Titre : Something there
Auteur : Sterenn (Participant 34)
Pour : The Dowager (Participant 10)
Fandom : The Eagle / L'aigle de la 9ème légion
Persos/Couple : Marcus/Esca, l'oncle Aquila.
Rating : T
Disclaimer : L'univers est emprunté au film, étant donné que je n'ai pas lu le livre.
Prompt : Marcus et Esca sont partis à Rome à la fin du film en quête de nouvelles aventures. Je voudrais une fic où un observateur extérieur : un ami de la famille, un de leurs nouveaux amis, un autre voyageur intrépide, observe leur relation et finit par se rendre compte de ce qui les lie, de l'amour qu'ils ressentent l'un pour l'autre.
Note : désolée s'il y a des approximations historiques. Ma connaissance du monde latin et de sa langue n'est plus ce qu'elle était. J'espère que cela plaira :)
Résumé : Aquila se demanderait pendant longtemps s'il devait regretter avoir acheté Esca.
Something there
Aquila aimait profondément son frère. A la mort de celui-ci, il avait toujours gardé la tête haute face aux quolibets des vipères autour de lui. Il avait dû abandonner sa carrière politique, et faire sienne l'humiliation de son frère. Accablé par le chagrin et la honte, il s'était peu à peu construit une nouvelle vie à Calleva. Les quelques rares amis qui lui restaient lui étaient chers et c'était, pensait-il tout ce dont il avait besoin pour être heureux.
Jusqu'à ce qu'il fasse la rencontre de son neveu, le portrait craché de son frère, qui rallumait en Aquila les cendres douloureuses de souvenirs qu'il pensait définitivement enfouis.
Marcus Flavius était un Romain fier et honorable et Aquila était ravi d'appeler cet homme son neveu. Le récit de ses exploits n'avaient de cesse de l'impressionner, et il était étonnant que cette jambe brisée (inutile, chuchotait Marcus tard dans la nuit, quand il pensait que personne ne pouvait l'entendre, et brisant le coeur de tous ceux qui saisissaient le murmure) fut la seule séquelle qui subsistât de son dernier affrontement contre les Bretons insurgés.
Pendant plusieurs semaines, Aquila crut que les dieux jouaient cruellement avec lui et lui avaient offert la chance de rencontrer son neveu uniquement pour le lui enlever aussitôt, avant même qu'ils n'aient eu le temps d'apprendre à se connaître.
Aquila n'avait jamais eu d'enfants ni de femme. Trop idiot à l'époque où il aurait pu se marier, à l'époque où son frère guerroyait glorieusement aux confins de l'empire, il avait perdu toute chance d'épouser une Romaine après que la disgrâce avait frappé sa famille.
Quant à se marier avec une barbare, il n'y avait pas pensé, même pas une seconde ; il aurait préféré mourir plutôt que d'aggraver l'humiliation que subissait la famille Aquila depuis des années. Plus de vingt ans avaient passé, depuis la disparition de la neuvième légion, et le mystère de celle-ci n'était pas prêt d'être élucidé.
Marcus survécut.
Quand les médecins baissèrent les bras, son neveu s'était accroché, émergeant de ses délires fiévreux; et quelques semaines après son périlleux voyage jusqu'à Calleva, il parvenait à se déplacer. Aussi lentement qu'un vieillard, peut-être, mais Aquila savait à présent que son neveu vivrait. C'était la seule chose qui comptait, à présent. Et si Marcus devait boîter toute sa vie, Aquila ne pouvait retenir une bouffée de bonheur égoïste à la pensée que Marcus ne partirait plus assouvir la soif de conquête de Rome.
£££
Aquila se demanderait longtemps s'il devait regretter avoir acheté Esca. Après le départ de Marcus et de son esclave pour le nord du mur de Hadrien, il avait mille fois, maudit le nom du Brigante, certain qu'il lui fallait à présent pleurer la mort inévitable du dernier membre de sa famille - son fils, celui qu'il n'avait jamais eu, parti seul dans des contrées sauvages avec pour seule compagnie, un meurtrier sauvage qui lui trancherait la gorge aussitôt que le mur serait hors de vue.
