Anthologie: Les idées bleues
Titre: Ciel dégagé en après-midi
Auteurs: drakys & supaidachan
Fandom: Original > Les nouvelles aventures des Losers!
Personnages: les Losers !
Rating: PG
Nombre de mots : 3491 mots
Disclaimer: ironie & bas blancs (drakys & supaidachan)
Notes: Tout est
ici. Posté pour
flo-nelja dans le cadre d'
ecrirepouraider.
Imaginez : un homme contre deux cent ou deux mille, il n'y a pas de différence, et il se bat. Il ne fait pas seulement que se battre, il gagne. Ses gestes ne semblent pas le résultat d'une pensée ou la conséquence d'un instinct : il sait. Alors il bloque et attaque, repousse l'ennemi. Sa seule arme est un bâton de bois, grand comme lui, et il repousse des armées équipées de lames, de lances, de piques, de flèches. Imaginez maintenant : deux hommes, dos à dos. L'autre possède deux sabres et il tranche sans émotion les vies devant lui, il est impitoyable comme la mort.
Il n'y a que le silence entre eux, parce que les mots ne sont pas nécessaires. Ce que le premier commence, le deuxième continue sans hésitation. Ensemble, ils ne forment qu'un.
...Parce qu'au tout début, il ne formaient qu'un.
Silent Pascal entra dans une taverne. Il aurait pu choisir n'importe quelle taverne, dans n'importe quelle ville de n'importe quelle région. Il choisit cette taverne en particulier, certainement pas pour son nom (Le Pisse-de-biais), ni pour son apparence (le toit avait de toute évidence besoin d'être refait, la porte pendouillait de travers, les fenêtres étaient entièrement cachées par des vignes - ce qui permettait à la taverne d'être ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, l'intérieur étant toujours plongé dans une obscurité fort nocturne).
Il choisit cette taverne parce que, sans qu'il puisse s'expliquer pourquoi (et sans vraiment s'en soucier), il savait qu'il y trouverait Pidgeonboy.
***
Imaginez : un femme-dragon, belle d'une beauté irréelle. Condamnée à vivre sur l'île flottante, elle adopte une apparence humaine ou presque, parce que sa Maison l'exige et ils servent les dieux des hommes, des elfes et des nains. De toutes ces races, les dragons blancs préfèrent la grâce et la beauté des elfes et s'ils doivent s'abaisser à emprunter une forme, si inférieure à celle qui leur est propre, ils choisissent celle des elfes. Leurs oreilles sont plus pointues que nécessaire et, même s'ils ressemblent aux elfes, ils leur sont supérieure : leurs traits sont encore plus délicats, les yeux toujours aussi bleu qu'un ciel clair d'été.
Pâle et tragique, la femme-dragon ne possède pas le millième du pouvoir qui est accordé aux hommes de sa race. Elle est liée à la volonté de son frère, un des Cinq Généraux. Elle dépérit dans un monde où elle ne pourra jamais s'envoler plus loin que les barrières trop hautes des traditions.
Spider-chan savait qu'elle pouvait continuer à avancer. Ça n'avait rien de compliqué : la route devant elle s'étendait, droite, sans aucun obstacle visible et probablement sans aucun obstacle invisible non plus. Pourtant, elle s'était arrêtée et ses oreilles se collèrent sur sa tête en signe d'irritation. Elle savait qu'il n'y avait rien pour la retenir là. Personne, aucun sort, aucune force mystique, aucune autre connerie du genre, intentionnelle au accidentelle, elle l'aurait senti (les elfes étaient sensibles à ces choses-là, parce que les elfes étaient supérieurs et na !). Ce qui la retenait là, c'était elle-même.
