je t’aiderai, mais je ne suis plus un agent.
- Qu’es-tu, alors ? »
Elle hausse les épaules.
« On verra bien, mais ce sera mon choix. J’ai fini d’obéir aux ordres. Tu devrais le comprendre. Tu as tué pour Nicky, accompli les missions que l’agence te donnait, mais combien de missions ont servi les plans de l’hydre ? La main gauche ignorait ce que faisait la main droite, comment peux-tu quantifier le mal laissé derrière toi ? En travaillant pour cette organisation je pensais éponger ma dette, mais le rouge n’a fait que s’accumuler...
- Tu as très littéralement sauvé le monde, Nat’ », objecte-t-il doucement. « Je suis sûr que tu as plus de crédit que de dettes.
- Mais ce n’est ni à toi, ni à moi d’en décider. Maintenant le livre des comptes est public, on verra bien ce qu’il en ressortira.
- Ce n’est pas seulement ta dette que tu as rendu publique, tu le sais... »
Il se retient d’élever la voix, c’est un point difficile depuis le début, mais il ne s’était pas rendu compte avant de le dire à quel point il lui en voulait pour cela, à quelle point la publication de tous les dossiers du SHIELD l'a presque autant ébranlé que la révélation des trahisons.
« Toutes les informations personnelles de tous les agents, leurs identités, leurs familles, les missions, les dossiers classés niveau huit, niveau neuf… Ce sont autant de bombes à retardement que tu as lâchées dans la nature, autant de couperets qui n’attendent que de retomber, tu…
- Tu penses que je l’ignore ? » l’interrompt-elle, et il y a soudain une colère froide dans son ton, cette honnêteté délibérée qu’elle sait si bien utiliser comme une arme. « Je n’ai pas seulement fait mon coming-out, j’ai entraîné tout le monde à ma suite, et j’en suis désolée, mais c’est ainsi. Je n’avais pas le choix. »
Avec une pointe de culpabilité, Phil songe que la porte s’est refermée pour lui et le reste de l’équipe grâce aux doigts de fée de Skye, qui a réussi à faire disparaître leurs profils, leur a donné de nouvelles identités… Si on veut filer la métaphore, il est plus profondément dans le placard que jamais, et ce n’est pas une pensée plaisante.
« Pardonne-moi «, murmure-t-il avec raideur, « tu as pris une décision sur le terrain et je suis mal placé pour la questionner. C’était injuste de ma part. »
Elle accepte l’excuse mais penche la tête, songeuse.
« Tu as changé », annonce-t-elle après un moment d’étude silencieuse. « Il y a quelque chose de différent. »
Phil grimace en réponse, avant de se rendre compte que l’expressivité du geste ne fait que corroborer l’analyse de la jeune femme. Il a toujours eu des rapports basé sur la franchise avec Black Widow, parce que c’est le seul moyen d’obtenir le respect de l’espionne, mais dans leur monde la franchise ne signifie pas pour autant l'honnêteté ou l'absence de secrets, pas plus que le déballage de sa vie privée. Et pourtant...
« C’est ce qu’on me dit depuis que je suis revenu », confie-t-il avec un haussement d’épaule. « May trouve que ma manière de gérer les relations interpersonnelles s’est assouplie et que je suis plus ouvert. Inutile de dire que venant d’elle ce n’est pas un compliment. Mais quand à savoir si c’est une réaction psychologique naturelle à ce qui m’est arrivé, ou un effet secondaire parmi d’autres des moyens utilisés pour me "réintégrer"...
- Je vois », murmure-t-elle en absorbant l'information avec son flegme habituel. Elle semble sur le point d'ajouter autre chose mais s'interrompt avec une œillade de côté. « C’est une bonne chose que May soit avec toi », dit-elle à la place. « Tu vas avoir besoin de quelqu’un pour couvrir tes arrières... »
Il ne compte pas entrer dans les détails du contentieux entre sa seconde et lui : Natasha ne comprendrait pas son sentiment de trahison. Sur ce point particulier, elle est comme Melinda : les ordres sont les ordres, et la loyauté personnelle n’entre pas en compte. Ce qui doit être fait l’est sans états d’âmes…
Sauf que non, bien sûr, il les a trop côtoyé l’une et l’autre pour se laisser complètement prendre à la fiction de leur insensibilité. Elles sont simplement incomparablement douées pour survivre, et masquer toute trace de faiblesse.
Natasha mordille l’une des manches élimées de son sweat-shirt d’un geste qui pourrait sembler machinal mais est en fait complètement délibéré.
« On a un journaliste aux basques », murmure-t-elle avec un subtil mouvement des yeux en direction du bar, « il va falloir écourter. »
Il ne se retourne pas pour vérifier, mais l’imite quand elle se lève et reste tétanisé par la surprise quand elle passe un bras autour de son épaule et le sert contre elle, presse la tête contre son épaule.
« Pour ce que ça vaut, je suis heureuse que tu sois en vie, Directeur Coulson. Les secondes chances sont rares, profite de la tienne. »
Et avant qu’il ait pu se remettre du double impact de son geste et de ses mots - c’est la première fois que quelqu’un l’appelle Directeur Coulson, et il ne s’attendait pas à la jubilation incrédule presque enfantine que cela provoque - elle ajoute : « Et je t’aiderai comme promis, j’ai des infos dont tu auras besoin. Hill te contactera », puis tourne les talons, disparaît dans la foule.
La suite
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