Anthologie: Sansucre ajouté
Titre: Messagerie instantanée
Auteurs: drakys & supaidachan
Fandom: Original > Les nouvelles aventures des Losers!
Personnages: Sanson et cie
Rating: PG
Nombre de mots : ~4300 mots
Disclaimer: ironie & bas blancs (drakys & supaidachan)
Notes: Tout est
ici. Posté pour
flo-nelja dans le cadre d'
ecrirepouraider.
Même si l'idée d'une série de donjons courtisait sérieusement l'intérêt de Deriner (Imaginez tous les pièges !, s'était-elle exclamée, avec de riches veines de bendhur dans les yeux - parce que les étoiles, c'était bon pour les humains. Imagine toutes les variétés de fleurs qu'on va croiser d'ici au puits où est la seconde Pierre de Vœux !, avait impitoyablement contré Sanson, surprenant les autres par sa rapidité d'esprit), il fut décidé que l'acquisition de la deuxième Pierre de Vœux était leur objectif principal. Mais pas principal principal, avait rappelé la naine. Leur objectif principal principal étant de Rendre son Royaume à Sanson (cf. Combattre Sans Défaillir jusqu'à la Mort) et ce, via la phase déjà entamée de Rendre Sanson moins Nul en Situation de Combat.
Une résolution supplémentaire fut également décidée, après des discussions houleuses. Il avait précédemment été décidé que Noir Doit Être Soigneusement Ficelé Pendant les Séjours dans les Auberges. L'argument s'était déroulé à peu près ainsi :
"Je m'insurge avec force et véhémence contre ce traitement inhumain-
- C'est peut-être inhumain, gamin", avait grincé Deriner, "mais je te signale que Noir est rehven, pas humain, alors ça ne s'applique pas à lui.
- Il n'est guère beaucoup plus honorable de l'exclure ainsi d'une discussion concernant notre avenir commun et surtout, sa liberté personnelle-
- Ouais, bah tu sais ce qu'il te dit, notre avenir commun ?", siffla Sanson avec humeur. "Notre avenir commun a très envie de dormir dans un lit confortable avec un gros édredon super doux et manger des repas chauds à s'en faire péter la panse ! Et surtout, notre avenir commun n'a pas envie de se faire jeter dehors parce que Noir fait les poches de tout le monde ! ...Parce que je ne sais pas si tu as remarqué, mais d'habitude, c'est la manière dont est interprétée sa manie de récupérer des", Sanson eut recours à la tradition intemporelle de mimer des guillemets dans l'air pour mieux illustrer son propos, "objets perdus.
- Je vous l'accorde, mon bon prince, les chemins sont durs, les nuits se rafraîchissent avec une obstination et une régularité qui témoigne de l'hiver proche et il est certes à déplorer que-
- Que tu étires l'argument pour rien... Vote ?", suggéra Sinis.
Trois mains sur cinq se levèrent pour que Noir soit soigneusement ficelé pendant leurs (rares) séjours dans les auberges sur leur chemin. Ainsi, à l'Auberge du Grand Chien Pourpre, Mais Pas Trop Quand Même, avec de Fines Rayures Canari et d'Autres Plus Larges et Jaune Plus Foncé (le panneau nommant l'auberge était presque plus grand que l'établissement lui-même - le propriétaire aimait dire que les voyageurs remarquaient sa présence de loin), Noir avait été soigneusement ficelé.
Mais quand même, après avoir été nourri. Il n'était peut-être pas humain, mais personne ne voulait avoir sur le dos une hypothétique Ligue de Défense des Droits Fondamentaux des Rehven. ...Si les rehven prenait jamais le temps de l'organiser, étant beaucoup plus occupés à faire les poches de tout le monde récupérer des objets perdus.
Le hic fut que Noir se transforma illico en corbeau pour se libérer, menant à l'échec instantané de la résolution Noir Doit Être Soigneusement Ficelé Pendant les Séjours dans les Auberges. Par chance, Noir lui-même apporta une solution :
"Si vous m'attachez, je ne pourrai pas voler~!
- C'est bien ça l'idée !", grogna Deriner.
"Hé, minute, Zahid lui traçait un genre symbole sur le front, non ?", se rappela Sanson. "Un glyphe-machin ou je ne sais trop quoi...", il jeta un regard insistant vers Sinis.