Si elle continuait et continuait et continuait à marcher, elle reviendrait éventuellement chez elle. Pas exactement chez elle, plutôt chez ses parents. Elle n'avait pas encore sa maison, bien sûr que non, parce que pour avoir sa maison, elle devrait prendre un époux et- bleh. Si elle continuait, oui, elle serait de retour chez les siens. Elle pourrait passer ses journées à perfectionner ses méthodes de combat : il n'y avait qu'à jeter une pierre pour atteindre un maître d'armes, tellement il y en avait ! Bien sûr, il n'y avait pas un grìan qui ne pensait pas être le meilleur dans sa discipline de choix.
Elle pourrait apprendre à forger des armes ou des bijoux ou des petits objets d'une utilité discutable (franchement, des centres de table en dentelle d'argent ? Des guirlandes d'or pour les fleurs du jardin ? C'était bien que ces elfes-là n'aient jamais quitté les cités interdites, ils leur feraient encore plus la réputation d'être coupés de la réalité), ça ne pouvait pas être si compliqué que ça, tout le monde le faisait !
Elle resta obstinément immobile.
Spider-chan savait qu'elle pouvait continuer à avancer : c'était irrationnel de penser le contraire. Elle fit néanmoins demi-tour et décida de retourner à son point de départ, ou presque. Elle était certaine de devoir plutôt se rendre dans la ville voisine de celle qu'elle avait quittée.
***
Imaginez : une nymphe établie dans un monde inaccessible. Un monde qui flotte au-dessus d'un autre, loin au-dessus des nuages. Un monde qui existe seulement grâce à une magie puissante et aux secrets d'un homme que tout le monde connaît simplement sous le nom du Machiniste.
Elle connaît tout le monde et tout le monde la connaît : elle tient une petite taverne sans prétention, elle se tient derrière le bar, armée d'un sourire pour chacun, d'un bon mot pour tous. Elle sert toujours, mais on lui donne encore plus. Elle connaît chaque rumeur, chaque secret. Elle connaît toutes les intrigues.
Et de toutes ces intrigues, combien sont résolues, combien s'enveniment parce qu'elle y participe ?
"Tu veux bien me dire ce que tu essaies de faire ?"
Carpet-Vale sursauta et se tourna vers la voix, voix qui appartenait à la druide. Esoj s'approchait, un sourcil haussé, de toute évidence curieuse de savoir pourquoi l'autre femme était assise au milieu d'un cercle de petits feux. Ils étaient espacés de dix ou quinze centimètres et éclairaient les environs avec acharnement, créant une bulle de jour artificiel au milieu de la nuit.
"Je- Je- Je m'ennuyais !
- Alors tu as allumé des feux... pour t'amuser ?
- C'est divertissant...", la magicienne fit la moue, décida éventuellement d'admettre la véritable cause de son soudain intérêt pour l'illumination : "C'est surtout que ça me change les idées parce que... parce que j'ai faim !
- Tu n'as pas pris de provisions avec toi ?", demanda Esoj, avec un petit sourire en coin qui laissait supposer qu'elle connaissait déjà la réponse à cette question.
"Je pensais que je trouverais une auberge avant la nuit...", avoua Carpet-Vale.
"Et tu savais où tu allais ?
- Pas vraiment."
La druide soupira, fit presque le tour du cercle, s'arrêta, repartit dans l'autre sens. Réalisant qu'elle essayait de la rejoindre, Carpet-Vale leva une paume devant sa bouche et souffla. La moitié des feux s'éteignirent aussitôt et la druide vint s'asseoir près d'elle.
"J'ai des provisions en trop", offrit-elle en fouillant dans son sac - elle en sortit du pain, du fromage de chèvre, du miel, des noix et, au plus grand plaisir de Carpet-Vale, une bouteille de vin elfique. "Je me doutais bien que je rencontrerais quelqu'un sur la route, mais je ne pensais pas que ça allait être toi !"
Elle rompit un pain en deux et en tendit une moitié à la magicienne. Carpet-Vale s'en empara.
"...Et toi ?", demanda-t-elle finalement. "Tu allais où ?