Esca. Aquila rêvait de lui, certaines nuits. Dans ses cauchemars, les yeux du Breton étaient sombres et fous et meurtriers, sa bouche rougie de sang. Avec un sourire mauvais et des tatouages plus noirs que jamais, Esca exécutait son neveu et abandonnait son corps aux loups.
Esca, vêtu de fourrures sanguinolentes, le jeune gladiateur dont la bravoure avait fait lever la tête de Marcus.
Pourquoi avait-il laissé partir Marcus ?
La villa semblait plus déserte qu'elle ne l'avait jamais été et le silence des esclaves devenait assourdissant. Dans sa belle demeure vide, combien de fois Aquila avait-il maudit le nom d'Esca, fils de Cunoval et des Brigantes ?
£££
Ils revinrent.
£££
Tout d'abord, Aquila crut à une hallucination, un mauvais rêve venu le troubler en plein jour. Ce qui était curieux, car cela faisait des mois que ça ne lui était pas arrivé. Les cavaliers se rapprochaient et semblaient de plus en plus réels.
Marcus était là.
Marcus était revenu.
Et dans ses mains, l'aigle d'or de la neuvième légion reposait fièrement, attrapant les rayons du timide soleil de Bretagne.
- Mon oncle, dit Marcus, à voir ton visage je devine que nous avons voyagé plus vite que les nouvelles de notre succès.
Aquila écoutait sans comprendre. Et le fantôme de son neveu de lui jurer qu'il était en vie, en vie, en vie. Et avec lui, le barbare haï et maudit. Des larmes remplirent les yeux d'Aquila qui n'éprouva aucune honte à les laisser couler, tandis que Stephanos le retenait pour qu'il ne succombe pas à son émotion.
Esca descendit de sa monture avec prestance et sans un mot se positionna à côté de Marcus pour l'aider à descendre avec précaution. C'est alors qu'Aquila vit la jambe noire et sanguinolente de Marcus. Ce serait un miracle si l'infection et la gangrène ne gagnaient pas la blessure.
- Marcus.
- Je suis là. Je voulais te voir, avant que nous ne remettions l'aigle aux tribuns de la ville, ainsi que je l'ai promis. Je voulais que tu tiennes l'aigle, tandis que je te dis ceci : mon père n'était pas un couard ni un déserteur. Il fut le dernier romain à brandir l'aigle et il est mort en héros.
Soutenu par l'esclave, Marcus lui tendit l'aigle et Aquila toucha l'oiseau en or, saisi d'une furieuse émotion. Au doigt de Marcus, brillait l'anneau d'émeraude de son frère.
- Mon cher neveu, je n'ai aucun mot --
- Ne dis rien, alors.
Aquila étreignit son neveu. L'étreinte dura une poignée de secondes, assez pour les laisser tous les deux embarrassés par cette démonstration d'affection.
-Tu iras voir les tribuns demain. Pour ce soir, je t'en prie, laisse-moi te garder auprès de moi. Repose-toi, j'enverrai chercher le chirurgien. (Il accorda un nouveau coup d'oeil à Esca sans oser croire que le jeune Breton était revenu et que Marcus avait eu raison de lui accorder sa confiance. Il se demanda ce qu'il s'était passé et pourquoi Esca ne s'était pas enfui.) Esclave -
Marcus posa une main sur son bras. Son autre bras était passé autour des épaules d'Esca (un geste sans maladresse et familier, comme s'il avait été répété des dizaines et des dizaines de fois) et Aquila regarda, incertain la main de Marcus serrer l'épaule du barbare, moins par besoin de support que pour calmer le jeune breton dont les yeux brillaient à présent de colère.
-Esca est un homme libre à présent, dit Marcus en se raclant la gorge. Je te serais reconnaissant si tu lui accordais hospitalité et compassion, il m'a sauvé la vie plus d'une fois au cours du voyage.