"Les sorts pour empêcher les transformations sont complexes-
- Tu ne sais pas les faire ?", l'interrompit Sanson.
Sinis lui accorda un regard irrité.
"...Non", admit-il.
"Si vous ne m'attachez paaas~", proposa alors Noir. "Je ne vous embêterai paaas~!"
Des regards pas trop convaincus se tournèrent vers lui.
"Messire emprunteur, il te faut réaliser cette importante vérité : pour ne pas nous embêter, il ne faudrait point que tu... découvres objet brillant ou bourse rondelette...
- D'accord~!", s'enthousiasma Noir.
"Tu es d'accord ?", s'étonna Deriner. "Attends, comment tu peux être d'accord ? Pour les rehven, voler c'est comme... c'est comme l'importance d'une barbe soyeuse pour les naines !
- Je n'ai qu'à partir, qu'à m'en aller~", vint la réponse chantonnée. "Si je ne suis pas là~, on ne vous embêtera pas~!"
Il y eut un silence, le temps que l'univers se réorganise à la hâte autour du fait que Noir venait d'émettre une réflexion sensée.
"Tu veux... t'en aller ?", demanda Sanson.
Le rehven hocha la tête.
"...Pourquoi ?", voulut savoir Sinis après s'être assuré que le contenu de ses poches était encore dans ses poches et constaté que Noir n'était pas pressé de s'en aller parce qu'il les avait tous dévalisés.
"En fait, c'est que le tonton du cousin de l'ami du frère de la tante du voisin de la grand-mère de mon ancien-", Noir s'interrompit en constatant le désintérêt poli des autres pour l'origine de son problème. "Je dois retourner chez moi~", résuma-t-il.
"Oh !", fit Deriner.
"Ça fait du sens", approuva Sinis.
"Quel émouvant moment, je ne puis m'empêcher de louer ton honorable sens du dévouement !
- Génial, on va enfin pouvoir passer toute une nuit dans la même auberge", conclut Sanson.
Il évita plus par miracle que par adresse la claque que Deriner dirigea vers lui, se contentant de se laisser fusiller par son regard noir.
***
Deriner se laissa tomber sur une chaise avec des cernes tellement énormes qu'ils finissaient quelque part dans sa barbe. Perceval-Dorian hésita. Il commença par discrètement signaler à l'aubergiste qu'une choppe de bière s'imposait. Il attendit qu'elle apparaisse sur la table et Deriner, d'un geste mécanique, se mit à boire. Elle continua par contre à fixer le même point de la table, l'alcool ne faisant encore rien pour réveiller ses neurones.
"Belle dame naine", se risqua éventuellement (après la troisième choppe de bière) le paladin. "Je ne voudrais certes pas m'inviter sans votre bénédiction dans vos habitudes nocturnes, mais serait-il du domaine de la possibilité viable que votre sommeil ne fut point tout à fait réparateur ?"
Elle le dévisagea et, une bonne minute plus tard, son cerveau interpréta la question.
"Je n'ai pas très bien dormi, non."
Deriner soupira, signala l'aubergiste pour une quatrième choppe de bière.
"C'est ce pauvre petit Noir qui m'inquiète. Partir comme ça, seul. S'il- ou qu'il-! Oh, je suis si inquiète !"
Perceval-Dorian regretta de ne pas avoir reçu une formation décente en matière de Réconfort, via un cours accrédité et une mention sur un diplôme. Il hésita. Peut-être devait-il lui tapoter la main ? En disant là, là pour la calmer ? Peut-être serait-il plus bienséant de- Il écarquilla les yeux quand la naine sortit un mouchoir de sa manche pour s'éponger les coins des yeux.
"Je ne pleure pas !", se défendit-elle en lui lançant un regard meurtrier.
"Hmnn", Perceval-Dorian préféra de loin lui répondre quelque chose de vague et surtout, de quasi inaudible.
"Et s'il lui arrive quelque chose ? Je ne me le pardonnerais pas !
- Oh, belle dame naine, je vous en prie, ne vous tourmentez pas pour son avenir. Vous savez tout comme moi que messire emprunteur est un rehven de mille talents, fussent-ils d'une morale douteuse, comme le vol, la fuite et la maniement fort créatif de ses petits couteaux."