- Une petite auberge pas très loin d'ici, Le Citron Limette."
Carpet-Vale la dévisagea.
"Pas très loin d'ici, c'est comment près ça ?
- Oh, tu sais l'embranchement plus tôt ? Celui avec la pierre en forme de canard ? Si tu avais pris à droite plutôt que de continuer tout droit, Le Citron Limette est à une dizaine de minute de marches."
Carpet-Vale digéra cette information.
"Alors qu'est-ce que tu fais ici ?"
Esoj sourit.
"J'étais convaincue que je devais faire un détour."
Imaginez : le vent qui prend forme humaine par dépit de ne connaître que le ciel, par ennui de devoir souffler et souffler et ne jamais s'essouffler. Une femme qui n'en est pas tout à fait une. Elle est douce et souriante (la brise de printemps qui caresse) ou fière et impitoyable (la tempête qui détruit). Elle est pâle, presque transparente et sa forme, parfois, tremble, à la limite entre la réalité et le rêve.
Dans ses yeux défilent des images. Des nuages peut-être ou les fantômes de milliers d'autres mondes : le vent se glisse partout, sait des secrets que nul autre ne connaît.
***
Imaginez : un Arbre où poussent des centaines et des centaines de lumières tremblotantes à chaque branche. Ce sont des petites flammes courbées délicatement sur elles-même, elles scintillent avec des intensités différentes, pulsent doucement. Ce sont des âmes, guidées vers le monde d'en bas par un dieu aveugle. Il ne contrôle pas le temps : il voit seulement le passé, le présent et, au prix d'une grande douleur, il voit aussi le futur.
Sur lui veille un croissant de lune, gravé au coin de l'œil d'un autre dieu. Celui-là envoie les rêves, les bons et les mauvais, dans le monde d'en bas. Ensemble, ils tissent ce que les hommes appellent le destin.
...Mais peut-être n'est-ce seulement qu'un autre rêve.
***
L'homme aux cheveux blancs lui rendit ses armes.
"C'est plus pratique que l'épée, tu te trouves pas ? Moins lourd, d'abord - pas que c'était un problème pour toi !", ajouta-t-il rapidement en voyant Shmae Girl ouvrir la bouche pour protester. "Plus facile à dissimuler, aussi."
La guerrière glissa les sais à sa ceinture. Devant eux, les verres vidés de leur citronnade s'accumulaient.
"Ils sont encore en très bon état. Tu verras", sourit-il - de toute évidence au courant d'un détail que Shmae Girl ignorait, "ils te seront utiles."
Le sourire s'étendit jusque dans ses yeux, y mettant des étincelles rieuses. Il commença à lui raconter des histoires, qu'elle suivit du mieux qu'elle pouvait, mais il s'emportait parfois et commençait à prononcer des noms trop longs, avec des syllabes à peine prononçables et il dérapait de temps en temps, commençait à parler une autre langue, puis sautait à une autre et une autre encore et à un langage étrange que Shmae Girl ne reconnaissait pas du tout, fait de sons rauques qui naissaient dans le fond de sa gorge.
Elle le connaissait depuis longtemps, sans savoir depuis quand. Non, plutôt sans se rappeler depuis quand. Shmae Girl ne se souvenait pas vraiment de sa vie d'avant. Sa vie avant que Spider-chan soit là, que les autres soient là et- Elle essayait d'y penser, parfois, mais ça lui donnait trop mal à la tête. Quand elle faisait un effort en pensant à l'homme aux cheveux blancs, elle se rappelait des jouets rigolos... et des rires, ses rires à elle. Et une autre voix, douce et caressante - une voix remplie d'une chaleur qui trahissait beaucoup de tendresse : son père - qui disait Tu la gâtes trop ! Et un sourire - un peu triste, celui de Papy : Il faut bien que quelqu'un le fasse... la pauvre petite est comme moi, coincée entre deux mondes.
Sa mémoire s'arrêtait plus ou moins là.