Pour la première fois depuis qu'il avait acheté Esca, Aquila le regarda ; non pas comme un esclave, mais comme un homme. Il chercha des traces du monstre qui avait hanté ses cauchemars pendant des mois, mais à la place des yeux fous, de la soif de sang, il ne vit qu'un homme épuisé et poussiéreux, incroyablement jeune. Aquila soupira.
-Allez prendre un bain tous les deux. Cela délassera vos corps et vos esprits. Je vais demander à Stephanos de préparer un lit pour ton -- ami.
Il hésita sur le dernier mot, mais ni Marcus ni Esca ne bronchèrent. Marcus sembla même soulagé par sa réaction.
Les deux hommes gagnèrent l'atrium d'un même pas. Une fois encore, Aquila se demanda ce qu'il s'était passé au cours de ce voyage impossible, pour qu'ils reviennent tous les deux en vie et libres, l'un de ses chaînes, l'autre de ses démons.
- Marcus ! appela-t-il avant qu'ils ne disparaissent de sa vue.
Son neveu se retourna.
- Bienvenue chez toi.
Marcus sourit et Aquila sentit les coins de sa bouche se relever en réponse.
-Merci mon oncle.
£££
La douleur de Marcus était étourdissante, terrifiante. Une fois encore, sa convalescence risquait d'être aussi longue que douloureuse. Aquila ne comprenait pas comment il avait pu survivre à son voyage au-delà du Mur et revenir, avec la blessure à sa jambe devenue noire et douloureuse à cause des privations et du manque de soins. C'était un miracle, une grâce de Mithra qu'il ne l'ait pas perdue.
£££
Le lendemain, au dîner, Aquila les regarda s'installer tous les deux à sa table ; Marcus et Esca. Il n'aurait jamais imaginé accepter un ancien esclave à sa table ; mais Aquila avait pu observer les limites de son imagination, ces derniers temps. (Le retour de son neveu, l'aigle dans ses mains, symbole de sa fierté et de son honneur retrouvés, les blessures de l'âme de Marcus, jadis béantes qui se refermaient lentement - Aquila soupçonnait désormais que Esca, et cette drôle de chose entre eux, y était pour beaucoup.)
Il les avait entendu parler, dans une pièce ; il savait que ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils ne quittent Calleva. Aquila essaya d'ignorer le poids qui lui comprimait la poitrine à cette idée et il mâchonna sa volaille, essayant de savourer le goût sans vraiment y parvenir.
La viande avait le goût amer de la séparation.
£££
Ils étaient toujours ensemble, Marcus et Esca. Peut-être même davantage que lorsqu'Esca devait servir Marcus. Aquila ne les voyait jamais longtemps l'un sans l'autre, Marcus se servant des épaules ou des bras d'Esca comme bâton, pour soulager la faiblesse de sa jambe.
Ce n'était qu'une question de temps avant que Aquila ne les surprenne dans une étreinte. Toute chaste celle-ci fût elle, cela ne l'empêcha pas de vivement détourner les yeux - il se sentait gêné et un peu ridicule, et recula avec l'impression que cette scène était intime et ne souffrirait aucun témoin.
£££
Le poids de cette loyauté broyait son coeur et parfois, Aquila se demandait comment Marcus parvenait à accepter cette dévotion et comment Esca, qui haïssait tout de Rome, en était arrivé là.
C'était quelque chose forgé dans les forêts au-delà du mur, c'était avoir survécu et être revenu ensemble et quelque chose d'autre encore.
Aquila s'effaça à pas de loups.
Il prétendrait n'avoir rien vu (encore). Il prétendrait ne rien savoir.
£££
Plus tard quand Stephanos confesserait à mi-voix qu'Esca ne dormait pas dans sa couche, Aquila ne serait pas surpris.
Il aurait une assez bonne idée de l'endroit où Esca dormait, mais il ne dirait rien.
C'est quelque chose qui n'appartenait qu'à eux.
(fin)