La naine lui lança un regard mouillé ; Perceval Dorian, au prix d'un grand effort sur lui-même, parvint à ne pas reculer - il était paladin d'Aubrey, après tout ! C'était sa vocation d'aider les gens ! Mêmes les naines qui pleuraient d'une façon absolument terrifiante, comme si elles allaient vous mettre un coup de hache dans la tête si vous osiez commenter de près ou de loin le fait qu'elles pleuraient !
"Tu crois ?"
"Hmnnii", lui assura-t-il, sans trop vouloir se commettre.
Malgré le manque évident d'enthousiasme de sa réponse, Deriner retrouva un début de sourire. Début de sourire qui continua à s'élargir dès qu'elle eut avalé d'une gorgée le contenu de sa huitième choppe de bière. Requinquée, la naine en commanda deux autres pour la peine et décida qu'un petit déjeuner fort léger de saucisses bien grasses, de patates grillées, de tranches massives de jambon et de crêpes coulantes de beurre fondu et de sirop épais saurait lui remonter encore plus le moral.
"Merci gamin !", s'exclama-t-elle, une fois installée devant la petite montagne de nourriture devant elle.
"Et si dans cette direction se porte votre préférence, belle dame naine", lui assura Perceval-Dorian. "Nous pouvons tout à fait nous efforcer de faire les détours qui s'imposent pour aller vérifier aux cages si notre ailé ami ne s'est pas fait prendre."
Il réalisa, dix secondes trop tard, que ce n'était pas la chose à dire.
***
Sinis et Sanson eurent l'impression de débarquer en plein milieu d'une guerre. D'une guerre aquatique, considérant les torrents de larmes tout sauf discrets de la naine, qui forçaient dans leur non-subtilité le reste des voyageurs, l'aubergiste et sa femme à rester dans le coin le plus éloigné de l'auberge, histoire qu'ils ne soient pas forcés de s'en mêler (et pour légèrement atténuer le son). Ils échangèrent un regard et Sinis recula d'un pas, avec la ferme intention de retourner dehors pour s'entraîner un peu plus longtemps, pour aller jeter au coup d'oeil au Babillard ou pour tout simplement être ailleurs : Deriner allait bien finir par se calmer toute seule...
Sanson lui bloqua toute retraite (avec peut-être l'ombre d'un sourire sadique).
"Oh, tu veux prendre la fuite ? Alors que tu fais exprès de m'emmerder pour que je ne prenne plus la fuite quand ça m'arrange ?
- Euh, je crois qu'on fait face ici à un genre de catastrophe naturelle, il vaudrait peut-être mieux-
- Si personne ne fait rien", siffla Sanson, "on va se retrouver avec deux crises de larmes sur les bras !"
Il pointa le paladin, qui paraissait s'approcher en vitesse de la dépression nerveuse (ou de la surdité totale, c'était une autre possibilité). Le message dans les yeux pâles de Perceval-Dorian était clair : Aidez-moi, par pitié ! Sanson s'approcha résolument, tira une chaise et s'installa près de Deriner.
"Qu'est-ce qu'il y a ?
- C'est- c'est- c'est Noir !", larmoya la naine après un reniflement qui s'apparentait de toute évidence plus à la famille des tremblements de terre qu'à celle des reniflements. "Pauvre petite bête, il est seu-euuuu-euuuuuuuul !
- ...Et ?", demanda le prince.
La naine arrêta une seconde de pleurer, choquée par son évident manque de considération, et le dévisagea. Elle fronça son sourcil d'une façon qui avait envie de dire qu'elle n'était pas contente.
"Et ?", répéta-t-elle avec une agressivité palpable dans la voix - peut-être parce que sa main s'était posée sur le manche d'Avro le Conquérant.
"Et qu'est-ce que ça fait qu'il soit parti ?", voulut savoir Sanson en pigeant dans l'assiette pour s'approprier une saucisse avant qu'elles disparaissent toutes. "Les trois quarts du temps, déjà, il faisait ce qu'il voulait, quand il voulait et si on savait qu'il était là et qu'il ne faisait pas nos poches, on pouvait se considérer chanceux. Très chanceux", ajouta-t-il après une bouchée et une réflexion. "Mais pas si chanceux que ça, parce que ça voulait surtout dire qu'il faisait les poches de quelqu'un d'autre."