De toute façon, c'était long derrière, ce passé.
Et puis, le présent était marrant, ça lui suffisait. Elle sourit, continua de l'écouter, même si elle ne comprenait plus un mot de ce qu'il disait : il avait l'air heureux, c'était assez pour elle. Remarquant qu'elle le dévisageait avec une expression un peu vide, quand même polie, il cligna des yeux.
"Ah, excuse-moi, je n'ai pas remarqué que je ne parlais plus la bonne langue !"
Il enchaîna avec des histoires sur Lled, pensant pouvoir l'amuser. Shmae Girl n'avait pas connu Lled, mais avec tout ce qu'il lui racontait, c'était tout comme. Il en parlait avec un enthousiasme contagieux.
"Tu aimes les donjons ?", s'inquiéta-t-il soudain, s'interrompant au milieu d'une anecdote.
"Ils sont marrants.
- Les pièges ne sont pas trop difficiles ?
- Ils sont marrants aussi. Mais Pidgeonboy aimerait mieux s'il y en avait moins", ajouta-t-elle après réflexion.
Elle lui tapota une main.
"Ne t'inquiètes pas, Mach, on se débrouille très bien !
- Rhâ, nooon, je préfère quand tu m'appelles Papy !"
Shmae Girl éclata de rire.
"Mais tu n'es pas mon papy ! Pourquoi tu veux faire des mystères, d'abord ?
- C'est plus amusant...", soupira-t-il, navré.
Il se consola très vite.
"...Tu as aimé la statue ?
- Oui", répondit Shmae Girl, patiente. "J'ai aimé la statue.
- Tu aurais dû voir la tête de Peisui quand il a compris son fonctionnement, avec le levier et tout ça !", l'homme aux cheveux blancs rit aux éclats. "Mach, qu'il me dit, Mach, tu dois l'arrêter ! Toi au moins, elle t'écoute de temps en temps ! À cause d'elle, j'ai l'air de quoi !? J'ai l'air d'un homme objet, voilà de quoi j'ai l'air ! et Sanharo de lui répondre, pfft ! De lui répondre comme il sait si bien le faire, en restant sérieux et tout : Pas étonnant, tu es une statue."
Mach hurla de rire, tapa sur la table à grandes claques et Shmae Girl rit aussi.
"Elle était drôle, Lled !
- Tu n'as pas idée ! Le mieux, vraiment, c'était quand elle a décidé de donner la construction et l'installation des pièges en sous-traitance aux nains ! ...À des Ouestants ! PDA a faillit en manger sa barbe, il est devenu tellement rouge que j'ai cru que son visage prendrait en feu. Ah, c'était le bon vieux temps ! Il ne s'en fait plus, des groupes comme ça ! ...Le tien est bien, quand même, hein, je ne te fais pas un reproche !"
Shmae Girl haussa les épaules, pas le moindrement du monde insultée ; l'homme soupira, sourire aux lèvres.
"Elle serait tellement furieuse que les gens aujourd'hui croient qu'elle était un homme. Je lui avais bien dit que Lled était beaucoup trop neutre comme nom... Bon d'accord, elle détestait l'idée de passer à l'Histoire sous le nom d'Elledea, mais ça aurait aidé la cause de toutes les jeunes et talentueuses femmes qui auraient ensuite suivi son exemple. Quoique, c'est aussi dommage que de nos jours, les jeunes et talentueuses femmes en question soient satisfaites d'être de simples magiciennes quand nous manquons cruellement de chercheuses en magie. Je l'ai toujours dit : il n'y a rien comme l'instinct féminin pour trouver les meilleurs idées !
- Ce n'est pas comme être magicienne ?", demanda Shmae Girl.
"Oh ! C'est à un univers et demi de ça ! Ça implique de longues journées en laboratoire - et je dis journées, mais c'était souvent des nuits aussi, même des jours sans voir la lumière du soleil. C'est des expériences sur la réalité, l'espace, la matière, le temps. C'est un emploi fascinant qui hélas, a plus ou moins disparu depuis."
