La vague - chapitre 5

Jul 11, 2007 13:11

Titre : La vague [5/?]
Auteur : AnnaOz
Personnages : Aster, Fahd, Ouadid
Rating : PG-13
Nombre de mots : 1100 encore

Finalement, ce n'aura guère été plus rapide...
Un chapitre où il ne se passe pas grand chose à mon goût, mais qui sera suivi dès ce soir (ou demain, selon mes maigres disponibilités) d'un flash back sensé combler le manque de Chokri dans cette partie (attention cependant que le rating plus élevé fera qu'il sera locké, et qu'il faudra donc être membre pour le lire - mais il ne contrariera pas le fil immédiat de l'histoire pour la suite).


Ouadid a de la poussière jusqu’en haut de sa tunique qui se mêle à la sueur inconfortable lui coulant entre les omoplates, il a trébuché trop de fois pour en retenir le compte, souillant le lin grège de ses habits dans la terre galicienne. Dans le sang galicien aussi certainement, de cela il ne peut être sûr, la terre est si rouge qu’il veut se bercer d’illusions.

Il est si sale que le très noble Amjad ne le reconnaîtra probablement pas quand il reviendra courir dans les sabots de son cheval ; il est si sale que le jeune Fahd le prendra peut-être pour un diable étranger, vêtu de loques et de noirceur, au point qu’il voudra sans doute le chasser sans l’écouter ; il est si sale qu’il en arrive enfin à se dégoûter de lui-même…

C’est la première fois qu’il assiste à un raid, son maître ne tenait jamais, auparavant, à suivre les attaques du Victorieux, demeurait auprès du calife, l’abreuvant de conseils, tandis que lui, Ouadid, s’abreuvait de vin doux coupé d’eau miellée. Il ne sait trop ce qui a décidé le très sage cette fois-ci, il ne s’en serait pas soucié s’il n’avait eu à marcher autant, à voir trop, et s’était pris le goût de réfléchir.

&&&

« Qu’attends-tu pour crever, maudite carne ? »

Fahd, depuis le départ de Chokri, observe le roumi en silence, se contentant de l’agonir en pensées uniquement ; il se convainc que c’est parce que l’autre n’y comprendra goutte qu’il garde rentrés tous les mots féroces qui pourraient lui tomber des lèvres. En vérité, il fulmine tout autant sur Chokri qui l’a déserté : on ne fait pas cela quand on est, comme eux, amis à ce point, c’est indigne !

Il enrage, oui, et de dépit, donne un coup de pied léger dans le flanc du garçon blond à terre, qui gémit en réponse, preuve s’il en est besoin, que oui également, il vit toujours.

Il rendrait bien une taloche au chrétien s’il n’avait aucun scrupule, s’il ne reculait pas devant une excessive cruauté… il faut dire que l’excitation de plus tôt est retombée, que l’odeur écarlate qui s’écoulent des plaies ne l’enfièvre plus autant, faisant monter une vague qui le laisse nauséeux : ce serait bien plus simple s’il voulait se contenter de mourir, et de mourir vite !

Mais le fils de chien retarde son trépas, hoquète avec peine, crachote une salive teintée de sang, il faut que Fahd se rapproche d’un pas pour voir que de ses yeux pâles s’échappent des sanglots muets.

Alors, à cause des larmes, Fahd en veut plus encore à Chokri, juge que c’est abject de lui avoir volé le tranchant de sa lame, qu’au moins il eût pu en finir, comme si cela n’avait pas été assez de l’avoir déjà escroqué de la satisfaction de trancher ce cou-là, d’une main nette et rapide. Assez incroyablement, plus il sent grandir en lui sa rancœur envers son ami, plus s’étiolent ses résolutions meurtrières, il est à deux doigts de regrimper à dos de sa monture.

