La vague - chapitre 1

Jun 12, 2007 00:15

Titre : La vague [1/?]
Auteur : AnnaOz
Personnages : Fahd, Amjad, Chokri, et tout plein de monde
Rating : PG-13 (pour violence totalement historique ^^;;)
Nombre de mots : 1000 et quelques mots minables


Les cloches de Santiago de Compostela sonnent au fracas depuis le lever du jour.

Les femmes et les enfants, des pèlerins pour la plupart, se ruent en masse aux portes des monastères de San Paio de Antealtares et de San Pelayo ; en vain, car les mercenaires du terrifiant el-Mansour, le Victorieux, ravagent déjà avec fureur l’intérieur des lieux saints. Bientôt, le carillon vociférant des cloches est noyé par les éclats d’horreur des chrétiens submergés par la vague de pillages et d’assassinats initiée par le chef de guerre du Calife de Cordoue.

Il y a des vols d’esquilles aux portes qu’abattent les Saqaliba, des éclairs d’argent brut qui jaillissent du choc des cimeterres contre les rares épées, cognant et cognant sans entendre ni la reddition, ni les derniers gargouillis d’effroi qui s’égouttent des gorges mises à vif.

C’est un carnage, et Fahd bouillonne d’y participer : il a vingt ans, il est homme et homme fait, depuis un infini de lunes, il pourrait, devrait, y être avec les autres, traverser la ville à cheval dans le galop du Victorieux !

…mais son père a dit « Mon fils, laisse les bêtes se tuer entre elles, cette terre mouillée de rouge ne fera pousser aucune fleur que tu n’aies envie de cueillir. Regarde, Fahd, de tous tes yeux, ce que la coupable invocation du nom d’Allah, Gloire à lui, qui s'est élevé au dessus de tous, pousse à commettre. »

Fahd voit, entend son père, mais l’envie de prendre part à la razzia lui chatouille le bras du sabre, il y a si longtemps qu’on ne l’a plus laissé combattre ; et encore, à l’époque, il n’y avait contre lui qu’une poignée d’insurgés espagnols. Ici, c’est une ville, une nuée d’âmes, qu’il faut affronter, renvoyer en sanglots à leur dieu imposteur ; et même si les hommes du vizir tailladent avec succès sans l’aide de sa lame démangeant de s’imbiber du sang des infidèles, il reste à Fahd l’amertume des raids précédents, ceux auxquels non plus, il n’a pu prendre part, attaché au palais, au Calife.

« Si tu voulais qu’un de tes enfants te tienne la main pendant le spectacle, Père, il fallait faire venir ma sœur ! » siffle-t-il en empoignant les rênes de sa monture. « Sans doute aurait-elle versé avec toi quelques pleurs. » ose-t-il à peine ajouter, soulagé que le brouhaha qui les entoure couvre ses derniers mots : il est assez humiliant pour un fils d’avoir dans sa famille un protecteur des chrétiens… que d’autres s’en aperçoivent, et il ne serait plus que le premier né d’un protecteur mort. Je vais te ramener la tête d’un de ses fils de chien rumine-t-il rageusement en fouettant les flancs de son animal.

Très vite, pourtant, sa férocité s’amenuise, devant les corps ouverts de toutes jeunes filles et de gamins à peine plus grands que son petit Mahboub, il doit relever la tête pour fixer droit devant, là où les flammes lèchent la façade jaune de la Basilique des roumis.

Au bas des marches, les Saqaliba poussent des hommes à l’intérieur, dans la fournaise, rient de les voir ressortir pour se lancer les yeux fermés, en suffoquant, contre leurs piques. Il faut qu’un des suivants d’el-Mansour leur rappelle qu’ils auront besoin de bras pour ramener à la medina les cloches volées aux églises et les portes arrachées aux murailles de la ville pour qu’ils arrêtent de s’amuser.

Fahd va s’éloigner, chercher plus loin un coin où on se bat vraiment, quand il entend les sabots d’un cheval, des geignements aigus et une voix amie qui le hèle.

« Va, va, la Panthère, tu as pu échapper à la très sage compagnie du très noble Amjad ? Louée soit la chamelle qui a vu naître le jour où le fils quitte les embrasses de son père ! »

Chokri…

« Eh, fripouille ! Est-ce de la chamelle ta mère que tu me parles là ? Baigné d’une pluie de mille larmes soit le matin où tu cesseras de téter ses mamelles taries ! »

« J’ai dit Panthère ? Hola, c’est d’un chaton pourtant qu’il s’agit ! Rentre tes griffes, joli chat… »

Fahd fait mine de dégager son cimeterre, prend une pose agressive, rejetant en arrière une mèche de ses cheveux noirs, en signe de défi, puis, avec un sourire éclatant de vraie jubilation, pousse un long miaulement plaintif.

« Ah ah, voilà le terrible matou ! » éclate l’autre jeune homme, sautant bas de son cheval et agrippant sans ménagement les cuisses du cavalier félin.

« Mon ami… » murmure-t-il, avec une émotion sincère qui fait trembler et ses yeux, et sa voix, soulève sans attendre Fahd de sa monture.

« Chokri, mon frère ! » rugit le garçon, emprisonnant le souffle de son compagnon de joutes d ‘enfance contre sa poitrine, serré fort.

« Pas encore, ma Panthère, pas encore, la douce Anane n’est pas aussi déterminée que toi à me faire entrer dans la famille… »

Fahd étouffe les protestations de son ami contre son cœur, respire longuement au creux de son épaule, y essuyant en hâte les perles à ses cils, et il faut un cri strident qui fait ruer son cheval pour qu’il se détache des bras de Chokri, maîtrisant l’animal et retrouvant tout à coup la possession de ses sens : tout craque autour, hurle, déplace nuages de poussières et rangées d’hommes, tirant avec des cordes les cloches bourdonnantes, trésor de guerre et facile humiliation à la face des infidèles.

« Ne restons pas là, il faut rejoindre les forces du vizir ! » s’exclame-t-il en voyant s’écraser à ses pieds une poutre embrasée.

Aussitôt, ils regrimpent en selle, côte à côte, cherchant des yeux une couleur, une étoffe, qui annoncerait les rangs du Victorieux, ne distinguent que chaos et saccage, sur des mètres, et des mètres, et des mètres devant.

Puis, comme un point minuscule mouvant dans le carnage, un homme, blond de mine, en vêtement de bure.

Fahd sourit, le désigne du doigt à son compagnon, et souffle : « Attends, j’ai promis un cadeau à mon père… »

pg-13, fic originale

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