Un silence se matérialisa, solide et quasi impénétrable, et Perceval-Dorian et Sinis échangèrent un regard, les paris ouverts à savoir si leur prince allait se retrouver avec un membre en moins ou seulement avec une hache dans la tête. Deriner fronça un peu plus son sourcil ; Sanson mâcha ce qui restait de la saucisse, se risqua à attaquer les patates grillées et démolit le mur du silence.
"...Tu n'as pas pleuré comme ça quand Zahid est parti", fit-il remarquer.
"Zahid n'a pas- il n'a pas annoncé qu'il partait !
- Non, c'est certain. Il était un peu pressé de se tirer, j'imagine, avec la Pierre de Vœux volée et tout."
Le silence revint, un peu plus mou qu'avant, Deriner s'y aventura.
"Ce n'était pas vraiment... du vol...
- Juste un emprunt à très long terme sans espoir de retour du bien emprunté. ...Bon alors, qu'est-ce qui ne va pas, pour vrai ?", demanda-t-il en la dévisageant.
La naine baissa les yeux. Perceval-Dorian et Sinis échangèrent un autre regard, se demandèrent où Sanson était allé pêcher toutes ses ressources de perspicacité et s'il était possible qu'ils en profitent aussi. Sanson attendit que le silence s'étire assez et vint trancher son long fil.
"Je peux avoir dix pièces d'or ?
- Quoi ? Mais tu es malade ! Je ne vais pas te prêter dix pièces d'or quand je viens tout juste d'en dépenser-", elle s'étouffa presque sur l'aveu, se mordit la langue pour éviter de dire le montant précis.
"Ah HA !", s'exclama Sanson en la pointant de l'index. "Traîtresse au budget ! Je le savais ! Hop, un petit coup de déprime et tu nous flambes tout le contenu de notre bourse commune !
- Je n'ai pas dépensé tant que ça !", se défendit Deriner.
"Tu as acheté quoi ?
- ...kit de forgeron transportable...", fut la réponse, dans un grommelement.
"Il n'y a pas de quoi se désespérer autant pour ça", s'étonna Sinis. "Ce sera pratique. C'est une dépense... justifiable", hasarda-t-il, se demandant sérieusement si le concept de dépense justifiable était accepté dans la société naine ou si toute dépense était automatiquement injustifiable.
"Ce n'est pas ça le problème !", s'emporta Deriner. "Le problème, c'est que son cheval est trop petit pour tout transporter !", elle pointa Perceval-Dorian comme s'il l'avait insultée.
Le paladin supporta sa fureur avec calme et surtout, sans mentionner que c'était peut-être le kit de forgeron transportable qui était trop gros.
"Belle dame naine, si cela est la seule problématique qui vous trouble, il me fera plaisir de rendre cette intolérable situation plus supportable.
- Et comment, hmm ? Tu peux gonfler ton canasson, peut-être ?
- Oh, cela en particulier m'est bien sûr impossible, ce pauvre Étienne-Tristan-Romuald-Oreste-Nathaniel troisième ne saurait apprécier pareil traitement. Je pourrais par contre entrer en communication avec mes frères et trouver, à défaut de chaussure à notre pied, cheval pour ce kit à transporter."
Deriner le regarda comme s'il était Gadoki lui-même.
"Tu peux faire ça ?
- Il m'est certes possible d'au moins prendre le temps nécessaire pour demander.
- Tu es merveilleux, gamin !"
Perceval-Dorian rougit considérablement et marmonna quelque chose sur l'obligation morale d'aider son prochain, surtout s'il était dans une situation telle qu'il était nécessaire qu'on l'aide. La naine se laissa glisser en bas de sa chaise et les entraîna à sa chambre pour leur montrer les boîtes à transporter, babillant à chaque pas sur la générosité du paladin et sa gentillesse, sans oublier sa bonté, son dévouement et son don de soi, qui ne rivalisaient qu'avec une longue litanie d'autres qualités, la perfection de ses dents, son sourire tout aussi blanc qu'envoûtant et la douceur de l'ondulation de ses cheveux d'un si beau blond. Amusés, Sinis et Sanson murmurèrent entre eux des paris à savoir combien de temps Perceval-Dorian pourrait supporter sans s'évanouir une si violente attaque de compliments.
"Voilà, c'est ça !", montra Deriner en leur désignant les boîtes empilées proprement près de la porte de sa chambre.
Sinis ne s'y connaissait pas tellement en forgerie, certainement pas plus loin que de pouvoir différencier une enclume d'un soufflet de forge, mais il était quasi certain qu'un kit de forgeron transportable ne venait pas dans douze boîtes.