Il soupira et fixa son verre, apparemment perdu dans ses pensées. Shmae Girl ne le dérangea pas et sursauta quand il s'exclama soudain :
"Ah !", il jeta un regard rapide vers la fenêtre. "Il est déjà cette heure-là !? Je dois te laisser. Il est à peu près temps de passer à autre chose. De toute façon, il ne te reste pas longtemps à attendre."
Mach but le reste de sa citronnade d'une longue gorgée, se leva et il mit une main sur son épaule.
"Ton père fait dire bonjour, en passant."
Shmae Girl sentit presque sa présence, repensa à la voix douce à laquelle elle rêvait parfois. Elle baissa les yeux et la main de Mach se resserra.
"Je sais que tu ne te souviens pas très bien de lui...
- Je me rappelle de sa voix ! Enfin, je crois. En rêve."
Mach lui sourit et lui ébouriffa les cheveux.
"Ah, oui. Raimi lui donne un petit coup de main, de temps en temps. ...Quand Aubrey est occupé ailleurs.
- Tu lui diras bonjour de ma part ?
- Sûr ! ...Dès que j'ai une chance de le croiser. Ce sera peut-être dans un siècle ou deux, remarque, j'ai des piles de boulot qui m'attendent."
Il sortit en fredonnant, croisant à la sortie un certain voleur et un certain demi-elfe. Mach, se rappelant soudain ce qu'était la politesse et à quoi elle servait, resta en retrait et leur tint la porte ouverte. Ils ne remarquèrent même pas avec quel intérêt Mach les suivit du regard. ...Intéressant, murmura-t-il pour lui-même.
"Merci", fit distraitement Pidgeonboy avant de continuer à s'indigner. "Tu n'avais pas du tout besoin de me courir après ! J'aurais très bien pu-
- Admets-le, tu étais en mauvaise posture", insista Silent Pascal.
Le voleur marmonna quelque chose.
"Quoi ?
- J'ai dit : peut-être !
- Comment ça, peut-être ? Tu voulais vraiment passer le reste de ta vie en tant qu'assistant-aubergiste ?", lui demanda le demi-elfe.
"C'est un excellent emploi, tu sauras !", se défendit Pidgeonboy. "C'est une bonne condition sociale avec un fond de pension irréprochable et d'excellentes assurances ! Avec les frais dentaires couverts à quatre-vingt pour cent, parce qu'on ne sait jamais quand un idiot complètement bourré va nous balancer son poing dans la gueule. Et puis, on est même syndiqués ! D'accord, ça gruge une part de mon salaire, mais si je me fais une coupure sur une main en essuyant un verre et bien, j'ai droit à des versements de la Commission de la Santé et de la Sécurité au Travail !"
Shmae Girl leur fit signe d'approcher et ils la rejoignirent, la plus naturellement du monde, en continuant leur discussion.
"Tu veux dire que tu aurais passé de voleur, comme ça, à un petit boulot pépère où le pire qui aurait pu t'arriver, c'est de marier la fille, d'une beauté discutable, de ton patron ?
- Pourquoi pas ? De toute façon, pourquoi tu t'en soucies ?", s'énerva Pidgeonboy. "Je croyais que la seule chose qui t'intéressait, c'était d'être débleui !
- Il y a un temps pour être débleui et un temps pour empêcher un ami de faire la pire gaffe de son existence", dit philosophiquement le demi-elfe.
"Depuis quand c'est une gaffe de trouver un emploi respectable ?
- Bah, depuis qu'il nous reste tout plein d'aventures à vivre, tiens !", glissa Shmae Girl.
Les deux autres y pensèrent une fraction de seconde. Pidgeonboy digéra cette explication et décida qu'elle était tout à fait raisonnable. La porte de l'auberge s'ouvrit et deux piles de sacs et de boîtes entrèrent. Derrière les piles se trouvaient deux femmes.