« Shoukran jazilan… »

&&&

Aster a vu partir son assaillant avec détresse, le cœur étreint de plus en plus lourdement à chaque claquement du cheval qui s’éloigne. L’homme barbu n’avait pas l’air sauvage de celui qui demeure, le souci qui ridait son front semblait réel… il lui parlait d’une voix douce, sans les à-coups brusques des aboiements du plus jeune. Avec lui, il ne craignait pas vraiment la mort.

A présent, Aster a peur, peur de la douleur plus que de tout le reste, et de ne pas mourir tout à fait, de passer des jours entiers à attendre, et voir venir le soleil, la lune, les charognards, la lente putrescence sans pouvoir rien faire pour la hâter ; aussi, décide-t-il qu’il doit vivre.

Il lutte, à sa façon, pour attirer sur lui la bienveillance du destin, tente de prouver qu’il n’est pas que ce petit novice maladroit, souffreteux en hiver, démangé par les chaleurs en été, relégué aux petits travaux, de cuisine, de jardinage, d’entretien des cellules, parce qu’il a, paraît-il, les mains trop menues pour travailler plus, la voix trop faible pour se faire entendre des pénitents, laissant à d’autres moines plus gaillards le soin d’accueillir les pèlerins.

Il est le petit frère Aster - cela n’est même pas son nom mais il ne s’en connaît aucun autre - et il ne mérite pas sans doute de deviner encore la tiédeur sur sa gorge, le blanc ensoleillement qui l’aveugle parce qu’il n’a pas la force de fermer ses paupières mouillées d'eau salée, quand d’autres, plus légitimes que lui, servent déjà de festin aux mouches, mais il doit vivre.

« Shoukran jazilan… »

Il ne sait pas d’où lui sont venus les mots, il en ignore aussi le sens, ils sont là, avec d’autres, sur le bout de sa langue, sortis tout droit d’un pan insoupçonné de sa mémoire. Il se demande s’ils auront le moindre impact sur le Sarrasin qui le contemple de tout en haut…

&&&

« Shoukran jazilan… »

Fahd a bondi, sursauté d’abord, en entendant le gargouillis de voix lui parler dans sa langue. Il a fallu que le chrétien répète les mêmes mots, les mêmes sons, deux, trois, quatre fois d’affilée pour qu’il convienne qu’il ne se trompe pas.

« Fils de chien, tu cachais bien ton jeu ! » gronde-t-il, agrippant et le tissu taché de sang, et l’épaule frêle en dessous. Il le secoue, secoue, secoue, grondant plus fort, la tête blonde ballote d’un côté à l’autre, murmurant les mêmes merci éperdus avec une ferveur qui donne à son corps, crispé sous les mains de Fahd, une raideur presque cadavérique.

Puis, il crie.

Puis, il s’arrête. Et la tension de tous ses membres devient mollesse, retombant comme une poignée de grain sur le sol de la cité en flammes.

Il pourrait être mort si Fahd ne sentait vibrer sous ses paumes, un battement, léger, quasi imperceptible. Il laisse ses doigts fouiller la peau livide, apprécier sa chaleur.

Etrangement, à présent qu’il possède un mystère, Fahd ne souhaite plus tant la mort du roumi : il pourrait, vivant, présenter un cadeau bien plus enthousiasmant pour son père qu’un crâne qui ira blanchir avec d’autres dans les jardins privés de la médina.

&&&

Lorsque enfin, après avoir suivi bien des conseils et des routes ne menant nulle part, Ouadid retrouve la trace de la panthère, qu’il distingue l’accorte silhouette de son jeune seigneur, il l’aperçoit accroupi, occupé à donner à boire à un garçon blond soutenu aux aisselles par les bras du fils de son maître.

Ses jambes fourbues renaissent d’une nouvelle vigueur et il court : au train où l’eau s’enfuit hors de l’outre, coulant sur le menton et les vêtements éventrés, il ne restera plus une seule goutte pour lui !

pg-13, fic originale

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