"Ce n'est pas un peu... gros ?", se risqua-t-il.
"Hein ?", s'étonna Deriner. "Mais non, c'est le nouveau modèle !"
Le mage de combat haussa un sourcil.
"Alors euh... On va forcer Perceval-Dorian a échanger son cheval avec quelqu'un, seulement pour pouvoir transporter ton kit ?"
Deriner le regarda, surprise.
"Quoi ? Mais non !", elle souleva une boîte, couleur cuivre décoré par un délicat motif de fougère. "Ça c'est mon kit ! Il entre parfaitement bien dans mon paquetage, c'est conçu pour ça ! Les autres, je les ai achetés pour donner en cadeau... J'ai raté l'anniversaire de ma nièce, c'était la semaine dernière, et sa sœur m'en avait demandé un, je lui dois une faveur pour une histoire de marteau emprunté. J'ai une amie qui en voulait un nouveau, le sien date du siècle dernier, surtout que les plus récents sont disponibles dans des couleurs absolument charmantes, je lui en ai pris un adorable vert feuille, elle va l'adorer. J'en ai un autre pour ma petite cousine qui-
- Attends !", interrompit Sanson. "Tu veux dire qu'on va retourner là-bas !? Quand les Ouestants ont sûrement des doutes très précis sur qui s'est barré avec votre Pierre de Vœux !?"
La naine cligna des yeux. Apparemment, cette problématique ne s'était pas présentée à elle.
"Ils ont peut-être déjà oublié cette histoire...
- Ou ils vont nous couper la tête... quoique dans mon cas, ils vont peut-être seulement me raccourcir au niveau des genoux", ajouta Sanson après réflexion.
"Mais qu'est-ce que je vais faire de tous ces kits alors !?", s'énerva Deriner. "Ils ne sont pas échangeables, ni remboursables !
- Tu aurais dû y penser avant !
- Si vous me permettez d'interrompre votre discussion... animée... et m'accordez la grâce de placer un simple commentaire...", réussit à dire Perceval-Dorian avant que les insultes commencent à pleuvoir. "Ne serait-il pas acceptable, considérant que je dois de toute façon entrer en communication avec un des mes collègues concernant le prêt d'un cheval d'une taille plus convenable, si je lui demandais tout simplement s'il lui était possible de pousser la gentillesse jusqu'à accepter de bien vouloir se charger de la livraison ?"
***
Cinq minutes plus tard, ils étaient dehors. Perceval-Dorian tira de ses vêtements un petit carnet aux coins écornés, le consulta avec attention et alla prendre une boîte dans son paquetage. Il en sortit des fioles remplies de poudre, divers tubes, un bol pour mélanger et d'autres trucs en vrac. Un moment de préparation plus tard et une allumette rapprochée d'une mèche plus tard, la fusée éclata contre le ciel bleu, une explosion en rouge.
Ils regardèrent tous les éclats s'éteindre sans que rien ne se produise.
"...Bon d'accord, c'est bien joli tout ça, mais qu'est-ce qu'on fait maintenant ?", demanda Deriner.
"Belle dame naine, j'ai le regret de vous annoncer que maintenant, c'est de patience dont il faut faire preuve."
Le paladin mit une main en visière et attendit les réponses. Après quelques minutes et heureusement, avant que la première crampe apparaisse dans son cou, les premières successions de points lumineux de couleurs différentes apparurent dans le ciel à des distances variées. Perceval-Dorian s'empressa de consulter une liste de référence dans son carnet.
"C'est joli comme tout ! On dirait des fleurs de feu !", commenta Deriner.
"...Vous n'avez pas l'impression que ce serait mieux s'il y avait de la musique pour accompagner ces explosions de couleur ?", fit remarquer Sanson.
Sans attendre que les autres répondent, il se mit à tun dundun TUUUUN dun !-er pour lui-même, accompagnant les explosions.
"Qu'est-ce que ça veut dire ?", demanda Sinis, plus pragmatique.
Perceval-Dorian garda les yeux au ciel.
"Suite à l'ouverture d'une communication de ma part, mes collègues les plus près de notre position actuelle me retournent leurs disponibilités pour l'importante mission qu'on me charge de confier à l'un d'eux."
Une succession d'explosions lointaines lui fit cligner des yeux.