"Ah, mais c'est lourd !", se plaignit Carpet-Vale. "Tu veux bien me dire pourquoi on doit porter tout ça !?
- Surtout parce qu'on a acheté tout ça", expliqua patiemment Esoj. "...Et parce qu'on a personne pour porter nos paquets à notre place.
- C'est- c'est-", Carpet-Vale chercha un mot approprié. "C'est absolument navrant", décida-t-elle. "Nos charmes respectifs auraient dû forcer de beaux et forts jeunes hommes à nous venir en aide. À défaut, tu aurais pu leur faire boire un truc, une potion ou un philtre, je ne sais pas trop, pour qu'ils deviennent nos esclaves.
- Ce n'est pas tellement moral...", répondit Esoj, mais il y avait quelque chose dans sa voix qui laissait supposer qu'elle n'était pas tout à fait contre l'idée.
"Mais c'est amusant !", sourit Carpet-Vale.
"Et puis, une potion avec des effets temporaires, un jour ou deux au plus, c'est déjà beaucoup plus moral", décida la druide.
"Par ici !", appela Shmae Girl.
Le plus naturellement du monde, la druide et la magicienne se dirigèrent vers la voix et vinrent se laisser tomber sur deux chaises libres, laissant choir leur paquets à leurs pieds. Esoj massa ses épaules ; Carpet-Vale frotta les marques que les sacs avaient laissées dans ses mains.
"C'est épuisant, de faire toutes ces boutiques...", s'excusa presque la druide.
"C'est bien plus épuisant encore de devoir porter nos propres paquets !", soupira Carpet-Vale. "Vous auriez pu nous aider !", reprocha-t-elle à Pidgeonboy et Silent Pascal.
Ils échangèrent un regard surpris. La surprise devint de l'amusement et ils durent rapidement regarder ailleurs avant de se mettre à hurler de rire. Tout était redevenu normal.
...Ou presque.
La porte de l'auberge claqua contre le mur, mais personne n'entra. Le silence se fit dans la grande salle, les gens était habitués à ce que des nouveaux-venus entrent quand la porte s'ouvrait. Ils attendirent. Attendirent encore. Attendirent un peu plus. Personne n'entra. La porte resta ouverte.
Shmae Girl se leva. Tous les regards se tournèrent vers elle. La guerrière marcha vers l'entrée, sortit la tête à l'extérieur.
"Pourquoi tu n'entres pas ?", demanda-t-elle.
Spider-chan était assise sur la banc près de la porte, les jambes repliées, le front appuyé contre ses genoux.
"Je ne veux pas entrer", gémit-elle.
Shmae Girl fronça les sourcils, s'efforçant de trouver une solution.
"...Tu veux qu'on sorte alors ?
- Non !"
La conversation, ne se décidant pas sur la direction à prendre, s'arrêta là. Le silence prit le relais, il avait l'habitude.
"Je ne voulais pas revenir", marmonna soudain Spider-chan. "J'ai essayé de marcher vers l'est, je suis revenue sur mes pas. J'ai essayé vers l'ouest aussi et vers le nord et le sud et aucune Direction ne m'a permis de m'éloigner. Je me suis entêtée, j'ai recommencé. Et recommencé. Et recommencé. Et je suis arrivée ici à chaque fois. À chaque fois !
- Tu n'étais pas obligée de revenir.
- Je sais !"
Shmae Girl alla s'asseoir près d'elle.
"Ils font de la bonne citronnade ici.
- ...Hm ?
- Elle goûte encore meilleure quand on la boit avec des amis et qu'on se raconte des histoires marrantes."
Le silence revint en force. Un peu gêné d'être là, il se fit nerveux.
"Shmae ?
- Oui ?
- S'il te plaît, ne dis plus des choses comme ça, ça craint horriblement."
(24 mars 2010)