"Ah, par exemple, mon frère Armand-Frédéric me signale être à l'instant fort occupé par le combat acharné contre une hydre à trois têtes, ce qui l'empêche malheureusement de m'offrir son aide."
Sinis haussa un sourcil ; Perceval-Dorian désigna deux courtes explosions sur leur droite.
"Là-bas, il s'agit de mon frère Nicholas-Alexander-Matthews qui m'indique son infini regret de ne pouvoir agréer à ma demande car il se trouve confiné au lit avec un vilain rhume et l'impossibilité catégorique de sortir sous peine de se faire ligoter par sa vieille mère !
- Il a dit ça ?
- Bien sûr.
- ...En deux petits poufs de couleur ?", insista Sinis.
"Oh, non. Je résume, bien sûr ! Son message exact était : Je suis meurtri jusqu'au plus profond des confins les plus obscurs de mon âme, pas que mon âme soit obscure, Aubrey en soit témoin, par l'oppression soudaine et impitoyable que me cause tout le poids du regret de ne pouvoir en cette seconde précise être dans la possibilité de pouvoir m'élancer à ton aide, oh mon frère ! Il se trouve pour mon malheur qu'en ce triste jour dont je maudirai certainement l'existence jusqu'à ma mort et même après, je suis le prisonnier involontaire de la maladie, qui me condamne aux couvertures de mon humble lit ainsi qu'à la consommation d'un petit bouillon de poulet et, si jamais je me retrouvais à oser braver ce monde pour t'aider, oh mon frère, mon illustre parente userait de la force la plus excessive pour m'immobiliser."
Sinis le dévisagea.
"J'ai bien peur que frère Nicholas-Alexander-Matthews n'ait jamais été homme à exprimer son opinion de manière très succincte", s'excusa Perceval-Dorian.
Il regarda la rapide, presque frénétique succession d'explosions de couleurs qui se manifesta ensuite, fronçant les sourcils. Gardant le nez en l'air, il ouvrit rapidement son carnet vers la fin et y nota le message crypté. Une fois le signal terminé (environ quatre minutes trente-deux plus tard), il jeta un coup d'oeil à ce qu'il avait scribouillé, essayant d'en déchiffrer le sens. Il bougea les lèvres en répétant la séquence, fouilla dans son carnet pour s'assurer que son interprétation était juste.
"Mon frère Theoderich n'a point changé, il excelle toujours autant dans l'art de la messagerie instantanée ! Il part...", le paladin hésita, se repassant mentalement le message pour être certain d'avoir bien compris. "Il part apparemment détruire l'esprit du grand magicien Diaconis qui veut transformer le monde entier en une fromagerie.
- C'est n'importe quoi !", rigola Sanson pendant que le paladin préparait de nouveaux tubes pour envoyer sa question au ciel.
Il feuilleta son carnet, marmonnant pour lui-même Voyons, 'gros', il me semble me souvenir que c'est deux cercles bleus... et 'cheval', hmm... Son message finit par exploser en couleurs. Quelques minutes plus tard, parmi une majorité de réponses négatives, une dernière plus positive apparut dans le ciel.
"Ah, quelle excellente surprise !", s'exclama Perceval-Dorian en voyant les réponses. "Kingston-Darwin est à une distance satisfaisante de notre position actuelle, il pourra nous rejoindre avec Baptiste-Edouard."
Sinis se pencha vers Sanson et murmura :
"...Tu crois que c'est lequel des deux, le paladin ?"
Deriner leur lança un avertissement clair d'un regard dangereusement noir et ils réussirent à arrêter de rigoler. Éventuellement.
***
Kingston-Darwin se révéla être humain, mais surtout paladin, avec des cheveux longs, foncés et bien sûr, ondulés d'une manière parfaite et un sourire remplit d'une dentition parfaite - pour ne rien ruiner, son visage avait lui aussi quelque chose de parfait, avec un teint parfaitement hâlé, une expression parfaitement noble et des yeux d'un noir parfait. Il était si parfait que Deriner le trouvait beau, malgré ses lacunes énormes au niveau de la barbe.
Baptiste-Edouard était son cheval - énorme paraissait encore imprécis pour le qualifier : c'était le genre de cheval d'une taille telle que celui qui l'observait se sentait obligé de demander s'il était parent avec les éléphants. Sanson se recula instinctivement, ne lui trouvant pas une expression amicale.
"...Il n'aurait pas de l'éléphant dans sa famille, ce cheval ?", demanda Deriner.
"Ah ! Je constate sans surprise que Baptiste-Edouard fait une fois encore sensation !", s'exclama Kingston-Darwin ; son cheval parut seulement irrité du commentaire et poussa un petit renâclement sec.
Sa voix était parfaite, s'il était concevable qu'une voix le soit. C'était un mélange de douceur, d'une pointe d'accent impossible à identifier, de notes mélodieuses : elle dégageait force et fermeté, mais en même temps cette certitude subtile qu'elle pouvait devenir caressante. Deriner le dévisagea, se demandant sérieusement si les sirènes et les humains pouvaient avoir des enfants ensemble. Elle avait envie de le regarder pour le reste de la journée et de l'entendre parler, oh, à peu près pour le reste de l'éternité.
Perceval-Dorian brisa l'envoûtement.
"Je suis entièrement transporté de joie de te revoir après si longtemps, mon frère-
- C'est son frère !?", s'exclama la naine.
"Tous les paladins d'Aubrey forment une grande famille", précisa Sinis.
"...Oh.
- Moi pareillement", sourit Kingston-Darwin, éblouissant la petite assemblée de sa perfection, "je suis tout à fait enthousiasmé de te revoir et je constate que dans sa bonté, Aubrey t'a accordé l'honneur de te joindre à un groupe d'aventuriers !
- J'en étais moi-même incroyablement étonné, tu peux certes t'imaginer ma surprise ! Mon âge n'est point synonyme de sagesse et mon niveau d'expérience n'est guère enviable, je ne suis point entièrement certain de mériter une telle faveur...
- Perceval-Dorian, mon frère, tu ne te fais en rien honneur à toi-même : Aubrey lui-même te reprocherait une trop grande sévérité personnelle. Tu n'ignores pas qu'il nous est permis de tirer une certaine mesure de plaisir de nos propres accomplissements, tant que nous ne péchont pas dans l'excès d'orgueil.
- Tu es trop bon, Kingston-Darwin, comme toujours tes mots me réconfortent. ...Et si tu me permets l'indiscrétion d'une question : dans tes pérégrinations, as-tu peut-être par quelque heureuse fortune, croisé frère Alexandre-Tristan ou encore frère Erneste-Sébastien ?
- Nul n'a point été ma chance, mais Aubrey soit remercié de m'avoir donné l'occasion de retrouver frère Timothy-Adrian ! Savais-tu l'heureuse nouvelle à son sujet ? Sa candidature au rang un est en phase de révision finale et il ne semble plus qu'il ne reste sur son chemin qu'une ou deux formalités avant qu'il lui soit permis de s'établir dans un des temples d'Aubrey comme guérisseur résident !
- Aubrey ne voudrait sans doute en aucun cas risquer qu'un tel talent se perde et qu'une telle dévotion ne reçoivent pas sa juste mesure de remerciements.
- ...C'est bien beau leurs retrouvailles à rallonge, mais mon problème de transport de biens, ils vont le régler quand ?", siffla Deriner, mais dans un sifflement presque poli et d'une raisonnable discrétion - elle dévorait encore des yeux (et des oreilles) Kingston-Darwin.
"Chut !", fit quand même Sanson. "Tu veux qu'ils soient livrés ou non, tes kits-cadeaux ?"
La naine grommela. Perceval-Dorian finit par se rendre au problème (une introduction qui ne lui prit que dix minutes), l'aborda franchement (par une courte explication de vingt minutes) et demanda enfin (avec force de politesses et de mots gentils pour que Kingston-Darwin, par esprit de fraternité et dans sa grande bonté naturelle, daigne l'écouter) s'il était possible de livrer à bon port les onze kits de forgeron transportables que Deriner voulait faire parvenir chez les Ouestants.
"Je serais tout naturellement fort honoré de me dévouer à une si généreuse cause, surtout pour une si belle dame naine", accepta aussitôt Kingston-Darwin avec un sourire (de la famille qui tue, sous-espèce tellement blanc que ça risque de rendre quelqu'un aveugle), sans même le début de l'ombre d'une hésitation.
Deriner rougit et essaya de bredouiller Merci.
Personne ne lui fit remarquer que Hmgnnii ne voulait rien dire.
(20 décembre 2010)
(Révision finale : 4 mars 2011)